Because we all have a story
Crier, rire, me lamenter, hurler, ou même sourire. Je ne sais quelle émotion afficher. Non. La vérité, c’est que je ne peux rien faire transparaître. Je m’en sens incapable. Alors je garde mon masque d’impassibilité. Pleurer. Oui, je devrais pleurer. C’est ce qu’ils attendent tous de moi, après tout. Pourquoi ne pas tout simplement leur montrer ce qu’ils veulent voir ? Mais je ne peux pas.
A quoi bon ? Il ne m’a jamais aimée. Je reste figée, paralysée. La nouvelle vient d’anesthésier en moi toute forme d’émotion, aussi forte soit elle. Mais, au plus profond de moi, je bouillonne. Je sens
l’euphorie monter, l’excitation, je jubile… la douleur s’emparer de mon âme. Douleur fulgurante qui me prend les trippes. J’ai des papillons dans le ventre, et je sens la bile remonter le long de ma gorge. Je la ravale tant bien que mal, ne montrant rien de ma fébrilité au majordome me faisant face. Je suis effarée par la violence des sentiments qui m’assaillent.
Par le contraste.
Crier, rire, me lamenter, hurler, ou même sourire. Pleurer. Une multitude de possibilités. Mais aucun son ne s’échappe de ma gorge.
« Je
ne suis
pas triste. » C’est la première chose qui me traverse l’esprit. Après tout, il
ne va
pas me manquer. C’était un père absent,
qui n’a jamais été là lorsque j’ai eu besoin de lui très pris par son travail à lourdes responsabilités.
Je le déteste depuis qu’il a mis le sujet du mariage sur le tapis. Père à toujours voulu pour moi un époux digne de mon rang.
Il n’a jamais pris mon avis en compte. Il a toujours voulu le meilleur pour sa fille unique. Je sais, au fond, qu’il faisait tout cela pour mon bien,
ou du moins j’essaye de m’en convaincre.
Comme il le souhaitait, j’ai perfectionné mon éducation dans l’un des établissements les plus
tyranniques performants de l’Enclave.
Contre ma volonté… Je n’ai jamais pu faire un pas hors de notre
prison dorée demeure sans escorte.
J’ai eu sans cesse l’impression que l’on espionnait le moindre de mes faits et gestes. Père a toujours agit dans le cadre de ma sécurité. Pendant plus de 17 ans, il m’a traitée telle une poupée de porcelaine,
vulgaire objet de décoration enfermé à double tours et exposé dans une vitrine. J’avais l’impression d’être fragile, friable, condamnée au mutisme. Car on ne demande jamais son avis à la jolie poupée. Elle a beau crier, derrière la paroi de verre, personne ne l’entend.
Crier, rire, me lamenter, hurler, ou même sourire. Pleurer. Je suis perdue, avalée par le flot de souvenirs se déversant à cet instant dans ma mémoire. Je lâche une plainte aigue que le majordome relie aussitôt avec la douleur
qu’est censée me provoquer que me provoque la mort brutale de mon père. On m’a dit que c’était un accident. Une mort anodine, sans être naturelle.
Je n’y crois pas. Moi, j’ai l’impression que l’on cherche à me maintenir dans l’ignorance.
A me protéger. On ne protège pas les gens de cette façon.
Je veux savoir qui a fait le coup, qui l’a empoisonné. Et pourquoi.
« Son enterrement aura lieu ce dimanche, Mlle Wellington.- Vous pouvez disposer » répondis-je dans un souffle.
Les pas du majordome résonnent dans le couloir. Enfin seule. Je m’écroule sur l’un des nombreux fauteuils de la pièce. C’est maintenant moi, seule héritière de Berlioz Aldric Wellington, qui suis propriétaire du domaine. J’ai
presque toutes les cartes en main, et désormais, je dicte les règles du jeu.
Je suis toujours sous la coupe de l’Enclave. Je suis maitresse de mon destin. Mais, malgré la rancœur que j’ai nourrie contre mon père pendant ces nombreuses années, je craque. Ma carapace se fissure, et le masque tombe. Les larmes, traitresses, coulent le long de mes joues. Je me recroqueville dans le fauteuil.
Il me manque déjà. L’amour va souvent de pair avec la haine …