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Truth, as terrible as death

Alessandra de Marbrand
Alessandra de Marbrand

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24/10/2012

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Mar 8 Mai - 0:37



FAMILLE CRAIN
— Truth, as terrible as death... —

Les premières gouttes ricochèrent contre le verre avant de se noyer dans le flot de ses pairs pour se finir dans un petit clapotis réconfortant alors qu'il redressait la bouteille, son verre à présent plein. Le vieil homme poussa un soupir, déjà las de cette journée qui ne faisait que commencer. Il aurait aimé que, déjà, elle se termine, qu'il n'ait pas tout ce temps à... rien. L'inertie était bien une chose qui l'avait toujours horripilé, et voilà que depuis quelques jours il n'était bon qu'à ça. Après une méchante blessure au travail, l'artisan ne pouvait plus travailler, contraint d'attendre qu'il guérisse à déprimer entre les quatre murs de sa maison vide. Jeyne n'était quasiment jamais là, écartelée entre ses deux, non trois, activités. Elle passait la matinée au lavoir, l'après-midi au champ, le soir à cet atelier. Le vieil homme fronça le nez, il avait beau détester la savoir travailler autant, il se rassurait à penser qu'au moins elle était loin de cette maison et de lui, qu'elle était en sécurité.

Le grincement de la porte le tira de ses pensées, il s'empressa alors de pousser son verre à un autre coin de la table, pensant voir Jeyne revenir en catimini après avoir oublié quelque chose. Mais ce n'était pas Jeyne. L'homme déglutit. « Oh... c'est vous » commença-t-il, las. Il reprit son verre et en fit disparaître tout son contenu, lui arrachant une grimace. « Je vous sers un verre ? » Sans attendre de réponse, l'artisan attrapa un verre vide et le remplit, ainsi que le sien. L'homme en noir s'avança en silence, le talon de ses bottes claquant le sol à chaque pas comme des mots qu'on accentue dans une phrase. Cette phrase, il n'y avait pas besoin de mot pour la dire. C'était comme une vieille chanson, tout le monde la connaissait.  « Qu'est-ce que vous voulez ? » demanda quand même le vieil homme. « Monsieur Crain » commença-t-il d'un air faussement amical, « Il me semble que vous avez oublié de nous remettre votre paquet » Oren déglutit. « J'pouvais pas M'sieur » avoua-t-il en baissant le regard. « J'peux plus travailler à l'atelier depuis plusieurs jours à cause d'ma main, j'me suis pris une pierre dessus au travail, du coup j'peux pas vous faire vos pièces pour l'instant » A peine avait-il fini son explication, craignant le courroux de l'autre homme, l'artisan s'empressa d'ajouter : « Mais dès que je reprends je vous les fais, c'est promis ! » - « Mais plus tard ce sera trop tard Monsieur Crain ! » L'homme avait plaqué ses deux paumes contre la table en haussant la voix ce qui fit sursauter le vieux qui en lâcha son verre. « Si nous fixons des dates pour les livraisons ce n'est pas pour rien, c'est qu'on en a besoin à cette date, pas à une autre. » L'homme s'avança vers le vieil homme qui, voyant sa fin arrivé, ferma les yeux. Il fut un temps où il aurait eu le courage d'affronter la Mort droit dans les yeux, mais ce temps était révolu. L'homme avança son bras et attrapa la bouteille, observant son étiquette d'un air perplexe. « Pas mauvais pour un vin d'ici » lâcha-t-il comme n'importe quel banalité. « Votre hospitalité m'a touché mon cher Oren, et pour cela je vous accorde trois jours pour nous livrer notre paquet. » Le vieux hocha frénétiquement la tête à plusieurs reprises. « Merci M'sieur, merci beauc... » L'homme le stoppa d'un geste de la main.  « Ne me remerciez pas, Theenar est un Dieu miséricordieux... à qui sait ne pas abuser de sa générosité. Donc si jamais, par je ne sais quelle excuse, vous osez vous débinez encore une fois, ce n'est pas vous que l'on tuera, mais votre fille. Est-ce bien clair ? » - « M'sieur ma Jeyne n'a rien à voir avec ça ! Vous aviez promis de la laisser tranquille ! » - « Est-ce bien clair ? » répéta-t-il en haussant la voix. Le père abandonna ses supplications et hocha la tête. « Très clair m'sieur » L'homme esquissa un sourire satisfait et se dirigea vers la porte « Trois jours Crain. Vous devriez vous mettre au travail. »

*********

Le vieil homme observait le fond de son verre l'air grave. Il songea à ce qu'il était devenu, à ce qui l'avait amené à ce moment. Il se leva, las, et avança de quelques pas, son regard de baladant parmi les meubles et babioles de la maison. Il s'arrêta face à une fenêtre au verre terne, tellement sale qu'on voyait à peine l'extérieur. C'est alors qu'il entrevît son reflet. Ses doigts se serrèrent autour de son verre tandis que l'homme observait ce qu'il était devenu, il était à peine méconnaissable. Il repensa à celui qu'il avait été jadis, à celui qui, presque naïf, avait toujours cru que son impuissance serait une protection. Il avait vu la résistance prendre forme et se dissoudre sous ses yeux de simple spectateur, se rassurant en disant que ce n'était pas quelque chose de mal. D'être insignifiant. Il vivait invisible. Et sauf. Car ce sont ceux qu'on remarque que les dieux détruisent. Soyez petit... et vous échapperez à la jalousie des grands 1.

Le verre se brisa entre ses doigts. Son regard se baissa vers les morceaux éparses sur le sol, il avança le bout d'un pied et écrasa l'un des morceaux, comme ils le faisaient avec son esprit, briser, rebriser, encore et encore, jusqu'à ne laisser que des petits éclats, inoffensifs, insignifiants. N'était-ce pas ce qu'il était dès le début ? Inoffensif et insignifiant. Il avait toujours cru que cela lui apporterait la sécurité. Il avait vu la résistance, la belle et jeune résistance se jeter corps et âme dans cette utopique idéal d'une liberté qui ne serait jamais leur, il avait vu les dieux leur cracher au visage, les rouer de coups, les tirer hors de chez eux malgré leurs supplications, les exécuter froidement, les pendre devant leurs enfants. Il avait cru que ça n'en valait pas la peine, de mourir pour une cause dont on ne verrait jamais l'aboutissement. Mais maintenant, il sentait un amère regret lui collait au fond de la gorge comme un mauvais alcool. Peut être aurait-il dû après tout, résister, se rebeller, devenir grand et mourir dans la gloire d'une jeunesse encore optimiste. Aujourd'hui le vieil invisible allait aussi mourir, mais pour rien, pas de belle cause ni de rêves d'un monde meilleur. Il allait mourir pour n'avoir rien fait, absolument rien. Finalement c'était sûrement ça, le grand drame de leur vie, à eux ceux du petit peuple, quoi qu'ils fassent, la mort les attendait au tournant.

Il devait lui dire. Non. Comment pouvait-il lui dire ? Jeyne, nos deux vies ne tiennent qu'à la bonne volonté d'hérétiques. Non, il ne pouvait pas lui expliquer, lui même ne savait pas vraiment comment il en était arrivé là. Il songea à la faire partir, loin, très loin d'ici, soudoyer un marchand et la mettre dans une charrette jusque dans le sud. Elle refuserait de partir. L'assommer ? Elle le haïrait. Mais ne valait-il pas mieux qu'elle le haisse dans toute la splendeur de la vie que d'être morte ? Le vieil homme poussa un cri, renversant tout ce qui se trouvait sur la table de la cuisine d'un bras. La respiration haletante, les joues baignées de larmes, Oren réalisa alors qu'il était face à une impasse. Jamais il ne pourrait honorer son marché avec les dissidents, jamais le paquet n'arriverait dans les mains de l'homme en noir, jamais il n...« Je suis rentrée ». Le vieil homme recula d'un pas, observant les bouteilles et assiettes éclatées par terre. Mais qu'est-ce que je fais ? - « Mais qu'est-ce que t'as fais ?! » s'écria-t-elle en découvrant la scène. Alors qu'il croisait son regard, il se détourna, préférant observer son reflet meurtri dans la fenêtre. Avouer ou se taire. Il devait lui dire, elle méritait la vérité. Il ouvrit la bouche, hésitant. « Je... » Il l'observa ramasser les bouts de verre par terre et son coeur se serra, encore une fois, elle allait devoir s'occuper des conséquences de ses erreurs à lui. Comment pouvait-il lui faire ça ?  « J'avais plus d'vin, ça m'a énervé » grommela-t-il en quittant la pièce. Intérieurement le vieux se fit une promesse, tenter le tout pour le tout et rassembler le paquet voulu par les hérétiques.

*********

L'aube pointait le bout de son nez quand la jeune femme quitta la maison en courant. Son père ne s'en aperçu pas, endormi une joue collée sur la table. Trois jours étaient passé depuis sa dernière visite. L'homme en noir détaillait la scène au loin, il suivi du regard la silhouette filante de la rousse, en retard pour le travail visiblement. Détournant le regard, il baissa les yeux vers ses mains, jouant avec le couteau entre ses doigts. En un seul coup ce serait fini.

Le vieil homme se réveilla en sursaut, alerté par un bruit. « Jeyne ? » appela-t-il. Il cligna des yeux, s'enfonçant dans sa chaise avant de réaliser qu'il s'était endormi sur son ouvrage hier soir. Hier...hier soir. Il se leva d'un bond de sa chaise. Trois jours, hier cela faisait trois jours. « Jeyne ! » cria-t-il dans la maison tandis qu'il se précipitait vers la porte d'entrée, espérant encore pouvoir la rattraper. Lorsqu'il ouvrit la porte, il se retrouva face à un poignard. Planté dans la porte, tenant un parchemin. L'homme tira d'un coup sec sur le papier et lu les quelques mots qui s'y trouvaient.

Votre chance est passée
Votre fille paiera pour vous

Le vieil homme savait à peine lire, mais il savait ce qui était écrit ici, il savait ce que ça signifiait tout du moins. Le papier se froissa dans son poing serré avec rage et, désemparé, il lança un regard vers les rues devant lui, où était Jeyne ? Et où était son assassin ?

*********

Hissée sur la pointe des pieds, la jeune femme tentait de passer le drap sur le fil, le dernier encore libre, et le plus haut, lui extorquant à chaque fois de multiples tentatives infructueuses avant qu'elle ne parvienne à l'atteindre. Une main attrapa le bout du drap et le passa par dessus le fil. « Merci » Elle esquissa un sourire, se retournant pour faire face à celui qui venait de l'aider mais il était déjà parti « Mademoiselle Crain » résonna la voix dans son dos, lui arrachant presque un sursaut. La jeune femme se retourna vers lui et leurs prunelles s'accrochèrent tandis qu'il esquissait un sourire. « Ouf sublime » Il fit un pas en avant, puis l'autre, les mains croisés dans le dos. « Mademoiselle Crain, aujourd'hui nous allons faire affaire »


1. Philip Dick, The Man In The High Castle
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