(F) Adalind R. Perkins ft. Natalie Portman

A SAVOIR


Addie semble adorable avec son minois angélique et ses mirettes délicieuses. Elle se pavane à travers Vivendale habillée des plus jolies parures et d'agréables sourires. On se retourne sur son passage pour admirer sa colonne délicate, on glisse le regard sur ses formes envoûtantes. Addie est gracieuse, Addie est jolie. On aime ses regards malicieux, son rire éclatant et ses bras fins. Ils observent avec gourmandise sa peau blanche et ses mèches à la couleur du miel. Elles jalousent ses longues jambes et son tour de taille. Addie est dans la retenue, Addie est distinguée. Toujours posée et bien élevée, elle baisse les yeux quand un homme lui parle, dresse son dos quand elle marche et en passant sur les chemins, elle lève raisonnablement ses jupons pour éviter de salir leurs bords. Addie est douce, Addie est Noble. Elle vient d'une famille de privilégiés, les Perkins sont réputés pour leur prospérité. Et trois filles à marier, nombreux ont tenté leur chance. Addie a adoré cette parade de gentils hommes, capables de plier à ses moindres désirs, prêts à tout pour la séduire. Elle a été charmée par la séduction, enchantée par la cour, fascinée par la galanterie. Addie aime qu'on se plie à ses volontés et à ses charmes. Elle aime se faire désirer, elle aime se faire aimer. Mais la demoiselle, finalement, n'a offert son coeur à aucun de ces hommes. Bien qu'elle en ait épousé deux d'entre eux dans le passé, Adalind est restée indifférente à leurs sentiments et aux égards. Les filles Perkins, finalement, seraient incapables d'aimer.

Ce n'est pas à défaut d'avoir essayé. Seulement notre colombe, jamais, n'a pu aimer. On lui plait, on la séduit. Elle apprécie, elle affectionne, elle estime, elle goûte, elle raffole. Addie est gourmande, trop gourmande. Elle se régale qu'on lui cède, qu'on lui murmure des douceurs au creux de l'oreille, qu'on lui baise la main. Elle veut des offrandes, des regards accrochés au sien, des grands gestes en démonstration. La jeune fille se perd vite dans des perspectives déraisonnables, elle voit trop grand, trop loin. Addie est jalouse, trop jalouse. Alors elle triche, elle ment, comme une parfaite Noblionne à la haute estime de soi, comme une femme rusée à l'ego démesuré. Pourtant si elle semble confiante, elle est en réalité tout le contraire. Addie a peur du rejet et de l'abandon. Elle se sent bien différente des autres jeunes femmes de sa classe, assurées et chics. Alors elle fait dans l'excès, plus assurée, plus chic que toutes les autres. La minette est capricieuse, difficile à raisonner, impossible à satisfaire. Adalind n'en a jamais assez, Adalind veut toujours plus, toujours mieux.

Sa figure tranquille du public et des offices, à l'abri des regards, se mue en infernal caractère. Peu connaissent cette face cachée de sa personnalité, les plus informés sont certainement les malheureux esclaves qui ont le malheur d'être à son service. Les parents se plient en quatre à chacune de ses demandes, ses soeurs l'évitent comme elles peuvent et ses maris ont subis plus de tourments qu'il n'est tolérable dans une vie. Mais n'ayez crainte, vous ne risquez pas d'apercevoir cette facette. Adalind n'est finalement qu'une douce créature, innocente et fragile.


Si Adalind apparaît au yeux du monde comme une fleur délicate, son esprit est aussi tordu que le prédisait les gênes de la famille. Par delà son attitude exquise et ses manières de grande dame, sa conscience est finalement, bien plus complexe. Personne ne saurait la déchiffrer. Si quelqu'un la connaissait vraiment, il se rendrait compte qu'Adalind Perkins est bien plus qu'une demoiselle sophistiquée, capricieuse ou bizarre. Si quelqu'un la comprenait, il saurait que les mécanismes d'un esprit comme celui-ci, sont bien trop effrayants pour être saisis.

On pourrait la qualifier d'insensée, de déséquilibrée ou de paranoïaque. Addie est troublée, son esprit frise la folie. Elle est obsédée par un homme qu'elle ne peut posséder, frustrée quand ses désirs inassouvis sont ignorés, evnieuse de tout et de tous. Caitlin est plus mince, Juliet est plus grande. Caitlin monte mieux à cheval, Juliet est meilleure en littérature. Elle envie leurs qualités, elle est aveuglée par cette jalousie grandissante et absurde. Alors elle met un point d'honneur à  tout obtenir, à tout posséder. Elle se corrige, change ses habitudes, pour atteindre les sommets de la perfection. Elle mange moins, conseillée par un diététicien, s'étire tous les jours avec un professeur physicien. Et elle se trouve plus fine, elle gagne deux centimètres. Elle prend des cours d'équitation, passe des heures le nez plongé dans les livres. Et elle se sent soulagée, chaque problème a une solution, chaque obstacle qui se dresse sur sa route n'y reste pas longtemps. Ce qu'elle ne peut avoir, elle l'obtient tout de même, par n'importe quel moyen. On redoute sa colère, on évite qu'elle manque de quoi que ce soit. Au moindre rictus contrarié, à la moindre lueur de mécontentement, on se presse à rectifier, à retoucher, à améliorer. La fureur de Miss Addie n'est définitivement pas une option.

L'impatience obscurcit ses sens, la nervosité coulent dans ses veines. Il serait normal de se demander d'où elle tient ces qualités, car la question est autant frustrante qu'elle n'a pas de réponse. Les filles sont trop complexes et curieuses, et pourtant les parents sont Nobles et ternes jusqu'au plus profond des tripes. Les Perkins malgré eux, étaient destinés à tant de malchance. C'était inévitable, un coup du destin, une fatalité. Mauvaise génétique. La nature perdrait la tête.



“ I wanted a perfect ending. Now I've learned, the hard way, that some poems don't rhyme, and some stories don't have a clear beginning, middle, and end. Life is about not knowing, having to change, taking the moment and making the best of it, without knowing what's going to happen next. Delicious Ambiguity.” ― Gilda Radner

On imaginait souvent qu'une beauté telle que celle d'Adalind cachait une personnalité trésor. Une douceur infinie, une gentillesse débordante et une générosité impressionnante. Un visage d'ange pour un coeur d'or. On imaginait aussi les bourgeoises de l'Enclave, passionnées par des petits riens, dévouées à leurs familles et à leur rôle dans le système. On imaginait qu'elles avaient reçu une bonne éducation pour qu'on les trouve fragiles et cultivées, pour qu'elles tiennent leur place de fille de parents respectés puis de femme d'un bon parti. Addie avait été élevée dans cet esprit de conformisme et ce respect des traditions. Elle s'appliquait à être la parfaite Noblionne, belle, délicate et inutile, que les espoirs placés en elle l'avaient obligée à devenir. La mignonne avait toujours suivi la discipline, et rien dans sa vie ne l'avait écartée de la bonne conduite.

Son histoire ainsi, est très ordinaire, banale, ou presque.

Elle eut une jeunesse paisible, ponctuée uniquement du suspens et de l'insolence des aventures de Juliet et des insoumissions de Caitlin. Elle fut promise à Sir Léon Strallan avant ses quinze ans et l'épousa à l'anniversaire de sa dix-septième année. C'était un homme riche aux bonnes intentions. Dans son quotidien il n'était pas très enjoué, passait son temps à lire ou à faire ses comptes plutôt que de bavarder avec sa jeune épouse. Il aimait les promenades silencieuses et les grandes réunions, ne discutait que d'économie ou des affaires du monde. Mais il l'emmenait au bal et lui offrait des parures qui faisaient rougir de jalousie toutes ses amies. Adalind se pavanait avec ses beaux habits, se vantait de son gentil bonhomme et décrivait la prestance de sa grande maison aux colonnes blanches et aux marches de marbre. On retrouva le bougre de mari pendu à un plafonnier, à peine trois ans après la cérémonie.

Le deuxième mari dura plus longtemps. Un certain Monsieur Thellier — son prénom n'est ici pas pertinent puisqu'il se faisait appeler de tous, y compris de son épouse, Sir ou Monsieur — qui fut plus riche que le premier, plus jeune et plus intéressant. Adalind se laissa courtiser pendant une année entière avant d'accepter sa demande et on parla de l'arrangement des mois avant le mariage. La fête fut grandiose, spectaculaire même, et extrêmement dispendieuse ! Les invités furent séduits, les parents, ravis et les rumeurs sur l'heureux couple occupa l'Enclave pendant des semaines. On les disait beaux et agréables pour la conversation, un duo absolument charmant, une parfaite adéquation. Mais avec le temps, le Monsieur Thellier perdit de son enthousiasme et on aurait cru le voir malheureux certaines fois, quand la belle Addie prenait son bras. Lui aussi mourut tragiquement. Un accident à la rivière disait-on. Et sa veuve aurait même été présente. Elle racontait qu'il s'était penché trop bas et que sa chaussure avait glissé. Emporté par le courant, on ne trouva le corps que le lendemain, coincé dans les rochers.

La solitude ne sembla pas attrister notre amie qui continua de vivre chez son défunt mari, à dépenser son argent et à profiter de sa bonne réputation. Elle reprit cependant son nom de jeune fille lorsque la période de deuil fut  passée. Pour plus d'opportunités. Il était moins facile de se faire courtiser en s'attachant au passé, personne ne voulait d'une veuve éplorée. Elle était courageuse, la jolie Perkins. Elle gardait son beau sourire, son allure distinguée et sa contenance. On la disait fort brave, pour surmonter tous ces malheurs sans flancher, pour supporter toutes ces morts sans perdre espoir. La pauvre petite n'avait pas eu de chance, voilà tout. On l'estima d'autant plus. Ceux qui l'adoraient l'admirèrent davantage, ceux qui étaient prudents dans leur jugement se pressèrent la consoler, et ceux qui avaient souffert par ses tourments l'encouragèrent à se relever. La mort donnait du prestige. Pour notre mignonne, elle n'était qu'un début. Elle était la fin d'un chapitre et le préambule d'un autre. Elle était un recommencement, éternel et absolu, qui la fascinait et l'enivrait. La mort changeait Adalind, la multipliait et la complexait. Elle était un repos, un nouvel espoir, un nouvel amour, un nouveau tournant. La mort lui apportait le changement, le changement nécessaire pour sa renaissance. Rencontrer l'amour, le voir mourir, se voir renaître, recommencer.