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Will you fight again tomorrow ? | Rebecca & Caliel

Dezbaa
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Jeu 23 Juin - 15:18




Rebecca Habberline & Caliel Hopkins
— Will you fight again tomorrow ? —
Perdus. C'est la débandade dans les rangs ombrageux. Où aller ? Que faire ? La défaite est cuisante... Beaucoup de défaitistes se noient dans leur cuite. Quel autre espoir ? Il vaut mieux oublier ; ce qu'on a été, ce qu'on est, ce qu'on aurait pu être, et ce qu'on sera demain. Parce que voilà la question véritable, qui parcourt les esprits et glisse sur les lèvres : et demain ? Leur réunion a avorté. Ils ne feront rien. Mais alors... quoi ? Que devenir ? S'allier à Katharina ? Rejoindre les Nobles révoltés ? Se fondre dans la masse des Villageois ? Trouver les assassins du Cercle ? Les soupirs s'échappent au gré des éventualités qui s'écharpent sous le coup de l'hésitation. Caliel ne sait plus. Il n'aime pas les Témériens. A son sens, ils ont pris ce qui leur revenait de droit. Ils ont pillé leur combat et volé leur cité. Cependant, il n'agit pas. Comment lutter seul contre tout un peuple ? La Guilde se délite. C'est le contre-coup violent de leur désillusion : fatigue et désespoir. C'est tout ce que Rebecca peut observer : un groupe qui s'effondre, où les tensions connaissent un regain, où les cœurs s'alourdissent et où les idéaux sombrent. Tout est à refaire. Qui se battra encore, demain, pour sauver les Ombrageux, pour sauver des années, pour sauver Vivendale ? Est-elle vraiment à délivrer ?
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Dezbaa
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Jeu 23 Juin - 20:34

Caliel Hopkins
— When it all collapses. —

Pendue à son fil, elle dansait devant les yeux de Caliel. Elle tournait lentement sur elle-même, parfois hésitante, comme si elle doutait de la course à suivre. Elle continua à glisser plus bas, virevoltante, puis déposa ses huit pattes sur le comptoir. Elle galopa sur le bois pour descendre le long du petit muret et rejoindre le sol. De là, elle s'empressa de se blottir dans un coin, à demi recroquevillée. Elle n'était à l'abri d'aucun danger, la petite araignée. Les choses avaient changé, dans ce bar. Elle posa deux pattes sur le mur le plus proche, comme si elle n'était pas réellement certaine de ce qu'elle s'apprêtait à faire. Finalement, elle gravit la paroi, et retourna à sa toile, fraîchement établie dans un coin, en hauteur. Elle se plaça au centre. De ses nombreux yeux, elle pouvait tout observer, à l'abri. Elle voyait bien que tous ces humains, qui ne l'appréciaient guère, se trouvaient plus désœuvrés que de coutume. Ils avaient l'air mornes, et tout à coup trop joyeux. C'était la nouvelle Vivendale qui inspirait cette atmosphère inhabituelle. Rien n'était plus comme avant...

A part les habitués. Les habitués, elle les connaissait bien. Ils étaient presque intimes, après tout ce temps passés côte à côte. Eux ignoraient probablement jusqu'à son existence, mais elle, la petite araignée, elle les connaissait bien ; eux, et toutes leurs histoires. Le vieil homme au pardessus taché de boue, à l'autre bout de la salle, avait servi dans l'armée du Haut-Gouvernement, avant de participer à une mutinerie. La plupart de ses compagnons de rébellion étaient morts ce jour-là, mais lui s'en était sorti. Il avait rejoint les Ombrageux. A trois tables sur sa gauche était affalé, la tête dans les bras, un garçon qui n'avait pas plus de vingt ans. Ses cheveux bruns étaient masqués par une capuche, mais la petite araignée avait reconnu sa silhouette. Les deux parents du jeune étaient des Ombrageux. Elle les avait déjà vus. Mais, depuis quelques jours, plus aucun signe d'eux. L'adolescent n'en parlait plus. Elle supposait qu'ils étaient morts... Beaucoup de bipèdes réagissaient par le silence à la disparition. Elle ne pouvait pas comprendre : elle n'était qu'un insecte, une petite bête née pour faire perdurer l'espèce et garantir l'ordre naturel d'un écosystème. Sa distraction, c'était d'attraper les mouches qui s'égaraient entre deux assiettes vides et d'écouter les histoires des clients. Certains parlaient beaucoup, d'autres non. Mais ils étaient tous surprenants.

Elle pivota pour changer de point de vue, et se retrouva à plonger ses yeux dans ceux d'un jeune homme. Il portait une chemise en chanvre et une veste de cuir. Il était très grand, bien qu'il fût assis sur l'un des tabourets du comptoir. Mais ce n'était pas l'important : ce qui retenait l'attention de la petite araignée, c'était ce regard étonnamment triste. Elle ne l'avait pas remarqué, auparavant, alors que ses iris clairs avaient dû suivre son aventure jusqu'au plafond. Ses iris si doux... on aurait dit que le monde tombait sur ses épaules de géant. Il était lourd, le monde... avec toutes ses beautés et toutes ses horreurs. Ça aveuglait tout ça, ça aveuglait de larmes... Il devait se sentir bien mal, l'immense jeune homme. Écrasé, acculé, coincé. Aucune issue. Qu'est-ce qui pouvait bien le mettre dans un état pareil ? Cette « défaite » qui bondissait de bouche en bouche ? La petite araignée ne comprenait pas bien la situation. Tout était flou. Elle ignorait que c'était aussi le cas pour nombre des Ombrageux, qu'ils fussent ici ou ailleurs. C'était flou ; ils ne savaient plus où aller et dans quel but. Quelle drôle d'idée de se faire la guerre... Ils continuaient, alors qu'ils avaient tous conscience du mal qu'elle leur faisait. Cela non plus, elle ne pouvait le comprendre. Les animaux avaient l'intelligence d'éviter ce qui leur causait du tort ou mettait leur vie en danger. Quelle idée, aussi, de vouloir jouer avec la Mort... on finissait toujours par perdre le jeu.

Réagissant soudainement, le jeune homme se tourna d'un quart pour mieux voir le barman. Il leva la main pour attirer son attention. « Une pinte s'il vous plaît. » Le serveur acquiesça, prit une chope, ouvrit un tonneau, et laissa le liquide couler jusqu'à ce que le verre soit rempli. Ensuite, il le donna à l'Ombrageux, qui fit tinter quelques pièces sur le comptoir. « Merci. » C'était toujours la même rengaine : la petite araignée avait l'habitude. Il commença par tremper ses lèvres, puis but à grandes gorgées. Il s'arrêtait fréquemment pour laisser son esprit vagabonder. Il aurait pu se perdre un long moment, s'il n'y avait pas eu l'intervention impromptue d'une autre étrangère - elle l'était aux yeux de la petite araignée, du moins. Elle s'approcha et s'assit sur le tabouret disposé près du sien. Il la dévisagea un instant. Il hésitait. On le voyait aux mimiques qui peignaient son visage. Leurs interactions étaient si complexes... les humains avaient établis beaucoup de conventions. Mais, finalement, il demanda : « Je crois vous avoir vue sur le champ de bataille, l'autre jour... Je me trompe ? » Il s'arrêta un court instant ; le temps qu'elle tournât la tête vers lui. « Vous n'êtes pas de la Guilde, si ? » Il avait un sourcil arqué. Ils faisaient souvent ça, quand ils doutaient, les deux-jambes.
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Seyrane de Larant
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Ven 24 Juin - 23:02





Rebecca E. Habberline
— Minimal involvement  —


Cela faisait plusieurs soirées qu'on trouvait Rebecca accoudée au bar, pensive face à sa pinte de bière mousseuse. Les dommages de la Guerre d'Un-Jour altéraient encore les esprits, bien que celle-ci soit passée depuis un moment déjà, et la guerrière n'échappait pas à l'emprise du traumatisme malgré son indépendance. Elle n'appartenait pas aux terres de Vivendale mais ce combat l'avait profondément affectée ; d'une part parce que le groupe au sein duquel elle s'était battue avait été vaincu, et d'autre part parce que la bataille avait engendré une réflexion qui outrepassait sans conteste la politique Nordienne, mais qui remettait en cause un certain nombre de ses convictions. Ainsi, tandis que les Ombrageux noyaient leur déception dans l'alcool, la jeune femme profitait de son anonymat et de sa solitude pour méditer. Les rares contacts avec des membres de la Guilde avaient été cordiaux mais elle n'avait pas spécialement cherché à s'intégrer parmi ses nouveaux employeurs. Leurs préoccupations actuelles lui étaient étrangères, bien que compréhensibles. Elle avait combattu à leurs côtés et reçu une paye pour ce service : la transaction était conclue.
Le dirigeant des Ombrageux l'avait invitée à rester parmi eux après les combats, en indiquant que ses services pourraient encore être utiles. L'organisation planifiait en effet une une sorte de contre-attaque face aux Témériens mais la réunion où les modalités de cette riposte devaient être décidées avait avorté. Les membres se divisaient sur la question et la brunette avait cru comprendre que le gouvernement de Vivendale, qu'ils avaient soutenu durant la bataille, ne donnait plus de signe de vie depuis lors. En résumé, les Ombrageux étaient désorientés ; ils ne connaissaient plus d'objectif vers lequel tendre, leurs actions étaient vaines. Ces hommes avaient été assoiffés, ils avaient connu la richesse de ceux qui ne renoncent pas mais cette seule foi n'avait pas suffi. Cet aspect faisait partie de la cogitation à laquelle elle s'adonnait depuis quelques jours. Les conséquences d'une humanité sans but s'étalaient devant elle, misérables ; elle saisissait soudain l'importance d'un idéal auquel on pouvait se vouer corps et âme, même s'il était irréalisable.
Rebecca ne pensait pas avoir d'idéal et n'en ressentait pas la nécessité. Des rêves, des chimères, elle en avait eu plus jeune. Mais la perte d'une importante partie de sa famille et son départ de sa contrée natale l'avaient rendue particulièrement terre-à-terre. Non pas que les Ombrageux n'eussent pas le sens des réalités, ils semblaient au contraire les mieux placés pour aborder le sujet des inégalités et de la difficile survie à Vivendale lorsqu'on ne fait pas partie des privilégiés. Mais l'essence même d'une telle organisation résidait dans une volonté de changement, un espoir d'amélioration, un dessein précis. L'Étrangère n'avait pas de telles aspirations ; elle était une mercenaire au sens premier du terme. Elle disposait d'opinions propres et solidement affirmées, mais consacrait son quotidien au service d'autres, moyennant rémunération. Sa présence en des terres étrangères et son indépendance l'autorisaient à se tenir éloignée des jeux de pouvoir, ce qui lui convenait parfaitement. Son ambition ne résidait pas dans la puissance politique mais plutôt dans l'influence militaire. Si elle n'avait pas d'idéal de justice et d'égalité, la guerrière faisait preuve d'une forte ambition de stratège et de dirigeante. Elle voulait se trouver un jour à la tête d'une formation guerrière de laquelle elle se ferait obéir et respecter grâce à ses propres valeurs. D'ici-là, elle se contentait d'observer les contentieux politiques de loin, sans jamais y prendre part. D'ailleurs, elle aurait pu se battre durant la Guerre d'Un-Jour aux côtés des Témériens comme à ceux des Ombrageux ; les enjeux de ces combats n'avait aucune sorte d'importance à ses yeux.

Le tintement des pièces de monnaie qui heurtent le revêtement du bar tira Rebecca de ses pensées et elle se tourna à demi vers l'origine du bruit, qui troublait le calme de la salle. C'était simplement un jeune homme qui réglait sa consommation. Elle le reconnut pour être un membre de la Guilde, mais il n'était pas qu'un visage entraperçu au cours des combats, il semblait plus familier. Pourtant, elle ne connaissait pas son nom et ne lui avait jamais parlé. Quand, alors ? Elle fouillait sa mémoire à la recherche d'un indice, quand le souvenir la frappa soudain de plein fouet, plus vivant que la réalité même. C'était à la fin des combats, au moment de la retraite de la Guilde. Une ambiance de désolation. On aurait dit que l'apocalypse s'était abattue sur les toits de Vivendale. Et au milieu des cadavres, ce jeune homme qui paraissait à bout de forces, confronté à la fin abrupte d'un déferlement de violence non moins brutal. Le tableau l'avait particulièrement marquée.
Elle hésita quelques secondes en l'observant boire les premières gorgées de sa pinte, puis se décida à aller le voir et glissa de son tabouret pour aller s'installer à côté de lui. Il tourna la tête et la jaugea un instant d'un regard interrogateur. Elle détourna la tête et but quelques gorgées d'alcool. Il finit par articuler : « Je crois vous avoir vue sur le champ de bataille, l'autre jour... Je me trompe ? Vous n'êtes pas de la Guilde, si ? » La brune reposa son verre et sonda les iris bruns et vaguement attristés de son interlocuteur avant de répondre. « Non, je crois vous y avoir vu aussi. Et non, je ne suis pas une Ombrageuse. » Elle détacha le mot avec une demi-sourire. Ce nom lui plaisait. « Je suis une guerrière indépendante. J'ai été engagée juste avant la guerre. » Elle tendit la main au-dessus des chopes. « Rebecca. » Il se présenta à son tour. « Caliel. » Un prénom mélodieux qui s'associait parfaitement à l'air rêveur qu'on lisait sur son visage. « Et vous, vous êtes un membre de la Guilde ? Je ne connais pas tout le monde, mais je ne vous ai pas vu au campement ces derniers jours. »
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Ven 26 Aoû - 0:24

Caliel Hopkins
— Les grands yeux verts. —

Le claquement du verre contre le bois le sortit définitivement de ses pensées et ruminations. Il observa la jeune femme, plus attentif. « Non, je crois vous y avoir vu aussi. Et non, je ne suis pas une Ombrageuse. » Un sourire inaccompli étira ses lèvres, et il la trouva soudainement plus jolie. Même faible, il éclairait son visage et chassait l'étrange impression que provoquaient ses grands yeux verts. Les sourires rendent réellement plus beaux ; ils apportent cette touche de mystère sur laquelle s'arrête chaque esprit, et cet éclat surprenant qui captive la pupille. « Je suis une guerrière indépendante. J'ai été engagée juste avant la guerre. » expliqua-t-elle avant de tendre la main vers l'Ombrageux. Il acquiesça et la lui serra. « Rebecca. » - « Caliel. » répondit-il aussitôt. « Et vous, vous êtes un membre de la Guilde ? Je ne connais pas tout le monde, mais je ne vous ai pas vu au campement ces derniers jours. » Il eut l'air vaguement gêné - et il l'était. Il se redressa un peu sur son tabouret, glissa un regard à sa bière, puis releva les yeux, mais sans oser croiser ceux de son interlocutrice. « Oui. » Il lâcha simplement ce petit mot, avant de se rendre compte que sa réponse manquait de détails. Il reprit : « Je veux dire, oui, je suis un Ombrageux. » Il finit sa phrase dans un murmure, comme si soudain la pensée que les membres de la Guilde pussent être dénoncés lui traversait l'esprit. C'était idiot ; il valait mieux se méfier lorsque les Trois étaient en place. Alors, vieux réflexe, sans doute. Depuis quand n'avait-il pas dit cette phrase ? Dans l'Enclave, elle avait été bannie - à tel point qu'il avait pu l'oublier. Il s'en voulait encore terriblement. Se le pardonnerait-il un jour ?

Il prit sa chope entre ses mains, dont il entrelaça les doigts. « Et pour la présence, c'est normal... je suis juste resté le temps de guérir. » Et de trouver Dunya, au détour d'un hasard. Mais il était reparti. Leur conversation - leur dispute ! - l'avait définitivement dissuadé de rester plus longtemps. De toute manière, il ne se sentait plus à sa place au sein de la Guilde. Oh, il se sentait encore Ombrageux, il voulait encore de grandes révoltes et une belle révolution, des batailles à l'épée et au verbe, des victoires au sang et à la sueur, une joie aux larmes ; un final sublime. Il le souhaitait, mais ses liens avec la Guilde se rompaient, arrivés à une usure complète, et l'espoir s'étiolait, arme presque désuète. Comme avec Dunya... il avait parfaitement conscience de lui avoir fait du mal, et cela le rongeait ; et lui faisait mieux voir ce qu'il avait fait à tous les autres, à tous ceux dont il s'était plus ou moins volontairement détourné. Il n'avait aucune légitimité à parcourir le campement des Ombrageux. Il n'était plus qu'un fantôme, une ombre surgie de la nuit à laquelle personne ne prête attention dans la pénombre... « De toute façon... Enfin, ça n'a plus d'importance, maintenant. » Il croisa le regard de la jeune femme, et souffla, fatigué : « C'est... ça a l'air fini. » Il ne pouvait se résoudre à l'admettre. Il baignait encore dans un déni alimenté par un espoir lancinant et une rage brûlante. « Vous ne croyez pas ? » Question à lui-même, aussi. Réponse introuvable... « Je vous demande, parce que vous avez dû vous battre pour pas mal de causes... qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que vous pensez de Vivendale ? De la nouvelle Vivendale ? » Il s'interrompit face à son air surpris. « Non non, je vous assure, ça m'intéresse. Et je vous promets que je peux être muet comme une tombe, si jamais ça vous inquiète. » Il avait passé des années à taire les secrets les plus traqués au sein de l'Enclave. Sauver un avis politique n'était pas une difficulté pour lui, pour l'espion qu'il était - ou plutôt, qu'il avait été.

Et, au fond de lui, il avait besoin que quelqu'un tranchât à sa place. Était-ce terminé ? Fallait-il rendre les armes et envisager une nouvelle vie dans un nouveau monde ? Ou le combat continuait-il ? Nécessitait-il qu'on levât encore le poing pour lui, qu'on éludât la peine de l'effort en son nom ? Caliel nageait en eaux troubles. Plus rien ne lui était familier, plus rien ne le tirait vers la surface ; il n'y avait que cette onde noire et les poissons qu'elle contenait, qui tournaient autour de lui, indiscernables, vifs, dangereux. Il allait finir doucement noyé par l'eau dansante et lentement picoré par les écailles scintillantes. Sa vie n'était qu'un amas de confusions, de déceptions et de questions. Et dans ce joyeux bazar, il pouvait se raccrocher à une chose : le réel. Et ce soir-là, le réel, c'étaient les grands yeux verts de Rebecca.
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Seyrane de Larant
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Mar 20 Déc - 0:20





Rebecca E. Habberline
— late night delusion  —


Somme toute, Rebecca était bien contente d'avoir fait la rencontre de Caliel. L'indépendance qu'elle clamait haut et fort ne l'empêchait pas de préférer la compagnie à la solitude, surtout lors d'une soirée comme celle-là. L'ambiance était particulièrement accablante, et les regards fuyants qu'elle croisait occasionnellement hurlaient leur défaite tandis que les visages fermés dissuadaient toute tentative de communication. Seul le jeune homme s'était fait exception d'une règle morose et avait engagé la conversation ; et rien que pour cela, la brunette lui en était reconnaissante. Difficile position que celle d'une mercenaire autonome témoin d'un échec aussi lourd de conséquences. Elle aurait pu feindre l'affliction, par simple empathie, mais elle était d'une franchise trop honnête pour ce genre de pathétique mascarade. Les Ombrageux, qu'elle tenait en haute estime après avoir traversé une bataille aussi éprouvante à leurs côtés, étaient excessivement fiers et bien trop dignes jusque dans leur plus grande défaite pour qu'elle éprouve de la compassion à leur égard. Ils n'avaient sûrement pas besoin de cet exaspérant flux de bons sentiments. Caliel, moins que tous les autres. C'est pourquoi elle s'efforça de rester aussi neutre que possible, alors qu'une sympathie évidente la poussait vers ce jeune homme qui paraissait égaré dans le fil de ses propres pensées.

« Oui. Je veux dire, oui, je suis un Ombrageux. » ll avait une manière particulière d'affirmer cette part de son identité comme si elle était clandestine, qui intrigua son interlocutrice.« Et pour la présence, c'est normal... je suis juste resté le temps de guérir. » ajouta-t-il. Cette information supplémentaire souleva davantage de questions : ne logeait-il pas au campement de la Guilde, comme tous les autres ? Elle brûlait d'envie de l'interroger mais n'en fit rien. Ses yeux clairs détaillaient attentivement le visage de l'Ombrageux, dont les traits marqués accusaient la fatigue ; un moment de silence s'écoula, qu'elle se garda soigneusement d'interrompre. « De toute façon... Enfin, ça n'a plus d'importance, maintenant. C'est... ça a l'air fini. Vous ne croyez pas ? » Rebecca lui jeta un coup d'œil surpris et il poursuivit : « Je vous demande, parce que vous avez dû vous battre pour pas mal de causes... qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que vous pensez de Vivendale ? De la nouvelle Vivendale ? Non non, je vous assure, ça m'intéresse. Et je vous promets que je peux être muet comme une tombe, si jamais ça vous inquiète. » La brunette eut un petit rire mi-amusé, mi-embarrassé.

La crainte que ses opinions personnelles soient divulguées à de puissantes institutions capables de la sanctionner ne figurait pas au rang de ses préoccupations. Conserver son indépendance nécessitait une grande prudence et jamais, dans aucun de ses emplois, elle ne s'était autorisée à faire part de son avis sur une question politique. Parfois, elle regrettait de ne pas pouvoir participer au débat, elle, passionnée d'affrontements au mot comme au couteau. Et puis participer à un conflit était forcément synonyme d'implication, aussi minimale soit-elle. Mais tel était le prix de la liberté qu'elle exigeait. Ainsi, la jeune femme éprouvait une certaine réticence à l'idée d'émettre un jugement sur la situation vivendalaise, dont elle ne connaissait pas toutes les subtilités et qui faisait état d'un degré de tension et de désunion remarquablement élevé. Ses yeux cherchèrent ceux de Caliel dans la quête d'un signe d'approbation, d'un encouragement. Depuis le début de leur conversation, elle ne l'avait observé qu'à la dérobée, détournant le regard après quelques secondes de contact visuel seulement. Les nuances du langage corporel d'ordinaire si familières semblaient lui échapper. Enfin, elle répondit d'un air hésitant. « Je ne sais pas si on peut dire que c'est fini... Rien n'est jamais définitif. Mais la victoire des Témériens est écrasante. Pour l'instant, l'opposition ne peut pas émerger. Pas encore. Mais tout régime qui s'établit dans la durée éveille des contestations. » ajouta-t-elle avec l'éclairage de l'expérience. « Quant à ce que je pense de Vivendale... Je ne suis pas ici depuis assez de temps pour avoir une opinion tranchée. Il semblait y avoir un équilibre certain entre les trois composantes de la société avant l'arrivée des Témériens. Et bouleverser cet équilibre, c'est y renoncer. Ce qui est perdu ne peut jamais être reconstitué à l'identique. » Elle marqua une pause et manipula nerveusement l'unique bague qu'elle portait à la main droite. « Mais cette rupture... C'est aussi un nouveau départ, vous ne croyez pas ? » Elle craignait la réaction de Caliel. De son point de vue, la blessure devait être trop récente, la douleur trop vive pour prendre déjà du recul. Cela reste une loi immense de l'histoire qu'elle interdit précisément aux contemporains de discerner dès le début les grands mouvements qui déterminent leur époque. « Je sais que pour l'instant, elle n'a amené que souffrance et mort sur la ville. Mais réfléchissez, n'est-ce pas une opportunité qui se profile dans les ténèbres, l'occasion de renverser l'ordre établi, la tyrannie de la Noblesse, la misère des Villageois, et votre propre exclusion ? Même si elle était volontaire ! De ce que j'ai compris, mille signes annonçaient déjà la mise à mort de ce système. Je ne dis pas que Katharina fera de cette cité ce dont vous avez rêvé pour elle. Mais son règne sera peut-être le théâtre de quelque chose de grand. » À ces derniers mots, la fougue des orateurs s'était emparée d'elle et colorait ses joues d'un voile carmin. Puis elle croisa le regard éreinté du brun et s'en voulut aussitôt. Elle faisait déjà des plans sur la comète, mauvaise perdante et guerrière enragée qu'elle était. Mais les Ombrageux, Caliel, n'avaient pas besoin de tout cela. De faux espoirs, d'idéaux fissurés. Leur deuil ne faisait que débuter, comment pouvaient-ils déjà regarder vers le futur ? Ses doigts fébriles s'agitaient, et bientôt la bague roula sur le comptoir. Elle étendit la main pour la saisir, mais déjà celle du jeune homme se refermait dessus, l'arrêtant dans sa course. Il lui tendit et elle articula un remerciement embarrassé. Il s'apprêta à retirer sa main, mais elle le retint d'un geste impulsif. Sauf qu'une fois ses doigts fins agrippés sur la large paume brune, elle ne savait plus quoi faire et se trouvait encore plus mal à l'aise qu'auparavant. Elle parvint néanmoins à esquisser un sourire sincère lorsque elle croisa les yeux surpris de Caliel. « Merci. » Puis elle s'empressa d'ôter sa main et s'appliqua à examiner le fond de sa choppe durant les minutes suivantes, mortifiée par sa propre maladresse. Décidément, elle se montrait incapable d'exprimer des sentiments aussi humains que la compassion ou l'empathie. De telles situations la mettaient extrêmement mal à l'aise, ce qui ne l'empêchait pas de s'y plonger à chaque fois. Incorrigible Rebecca.    
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Mer 10 Mai - 20:40

Caliel Hopkins
— You have to get what you want your own way. —

Un rire suivit sa dernière phrase, comme s’il venait de dire une futilité ou un non-sens, mais, loin de se vexer, il sourit doucement, parce qu’entendre ces quelques éclats tressautants et spontanés, c’était rare. C’était devenu rare depuis la défaite, et chaque rire était un soulagement, comme une hache lancée sur le roc de la victoire et qui, peu à peu, l’effritait. S’ils ne gagnaient pas par une nouvelle bataille, s’ils ne reprenaient pas Vivendale par une nouvelle effusion de sang, ils l’enlaceraient avec leur vie, et ce jusqu’au dernier souffle. Même si cette alternative s’avérait moins violente, elle n’était pas celle qui plaisait le plus à Caliel. Pourtant, même s’il perdait à nouveau, il resterait. C’était chez lui, c’était son foyer, son cœur, et il y mourait. L’exil était pour les autres.

Il croisa les yeux de l’étrangère, et, avec l’hésitation nécessaire, elle se lança. « Je ne sais pas si on peut dire que c'est fini... Rien n'est jamais définitif. Mais la victoire des Témériens est écrasante. Pour l'instant, l'opposition ne peut pas émerger. Pas encore. Mais tout régime qui s'établit dans la durée éveille des contestations. » Elle voyait juste. Rien ne durait éternellement : tout, dès la naissance, commençait à mourir lentement, et le temps n’était que la mesure d’une périssabilité inévitable. Il mourait, lui aussi, et elle aussi, et tous les autres dans la pièce, et l’araignée dans le coin, et les arbres au-dehors, et les chevaux à l’attache, et les oiseaux qui chantaient encore, plus loin. Tout mourait, oui, mais tout renaissait aussi. L’enfant qui grandit dans le ventre, la graine qui pousse dans la terre, le poussin qui sort de son œuf, le soleil, qui chaque matin, renaît des cendres nocturnes. Peut-être que dans quelques années, la Guilde se relèverait aussi, sous un autre nom, peuplée d’autres visages, avec d’autres idéaux et d’autres moyens d’action. C’était possible ; mais les possibilités ne sont jamais suffisantes, lorsqu’on est un convaincu. « Quant à ce que je pense de Vivendale... Je ne suis pas ici depuis assez de temps pour avoir une opinion tranchée. Il semblait y avoir un équilibre certain entre les trois composantes de la société avant l'arrivée des Témériens. Et bouleverser cet équilibre, c'est y renoncer. Ce qui est perdu ne peut jamais être reconstitué à l'identique. Mais cette rupture... C'est aussi un nouveau départ, vous ne croyez pas ? » Il retint sa respiration, mais ne répondit pas. Il baissa la tête, et regarda le liquide doré qui reposait dans sa chope. Il passa un doigt sur l’anse brune et pinça les lèvres. L’Ombrageux souffla par le nez. Evidemment, c’était un nouveau départ. Le problème ne consistait pas tant dans ce fait que dans son indécision : il n’était pas certain d’en vouloir, de ce renouveau. Pas sûr du tout, même : il rêvait encore d’une Vivendale résistante, d’une Vivendale triomphante, triomphante d’elle-même. « Je sais que pour l'instant, elle n'a amené que souffrance et mort sur la ville. Mais réfléchissez, n'est-ce pas une opportunité qui se profile dans les ténèbres, l'occasion de renverser l'ordre établi, la tyrannie de la Noblesse, la misère des Villageois, et votre propre exclusion ? Même si elle était volontaire ! De ce que j'ai compris, mille signes annonçaient déjà la mise à mort de ce système. Je ne dis pas que Katharina fera de cette cité ce dont vous avez rêvé pour elle. Mais son règne sera peut-être le théâtre de quelque chose de grand. » Il releva la tête, avec cette flamme au fond de l’œil, qui vibrait comme cent cœurs à l’unisson. Les iris verts de Rebecca se posèrent sur les siens. Il ne disait toujours rien, et à vrai dire, ce qu’elle venait d’avancer cogitait encore dans son esprit. Il s’accrochait au passé et ne voulait pas envisager l’avenir. Pas comme ça.

Son monde vacillait : il roulait sur une grande route, sans but précis, comme la bague de la guerrière sur le comptoir. Caliel tendit le bras et referma ses doigts dessus, exactement comme il aurait souhaité pouvoir le faire à l’égard de sa ville natale. Il la rendit à Rebecca mais, au lieu de laisser sa main filer vers son verre, elle la retint. Surpris, il la regarda, interdit, le visage certainement coloré de ces teintes carmines qu’on exècre tant. Il ne bougea pas, et reprit le contrôle de son membre seulement lorsqu’elle le lâcha en le remerciant. « De rien… » souffla-t-il, légèrement troublé. Elle planta son regard sur sa chope, et lui prit la sienne pour en boire une grande gorgée. Quelques minutes s’écoulèrent, dans un silence presque gênant. Il songeait encore à ce qu’elle avait dit, et il lui fallait les mots pour lui expliquer, pour parler sans se révolter.

Là. « C’est un nouveau départ, oui. Et j’imagine que si l’on se fie aux discours des Témériens, on peut croire qu’ils changeront quelque chose, qu’ils guériront Vivendale de sa gangrène. » Il ne regardait pas la jeune femme. De son index, il dessinait des formes sur le bois du comptoir. « Mais moi, je n’y crois plus. J’ai été trop déçu. Et c’est triste à dire mais… voilà, je n’y crois plus. Je n’ai connu que le Haut-Gouvernement – du moins, je ne me souviens que de ça –, mais j’ai côtoyé d’autres formes de pouvoirs et d’autres chefs. Je sais comment c’est, vous savez. J’ai vécu dans l’Enclave. Et aujourd’hui, je ne peux qu’en avoir honte. » Il se rappelait de ses frasques et ses excès, de son égoïsme et son inconscience, de cet enfant tyrannique qui était trop souvent ressorti. Il avait continué à communiquer des informations aux Ombrageux, mais bons dieux, il s’était tant complu dans le faste qu’il en avait oublié l’essentiel. « N’importe qui peut être corrompu, et c’est dans notre nature de vouloir toujours plus. Je n’aime pas faire de grandes généralités sur les Hommes – je n’en ai pas vraiment la légitimité, et je trouve ça idiot – mais ça… je n’en ai pas vu un seul qui ait refusé quoi que ce soit, même si cela pouvait priver un autre. Et chez les « grands », c’est encore plus vrai. Ils ne connaissent pas notre réalité. Ils ne savent pas ce que ça représente, un kilo de blé de plus ou de moins, ils ne savent pas ce que c’est de voir un quart de ses proches frappés par la maladie en hiver, emportés par la mort faute de bons soins ou de nourriture saine. J’ai envie de les blâmer, pour ça. » Une lueur rebelle embrasa ses yeux, pour bien vite s’éteindre. « Mais une autre part de moi sait que c’est inutile, et qu’au fond, ça n’est pas vraiment leur faute. Ils sont nés comme ça, là-dedans, et ce qu’on vit, ça leur paraît tellement insensé ! Vous les verriez… Nous ne sommes pas une réalité, mais un fantasme, un cauchemar, des hypothèses qu’on transforme en histoires pour les enfants. » Caliel secoua la tête et poussa un long soupir. Evidemment, tous les nobles n’étaient pas ainsi – certains faisaient l’effort de se renseigner et de considérer –, mais il en avait trop croisé. « Pour toutes ces raisons, je ne peux pas parier sur Katharina. Peut-être qu’elle fera de grandes choses, mais comment garantir qu’elles seront justes ? Qu’elles ne seront pas liberticides ? Regardez les procès ! Elle en a épargné des mauvais, et sacrifiés des bons ! » Et aussitôt, la colère revint, galopante, et son poing se crispa, appuyé sur le rebord de chêne. Il fronça les sourcils. « Ce n’est pas ce dont on a rêvé, c’est sûr. Je suppose que c’est bien, que certains lui accordent une chance… c’est au-dessus de mes forces. J’ai trop longtemps lutté pour tuer ce système et instaurer une démocratie, ou quelque chose qui s’en rapproche. J’ai trop longtemps lutté pour ça, et j’ai trop perdu aussi. » C’était le sacrifice de plusieurs vies. Celles de ses parents, celle de Caelan, celles de ses amis. C’était aussi le sacrifice de toute une vie : la sienne. Bientôt trente ans, et toujours pas de femme, toujours pas d’enfants, trop peu d’attaches : il était toujours cet orphelin qui s’était exilé dans l’Enclave. « C’est insupportable de la voir arriver, et tout balayer ! Comme si tous nos efforts ne servaient à rien, comme s’ils n’étaient que de la poussière sur laquelle il suffit de souffler. C’est invivable… » Son poing se desserra, et à nouveau, il soupira. Puis, il releva la tête vers la jeune femme, et esquissa un sourire gêné. « Je suis désolé, je ne suis pas de très bonne compagnie. Je vous paie un autre verre ? » demanda-t-il en désignant du menton la chope de Rebecca.
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Seyrane de Larant
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Mar 4 Juil - 17:55





Rebecca E. Habberline
— the horizon is inside  —


https://www.youtube.com/watch?v=HCaVyvgomEk

Les quelques minutes de silence parurent des siècles à Rebecca, qui dissimula sa mine contrite dans sa chope de bière. Son interlocuteur se tourna également vers le doux beuvrage, comme pour y chercher assurance et conseil. La brunette se maudit au nom de toutes les divinités d'avoir interrompu une conversation aussi intéressante que celle qu'ils menaient jusqu'à ce geste étrangement intimiste, hors de propos. La tendresse d'un contact physique amical faisait naître dans ces deux corps habitués à la rudesse et à l'hostilité de la nature une pudeur d'adolescents. Ils se trouvaient donc là comme deux imbéciles, plongés dans la plus grande confusion, à contempler le fond de leur verre. Quelle situation pour les mercenaires féroces et impitoyables qu'ils étaient ! Mais bientôt, Caliel reprit la parole. « C’est un nouveau départ, oui. Et j’imagine que si l’on se fie aux discours des Témériens, on peut croire qu’ils changeront quelque chose, qu’ils guériront Vivendale de sa gangrène. Mais moi, je n’y crois plus. J’ai été trop déçu. Et c’est triste à dire mais… voilà, je n’y crois plus. Je n’ai connu que le Haut-Gouvernement – du moins, je ne me souviens que de ça –, mais j’ai côtoyé d’autres formes de pouvoirs et d’autres chefs. Je sais comment c’est, vous savez. J’ai vécu dans l’Enclave. Et aujourd’hui, je ne peux qu’en avoir honte. N’importe qui peut être corrompu, et c’est dans notre nature de vouloir toujours plus. Je n’aime pas faire de grandes généralités sur les Hommes – je n’en ai pas vraiment la légitimité, et je trouve ça idiot – mais ça… je n’en ai pas vu un seul qui ait refusé quoi que ce soit, même si cela pouvait priver un autre. Et chez les « grands », c’est encore plus vrai. Ils ne connaissent pas notre réalité. Ils ne savent pas ce que ça représente, un kilo de blé de plus ou de moins, ils ne savent pas ce que c’est de voir un quart de ses proches frappés par la maladie en hiver, emportés par la mort faute de bons soins ou de nourriture saine. J’ai envie de les blâmer, pour ça. Mais une autre part de moi sait que c’est inutile, et qu’au fond, ça n’est pas vraiment leur faute. Ils sont nés comme ça, là-dedans, et ce qu’on vit, ça leur paraît tellement insensé ! Vous les verriez… Nous ne sommes pas une réalité, mais un fantasme, un cauchemar, des hypothèses qu’on transforme en histoires pour les enfants. » Un rictus méchamment ironique passa sur le visage du jeune homme, et celle qui l'écoutait détourna le regard, secouée par la même amertume. Elle connaissait déjà cette réalité abjecte. L'avidité et l'indifférence des nantis et des puissants, dont les dynasties se reproduisaient à l'infini. L'indigence et l'anonymat des autres, travailleurs invisibles participant à la construction d'un empire dont ils ne bénéficieraient hélas jamais. Mais elle n'avait ni la maturité de Caliel, ni son expérience de l'opulence, et blâmait ouvertement les plus aisés pour leur condition. Au fond, elle savait que ça n'était pas la solution au problème. Mais cette fièvre enragée des opprimés était son moteur. Plus encore que le désir de goûter elle aussi à cette abondance, c'était la volonté de venger ses proches et de rétablir une justice qui la prenait aux tripes et la poussait chaque jour par-delà ses propres limites. Make it right. Qu'avait-elle espéré en venant à Vivendale ? Que les choses seraient différentes de sa terre natale ? « Pour toutes ces raisons, je ne peux pas parier sur Katharina. Peut-être qu’elle fera de grandes choses, mais comment garantir qu’elles seront justes ? Qu’elles ne seront pas liberticides ? Regardez les procès ! Elle en a épargné des mauvais, et sacrifiés des bons !  Ce n’est pas ce dont on a rêvé, c’est sûr. Je suppose que c’est bien, que certains lui accordent une chance… c’est au-dessus de mes forces. J’ai trop longtemps lutté pour tuer ce système et instaurer une démocratie, ou quelque chose qui s’en rapproche. J’ai trop longtemps lutté pour ça, et j’ai trop perdu aussi. C’est insupportable de la voir arriver, et tout balayer ! Comme si tous nos efforts ne servaient à rien, comme s’ils n’étaient que de la poussière sur laquelle il suffit de souffler. C’est invivable… » La lassitude et la mélancolie du brun frappèrent Rebecca au cœur. Et derrière ce visage lisse et impassible de battante, une empathie débordante pour ce compagnon d'armes désabusé dans les yeux duquel on distinguait la force des illusions brisées. « Je suis désolé, je ne suis pas de très bonne compagnie. Je vous paie un autre verre ? »

L'étrangère se redressa. « Ne vous inquiétez pas » assura-t-elle avec un sourire, « et oui, je veux bien, merci. » Elle profita de ce que l'Ombrageux hélait un serveur pour parcourir la salle du regard, pensive. Les lieux étaient petit à petit désertés, à mesure qu'une nuit de plus en plus profonde s'abattait sur le Village. Les visages plongés dans la pénombre, à peine dévoilés par la lumière sale des lanternes en verre dépoli, se rapprochaient ; les voix devenaient plus basses, plus rauques. Il régnait une atmosphère confidentielle, mais pas de secrets riants et agréables, non ; l'heure était aux révélations inquiétantes, à peine prononcées, susurrées même. La jeune femme s'arracha de cette désagréable contemplation ; les boissons arrivaient justement. Elle saisit sa pinte et la choqua doucement contre celle de Caliel. « À l'avenir. » Malgré l'abattement qui pesait sur eux, l'optimisme de Becca refaisait surface. Sa force capacité d'empathie lui faisait partager les émotions douloureuses, mais lui permettait surtout d'employer ses ressources à construire la suite de l'histoire. Elle était tournée vers le futur. Et après plusieurs minutes de calme - bien moins gênantes que les précédentes - elle décida d'adresser tous les arguments que le jeune homme avait égrenés. La brunette appréciait beaucoup l'Ombrageux, et plaçait toute sa foi dans l'espoir qu'un regard extérieur, distancié puisse le faire changer d'avis. Il ne manquait pas d'atouts, et ceux-ci seraient bien plus utiles à l'élaboration d'un nouveau projet que là où ils étaient employés à cet instant.

« Ne vous méprenez pas. Je ne pense pas - je n'en sais rien, à vrai dire - que Katharina va guérir la ville de cette gangrène dont vous parlez. Le peu d'elle que j'ai vu à l'œuvre ne me plaît pas ; elle amène sûrement des changements bienvenus, comme l'abolition de l'esclavage - mais c'est une souveraine. Elle n'assouvira jamais votre soif d'égalité, de justice ou du moins pas dans les dimensions que vous envisagez. Cela est sûr, et je suis complètement d'accord avec vous. D'autant que vu la description que vous faites de la Noblesse, les nantis ici disposent d'un pouvoir et d'une liberté quasi illimités. Elle ne va pas révolutionner cela non plus, et demain matin vos puissants ne se réveilleront pas en ayant appris la valeur d'une vie humaine en dehors de la leur ou d'un kilo de blé supplémentaire. » Elle marqua une pause, comme suspendue au milieu de sa tirade par une pensée qui lui aurait échappée. Songeuse quelques secondes, elle finit par abandonner l'idée de la retrouver et poursuivit en regardant Caliel droit dans les yeux. « En revanche, son règne vous donne peut-être l'opportunité de tout bouleverser. Si les Ombrageux n'ont plus leur place au sein de la nouvelle société vivendalaise - ou si Katharina a fait en sorte que la Guilde n'existe plus en tant que telle, d'autres groupes surgiront. Les insurgés, les rebelles, les insoumis, les révoltés, les indociles, les dissidents - ils ne connaissent pas la résignation. Vous semblez profondément lassé d'un combat qui vous paraît inutile, et par-dessus cela vous vous en voulez d'avoir accepté les privilèges qui vous étaient offerts. Mais la condition de bourgeois, vous ne vous y ferez jamais ! La vie bien rangée, ça n'est pas pour vous. Elle vous laissera insatisfait, frustré. Vos idéaux sont plus forts que votre découragement. » De nouveau, elle s'arrêta, et ses mains s'agitaient nerveusement, elle semblait vouloir communiquer quelque chose de plus fort qu'elle, de trop grand pour son buste délicat. « Avant, ces trois groupes, ils ne permettaient pas de déséquilibres ! À vous seuls, la Guilde des Ombres, vous ne pouviez pas lutter contre le Haut-Gouvernement. Vous n'auriez pu que si le peuple s'était libéré de l'asservissement des Nobles ; mais ça ne s'est pas passé comme ça. L'arrivée des Témériens vous ouvre de nouvelles portes. Katharina a beau afficher toute la sûreté qu'elle veut, la région lui est encore inconnue, tout comme les us et coutumes locaux. Vous avez des avantages ; ils sont maigres, mais ils sont bien là. Vous ne pouvez pas perdre espoir ! » Elle s'interrompit brusquement, intimidée tout à coup par la portée de ses propres mots, les joues cramoisies. « Il ne s'agit pas de lui donner une chance. » C'était à peine un filet de voix qui s'était échappé de sa gorge, et une phrase demeurait en suspens, la conclusion de cette tirade grandiloquente. Mais elle se trouva incapable d'en dire plus et pour masquer son trouble, elle avala le contenu de son verre d'une traite.

— Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ. —
(Le petit prince)
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Dezbaa
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Jeu 14 Sep - 23:50

Caliel Hopkins
— Fight. Take it back. Never bow down. —

Il y avait eu un tournant, dans la vie de Caliel ; une grande embardée qui l'avait fait chavirer, plus loin, entre des ronces acérées, mangeuses de chair et avides de saignées ; mais entre des ronces purificatrices, piqûres qui ramenaient à la dureté de la réalité. Il s'était fourvoyé, l'avait réalisé, et lorsqu'il s'était retourné, il avait tant parcouru le mauvais chemin qu'il avait le sentiment de ne plus jamais pouvoir repartir sur le bon. Il se sentait comme un traître. Et ne les avait-il pas vraiment trahis ? N'avait-il pas trahi les Ombrageux, Dunya, et plus encore, ses propres idéaux, ses espoirs si longtemps clamés et vantés ? Il les avait piétinés, lentement mais sûrement, parfois même sans s'en apercevoir. Aussi, il empruntait la voie de la repentance. Et cette volonté de changer, de prouver sa valeur, de montrer sa loyauté, glissait doucement vers un extrémisme patent. Tout ou rien. C'en serait bientôt fini de la conciliation, des courbettes, et des sourires ; l'heure serait à la confrontation. Il ne voulait plus plier sous les coups et les volontés : il voulait se dresser, fier, droit, le corps tuméfié et ensanglanté s'il le fallait. Peu importait, car son âme serait vive et satisfaite, reconnue et reconnaissante, belle et brillante. Il se serait accompli ; et n'était-ce pas l'ambition de toute vie ? Néanmoins, il n'agissait pas. Il s'asseyait près des comptoirs, et buvait jusqu'à noyer la moindre once de désespoir.

Comme un serveur passait près d'eux, Caliel leva le bras, et leur indiqua ce qu'ils souhaitaient boire. Il le suivit des yeux jusqu'à ce que les boissons fussent posées devant eux. Un faible sourire aux lèvres, il trinqua avec Rebecca. « À l'avenir. » répéta-t-il, sans doute plus mécaniquement qu'autre chose. Pourtant, il voulait y croire. Pas à celui que proposait Katharina, mais au sien, qu'il traçait dans le brouhaha enthousiaste des foules et au cœur de la béatitude qui tuait les pensées d'autrui. Il voulait y croire, mais il y avait ce découragement profond, et plus que tout, cette dévastatrice sensation d'impuissance. Il se sentait écrasé par le pouvoir témérien, et écartelé ; la Guilde n'était plus que poussière dans le vent. Il en restait quelques-uns, c'était certain. Il restait des âmes rebelles, il en resterait toujours, des contestataires. Néanmoins, la défaite, dans sa fuite sous les jupons de la honte, les avaient éparpillés aux quatre coins de Vivendale, faibles et démunis. Comment se rassembler ? Comment se redresser ? Comment s'organiser ? Il n'avait pas l'âme d'un meneur. Sa vie durant, il avait plutôt été l'exécutant. L'âme-guide, c'était Caelan qui en disposait. C'était lui qui l'avait protégé suite à la mort de leurs parents, qui lui avait tenu la main coûte que coûte, qui lui avait montré le chemin, qui l'avait initié aux principes qu'il chérissait tant. Que dirait-il de cette situation ? Que ferait-il ? Dans les mots de Rebecca, il entendait la voix sage de son frère, comme un filet lointain, presque éteint, mais qui dans l'obscurité parvint encore à étinceler.

Elle parlait des Grands avec une distance critique qui lui faisait défaut. Elle ne plaçait Katharina ni sur un piédestal ni au fond d'un tombeau. Elle la laissait sur son trône fraîchement acquis ; elle cherchait les failles, tacticienne, elle transformait les désavantages en atouts, magicienne. Elle imagina d'autres groupes naître des cendres des Ombres. Il comprit alors que la Rébellion était un phœnix. Qu'il n'aurait probablement pas besoin de soulever le monde à lui seul, simplement à trouver des esprits libres en quête de justice, de fraternité, et d'équité. Des hommes et des femmes de bravoure, qui ne s'avouaient jamais vaincus, de ceux qui tombaient pour toujours se relever. Caliel n'osait pas prétendre appartenir à leurs rangs ; mais il voulait effleurer leur mérite. Ce n'était pas la gloire ou le pouvoir qui le motivaient, c'était la reconnaissance de soi par soi, l'accomplissement des idéaux et des rêves, l'abolissement des accords et des privilèges. A mesure que la guerrière parlait, son cœur se gonflait d'un espoir refoulé par la déroute et le découragement. Elle avait raison - il voulait s'en convaincre. Avait-il jamais été heureux dans l'Enclave ? Ne s'était-il pas lassé d'une vie sans aléas ? L'adrénaline ne lui avait-elle pas manqué ? N'avait-il jamais provoqué le danger ? Pourtant, il était resté.

L'étincelle qui flamboyait dans ses iris s'éteignit, et il baissa la tête. Ses yeux brillaient ; il y avait, penchées au bord de la cornée, des larmes scintillantes. « Vous avez l'air de savoir galvaniser les troupes. Vous avez déjà été capitaine ? » demanda-t-il avec curiosité, en fixant maladroitement sa chope du regard. « Je vous admire. C'est comme si votre flamme ne pouvait pas s'éteindre. » Il releva la tête, un sourire pâle accroché aux lèvres. « Ce n'est plus une question d'espoir, Rebecca. J'en ai à revendre, vous me l'avez bien montré, et je l'ai compris. Je crois que lui non plus, il ne mourra jamais. C'est ce que les opposants veulent toujours tuer, que ce soit dans une guerre ou une rivalité insensée. C'est toujours ce qu'il faut tuer pour anéantir l'ennemi. Un homme sans espoir est un homme mort. » Cette phrase, il s'en rappelait avec une soudaineté effarante. C'était comme si elle avait toujours été là, cachée dans un recoin de son cerveau, et qu'elle avait choisi ce moment précis pour ressurgir. Il ne se souvenait pas qui l'avait dite - si c'était son père, son mentor, ou son frère. Les trois auraient pu. « J'en ai, j'en ai plein. Il est juste enfermé. Ils n'ont pas besoin de l'écraser pour me faire tomber, je me suis détruit tout seul.  » Il s'arrêta le temps de pincer les lèvres. Il était bêtement tombé dans les jeux pernicieux et mortels de l'enceinte des murs. « J'ai trop de remords pour accomplir ce que je crois juste. » Le constat lui parut idiot. Il avait toujours songé que c'était le moyen de se racheter - et le songeait encore quelques minutes auparavant - ; toutefois, tous ses raisonnements précédents, à cause d'une pensée fulgurante, tombaient à l'eau. « Je ne suis plus digne de la cause que je voudrais défendre. » Comme elle semblait vouloir protester, il leva la main et planta son regard dans le sien, les yeux toujours baignés de larmes. « Ce n'est pas grave. » Il ferma les paupières un instant. « Vous m'avez permis de cerner le réel problème de toute cette histoire. Ce n'est pas vraiment le découragement, ce sont juste les remords. » Ils le pourfendaient de toutes parts. Les remords, les regrets, la honte. « Quelque part, je me sens responsable de la chute de Vivendale. Si j'avais été plus assidu, plus concentré, plus dévoué... peut-être que tout aurait été différent. J'ai trop honte de reparaître devant... devant eux, de faire face à mes idées, et de voir à quel point je les ai négligés. » Les mots semblaient vouloir rester coincés dans sa gorge, mais il se forçait à les expulser. « La route est longue, mais elle aboutit toujours quelque part, pas vrai ? » lança-t-il. « Je vais me racheter. Je ne sais plus exactement comment... mais je vais le faire. Je vais au moins essayer, arrêter de tourner en rond et de patauger dans les mêmes pensées. » Saurait-il se pardonner ? Telle était la véritable question. Le pardon des vestiges de la Guilde n'avait peut-être pas tant d'importance, ou s'acquerrait avec une certaine aisance. Il avait, au moins, la compréhension de Rebecca. Et pour cela, il souffla : « Merci. »
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Ven 13 Juil - 22:40





Rebecca E. Habberline
— Il vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets —


Malgré son intérêt pour les réflexions du jeune homme, Rebecca n'écouta que très distraitement la fin de son propos. À vrai dire, il l'avait perdue dès la première phrase. « Vous avez l'air de savoir galvaniser les troupes. Vous avez déjà été capitaine ? » Les iris verts prirent aussitôt une teinte rêveuse et un sourire nostalgique étira les lèvres de la brunette. Elle acquiesça d'un signe de tête sans quitter du regard les champs de bataille imaginaires qui venaient d'apparaître sur la surface lisse du bar. Seuls quelques jours s'étaient écoulés depuis la guerre ; les blessés finissaient tout juste de panser leurs plaies, la terre qui recouvrait les tombes était fraîchement retournée. Mais la jeune femme brûlait déjà d'impatience à l'idée de repartir. La politique et ses joutes verbales, la diplomatie et ses négociations de cabinet, tout cela n'était pas fait pour elle. L'Étrangère était une personne réaliste, terre-à-terre. Il lui fallait inscrire ses actions dans le concret, dans l'existence tangible des choses et des hommes. Elle avait fait du conflit son fond de commerce, de l'affrontement son métier, de la stratégie son arme. Et contrairement aux Ombrageux, elle ne se battait pas pour une cause particulière en ces terres. Pour toutes ces raisons, Vivendale ne lui offrait pour l'instant pas ce qu'elle cherchait, et elle doutait qu'il en soit autrement dans les mois à venir. L'échec des Nordiens se solderait nécessairement par un processus de paix ; à moins que certains n'envisagent de continuer le combat l'arme au poing, elle n'avait donc plus rien à faire dans la cité.

Rebecca conçut une vague inquiétude de ce flot de pensées qui se présentait à son esprit, et décida de les tenir éloignées pour quelques temps au moins. Son regard quitta les chimères invisibles qui dansaient sur le bois poli et se reporta sur Caliel. À sa grande surprise, les yeux de l'Ombrageux brillaient de larmes. Elle fut frappée par la dureté des paroles qu'il s'adressait en premier lieu. De nouveau, elle ressentit un élan d'empathie envers ce jeune homme qui semblait si capable, mais que le poison des remords paralysait. Parmi les quelques membres de la Guilde avec qui elle avait discuté, peu s'exprimaient avec l'éloquence et la fougue qu'il manifestait. Mais quelque chose subsistait, un non-dit qui planait si ostensiblement sur la discussion que la brunette soupçonnait que ce qui se cachait derrière était évident aux yeux de son interlocuteur. On aurait presque dit qu'il avait failli à sa tâche, trahi ses compagnons. Des dizaines de questions se pressaient contre ses lèvres, mais elle resta silencieuse. Caliel parvenait, à l'issue d'une introspection réalisée de vive voix, à une conclusion pacifiée, tournée vers l'avenir. Il eut été indigne de le replonger dans les justifications de ses actes, au nom de son ignorance quant au fonctionnement de la Guilde. Elle résolut donc de se renseigner autrement.

« Merci. » L'Étrangère croisa le regard du brun et eut un franc sourire. Pour le peu qu'elle en connaissait, elle appréciait véritablement son compagnon de beuverie. Et bien qu'elle ne s'accordât aucun mérite qui eut justifié ce remerciement, elle se réjouissait de constater que Caliel semblait dans un meilleur état d'esprit qu'au début de la conversation. « Ce sont des jours incertains pour tout le monde, j'imagine. Je vous parle de l'avenir de Vivendale, mais je ne sais même pas si je serai encore là dans une semaine. » déclara-t-elle avant de finir son verre. « Je suis curieuse de savoir ce qu'il va advenir de cette ville, mais il faut que je gagne ma vie. Et à la fois... Vous, tous ces gens qui se battent pour leurs convictions... Je ne regrette pas le travail au service des seigneurs régionaux. » ajouta-t-elle avec un sourire. « J'aimerais bien risquer ma vie pour des valeurs, comme ça. Mais j'ai le sentiment que c'est une chose qu'on ne peut faire que sur sa propre terre, celle où l'on est né. » Une traînée de mélancolie assombrit son beau regard. « Et moi, ça fait trop longtemps que j'ai quitté la mienne. Je n'appartiens plus vraiment quelque part. » Rebecca sentait peser sur ses épaules une lucidité presque douloureuse. Elle avait quitté sa région d'origine sous la contrainte, mais à un âge où la soif d'aventure tenaille les jeunes esprits et les pousse sur la route. Le sentiment d'appartenance est questionné, sondé, mis à l'épreuve face à l'immense chantier d'une identité en construction. Mais la brunette approchait désormais la trentaine et était tiraillée entre l'envie de repartir et d'explorer d'autres contrées, et le besoin chaque jour grandissant d'insuffler du sens dans son quotidien.

Les mots de Caliel continuèrent à résonner dans son esprit plusieurs minutes après qu'il les eut prononcés, et elle prit seulement conscience de leur portée. « La route est longue, mais elle aboutit toujours quelque part, pas vrai ? » Et le sourd bourdonnement de l'inquiétude se tut. La route aboutit toujours quelque part. Et nul ne peut discerner ce quelque part depuis le commencement de la route, de sorte qu'il est inutile de s'y essayer. Un sourire apaisé éclaira de nouveau le visage de la jeune femme. « Votre sagesse est inspirante. Vous devez être un véritable atout pour vos compagnons. »  murmura-t-elle. Leurs deux verres étaient vides, tout comme la salle qui les entourait. Elle sortit quelques pièces de bronze de sa poche et les déposa sur le comptoir. « En tout cas, il nous reste du temps pour tirer tout cela au clair. » ajouta-t-elle en guise de conclusion. Tous deux se levèrent et s'enveloppèrent dans de larges manteaux sombres. Au-dehors, ils s'arrêtèrent sur le pas de la porte du pub, saisis par la fraîcheur nocturne. Surplombés par la voûte étoilée, ils échangèrent quelques dernières paroles avant de s'en aller chacun de son côté. La pénombre se referma sur les deux oiseaux solitaires, interrompue seulement par le halo jaunâtre de la lampe qui faisait office d'enseigne. Demain ne serait pas un jour de bataille.
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