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L'Innommable

Alessandra de Marbrand
Alessandra de Marbrand

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Mar 19 Avr - 1:36


l'innommable

caliel, ada & autres



Ruins of a Memorial - Adam Taylor

Ce qu'ils allaient faire, ça n'avait pas vraiment de sens, du moins pas quand on pensait alors à ce qui viendrait après, les conséquences. Mais ça en vaudra la peine, se rassurait-elle, oui ça en vaudra bien la peine. Elle se l'était répété, maintes et maintes fois, si bien qu'elle arrivait presque à se convaincre que c'était vrai, sans néanmoins réellement le faire. Elle était là, allongée dans son lit, à attendre sans savoir vraiment quoi, que le sommeil ne vienne, ou bien que ce soit le lendemain qui ne vienne, celui qui arriverait en premier sûrement. Elle se tournait, se retournait, encore et encore. Elle tirait sur le drap pour plus se couvrir, puis elle le rejetait à ses pieds avant de le récupérer à nouveau. Elle se leva aussi à plusieurs reprises, une première fois pour seulement se recoucher aussitôt, comme si elle ne savait pas pourquoi elle s'était levée, puis une heure après elle se leva une seconde fois et elle se mit à marcher dans la chambre dans un état d'agitation qui ne lui ressemblait pas, elle allait et venait, s'arrêtant quelques fois pour réarranger des choses sans importance. Ainsi, elle réajusta un tableau, rangea quelques bijoux dans une boîte, avant de finalement les remettre là où ils étaient, elle ouvrit des livres qui traînaient, n'en lisait qu'une ou deux phrases avant de les abandonner à nouveau. Elle se mit à pleurer, mais sans vraiment savoir pourquoi, et ne trouva d'autre consolation que d'aller à nouveau se blottir dans les draps et couvertures, tirant sur ces derniers jusqu'à qu'ils ne la couvrent presque entièrement, ne laissant qu'une moitié de son visage à découvert. Et après ça elle ne fit plus rien, elle resta ainsi, recroquevillée dans ses couvertures, et sur elle-même. Elle aurait voulu se faire plus petite encore, et encore plus, elle aurait voulu disparaître.

Des bruits de pas se firent entendre, puis ceux d'une poignée que l'on tourne, des gonds d'une porte que l'on ouvre et qu'on referme, d'un manteau que l'on retire, d'une couverture que l'on soulève pour se glisser sous celle-ci. Elle le sentit s'allonger dans son dos. Elle emmena un bras derrière elle et attrapa sa main à lui avant de ramener sa prise contre elle, s'enveloppant de son bras. Il ne dit rien. De tels gestes n'étaient pourtant pas habituels entre eux. S'ils partageaient un lit, ce n'était que par convenance. Chacun se couchaient de son côté, le dos tourné, et si certains matins ils s'étaient réveillés l'un contre l'autre, ils se détachaient rapidement avec un malaise mal dissimulé et des excuses qui n'avaient pas lieu d'être. Normalement, elle le remerciait intérieurement de la distance qu'il instaurait avec elle. Les premiers soirs, elle avait eu du mal, de sentir la présence de ce corps pas loin d'elle, de pouvoir entendre de sa respiration derrière elle, de simplement savoir qu'il était là, là où normalement devait reposer un autre, ça lui avait été insupportable. Mais là, elle en avait besoin, le contact de ce bras autour d'elle arrivait à la rassurer. « Ça va ? » Ne sachant vraiment si elle dormait ou non, il avait demandé ça d'une voix basse et hésitante. Elle marmonna quelque chose qui ressemblait plus ou moins à un oui. « Mais j'ai un peu peur » avoua-t-elle dans un chuchotement après plusieurs minutes de silence. « Ça va aller. Je te le promets. »

Lorsqu'elle se réveilla, il n'était plus là. Elle se leva et s'habilla en hâte, empreinte d'une agitation mal dissimulable. Elle aurait voulu avoir dormi plus longtemps, jusqu'au soir même, pour ne pas avoir à vivre ce sentiment impossible que lui provoquait le fait d'attendre. Ce n'était pas vraiment l'attente qui l'énervait tant, mais l'incertitude. Ils n'avaient aucune garantie que ça allait marcher. Et si jamais personne ne venait ? Et si ils les arrêtaient ? Et si ils détruisaient tout ? Et si, et si, et si tout se passait bien, ça elle avait du mal à s'en convaincre. Elle allait et venait avec anxiété entre connaissances et inconnus, s'assurant qu'ils viendraient ce soir, et qu'ils passeraient eux aussi la nouvelle à d'autres. A contre cœur, elle termina par passer voir ses parents. Sans surprise sa mère vint la saluer et s'excusa que son père ne pouvait pas venir, inventant une énième excuse que toutes deux savaient fausse. Elle n'avait pratiquement plus aucune interaction avec son père, plus depuis le dîner catastrophique qui s'était tenu ici. Elles s'assirent à table et discutèrent de choses sans importance jusqu'à qu'elle ne trouve le courage de lui parler des événements qui allaient se passer. Au même moment ses sœurs descendirent les escaliers et Dahlia vint lui déposer une bise sonore sur la joue avant de s'asseoir à son tour. Contrairement à son père, sa relation avec ses sœurs s'était grandement amélioré depuis ce fameux dîner. Elle les invita à venir sans s'étendre longuement en explications, se contentant de dire que c'était important, et elle s'en alla rapidement. Elle passa aussi voir son frère. Ce dernier ne lui promit pas seulement de venir, mais aussi de l'accompagner jusque là-bas. Comme il était bientôt l'heure il hâta son fils et son épouse de se préparer et ils partirent tous ensemble alors que la nuit commençait à tirer son voile sombre sur l'ensemble de la ville.

Lorsqu'ils arrivèrent, ils n'étaient qu'une vingtaine présents, ce qui avait déjà pu la rassurer, et ce nombre ne faisait qu'augmenter, augmenter, et augmenter encore. Elle scrutait les visages, reconnaissants quelques uns, notamment celui de Caitlin Larisson aux côtés de son mari, celui de Clarence Wellington, celui de Giuseppe de Scolas, celui de Romane Kinney, celui d'Isabelle Hart, celui d'Alessandra de Marbrand et de son frère Arthur. Bientôt, l'espace où ils étaient lui sembla mal choisi. Ils s'étaient réunis derrière la cathédrale. Là où personne n'aurait pu leur reprocher quoi que ce soit, mais l'espace était mal limité, et trop étroit face à la masse qui s'était formée. Elle vit des soldats s'approcher, se tordant le cou pour tenter de voir ce qui avait attiré autant de monde ici. Elle serra fermement la main de son frère, elle s'attendait à qu'ils ne les dispersent et ne les arrêtent avant même qu'ils n'aient commencé, mais ils n'en firent rien. Elle accueillait les nouveaux arrivants, qu'elle les connaisse ou non, avec une étrange excitation. Jamais elle n'aurait cru qu'ils seraient autant. Elle serra la main de William Thawerson, et ne réalisa qu'alors qu'elle avait rejointe par Caliel. « Je n'aurais pas cru revoir un jour autant d'entre nous réunis. » Les deux hommes eurent le même sourire empli d'allégresse, comme si ces mots avaient suffit à les ramener en arrière, dans un passé où le commun avait tout son sens « Ca fait du bien ». Elle s'imaginait quelle place aurait pu avoir Edrick, dans cet ensemble disparate de personnes qui semblaient tellement éloignées les unes des autres, on aurait dit une sorte d'énorme famille, un peu dysfonctionnelle certes, mais une famille. Ils se saluaient avec une certaine hésitation, tous au fait que cela pouvait être vu comme une rupture des conditions du traité qu'ils avaient signé, traité qui stipulait la dissolution de leur groupe. Mais au delà des hésitations, elle pouvait voir une réelle joie des retrouvailles, certains n'hésitant plus à s'enlacer et se donner des tapes dans le dos. « Je n'aurais jamais cru qu'ils seraient autant » Elle s'extirpa de ces observations et tourna la tête vers son interlocuteur. Caliel se tenait à côté d'elle, un peu en retrait. Il semblait dans son élément. « Moi non plus » avoua-t-elle

L'innommable nous a été fait, avait dit le prêtre, nos pères, nos mères, nos fils et nos filles, nos frères et nos sœurs, des pertes inutiles qu'on avait finalement accepté avec pour seule consolation que nous les retrouverions un jour, quand notre tour à nous viendrait. Mais non, ça aussi on nous l'avait volé. Elle connaissait déjà toute l'histoire, et pourtant elle se sentit toute retournée par ce discours, comme lorsqu'elle l'avait apprit pour la première fois. Ce soir là, lorsqu'il était rentré, Caliel avait été empreint d'une agitation fiévreuse, il allait et venait d'un pas rapide, serrant les poings en répétant qu'ils n'avaient pas le droit de faire ça. Il l'avait d'abord évité, et puis il avait déversé tout ce qu'il avait entendu. Que leurs morts de la guerre n'avait pas été enterré comme on leur avait dit, mais qu'ils avaient été brûlé, ce qui allait au contraire de ce en quoi ils croyaient. Elle avait pleuré, et pleuré encore, et son désarroi s'était transformé peu à peu en colère. Ils paieront, avait-elle voulu l'entendre promettre, ils avaient tués son mari, son fils, et maintenant ils les avaient profanés. Ils paieront. Il fallait qu'ils paient. S'ils demeuraient impunis, si leurs actes n'avaient aucunes conséquences, s'ils pouvaient continuer de vivre eux, alors qu'elle ne le pourrait plus jamais sachant ça, alors autant tout détruire.

Elle ne parvint plus à assimiler ce que disait le prête. Elle entendait les mots qui sortaient de sa bouche, elle les comprenait, mais ils se perdaient quelque part dans sa tête qui lui semblait se décrocher par petits bouts. Elle vacillait entre le présent et le passé, un instant elle était là, à assister à la messe, celui d'après elle était auprès de son fils et de son mari. Elle se laissait glisser entre ces moments avec allégresse, avant de se rappeler pourquoi elle était là. Elle revint à elle quand elle sentit le contact d'une main qui attrapait ses doigts. Elle se retourna vers Caliel, mais il semblait concentré sur un détail devant eux. Elle suivit son regard et remarqua une jeune femme blonde en retrait de l'assemblée, elle reposait contre un mur, les bras croisés contre la poitrine, et soutenait le regard du jeune homme avec un air grave, un de ceux qui semblait vouloir dire que tu vas avoir des problèmes. Elle frissonna, et il posa sa main libre sur son épaule. Finalement, le prêtre acheva son discours et invita chacun à participer à l'autel.

On déposa des objets de toutes sortes, des peintures pour beaucoup, des vêtements aussi, et même une paire de bottes, des bijoux, notamment des alliances, certains amenèrent de la nourriture aussi, et d'autres encore sortirent des couteaux pour graver des noms dans la pierre de la cathédrale. Bientôt, même ceux qui avaient déposés des choses revinrent pour marquer eux aussi un nom, ou plusieurs. Elle vit Caliel s'avancer, il prit un long moment, gravant plusieurs noms, elle pu lire par exemple le nom de Georgio d'Altone alors qu'il s'était décalé pour écrire un autre nom. Au final, il revint vers elle et lui tendit son couteau sans rien dire mais il n'avait besoin de rien dire car elle comprit aussitôt ce que ça voulait dire : à toi. Elle attrapa la lame et s'avança vers la pierre. Déjà une centaine de noms avaient été inscrits en l'espace de si peu de temps, et encore ce n'était rien, ils savaient tous qu'ils devraient en avoir encore plus. Elle trouva un espace libre et commença à graver. Asher De Reyne. Edrick De Reyne. Elle n'avait pas besoin d'écrire leur nom pour se souvenir d'eux mais eux, ceux qui leur avaient fait ça, devaient les connaître. Ils paieront, se promit-elle. Finalement, elle sorti l'alliance de son premier mariage, celle qu'elle portait à son cou, et accrocha la chaine sur le mur, parmi tant d'autres. Elle revint auprès des autres, redonnant son couteau à Caliel. Ce dernier le rangea dans sa poche et son regard s'assombrit alors, il sembla vouloir faire quelque chose, il s'avança d'un pas, et recula, et finalement replongea la main dans sa poche mais n'en ressortit pas la lame. C'était un bout de papier, qu'il déplia et lissa rapidement d'une main avant de l'accrocher au mur.

Alors qu'il revenait vers elle, elle put lire ce qui était écrit. 19 août de l'an 1281. Condamnation de Jim et Lyanna Hopkins. Il ne parlait que très peu de ces parents. Elle savait déjà ce qu'il s'était passé. Et c'était il y-a longtemps. Lorsqu'il revint à ses côtés elle lui prit la main et se tourna vers lui. Elle s'aperçut qu'il lançait un regard mauvais mais ne sut dire envers qui il était destiné, des personnes présentes dans ce coin là elle ne reconnut que Roy Larisson mais ce dernier regardait vers ses pieds. Du reste de la messe elle n'en retint pas grand chose, à part qu'ils avaient allumés des bougies pour agrémenter l'autel. Quand ce fut terminé, personne ne fit rien. Ils restèrent alors plantés là, en silence, à regarder vers  leur œuvre. Plus personne n'osait dire quoi que ce soit, et personne n'osait partir. Là ce soir ils n'avaient été plus qu'un homme, et personne ne voulait être le premier à briser cette unité. « Tu avais raison » murmura-t-elle doucement, « Ça va aller »



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