Wicked Game

Plus une seule échappatoire, voilà ce qui résumait parfaitement la situation. La salle de conseil désertée - tous avaient pris la fuite, espérant que leurs fortunes seraient leurs gages de sortie, bien trop tard malheureusement... - n'abritait plus que les Trois : Julianne Médicis, Alan Sperlson et Jason Airwair.

L'oiseau jaune entama sa dernière plainte avant de se réfugier dans l'étreinte de la mort. Quelques instants la lourde cage de bronze résonna. Julianne planta sauvagement les dents dans la volaille saisie à pleines mains.

La lionne haussa les épaules, soulevant en cascade ses boucles dorées, n'était-ce pas elle l'empoisonneuse ? Peut-être que Jason devrait se méfier en portant sa coupe à ses lèvres. Affichant son sourire de prédateur, elle leva sa coupe.

“ A nos dernières heures de privilégiés. Bientôt tout cela... Elle désigna d'un mouvement ample la salle et les sièges de présidence ... sera occupé par cette petite garce ! Mais qu'elle ne compte pas trop longtemps occuper le trône, je lui réserve bien des surprises. ” Précautionneusement elle leva à la lumière du jour un flacon bleu, laissant étinceler le liquide argenté. Que la jeune Reine de l'Autre Terre ne dorme pas d'un sommeil trop serein... Alan leva à sa suite son verre avant de le vider d'une traite, et de remplir à nouveau la coupe.

Jason, l'ex-Ombrageux, frappa rageusement dans le mur, les tapisseries brodées retraçant l'ascension et l'histoire de Vivendale se mirent à onduler. Instinctivement ses deux alliés s'immobilisèrent, l'homme ne s'était jamais autant emporté.

“ Sommes-nous vraiment là restants à ne rien faire ? Allez-vous, vous laisser emprisonner sans rien dire ou même faire ? ” A nouveau il abattit son poing avec plus de violence encore. Tremblant, il saisit sa main comme pour s'empêcher de continuer. “ Je ne resterai pas là priant pour mon salut. Pas après toutes ces années. Le pouvoir nous revient légitimement. ”

La plus charmante des créatures fit alors son entrée. Jason sourit férocement, sa pièce maîtresse était là. Et grâce à Juliet Perkins il assénerait un coup fatal à la Reine adverse. Jamais partie aussi divertissante n'aurait été jouée, cela il le savait.

Rien n'allait plus, absolument rien! Les nobles avaient été rassemblés dans le Temple en prévision des combats. Elle avait cru pouvoir se faufiler discrètement comme elle le faisait toujours et pourtant son père était venu la chercher personnellement. Escorte privée jusqu'au bâtiment pour garantir sa sécurité. Depuis quand se souciait-il autant d'elle? « Je ne veux pas que tu t'éclipses. Aujourd'hui, c'est différent, tu risques ta vie. » Bien sûr que c'était différent, elle était la mieux placée des deux pour le savoir. Il ne savait rien de rien et agissait comme s'il était tout puissant. Il l'avait constamment eu dans son champ de vision, elle avait du joué des pieds et des mains pour qu'il baisse sa garde et lâche l'affaire. Les filles Perkins tenaient leur entêtement de quelqu'un et ce n'était pas de leur tante Ruth. Richard Perkins était aussi obstiné que riche et aussi poli que lâche. Il avait fait regrouper sa famille, s'était terré dans le Temple. Et quand il pensait que tout était sous contrôle Juliet s'était dérobée de cette mascarade pour se faufiler dans la Tour.

Elle était sortie à pas de loup et telle une ombre, avait parcouru les ruelles vides de Vivendale, évité une poignée de gardes et avait grimpé les marches quatre à quatre. En haut des escaliers, des paroles strictes et coléreuses lui étaient parvenues. « Je ne resterai pas là priant pour mon salut. Pas après toutes ces années. Le pouvoir nous revient légitimement. » La voix puissante de Jason résonnait dans les marches en colimaçon. On l'entendait peu souvent mais on l'écoutait toujours avec attention. Un minimum de mots cependant, il ne parlait jamais pour rien dire. Ce troisième Haut-Gouverneur, discret et comploteur, était un manipulateur de l'ombre. Son opinion, quand elle était nécessaire, ne restait pas secrète indéfiniment. Juliet était fascinée par le personnage. Littéralement. Elle éprouvait une sorte d'admiration pour son mutisme calculé et son calme olympien. Leur relation était complexe, presque secrète. Chacun éprouvait envers l'autre un respect dissimulé bien que su de tous.

La belle espionne poussa sans hésiter les lourdes portes pour débouler avec grâce dans la salle du conseil. Elle lança avec assurance: « Enfin quelques habiles paroles Jason. » La salle, circulaire et immense lui était bien familière. Elle y avait passé des heures, à fomenter contre les siens, à établir des stratégies et tactiques contre les villageois et à comploter aux côté des Trois. Surtout avec Julianne, sa bienfaitrice et image adulée de conspiratrice.

La jeune femme avança jusqu'à leur hauteur, faisant résonner dans la salle les bruits de ses pas sur le sol de marbre. « Qu'attendons-nous pour repousser les Étrangers? » Elle avait, dans un mouvement naturel et expert, enlevé ses gants noirs et les avait posé négligemment sur le bout de la grande table. « Du haut du Mur nous pourrions poster des archers et l'armée serait déjà moins encline à attaquer. » Julianne s'essuya la bouche avec la pointe de sa serviette, distraite et distante. Sous son air féroce et sa mastication bruyante, elle conservait une dignité certaine et une élégance royale. Juliet haussa un sourcil interrogateur. Pourquoi était-elle si calme et résolue? Pourquoi semblait-elle si confiante? La blonde était certes posée et ne faisait pas étalage de sentiment -encore moins de panique- pourtant, en cet instant, elle semblait avoir une idée derrière la tête.

La noble, curieuse, s'approcha à pas de velours de la chaise dorée. Elle posa alors ses paumes sur la table bois polie et s'y appuya. Juliet s'approcha de la dame de pouvoir tout en conservant une distance de respect. La tête penchée sur le côté, l’œil vif, l'air attentif, elle s’interrogea: « Avez-vous une stratégie en tête? Des plans pour épargner la ville? Ou comptez-vous profiter de vos derniers instants en temps que privilégiée avant l'invasion de ces barbares? » Malgré ses nombreuses tentatives et multiples essais au cours de sa vie d'espionne, elle n'arrivait toujours pas à la décrypter. L'élève n'avait jamais réussi à pénétrer l'âme de son maître. Julianne n'était que mystères et énigmes... Juliet leva le regard. Alan, à peine à quelques pas, ne perdez pas une miette de l'échange, sa coupe de vin toujours en main et éternellement remplie. Jason, à l'opposé du trio, avait un sourire pâle, presque imperceptible. Comme à son habitude, des plus discrets, il semblait se réjouir de voir Juliet s'efforcer de déchiffrer la reine du mystère, sans succès.

© Fiche par Hailey J. Kingston pour Expiation exclusivement

Orgueilleux, le vieil Ombrageux marqua un silence, laissant ses paroles percer les doutes de ses acolytes. Assurée, la jeune espionne gagna le cœur de la pièce aussi silencieuse qu'un fauve. « Enfin quelques habiles paroles Jason. » Soutenant son regard quelques instants, il acquiesça, avant de se détourner et de se remettre à faire les cent pas. Il avait au demeurant perçu le pétillement dans les yeux de Juliet quant à leur échange silencieux. Il le savait tout autant que Juliet le savait, tous les deux étaient de nature semblables, pragmatique, froid, détaché.

Julianne abandonna la carcasse de sa volaille, et se délaissant de sa serviette, accueillit Juliet d'un fin sourire. Resserrant les lèvres aussi vite qu'elle les avait entrouvertes, à nouveau un voile se répandit dans ses sombres prunelles. La Médicis oublia la nouvelle arrivante, dirigeant encore ses pensées vers cette même chose, cette même personne. Talisa... sa chère Talisa... Brebis égarée parmi les loups affamés, avait-elle une chance de réchapper au siège ?

S'il en était un que l'entrée de Lady Perkins ravissait, c'était bel et bien Lord Sperlson. Il ne la quitta pas un instant des yeux durant son élégante procession jusqu'à eux. Alan n'avait jamais goûté au plaisir de sa compagnie, bien trop avisé par l'avertissement qui dardait du regard noir de la lionne de Médicis. Pas d'erreur quant à l'interprétation à avoir, ses yeux de biches battant en cadence indiquait clairement “ Chasse gardée. ” Mais tout n'était-il pas différent maintenant ? Katharina était sur le point de gagner, il en était certain - et ce n'était pas le soudain engouement de Jason pour la rébellion, qui le dissuaderait. Ne rechignant pas à abandonner toutes manières, il détailla la jeune femme, attardant son regard le long de ses formes voluptueuses. Volupté... un bien joli mot, et c'est exactement ce que la noble lui évoquait. Enclin à toute gourmandise, il but goulument dans sa coupe, le vin achevant d'animer tous ses sens. “ Mademoiselle Perkins, êtes-vous venue égayer de votre présence nos derniers jours ? ”


« Qu'attendons-nous pour repousser les Étrangers? » Les Trois, conjointement, se tournèrent vers elle.  « Du haut du Mur nous pourrions poster des archers et l'armée serait déjà moins encline à attaquer. » Julianne condescendit enfin à se lever, c'est un regard presque chagriné qu'elle adressa à la fougueuse espionne. S'arrêtant à sa hauteur, elle caressa délicatement les cheveux chocolat de la belle noble. Comme elle enviait ce semblant d'innocence et cet espoir enfantin, mais la réalité était malheureusement tout autre... Aussi loin que ses souvenirs remontent, Lady Juliet avait toujours eu cet esprit rebelle, c'était d'ailleurs cela qui l'avait attiré quelques années auparavant et l'avait poussé à aborder la jeune fille au cours d'une de ses sorties. S'imposant néanmoins une neutralité suprême, elle déroula les plans sur la table ronde et les consulta.  


“ La panique a gagné notre peuple, et déjà les rumeurs de notre défaite circulent. De toute part, les villageois se soulèvent. Nos effectifs ne peuvent couvrir deux fronts, et dès lors que nous les enverrions sur le Mur qui assurerait notre sécurité ?  Il y a parmi les nobles et les villageois, un grand nombre de personnes prêt à beaucoup pour voir nos têtes sur des piques...” Avec un certain agacement, Alan - l'homme de foi - dut revenir à une attitude plus... convenable. Abandonnant tout plaisir, il déplia un parchemin faisant état des comptes de Vivendale. “ Je suis navré ma douce Juliet, la vérité est que les coffres sont vides. Nous ne pouvons entrer en guerre. Tout au plus nous aurions la dignité de remettre Vivendale en mains propres à Katharina... ”
“ Ceci est impensable. ” Le coupa Julianne. S'éleva alors une voix ferme et déterminée, prête à en découdre avec quiconque abandonnerait semblait-il. « Avez-vous une stratégie en tête? Des plans pour épargner la ville? Ou comptez-vous profiter de vos derniers instants en temps que privilégiée avant l'invasion de ces barbares? » Cette arrogance, cet excès de fatuité, inspira la Gouvernante... Qui par le passé s'était permis de défier tout forme d'autorité à la manière de Juliet ? Ils étaient les seuls à avoir ce courage.
abattit un poing déterminé sur la table de chêne. Dans une parfaite apothéose, elle La jolie blonde abattit son poing sur la table, désignant avec voracité la solution.
“ Jason, penses-tu qu'ils accepteront ? ” Le visage de l'Ombrageux s'illumina.  “ Ils n'accepteront jamais de se soumettre à elle, pas plus qu'à nous. Seuls face à elle ils ne peuvent rien, tout comme nous. Alors cela me semble évident : ils accepteront.”
“ Mais de qui diable parlez-vous ? ” Pour la première fois depuis longtemps, Jason sourit. “ La Guilde des Ombres. ”

L'entrée de Juliet n'avait laissé indifférent aucun des Trois. Elle eut un bref échange visuel avec Jason. Ils avaient pour habitude de rester silencieux, il n'y avait pas besoin de mots, les choses entre eux étaient certes muettes mais les deux autres savaient bien qu'il y avait quelque chose entre la jolie espionne et l'ancien ombrageux. Bien sûr, ils n'auraient su dire quoi car même le duo n'aurait pu définir leur relation. Alan, quant à lui, n'avait pas lâché des yeux l'élancée silhouette et ne se gênait pas de balader ses iris gourmands sur son corps. Elle en avait l'habitude et l'ignora totalement. Si au début ces regards insistants l'avait mise mal à l'aise, aujourd'hui elle n'en avait que faire. Pendant son adolescence, Julianne avait protégé son territoire et depuis, les choses étaient restées telles quelles. Juliet était hors de sa ligue et cela le rendait encore plus curieux et impatient. L'avoir à porter de main et ne pouvoir la toucher ne faisait qu'attiser son désir et elle en était tout à fait consciente. La brune avait appris à s'en amuser et elle avait souvent usé de ses charmes pour lui demander une faveur ou deux de temps à autre -chantage dont Julianne elle-même devait ignorer une bonne partie- Après tout, ils avaient tous leurs petits secrets...  

« Mademoiselle Perkins, êtes-vous venue égayer de votre présence nos derniers jours ? » Elle dirigea vers son soupirant, un sourire malicieux tout en ouvrant son manteau avec grâce et sensualité. Alan se rinça l'oeil, pendant que Juliet savoura la sensation de pouvoir. Si Julianne lui avait appris une chose, c'était bien de se jouer des hommes. Elle savait tirer profit de ses qualités de femme et elle était maintenant capable de tout pour arriver à ses fins. Julianne était fière de son élève qui s'était révélée très douée dans ce pourquoi elle avait été recrutée. Pourtant, lorsque la blonde se leva de son siège, c'était un air chagriné qui s'était peint sur sa figure. Cela ne signifiait qu'une chose: Juliet se faisait des idées. La Gouverneure caressa ses cheveux tendrement comme si elle affectionnait son oeuvre. Puis elle se détacha et étala des plans sur l'imposante table de chêne.  

« La panique a gagné notre peuple, et déjà les rumeurs de notre défaite circulent... » Les propos de Julianne n'annonçaient rien de prometteur. Bien entendu la sécurité des Nobles était sacrée. S'il n'y avait plus de gardes pour les protéger, qui sait comment ils réagiraient... Il n'était pas question de diminuer les effectifs au Temple. Les Nobles étaient réputés pour leur richesse, personne ne savait vraiment de quoi ils étaient capables et Juliet était bien placée pour affirmer que tout pouvait tourner à la catastrophe. Ils étaient peut-être élevés dans un cocon douillet et n'avaitent jamais manqué de rien mais si leur monde venait à s'écrouler, ils pourraient s'entre-tuer pour prendre le plus de richesses possible et s'enfuir sans demander leur reste.

Alan quitta la belle des yeux pour se pencher à son tour sur les papiers. « Je suis navré ma douce Juliet, la vérité est que les coffres sont vides. Nous ne pouvons entrer en guerre. Tout au plus nous aurions la dignité de remettre Vivendale en mains propres à Katharina...  » Julianne le coupa avant qu'il ne finisse sa pensée: « Ceci est impensable. » La Médicis tenait plus que tout à son honneur, elle ne s'abaisserait jamais à capituler. Elle se battrait jusqu'au bout avant de céder. Juliet osa alors des paroles qui indigna la Dame. Elle tapa du point sur la table pour mettre fin à tout autre reproche déplacé. Juliet soupira et replongea dans la contemplation des plans. La situation semblait ... désespérée. Ils restèrent tous un moment à débattre avec eux-mêmes pour trouver une solution.

« Jason, penses-tu qu'ils accepteront ? » Alan et Juliet levèrent dans un même mouvement, un regard intrigué sur les deux autres. «  Ils n'accepteront jamais de se soumettre à elle, pas plus qu'à nous. Seuls face à elle ils ne peuvent rien, tout comme nous. Alors cela me semble évident : ils accepteront. » La brune comprit et une lueur d'intéret s'alluma dans ses iris. Mais pourquoi accepterait-ils? Elle ne savait pas comment eux pourraient réussir à les convaincre. Alan, lui, s'impatienta. Jason le regarda droit dans les yeux, ravi de cette idée qui pourrait les sauver tous. Il afficha une mine radieuse qu'on lui connaissait peu et déclara avec une pointe de mystère: «  La Guilde des Ombres. »

Alan s'était redressé aussitôt. L'idée n'était pas si mauvaise, c'était sûrement leur seule solution. L'attaque était plus qu'imminente à ce stade. Convaincre les ombrageux de se battre pour Vivendale était leur dernière ressource. Pourtant l'affaire lui semblant presque impossible. Qui pourrait les convaincre d'une telle chose? Si l'idée était proposée par le HG, c'était certain qu'ils refuseraient dans la minute. Il faudrait que cela vienne d'eux. Comment être sûr qu'ils soient de leur côté? Juliet adhérait à la proposition mais la grande question ne serait pas si simple à résoudre. Elle hocha la tête d'un air entendu et finit par exprimer ce que tous se demandaient: « Comment les convaincre? »

© Fiche par Hailey J. Kingston pour Expiation exclusivement