La guerre a fait des ravages. Ces derniers jours, les différents camps tentent de reprendre leur routine habituelle bien que cela soit quasi impossible. Jasmine n'ayant pas voulu prendre part au combat, avait préféré passer ses journées à soigner les blessés. Mais depuis ce matin, elle était assignée au poste d'éclaireuse comme la plupart des Témériens. Elle devait surveiller les quartiers du village, plus particulièrement le refuge où elle savait pertinemment que des villageois s'y cachaient. L'une de ces personnes avaient d'ailleurs besoin d'aide et elle n'allait pas lui tourner le dos. Arianna, une ancienne esclave en fuite et désormais réfugiée parmi les autres habitants de l'Enclave, pouvait compter sur la bienveillance de la jeune femme.

Depuis le conflit dévastateur, les Vivendalais font profil bas. Ils ont perdu. La Reine contrôle désormais le territoire, bien que certains villageois soient encore en fuite. Mais chaque chose en son temps, pour le moment c'était les membres de la Guilde des Ombres qui étaient au centre de l'attention. Pendant que les jugements s'enchaînaient à tour de rôle, le reste du groupe devait surveiller le périmètre. Comme ses acolytes, Jasmine n'y avait pas échappé. Malgré que la jeune femme avait catégoriquement refusé de se battre, elle s'était chargée à la place d'aider les blessés une fois le combat terminé. Aujourd'hui, les Témériens s'étaient divisés en plusieurs groupes afin d'assurer leur autorité au sein de l'Enclave et du village. L’Étrangère avait assignée au poste d'éclaireur dans la zone du refuge. Cette tâche ne lui plaisait guère mais ce n'était pas comme si elle avait le choix. Il fallait obéir aux ordres donnés par les commandants.

C'était alors tôt le matin que Jasmine se rendit près des quartiers du village. Les rayons du soleil commençaient déjà à transpercer les nuages, et les oisillons gazouillaient de temps à autre créant une mélodie harmonieuse. Elle croisa deux gardes en s'avançant vers le refuge. « Jas, tu prendras le prochain tour de garde. » Elle acquiesça d'un signe de tête en jetant un coup d’œil furtif en direction de l'auberge. Les deux hommes firent demi-tour et s'engagèrent dans une ruelle à proximité. Désormais seule, la blondinette allait devoir se débrouiller de ses propres moyens. Seulement armée d'un simple couteau en cas de besoin, elle devait vérifier que personne ne traîne dans le coin. La cabane en bois abritait sûrement des villageois qui s'y cachaient depuis quelques jours. Les Témériens n'avaient pas encore décidé de leur sort, d'où l'intérêt de garder un œil sur eux pour le moment. Jasmine traînant les pieds, observait les alentours. L'atmosphère était calme, et on entendait uniquement les brindilles et les morceaux de bois craquer sous ses chaussures. Elle s'installa quelques minutes sur le tronc d'un arbre, profitant de l'air pur et du doux vent matinal.

Prise de curiosité, elle avait envie de s'infiltrer dans l'auberge pour y voir ce qu'il s'y passait. Elle attendit que les prochains gardes passent leur chemin dans la rue adjacente avant de pénétrer dans l'auberge. La blonde poussa la porte et pût apercevoir plusieurs groupes de personnes installés autour des tables. Ceux proches du comptoir la dévisagèrent longuement avant de reprendre leur discussion. L'avantage, c'est qu'elle passait inaperçue. Etant donné sa petite taille et sa mince carrure, aucun individu pouvait se douter qu'elle faisait partie du camp des attaquants. La Témérienne prit place à une table au fond de la pièce. Les villageois s'exprimaient bruyamment en s'esclaffant et parfois en faisant de grands gestes. Elle écoutait à peine leur conversation, se tournant plutôt vers un second groupe plus calme et restreint. À ses côtés, se tenait une jeune femme brune répliquant qu'elle devait se rendre au procès d'un certain Charlie, mais que la situation actuelle ne lui permettait point de sortir sans se faire repérer par les gardes, qui arpentaient pratiquement toutes les rues. Se rendre au jugement de son ami paraissait vraiment lui tenir à cœur. « Je peux t'aider ? » Après tout, l’Étrangère devait s'y rendre en fin de journée alors autant lui proposer son assistance. « Je peux te conduire à la place centrale sans te faire repérer. » Pourquoi venir en aide à une inconnue ? Elle-même n'avait pas de réponse précise, mais dans tous les cas elle n'attendait rien en retour. Jasmine est différente de ses semblables, elle se préoccupe de chaque être humain et ça, quel que soit son camp.  

Je te le promets. Les gens ont tendance à dire cette phrase à tort et à travers, sans penser aux conséquences, ni forcément tenir l'engagement derrière ses mots. Nous disons ces mots pour rassurer l'autre, ou nous rassurer nous même, pour dire que nous serons là; que nous ferons tout notre possible; mais ce ne sont que des mots. En pratique...les choses sont bien différentes, et les promesses que l'on fait ? Bien souvent, nous ne les tenons pas. Promettre est simple; tenir la promesse dite, au contraire, est bien plus complexe. La jeune femme, elle,  comptait bien tenir sa promesse; elle essayerait de sauver Charlie. Seulement cela s'annonçait compliqué. S'il fallait qu'elle se lève au milieu de son procès pour défendre les intérêts de son ami, elle le ferait sans hésiter, cependant le problème était d'arriver au procès. La rumeur de sa parenté avec Isabelle n'avait pas encore atteinte les commères de la cité; sauf que Katharina, elle, savait ce qui reliait les deux soeurs, ainsi que d'autres haut-placés. Les mêmes personnes qui, aujourd'hui, poursuivaient en justice ses amis, sa demi-soeur, sa famille.

Elle avait déjà trop souffert de ce lien du sang; elle ne laisserait plus le nom de Hart entravait sa vie, ni celle de Charlie. Katharina voulait la retrouver, elle le savait. Après sa visite dans les prisons elle avait filé sans demander son reste, bien qu'on lui est demandé de rester de s'entretenir avec la reine. La régente ne se laisserait pas avoir deux fois; Arianna devait donc redoubler de prudence. Elle empruntait des noms à droite à gauche; ne se présentant plus sous sa vraie identité qu'à ses connaissances faites au village lors de l'époque maintenant révolue du règne tyrannique du Haut-Gouvernement. Peu importe ce que lui voulait la reine; elle ne lui donnerait pas. La seule chose qui comptait à ses yeux était de tenir sa promesse faite aux Peterson et de faire son possible pour ramener Charlie sain et sauf parmi eux. C'était la raison de sa présence ici; Charlie. Elle devait se rendre à son procès, seulement elle devait contourner les patrouilles de gardes et leurs contrôles d'identités constants. « Je dois vraiment y aller. J'ai promis de faire mon possible pour le sortir de là, seulement je ne peux pas sortir avec tous ses gardes....  » expliqua-t-elle à un petit groupe constitués de vieilles connaissances d'Arianna et de Charlie. « Il faut que je trouve un moyen de contourner les patrouilles. Une fois là-bas ce sera bon, je... il faut juste que j'arrive là-bas sans être contrôlée. »

Le silence régnait, personne ne savait comment faire. Tels des parasites; les envahisseurs s'étaient infiltrés partout, comment leur échapper ? Cela semblait impossible...et pourtant, derrière eux, une voix féminine s'éleva. « Je peux t'aider ? » lui proposa-t-elle. Arianna se retourna pour voir la jeune femme. Elle semblait à peine plus vieille qu'elle; sa chevelure blonde lui donnait un air angélique, innocent; bienveillant. « Je peux te conduire à la place centrale sans te faire repérer. » L'ancienne esclave jeta un regard vers ses vieilles connaissances; personne ne dit rien. Personne ne disait rien ces temps-ci, personne n'osait ouvrir la bouche pour formuler la moindre opinion. Tout le monde avait peur de tout. Là était le problème. Plus personne n'avait confiance; tous se méfiaient les uns des autres. La jeune femme hésita. Qui était cette femme ? Voulait-elle quelque chose en échange ? « Je veux bien » commença-t-elle. « Je ne crois pas t'avoir déjà vu, on se connait ? »

La plupart des habitants de Vivendale redoutaient la montée au pouvoir de la reine Témérienne. Tôt ou tard, ils allaient devoir se plier aux nouvelles règles et choisir entre obéir ou être exécuté. L'alternative était plutôt simple mais ils refusaient d'écouter. C'était plus que compréhensible. Après tout, un groupe de sauvages inconnus venait tout juste de débarquer de nulle part, pillant leur terres et s'appropriant les bâtisses de l'Enclave sans leur demander la permission. Dans les temps de conflits, on oubliait la politesse et les bonnes manières. Jasmine s'interrogeait encore sur sa venue. Qu'est-ce qu'elle faisait ici ? Cela avait beau être son peuple, sa nation, sa famille, mais elle n'était pas comme eux. La jeune femme n'avait pas un tempérament brutal et ne ressentait point la haine ou la soif de vengeance. Tel un ange se tenant aux côtés de démons. Elle n'avait pas sa place dans ce monde bien trop cruel à son goût. Cependant, trahir les siens n'était pas non plus la bonne solution. Elle allait donc devoir aider tout ceux qui en avait le besoin. Traiter chaque personne comme si tous les camps étaient égaux et ne présentaient aucune différence, car c'était la meilleure chose à faire. Du moins, c'était ce qu'elle pensait.

Jasmine avait ainsi proposé son aide à l'une des villageoises présentes dans l'auberge. Celle-ci se retourna lentement afin d'observer le visage de sa mystérieuse interlocutrice. Dans l'expression de la brune, on pouvait apercevoir de la méfiance mais également de l'étonnement. Elle ne devait sûrement pas déceler le vrai du faux. Lorsque la Témérienne se montrer clémente envers une personne, cette dernière était se posait souvent les questions suivantes. Mentait-elle ? Était-ce une ruse ou un piège ? Pourquoi tant de gentillesse ? Ils avaient raison d'être prudents et réticents. Ce fût encore le cas aujourd'hui. Il y eut un silence de plomb autour de la petite table en bois. De quoi avaient-ils peur ? Ce n'était pas une jeune femme comme elle qui allait les affronter de son plein gré. De plus, elle était loin d'avoir une carrure imposante et intimidante. L’Étrangère fixa un instant la brune, l'incitant à lui répondre. La Vivendalaise finit enfin par ouvrir la bouche. En plein dans le mille ! Elle semblait accepter sa proposition. Elle l'interrogea ensuite en lui demandant si elles s'étaient déjà croisées. C'était un bon signe, elle passait inaperçue parmi tous ces villageois.  

La Témérienne jeta un coup d’œil aux personnes alentours avant de reporter son attention sur la brune.  « Non, on ne se connaît pas. » Elle lui adressa un léger sourire avant de poursuivre. « Au fait, je suis Jasmine. » La jeune femme devait au moins faire les présentations. « Ne t'inquiètes pas, je ne suis pas une tueuse en série qui s'invite dans une cabane pour créer un carnage. » Sa réflexion ne fît rire qu'elle. Voyant que certains eut un mouvement de recul, elle secoua la tête en continuant. « Si tu acceptes mon aide il va falloir que tu me fasses confiance. » Cela s'avérerait inutile si Arianna doit constamment être sur ses gardes. Celle-ci allait devoir la suivre et respecter quelques conditions si elle souhaite arriver au procès à temps et toujours avec chacun de ses membres. « Je connais chaque roulement de surveillance des gardes dehors. C'est-à-dire combien ils sont à quel endroit et à quel moment. On pourra facilement les esquiver si tu sais te montrer discrète. Si jamais on se fait repérer, tu me laisses gérer le problème. Je connais certains d'entre eux, ils sauront m'écouter. » Elle se tût un moment, laissant le temps à son interlocutrice de réfléchir. Était-elle toujours partante pour faire confiance à une inconnue ?

Verité, ou bien mensonge ? Était-elle honnête ? L'inconnue paraissait pourtant sincère, et étrangement, elle semblait bienveillante. Les apparences sont souvent trompeuses. pensa-t-elle. L'air angélique, la carrure fine, le regard innocent; tout cela pouvait être aussi bien une incarnation de l'ange comme du démon. Le vice n'a pas de forme précise, il se glisse en chacun de nous, peu importe l'allure de l'enveloppe, qu'elle paraisse pure et innocente ou bien, au contraire, qu'elle reflète déjà le mal qui est en elle. Elle pouvait très bien être sincère, seulement elle pouvait aussi très bien mentir et vouloir l'attirer dans un traquenard. Comment savoir s'il fallait lui faire confiance ? Après tout, dernièrement, il était difficile déjà difficile de faire confiance en ceux que l'on connait déjà, alors une inconnue... « Non, on ne se connaît pas. » répliqua la blonde « Au fait, je suis Jasmine. » Jasmine...ce nom était doux, mélodieux; il s'accordait parfaitement avec le physique de sa propriétaire. « Arianna » répondit-elle « Ne t'inquiètes pas, je ne suis pas une tueuse en série qui s'invite dans une cabane pour créer un carnage. » La plaisanterie ne détendit pas l'atmosphère, bien au contraire, le reste du groupe eut un mouvement de recul, comme si soudainement ils avaient vu en la jeune femme une menace sévère sur leurs vies. « Si tu acceptes mon aide il va falloir que tu me fasses confiance. »

Faire confiance, là était le problème. Au fil des années, Arianna avait apprit à ses dépends que, dans ce monde, faire confiance trop vite menait à une fin violente. « Je connais chaque roulement de surveillance des gardes dehors. C'est-à-dire combien ils sont à quel endroit et à quel moment. On pourra facilement les esquiver si tu sais te montrer discrète. Si jamais on se fait repérer, tu me laisses gérer le problème. Je connais certains d'entre eux, ils sauront m'écouter. » Jasmine semblait savoir ce qu'elle faisait. Elle disait connaître chaque ronde, pouvoir intervenir si elles se faisaient repérer, et même connaître certains des gardes. « Tu es une étrangère. » Cela semblait évident, elle connaissait certains gardes. Arianna hésita...fallait-il croire une étrangère ? Elle pourrait très bien la livrer à ses amis gardes. Elle pensa alors à Charlie, elle n'avait pas vraiment le choix, si elle voulait rejoindre son procès, plaider sa cause, elle devait suivre Jasmine. « D'accord » commença-t-elle « Je te fais confiance. Dis moi ce que je dois faire et je le ferais mais je n'ai pas grand chose à t'offrir en contrepartie. Dis moi ce que tu attends en échange. »

Aucun marché n'est à sens unique, aucune proposition n'est désintéressée; quoique que l'on fasse pour vous, il faudra toujours, d'une manière ou d'une autre, retourner la faveur.

Il fallait vraiment être stupide pour proposer de l'aide à une villageoise, pourtant elle venait tout juste de le faire. Sa gentillesse se retournera contre elle un de ces jours. Mais Jasmine était Jasmine, et elle ne changera jamais. Ce petit bout de femme au cœur large est pétillante, dynamique, rigolote et honnête. Parfois hyperactive, la Témérienne avait bien du mal à rester en place plus de dix minutes. Toujours le sourire aux lèves, elle avait vraiment le don pour agacer involontairement ses interlocuteurs. Son enthousiasme légendaire agissait sur son entourage qui affichait la plupart de temps une mine blasée et loin d'être amusée. Rayon de soleil ou luciole, peu importe comme vous souhaitez l'appeler, l’Étrangère n'avait pas sa langue dans sa poche et n'avait pas hésité une seule seconde à rentrer dans cette petite auberge. Sans réfléchir, elle n'avait absolument pas pensé aux conséquences. Après tout, elle était seule contre tous ici. Ils pourraient la prendre en otage pour manigancer un marché avec la troupe qui encerclait les rues ou bien simplement la massacrer sur le champ par pure vengeance. Tout était possible.

La brune située en face se nommait Arianna. Mais alors qu'elle venait d'expliquer une partie de son plan en se justifiant, son interlocutrice devina sans grande difficulté qu'elle faisait partie du camp opposé. « Oui, je suis une étrangère. J'aurais peut-être dû te préciser ce léger détail. » Jasmine haussa les épaules comme si de rien n'était. Son peuple elle ne l'avait pas choisi. Et la jeune femme n'allait pas la forcer à accepter sa proposition. De plus, la Témérienne était sûre et certaine de perdre si jamais la brunette la défiait et commençait un potentiel combat. Autant le dire, elle ne sait pas se battre ni se défendre. C'est assez problématique en temps de conflit, cependant elle avait su se débrouiller pour rester à l'abri. Et ce couteau qu'elle avait planqué dans la poche de sa veste, elle était capable de se blesser elle-même au lieu de l'utiliser correctement face à un ennemi. La maladresse était dans ses gènes mais pas de quoi en faire un fromage.

La Vivendalaise finit enfin par accepter pleinement le marché. Cette dernière était prête à écouter les instructions et les suivre à la lettre, c'était déjà un bon début. Elle lui demanda ensuite le prix à payer en échange de cette aide précieuse. « Je n'attends rien en retour. Évites juste de me frapper, j'ai la peau qui marque. » En lui adressant un sourire, Jasmine attrapa un verre libre et rempli sur la table sans savoir ce qu'il contenait. Buvant le liquide cul-sec, elle fît soudainement une grimace en toussotant. L'alcool ambré venait de lui brûler la gorge. « C'est... Un peu trop fort pour moi. » Elle marqua une courte pause avant de reprendre. « Maintenant que tu le dis et puisque tu sembles insister, j'ai peut-être besoin de quelque chose. Apprends-moi à me battre. » Après tout autant en profiter. Ce n'était pas une grande faveur, mais si Aria en était capable, cela lui serait très utile par la suite. Pour l'instant ce n'était pas le moment. C'était l'heure de conduire la villageoise au procès. « Tu es prête ? Tu n'auras juste qu'à me suivre en te faisant discrète. » L’Étrangère s'avança vers la porte en conseillant à Arianna de porter une cape ou quelque chose qui pourrait cacher son visage avant de partir. On n'est jamais trop prudent.

Accorder sa confiance n'est pas une tâche aisée. Tels des prédateurs; l'appréhension et le doute, grands amis, étaient toujours à l'affût, prêts à bondir à tout moment pour anéantir leur proie commune : la confiance. Il suffit de peu pour anéantir cette dernière, bien trop fragile et pourtant si importante, un mot déplacé, un geste de trop, un secret...une trahison. Avec le temps, avec les défaites, la confiance s'effrite et devient de plus en plus difficile à donner. Les années avaient appris à Arianna que faire confiance pouvant autant faire de bien que de mal. Faire confiance fut pour elle le début de quelques belles histoires : Charlie, Talisa, Edwin et même William. Cependant ce fut aussi le commencement d'éternels tourments et désillusions car plus on fait confiance à quelqu'un, plus on lui donne le pouvoir de nous blesser.

La jeune femme avait accepté le marché de Jasmine, mais devait-elle pour autant lui accorder sa confiance ? « Je n'attends rien en retour. Évites juste de me frapper, j'ai la peau qui marque. » dit-elle en esquissant un sourire auquel Arianna répondit en faisant de même. L'étrangère attrapa un verre sur la table et avala son contenu d'une seule traite avant de toussoter une fois le liquide entré dans son organisme. « C'est... Un peu trop fort pour moi. » Jasmine était un peu comme une enfant; elle semblait si pure, si innocente, si intacte, comme si les méandres obscurs de la vie n'étaient pas parvenus à la prendre dans ses filets. Sa bonté, aussi rafraîchissante qu'appréciée, ne semblait en aucun cas être intéressée, bien au contraire. Elle n'attendait strictement rien en retour. Les personnes capables de tendre la main vers quelqu'un pour lui venir en aide sans rien attendre en retour et sans la moindre arrière-pensée étaient devenues bien trop rares dans ce monde, voir utopiques. Même les dieux ne pouvaient avoir la présomption d'être aussi bons. « Maintenant que tu le dis et puisque tu sembles insister, j'ai peut-être besoin de quelque chose. Apprends-moi à me battre. » Ce n'était pas un prix élevé. Quasiment rien. Arianna n'était pas une guerrière, elle ne maniait pas souvent les armes, à vrai dire elle détestait avoir une arme entre ses mains.... mais les utiliser s'était révélé indispensable si l'on souhaite ne pas être constamment la personne du mauvais bout pointu. « Jasmine, nous avons un marché. » conclut la jeune femme.

« Tu es prête ? Tu n'auras juste qu'à me suivre en te faisant discrète. » avança l'étrangère en lui conseillant de porter un vêtement pour couvrir son visage. Arianna acquiesça et récupéra la cape qu'elle avait enfilé pour venir jusque ici et rabattu le capuchon pour cacher, en partie, son visage. « On peut y aller. » dit-elle en suivant l'étrangère dehors. Elle respecta les instructions de Jasmine à la lettre et se fit discrète. Elle était l'ombre de la blonde. Ce petit manège dura le temps de quelques rues où leur trajet se déroula sans encombre, jusqu'à, qu'au loin, les deux femmes entendent des gardes témériens approchaient dans leur direction. Aussitôt, Arianna se figea. « Je croyais que connaissais toute les rondes. Ils sont censés être là ? »

Les deux jeunes femmes étaient enfin prêtes à quitter le refuge afin de rejoindre les ruelles du quartier villageois. La Témérienne avait finalement trouvé une petite faveur à demander à sa nouvelle alliée. Même si cela n'était pas grand chose, ça lui serait bien utile par la suite. Elle ne savait absolument pas se servir d'une arme et encore moins se battre. Lorsque les choses devenaient farouches, elle avait tendance à fuir. C'était peut-être un peu lâche et pas vraiment courageux, mais elle n'avait pas d'autre option. Se comporter de façon brutale n'était tout simplement pas dans son caractère. Synonyme de douceur et de délicatesse, Jasmine ne ressemblait pas à ses semblables. Même si elle ne trahirait pas les siens, elle ne prenait pas non plus partie pour un seul et même camp. Tous égaux, elle considérait de la même manière un membre de la Guilde comme un Noble ou un Étranger.  De toute façon, à quoi bon faire une différence ? Ils étaient tous humains, tous capables de ressentir des sentiments et des émotions.

La villageoise nommée Arianna sembla enfin accepter le marché que son interlocutrice lui avait proposé. Suivant son conseil, la brune enfila une cape qui lui permet de cacher une partie de son visage. La prudence était de rigueur. Surtout dans une rue déserte où l'on pouvait rapidement se faire démasquer. Même si la jeune femme savait parfaitement les chemins à emprunter pour arriver le plus vite possible, elle n'était pas à l'abri d'imprévus. S'avançant silencieusement, Aria suivit son guide de près en se faisait très discrète. Sans dire un mot, elles bifurquèrent au coin d'une ruelle où des bruits de pas se firent entendre. « Saperlipopette, on est foutu. » Des gardes Témériens venaient dans leur direction. Ils n'étaient pas censés être là à cette heure-ci. La brune se figea, prête à faire demi-tour mais c'était déjà trop tard. Un des gardes siffla comme pour leur faire signe qu'il les avait remarquées au loin. Inutile de courir, ils pouvaient envoyer du renfort. Elles allaient devoir improviser. Jasmine se pencha à l'oreille de la villageoise en murmurant. « Je m'en occupe. » Légèrement paniquée et prise au dépourvu, la Témérienne resta immobile, attendant que ses compères se rapprochent. Se postant juste devant Arianna, elle lui fît signe de garder la tête baissée et de ne rien dire. Ce n'était pas le moment de se faire encore plus remarquer.

L’Étrangère salua ses deux acolytes en leur adressant un petit sourire. « Messieurs. N'étiez-vous pas censés être dans le quartier adjacent ? » Reconnaissant son visage enfantin, ils fixèrent un instant la villageoise d'un air inquisiteur. « La commandante nous a fait changer de poste. Quant à toi Casey, qu'est-ce que tu fiches ici ? » L'un d'eux s'approcha dangereusement, inspectant sa mystérieuse accompagnatrice. « Cargaison spéciale pour la Reine. » Affichant un grand sourire, la jeune femme les regarda droit dans les yeux, les persuadant d'effacer leur curiosité. « Tu ferais bien de te dépêcher. » Leur adressant un signe de la tête, elle attendit que les deux gardes tournent les talons pour attraper Arianna par le bras et prendre la direction opposée. Essayant de garder un rythme calme et régulier, elle soupira un grand coup, soulagée de les avoir convaincus.

L'ombre avance, silencieuse, derrière le corps de chaire. Mêlée aux autres, on ne la voit pas, elle est invisible, mais pourtant bien présente. Elle est là, derrière nous, mais on ne l'a voit pas. Les hommes enviaient cette part d'eux qui pouvaient s'effacer, au point parfois d'en devenir une. Pendant des années, elle avait été une ombre. Préférant l'obscurité au jour, se fondant dans l'ombre nocturne pour disparaître comme une ombre disparaît dans l'ombre d'une bâtisse en plein jour, avançant discrètement, sans un bruit, telle une silhouette invisible, telle une ombre. Mais une fois exposée à la lumière du jour, sa seule arme étant la discrétion, l'ombre est vulnérable, désarmée, démunie.

Le temps sembla se figer un instant. Que faire ? Les soldats patrouillaient dans la ruelle, vérifiant les identités de certains, détaillant longuement les autres. Tout ceux qui n'étaient pas des leurs étaient des suspects potentiels, des bombes à retardement pouvant, à tout moment, exploser en une rébellion. Si elles faisaient demi-tour, elles risquaient d'alerter les deux soldats qui, déjà, leurs firent signe. Mais avancer signifiaient une rencontre imminente, une rencontre qu'elle avait souhaité évité à tout prix. « Saperlipopette, on est foutu. » La jeune femme baissa la tête. Oh oui, on est foutu... pensa-t-elle intérieurement. Dans un cas comme dans l'autre, elles allaient faire face à des soldats. Tout ce qu'Arianna avait voulu éviter jusque là. Elle avait bien conscience qu'elle n'était pas la priorité de la reine, bien heureusement. Mais, alors qu'on lui avait expressément demandé de retrouver sa Majesté après avoir vu sa soeur, Arianna avait filé en douce, de peur d'être mêlée contre son gré aux problèmes de justice d'Isabelle. C'était lâche, égoïste, mais aussi terriblement humain. Depuis, elle ne craignait qu'une chose, se retrouver face à Katharina.

Jasmine, consciente de la panique habitant la villageoise, se fit rassurante malgré qu'elle fut prise au dépourvu par cet événement fâcheux. « Je m'en occupe. » lui murmura-t-elle. Arianna hocha doucement la tête avant de planter son regard sur le sol, le visage baissé, comme lui avait indiqué la témérienne. Cette dernière se planta devant elle, comme si sa carrure fine pourrait la rendre invisible. Comme si Arianna aurait pu se fondre dans son ombre et disparaître. Cela aurait été tellement plus facile. « Messieurs. N'étiez-vous pas censés être dans le quartier adjacent ? » demanda-t-elle lorsque les deux hommes furent à leur hauteur. « La commandante nous a fait changer de poste. Quant à toi Casey, qu'est-ce que tu fiches ici ? » Intérieurement, Arianna grinça des dents. On est foutu, foutu de chez foutu... L'un d'eux fixa son visage. Croisant furtivement son regard inquisiteur, la jeune femme rebaissa son regard aussitôt, baissant un peu plus la tête vers le sol. On est vraiment foutu... « Cargaison spéciale pour la Reine. » affirma alors l'étrangère en désignant son accompagnatrice. Le sang d'Arianna ne fit qu'un tour. La reine. Le temps d'un instant elle redouta que tout cela n'était qu'un piège et qu'elle allait finir droit devant le trône de Katharina. « Tu ferais bien de te dépêcher. » Secouant la tête, elle chassa ses pensées de son esprit. Elle réagissait trop vite. C'était un stratagème, pour se débarrasser d'eux. Jasmine ne la trahirait pas.

Une fois les deux soldats plus loin, Jasmine lui attrapa le bras et l'entraîna calmement dans la direction opposée. « C'est pas passé loin » commenta la jeune femme. Les deux jeunes femmes ralentirent le pas, toutes deux soulagées d'avoir échappé aux deux soldats. Rassurée, Arianna pressa le bras par lequel Jasmine l'avait entraîné loin des gardes. « Merci. » murmura-t-elle « Merci beaucoup. » Elle aurait très bien pu la livrer, mais au lieu de cela Jasmine l'avait aidé, au risque de s'attirer les foudres de son propre peuple, et pour cela elle lui serait éternellement reconnaissante.

Elles avaient échappé de peu aux deux gardes témériens. Arianna devait être en train de paniquer, mais la blondinette avait plus d'un tour dans son sac. Si cette excuse n'avait pas marché, et bien elle aurait de nouveau improvisé. Après tout, de son côté, elle n'avait rien à craindre. Elle était face à ses congénères, son peuple. Ils connaissaient tous sans exception cette petite tête blonde qui sautillait partout telle une gazelle. Ses acolytes riaient souvent en apercevant ce petit bout de femme dynamique et amusante. Extrêmement maladroite, il lui était difficile de passer inaperçu. Sociable, elle n'a aucune hésitation lorsqu'il s'agit de faire le premier pas vers son interlocuteur et engager la conversation même si elle le connait à peine. D'ailleurs, ça sera presque trop facile de s'intégrer à Vivendale. Aux premiers abords, on peut la prendre pour une simple villageoise ou une noble plutôt extravertie, démonstrative et communicative.

Aria fût soulagée, une fois enfin débarrassée des Témériens. Ralentissant le pas, la brune la remercia. « Ne me remercie pas. Je t'ai fait une promesse, alors ce n'est certainement pas maintenant que je vais la briser. » La villageoise était désormais sûre et certaine que son accompagnatrice était plus qu'honnête et sincère. Elle pouvait lui faire confiance. Mais Jasmine pouvait-elle croire entièrement la vagabonde ? Elle ne connaissait rien d'elle. Bifurquant dans une large allée, la jeune femme se tourna vers sa suiveuse. « Puis-je savoir pourquoi tu tiens tant à rejoindre la place centrale ? Tu sais que ça grouille d’Étrangers, n'est-ce pas ? » Elle s'arrêta un instant, lui faisant face. Il fallait vraiment qu'elle ait quelque chose d'important à faire là-bas pour vouloir se jeter dans la gueule du loup. Jasmine ne prêtait pas tellement attention aux procès des membres de la Guilde des Ombres qui se déroulaient en ce moment même. « Tu connais un Ombrageux ? » Elle ne voyait pas d'autre explication. La Témérienne avait entendu parlé d'une certaine Isabelle et de l'exil d'une femme nommée Rouge. Cela avait-il quelque chose à voir avec les procès ? Arianna souhaitait-elle sauver ou défendre un de ses proches ? Même si c'était contre le règlement, cette raison restait censée et humaine. Elle aurait sûrement fait pareil à sa place.

Attendant des réponses, elle ne pouvait cependant pas la blâmer. Elle espérait simplement de pas avoir fait d'erreur qui pourrait coûter cher à son peuple en aidant la brunette. Mais quoi qu'elle dise ou qu'elle fasse, son instinct lui disait de l'aider. Elles allaient devoir se dépêcher et atteindre le cœur de Vivendale avant que la nuit ne tombe. Des nouveaux bruits de pas se firent entendre. Comme elle le pressentait, une seconde patrouille allait arriver droit sur elles. La jeune femme jeta un rapide coup d’œil aux alentours avant d'ordonner à Aria d'aller se cacher. « Vite, par ici ! » L’Étrangère la traîna dans un recoin un peu plus sombre, dissimulé derrière des épais buissons. Il fallait attendre que le groupe passe son chemin avant de sortir de leur cachette.

Les rues étaient comme avant, semblables à elles-mêmes, le pavé usé laissait entrevoir des brins d'herbe ci et là, à d'autres moments il manquait carrément, laissant des trous béants, plongeant les roues des carrioles dans la boue et la terre. Les mêmes ruelles, les mêmes maisons, mais plus les mêmes hommes. Parmi la foule, rares étaient les visages familiers, ceux ci arboraient d'ailleurs le masque du dépit, ou bien de la lassitude, le masque du vaincu. Les autres visages, eux, ceux d'inconnus. C'était comme connaître sans connaître, le lieu restait le même, elle connaissait chaque rue, elle les avait déjà arpenté à de nombreuses reprises, mais elle s'y sentait à présent comme une étrangère, comme si elle ne connaissait pas cet endroit, alors qu'elle y avait vécu durant des années et des années.

Elle avait l'impression que c'était elle l'étrangère, que c'était elle qui découvrait la ville alors qu'en réalité c'était l'inverse, Jasmine était l'étrangère, c'était elle qui venait d'arriver, qui découvrait, et qui pourtant avait le plus de raisons de se sentier chez elle contrairement à Arianna. « Ne me remercie pas. Je t'ai fait une promesse, alors ce n'est certainement pas maintenant que je vais la briser. » dit-elle doucement. Femme de parole, Jasmine semblait déterminée à tenir sa promesse. « Puis-je savoir pourquoi tu tiens tant à rejoindre la place centrale ? Tu sais que ça grouille d’Étrangers, n'est-ce pas ? Tu connais un Ombrageux ? » la questionna alors la jeune femme. Arianna se mordilla la lèvre, hésitante, cet interrogatoire soudain l'a mettait mal à l'aise. « Non je... ce n'est pas un ombrageux. » commença-t-elle « Je suis là pour aider un ami, il n'a rien à voir avec la Guilde, il n'a rien fait de mal, il était juste au mauvais endroit et au mauvais moment, à cause de moi, donc je viens réparer mon erreur, même si ça signifie me jeter dans la gueule du loup. » conclut-elle avec détermination. Son seul but était d'aider Charlie, celui qui l'avait toujours épaulé et qu'elle avait lâchement trahie au dernier moment lors de la Guerre d'Un Jour, ce qui l'avait surement mené directement aux chaines qui le retenait aujourd'hui.

Soudain, des bruits se firent entendre, sans plus attendre Jasmine l’entraîna à l'abri. « Vite, par ici ! » Dissimulées derrière d'épais buissons, Arianna observait la patrouille avançait d'un pas lent devant elles en retenant son souffle. Comme hypnotisée, la jeune femme n'arrivait à détacher son regard de la marche des soldats, leurs pieds se mouvaient en cadence, comme s'ils n'étaient qu'un seul homme. Elle fut transportée quelques années auparavant, au même endroit, Charlie à sa gauche, tout deux suivaient du regard les gardes passer devant eux durant leur garde habituelle, camouflés par les branchages, ils se sentaient invisibles, invincibles. Lorsque les pas s'éloignèrent les deux voleurs échangèrent un coup d'oeil complice. Ils avaient réussi. Butin en main, ils s'élancèrent hors des buissons et se fondirent dans la nuit. Un sourire se dessina lentement sur les lèvres de la jeune femme alors qu'elle observait les soldats effectuaient leur ronde. C'était comme au bon vieux temps. Jasmine, elle, semblait moins sereine, son visage ne se décrispa que lorsque le groupe disparu totalement de leur champ de vision. Arianna lui adressa un sourire complice, comme si c'était Charlie avec elle. « Ils n'y ont vu que du feu » murmura-t-elle

Les deux jeunes femmes sortirent discrètement des fourrées et reprirent leur avancée vers l'Enclave, lentement, l'image du Mur devint plus imposante, elles étaient à présent à son pied, à quelques pas de la porte Sud, entrée autrefois inviolable, aujourd'hui ouverte, à condition de tromper la vigilance des gardes contrôlant les entrées et sorties.