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Injustice or justice ? #2 | Aiden

Alessandra de Marbrand
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Mer 10 Fév - 22:05





LOSING A BATTLE...STILL FIGHTING FOR THE WAR
— what did you instinct tell you ? - that it's time to go to war  —


Nos frères et nos sœurs sont là-bas, prisonniers. Comment pourrions-nous rester assis là et ne rien faire ? Nous devons agir, malgré le risque et malgré la riposte qui adviendra. L'heure est maintenant à la révolte, nous ne pouvons plus nous contenter d'attendre passivement tandis que des nôtres s'apprêtent à être condamnés ! Il est temps de suivre notre instinct. Et mon instinct me dit que nous partons en guerre. - membre de la guilde des ombres

C'est une page sombre de l'histoire qui s'écrit pour les membres de la Guilde des Ombres car, après une participation active dans la Guerre d'Un-Jour, un certain nombre d'entre eux ne sont jamais rentrés... Les rescapés imaginaient déjà leurs camarades morts au combat, dignement. Mais la vérité est tout autre... si certains de leurs disparus ont bien périt dans la bataille, les autres sont en vie, seulement ils ont été capturés par l'armée de la nouvelle reine, Katharina. Cette dernière annonce alors que sa première action en tant que détentrice du trône sera de juger ses détracteurs et de les punir en conséquences.
Le choix était simple : prêter allégeance à l'Eliare et en sa représentante ou bien être jugé et condamné pour ses actes. Si la plupart des prisonniers, appartenant à l'ancienne noblesse ainsi que quelques villageois, ont rapidement plié face à cette menace, d'irréductibles hommes et femmes refusent de lui prêter allégeance.

Aujourd'hui s'ouvrent les premiers procès : politiciens, villageois, nobles, ombrageux, la liste des accusés est longue. Refus d'allégeance, conspiration, trahison... ces hommes et ses femmes ne faisaient que défendre leur terre, il se pourrait qu'ils perdent aujourd'hui leur tête pour cet acte de bravoure et leur intégrité mémorable. Puissent-ils être un exemple pour les survivants, les martyrs d'une rébellion qui se prépare dans l'ombre.

PROCES #2 | PROCES D'AIDEN

Aiden L. Ruthendell
Vingt-sept ans / inventeur
Arrêtée après la bataille
Pour collaboration
jugée par la reine Katharina
témoin : Juliet
Aiden L. Ruthendell aussi connu comme l'Inventeur de Vivendale a été arrêté après la Guerre d'Un Jour pour étroite collaboration avec les Trois et création d'outils de guerre ayant été utilisé contre l'armée témérienne au cours de la bataille, causant alors la mort d'un grand nombre de soldats du peuple témérien. C'est la reine Katharina en personne qui présidera ce procès, décidant alors du sort d'Aiden.

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Dezbaa
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Lun 15 Fév - 0:32

Aiden Ruthendell
— Wanna play ? —

Laisser exploser les artifices. Il se dirigea vers une chaise installée près de la baignoire et prit les vêtements qui y avaient été laissés pour son usage. Une chemise et un pantalon en toile, de mauvaise qualité. Ils feraient néanmoins l'affaire. Il les enfila puis glissa ses pieds dans les chaussures qu'on lui avait prêtées. Comme il se redressait, il croisa une dernière fois son regard dans la glace. La détermination imbibait ses prunelles. Cependant, il y avait aussi cette lueur d'appréhension qui tintinnabulait dans le coin de ses yeux. Des cernes sombres la soulignaient. Il allait jouer son destin. Il avait peu dormi durant son séjour aux cachots. Il avait faibli. Il n'était pas au meilleur de sa forme pour livrer la prestation la plus importante de sa vie. Il se trouvait à un carrefour encombré où chacun cherchait à assurer sa place, quitte à écraser les autres circulants. Il pouvait réussir à atteindre l'autre côté de la rue, ou même à prendre un virage à quatre-vingt-dix degrés, tout comme il pouvait, au moindre mouvement imprudent, être percuté par un char bien plus lourd, ou même un char plus fébrile. Tout était possible. Il allait devoir tirer les ficelles avec minutie et précision, mais surtout prendre gare aux ciseaux qui tenteraient de trancher les fils. Il craignait plus l'action des autres que la sienne. Il s'inquiétait des témoins. Ils seraient la seule et unique chose sur laquelle il n'exercerait aucune emprise, parce qu'ils avaient déjà leur avis, leur opinion de lui. Le paraître serait dérisoire, inutile.

Aiden serra le poing. Pourquoi avoir peur de ce qu'il ne pouvait contrôler ? Son angoisse n'y changerait rien. Elle ne lui ferait que perdre ses propres moyens. Et quand bien même on le blâmerait de tous les défauts du monde ! Il avait d'autres atouts dans sa manche. Il pourrait essayer d'essuyer l'affront. Rien ne se révélait impossible pour celui qui s'en donnait la peine. Il posa fermement sa main sur la poignée et ouvrit la porte. Le garde attendait toujours à l'extérieur. Il fit un signe à l'un de ses acolytes, puis intima à l'inventeur d'avancer. Il obtempéra. A mesure qu'ils avançaient, les bruits du bâtiment s'estompaient. Le jeune homme s'arrêta face aux lourdes portes d'entrée ouvragées. Deux autres soldats les poussèrent. Elles s'ouvrirent sur un soleil éclatant qui l'éblouit. Il tourna légèrement la tête et plissa les yeux en y portant une main en visière. Ses pupilles se rétractèrent, et les contours de la scène se dessinèrent. La foule s'était agglutinée pour assister aux procès. Curiosité, admiration, peur, haine, toutes les raisons restaient bonnes pour observer la nouvelle reine démontrer sa toute-puissance. Pour la première fois, il la vit. Elle se tenait droite et fière sur un siège apporté spécialement pour l'occasion. On lui avait vanté sa beauté par-delà les murs de Vivendale. Pour une fois, les rumeurs n'avaient pas menti. Une longue et épaisse chevelure d'argent encadrait son visage juvénile. Elle n'était qu'une enfant, et pourtant ses yeux bleus brillaient de la prestance de ceux d'une régente. Des sourcils épais et plus sombres soulignaient son regard azur, et une bouche rosée égayait la clarté de sa figure. Toute en délicatesse.

L'inventeur fit un pas dans la lumière. Des murmures se répandirent dans la plèbe lorsque ce fut à eux de l'apercevoir. Beaucoup le connaissaient. Bien qu'il passât une grande part de son temps enfermé dans ses bureaux, il aimait se rendre sur le terrain dès qu'il le pouvait. L'enfermement n'était rien qu'une contrainte, parfois extérieure, parfois venant de lui même ; il devait se préserver des menaces de son esprit. Certains visages lui étaient familiers. Certaines expressions aussi. Crainte, mépris, répulsion. Un garde le poussa dans le dos. Il descendit docilement les marches. Il gardait le regard fixé sur la conquérante aux cheveux opalins. « Vendu ! » Le cri fusa. « Traître ! » Il poursuivit son chemin. « Assassin ! » Il tourna la tête vers la femme qui avait lancé cette insulte. Un fin sourire étira ses lèvres. Assassin. Dans un sens, oui. Vendu, traître, assassin. Il avait accepté l'offre des Trois, ce qui avait fait de lui un traître pour les villageois qu'il avait côtoyés, et cela l'avait mené jusqu'à la complicité de meurtre. Il avait aidé Julianne à élaborer quelques uns de ses poisons. Il avait les compétences pour, et la connaissance de produits de la nature dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. Il avait imaginé des engins à la demande de ses employeurs. Des engins pour torturer, pour tuer. Mais il avait aussi créé des machines pour faciliter la vie, pour renforcer la sécurité. Il avait du sang sur les mains, sans doute même sur tout le corps, mais il portait aussi la blanche colombe sur son épaule. Il se situait à mi-chemin entre l'ombre et la lumière. Les ténèbres s'avéraient toujours plus attrayantes. C'était plus simple et, il le confessait, il disposait, comme tous, de cette curiosité morbide, de ce penchant pour l'horreur, de cet imaginaire qui réveillait des pulsions que les hommes civilisés enfouissaient.

Arrivé près de Katharina, il s'arrêta. Les deux gardiens qui l'avaient accompagné se postèrent à sa droite et à sa gauche. Il dévisagea la reine, de ce regard intense qu'il pouvait avoir lorsqu'il réfléchissait. « Veuillez décliner votre identité. » Le brun inclina discrètement la tête sur le côté. D'une voix forte, afin que tous pussent l'entendre, il entonna : « Je suis Aiden Lysandre Ruthendell. » Il avait toujours trouvé qu'énoncer son nom complet était un peu pompeux. Il sourit presque imperceptiblement, moqueur. Néanmoins, plongé dans le rôle de l'orateur, il accompagnait ses paroles calculées de gestes ponctuels. « Fils de... deux personnes qui sans doute un jour formèrent sa famille, mais qui ne se trouvent pas ici. » C'était l'usage. Un usage stupide, désuet, qui n'apportait rien au débat. Pouvait-on prétendre à un quelconque sens de la justice si l'on se basait sur des antécédents indépendants de la volonté des accusés ? Évoquer leurs noms ne permettrait même pas de confirmer son identité. « Arrivé en étranger à Vivendale, j'ai été embauché par les Trois... » Des huées ébranlèrent la foule. Il ferma les yeux un bref instant, puis reprit : « Embauché par les Trois, donc, lorsque j'avais dix-huit ans. Dès lors, j'ai travaillé pour leur compte en tant qu'inventeur de Vivendale. » En cela consistait le résumé ultra-condensé de ses vingt-sept années à galoper autour du monde et dans les sphères de la spiritualité. Avec aplomb, il reporta ses yeux verts sur la dirigeante témérienne. Croisant son regard, il se souvint de ce qu'il s'était dit, plus tôt dans la journée. La plupart du temps, les gens oublient qu'ils vont mourir.
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Mer 17 Fév - 22:37





KATHARINA
— we clean the city out —

Vols, violences, complicités, trahisons, crimes...nombreuses étaient les raisons justifiant un jugement. Ils étaient des centaines, des hommes, des femmes, des mômes et des vieux, du simple voleur à l'assassin à la solde, du petit mécréant au grand conspirateur. Ils allaient finalement faire face à leurs délits et payer pour les dommages qu'ils avaient causé à cette grande cité. Ma cité, pensa-t-elle, Vivendale a vécu trop longtemps à la merci de ses vermines... Elle nettoierait la ville de ses malfrats, bâtissant sur le sang de ses criminels une société plus égale pour son peuple. Elle leur avait fait la promesse de leur donner une terre prospère et accueillante; tant que les rues seraient truffés de malfaiteurs, elle ne pouvait honorer son serment. L'heure de l'expiation était arrivée, la justice allait enfin triompher.

Assise sur son trône, impériale, elle observait l'accusé s'approcher. Dès ses premiers pas dans le temple, la reine su qu'il était différent des autres comparants, le jeune homme semblait confiant, il marchait la tête haute, ignorant les insultes lancées depuis la foule. Là où beaucoup avant lui avait été déstabilisé, il restait de marbre. Les accusations ne l'affaissaient pas vers le sol, mais semblait, au contraire, l'élever à une nouvelle grandeur que lui même n'avait jamais osé prétendre pouvoir atteindre. Cela en était presque déstabilisant, sachant qu'il marchait droit vers un destin bien incertain. Il n'en restait pas moins un malfrat... L'inventeur de Vivendale semblait d'abord être un simple ingénieur à l'origine de nombreuses améliorations dans la cité. Mais, dissimulée sous son intelligence, c'était un esprit vil, corrompu par le pouvoir et la noirceur. Il n'avait pas besoin de manier les armes pour détruire. Il n'utilisait ni flèche, ni poignard, ni épée...et pourtant en quelques années, il avait causé la mort de plus d'innocents que le ferait un assassin dans toute une vie. De nouvelles armes destructrices aux machines de guerre en passant par l'invention de poisons puissants; son esprit malsain n'avait aucune limite. Il était né pour créer, mais ses créations étaient destinées à détruire.

Chacun de ses pas l'approchait un peu plus de sa destinée, la vie ou la mort. Lui qui avait dédié sa vie à créer, à inventer, à innover, il se retrouvait face à la plus vieille invention qui soit dans cette société; la justice. Et cela pouvait, à tout moment, le détruire, anéantissant en quelques instants une vie de labeur et de réflexion. « Je suis Aiden Lysandre Ruthendell. Fils de... deux personnes qui sans doute un jour formèrent sa famille, mais qui ne se trouvent pas ici. Arrivé en étranger à Vivendale, j'ai été embauché par les Trois...  » Interrompu par les huées de la foule, le jeune homme s'arrêta un bref instant. « Embauché par les Trois, donc, lorsque j'avais dix-huit ans. Dès lors, j'ai travaillé pour leur compte en tant qu'inventeur de Vivendale. » Les huées redoublèrent, aussitôt tues lorsqu'elle éleva une main, ordonnant le silence. « Monsieur Ruthendell, vous êtes accusé de collaboration étroite avec les Trois et pour la création d'armes allant à l'encontre de nos lois. » Les motifs d'accusation énoncées, le procès pouvait alors commencer. La jeune femme se leva de son siège, faisant quelques pas vers l'accusé. « Certaines de ses armes furent utilisées en défaveur de notre armée, causant la mort d'approximativement cent cinquante fidèles fils et filles d'Elia, sans parler des blessés... » Aussitôt, la foule reprit de plus belle, une vague de haine vint s'infiltrer dans les bouches des témériens qui hurlaient pour la condamnation à mort de l'inventeur. « Reconnaissez-vous votre culpabilité dans ce massacre ainsi que votre complicité avec les anciens dirigeants ? » Sa réponse déterminerait la suite du procès. Oui ou non. Vivre ou mourir. La vie est faite de décisions. La mort, elle, ne vient que lorsque on fait le mauvais choix.
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Jeu 18 Fév - 15:52

Aiden Ruthendell
— I've been a slave, you know. —

Les huées s'élevèrent comme des cris de rapaces. Elles déchirèrent l'air, mais elles ne l'atteignirent pas. Il n'était pas une souris ou un lièvre qui n'avait d'autre solution que de courir se terrer dans un trou. La fuite n'aurait même pas constituée une option viable pour ces proies. On les aurait poursuivies et achevées proprement, en place publique. Puis on en aurait distribué les morceaux, les parts, l'héritage, au plus offrant. La fauconnière leva la main et ainsi aspira les hurlements des harpies, qui se turent. Le silence revint, aussi tendre que tranchant. Puis, d'une voix céleste, elle prit la parole : « Monsieur Ruthendell, vous êtes accusé de collaboration étroite avec les Trois et pour la création d'armes allant à l'encontre de nos lois. » Il eut un petit sursaut de rire et leva les yeux au ciel. Leurs lois. Soit. Il rangea ce point dans sa mémoire ; il aurait l'occasion d'en faire usage. La reine se souleva de son fauteuil et s'approcha de lui. « Certaines de ses armes furent utilisées en défaveur de notre armée, causant la mort d'approximativement cent cinquante fidèles fils et filles d'Elia, sans parler des blessés... » Il l'écouta parler sans broncher. Il avait parfaitement conscience des dégâts qu'avaient pu causer ses créations. Cela consistait même en leur principal but. Détruire. Détruire, bien avant de défendre.

Une bourrasque de colère fit frissonner la foule. Les incriminations grondèrent, et des poings aux jointures blanchies déchirèrent le ciel. « Reconnaissez-vous votre culpabilité dans ce massacre ainsi que votre complicité avec les anciens dirigeants ? » Les artifices ! Grand jeu. Il posa son regard émeraude sur la Témérienne et l'observa quelques instants. Le silence s'était à nouveau glissé sur la place, comme un nuage aux allures d'orage. « Ma culpabilité ? » fit-il en haussant les sourcils. « J'imagine bien que si on m'a nonchalamment jeté aux cachots, c'est pour une bonne raison. » Un sourire tira le coin gauche de sa bouche. « La prison étant faite pour accueillir des coupables — ou des supposés coupables, mais admettons qu'il n'y ait que des coupables avérés... » D'un geste de la main, il chassa l'hypothèse des gens condamnés à tort. « ... je crois être bien obligé de chercher sur quoi porte ma culpabilité et, en conséquence, de la reconnaître. » Il s'arrêta et scruta les yeux de leur nouvelle reine. C'était un jeu de séduction. Ça l'était toujours. « Vous proposez de me juger pour le massacre de votre armée et une complicité avec le Haut-Gouvernement, tout cela contre vos lois. Permettez-moi juste de préciser que vos lois... je pouvais difficilement les connaître sans jamais les avoir lues. » En réalité, le raisonnement aurait dû aller au-delà de ça : la proposition était caduque. La femme voulait le condamner sur la base de lois dont il n'avait pas connaissance mais qui, en plus, s'étaient instaurées uniquement après sa prise de pouvoir. La colère et la rancœur la poussait à une certaine forme d'injustice. Pourtant, il ne continua pas. Il avait conscience de jouer dangereusement avec les limites ; décence, respect et politesse étaient remis en cause. Il avait toujours été insolent, un peu révoltant dans ses manières, mais il avait appris, grâce à des expériences peu agréables, à quel moment il était nécessaire de s'arrêter. C'en était un.

Joignant les mains, il reprit : « Mais, comme vous avez pu le remarquer — puisque j'ai refusé de ployer devant vous, de jurer fidélité, et tout ce qui suit —, j'ai plutôt l'air d'être une forte tête. Ou juste un imbécile. Choisissez ce que vous préférez ; au final, c'est à peu près la même chose. Dans les deux cas, je remets en cause ce que vous êtes, ce que vous faites, et ce que vous dites. Je joue ma tête. Alors je devrais peut-être m'arrêter là et vous dire : « oui, oui, j'ai péché, j'ai comploté, j'ai tué, je vous en supplie ne me coupez pas la tête ! » Ça serait assez pitoyable... mais surtout ça ne serait pas moi. » Il avait retrouvé la liberté de parole qu'il avait perdue. Il l'avait abandonnée aux pieds des Trois et, depuis qu'ils étaient tombés, il l'avait récupérée. Il la serrait contre sa poitrine comme un enfant tiendrait sa peluche : avec force, amour et désespoir. Il leva la main et précisa : « N'allez pas croire que je suis courageux : je suis un lâche. Mais peut-être qu'il y a des choses pour lesquelles je suis prêt à me lever ! » Il inclina la tête sur la gauche, les sourcils arqués. Il ouvrit les mains et, après avoir esquissé une petite moue, souffla : « La justice, peut-être ? » Il sourit. « Bien ! Voilà un terrain sur lequel nous sommes susceptibles de nous entendre ! Parlons-en. » Il n'eut le temps de faire qu'un pas avant que l'un des gardes ne le retînt par l'épaule et ne grommelât des paroles menaçantes. Il leva la tête vers Katharina, puis ne bougea plus. Ils ne partaient même pas sur un pied d'égalité.

Il plissa les yeux. « Vous êtes là pour la justice. C'est ce que vous avez promis à cette ville, à Vivendale. Vous lui avez promis d'exterminer les vermines de mon espèce, c'est bien ça ? » Les insultes de la foule soudainement réanimée par ses mots lui répondirent. « Vous pensez que vous détruirez leur haine, en même temps ? » Un sourire sardonique glissa sur ses lèvres. Les Hommes ne finissaient jamais de haïr. S'ils avaient jeté leur dévolu sur les anciens rois de Vivendale, qu'en serait-il de la nouvelle régente lorsqu'ils auraient tous la nuque tranchée ? Sa question n'attendait pas de réponse. Il n'agissait que pour semer le doute. Diversion ou plaidoyer ? « Je suis arrivé comme vous, ici : en étranger. Ça fait bientôt dix ans maintenant. J'ai vu la ville grandir, bouger, changer. Pour autant, je ne me sens pas Vivendalais. Je ne suis pas Vivendalais. Je n'en ai ni la prétention, ni l'envie. Je dois l'admettre, vous avez du courage de vous atteler à cette tâche. » Ses yeux survolèrent l'attroupement. En plus de vouloir devenir Vivendalaise, elle avait l'ambition de gouverner les Nordiens. Ce peuple n'avait connu que la puissance d'une main de fer et la crainte d'un fouet claquant. Le labeur s'avérait de taille. « Vous me parliez des Trois. Vous avez dit que j'étais leur complice... Vous voulez sauver des esclaves, Katharina ? Sauvez-moi. » Il planta son regard dans le sien. Il avait perdu son sourire charmeur ; seul le sérieux et la détermination s'y distinguaient. « Je suis arrivé en étranger, oui. Et je n'étais pas comme vous, je n'avais pas une armée derrière moi, prête à me défendre au prix de sa vie. Non, j'avais juste ça. » Il leva la main et du bout de l'index tapota son crâne. « Un cerveau. Alors, oui, c'est déjà bien, on n'a pas tous la chance d'en avoir un ! Soit. Mais, ça ne vous a pas échappé, mes machines — que vous avez apparemment pu admirer de très près et en pleine action — sont assez efficaces. A l'époque, la majorité n'existait pas... ou alors au stade embryonnaire. Et ça aurait pu continuer comme ça ! Ça aurait probablement dû. Cependant, j'ai été contacté par le Haut-Gouvernement. Ils m'ont proposé d'entrer à leur service en échange d'une rémunération. En ce temps, je travaillais pour un horloger et je n'avais que dix-huit ans. J'étais pauvre, tout seul... J'ai quand même longtemps hésité. Je craignais que des situations pareilles adviennent, ou pire. » Il laissa sa phrase en suspens. Inutile de s'éterniser. Le pire, ce n'était pas la mort, c'était l'emprisonnement mental ; la folie. Chaque jour, elle développait de nouveaux tours. Elle essayait de le séduire, de l'attirer dans ses filets. Elle était belle, complaisante, et elle avait de l'esprit. Néanmoins, elle avait aussi cette petite touche... cette touche malsaine, mauvaise. Un peu comme lui.

« J'ai fini par accepter. J'étais assez... insouciant, je suppose, plutôt manipulable, et surtout loin de m'imaginer ce qu'on me demanderait. Je connaissais les Trois de réputation, je ne vais pas vous mentir. Mais je ne pensais pas que ça irait aussi loin. Je m'étais dit qu'on me demanderait de l'aide pour... » Il s'arrêta, fit une moue d'hésitation, puis continua : « Je ne sais pas, regarder des plans, réparer des horloges, enfin, n'importe quoi ! Je ne pensais pas qu'on me demanderait de devenir... qu'on me ferait devenir l'Inventeur de Vivendale. » Le jeune Aiden s'en était douté. Pas qu'il évoluerait en inventeur de génie, mais qu'on lui demanderait plus que de regarder des plans ou de réparer des horloges. On l'avait espionné : c'était un signe des grands destins. Il regarda brièvement autour de lui. Était-elle là ? Le voyait-elle ? Il n'avait eu aucune nouvelle... Le jeune homme reporta son attention sur la juge. « Enfin, j'étais très naïf. Et très orgueilleux... quoi que ça, ça n'a peut-être pas changé. » Sa bouche se fendit en un large sourire. Malgré tout, il s'en était douté, et ce n'était pas cela qui l'avait le plus rebuté. Il s'était vu s'y accommoder parfaitement. Et en effet, il s'y était fait, et il n'y avait plus eu un jour où l'horreur n'avait pas suscité autant de dégoût que de fascination. « Toujours est-il que ceci m'a conduit à me dire que si j'en avais assez, je pourrai toujours partir. C'est faux. Quand vous entrez au service des Trois, vous n'en ressortez pas. Vous connaissez leurs secrets les plus sombres et leurs desseins les plus ignobles. » Il tendit la main vers la Haute-Tour. « Celui qui passe ces portes alors qu'il est sous leurs ordres... il les passe sur une civière. Si vous n'obéissez pas, on appuie sur un point sensible. Famille, amis, voisins, vous. Peu importe. Donc vous obéissez. Je n'étais pas le seul dans ce cas. » Sa voix s'éteignit. De l'extérieur, il était vraiment difficile de savoir s'il susurrait un mensonge ou s'il crachait la vérité. A l'intérieur, il savait pourquoi il agissait. Pour lui, bien sûr, mais aussi pour elle. Si elle était encore en vie — bien sûr qu'elle était encore en vie ! —, Aiden voulait qu'elle eût toutes les chances de s'en sortir. Il baissa sensiblement la tête avant de la relever et de toiser la jeune fille. « Vous appelez ça des complices... » Il haussa les épaules dans un geste d'impuissance, comme s'il s'en remettait totalement à elle. « Moi, j'appelle ça des esclaves. » Comme si.

L'homme se redressa légèrement. « En conséquent, vous comprenez que m'accuser d'avoir créé ces machines et d'avoir ainsi tué des gens, enfin, des envahisseurs, est... partiellement vrai ? Je n'ai été qu'un outil. On a menacé de me casser, la pression était trop forte : j'ai obéi. J'ai imaginé, j'ai dessiné, mes constructions vous ont exterminés. » La vérité pure, simple ; surtout épurée de son sentiment terriblement morbide de satisfaction. « Et quand bien même vous me condamneriez pour ça ! Vous voulez la justice ? Condamnez tous ceux qui ont pris les armes pour se défendre ! Condamnez ceux qui les ont prises pour se battre. Condamnez vos soldats ! Ils ont pris autant de vies que moi. Je ne crois pas que le nourrisson, brûlé vif sous les décombres, ait été plus meurtrier ou plus malintentionné que n'importe lequel d'entre eux. Pourtant, il est mort. Pas eux. » Il fit une pause, puis reprit, moins durement : « Si vous voulez la justice à ce point, poussez-la jusqu'au bout. Faites-la pour tous et entièrement. Sinon, vous ne serez qu'un tyran de plus. » Elle ne voulait pas être ça. Tout le monde le savait. Utopique, elle désirait balayer le monde de ses démons, de ses pourritures, de ses crasses ; elle souhaitait lui rendre son éclat originel, doux et sincère. Le rêve était touchant. En rien réaliste, mais touchant.

Aiden ferma les yeux une poignée de secondes. Il souffla. Fin mot. « Donc, pour en revenir à ma culpabilité... si je dois être coupable de quoi que ce soit, je crois que je suis coupable de ne pas avoir eu de libertés. » Coupable d'avoir été un adolescent. Coupable d'avoir aspiré à une vie meilleure. Coupable de ne pas avoir pu se défaire de la laisse qu'on lui avait passée autour du cou et de la muselière qu'on lui avait fixée à l'arrière du crâne. Coupable de n'avoir été qu'un homme enchaîné, un chien. Il jouait quitte ou double. Il avait placé ses pions sur l'échiquier, et il les avait tous mis en danger. Soit elle acceptait son point de vue et le graciait, soit elle le faisait exécuter. Soit les Trois mourraient, soit ils n'auraient de cesse de vouloir se venger de l'inventeur traître. Auquel cas, il finirait bien par mourir, parce que ce serait la seule manière de payer sa dette, la seule manière d'expier le fait de s'être libéré sur le dos d'autrui, quand bien même cet autrui fût le plus vil que le monde eût connu.
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Ven 26 Fév - 23:36





KATHARINA
— Who's in control ? —

Méfiez vous des apparences, elles sont souvent trompeuses. Il est impossible de cerner une personne aux premiers abords, nous ne percevons que des fragments de son être, sans jamais pouvoir aller en profondeur. Les apparences sont illusionnistes, elles sont là pour tromper les autres afin de nous protéger. Elles forment un bouclier entre nous et les autres afin de leur cacher nos blessures et nos faiblesses. On veut paraître plus fort, plus intelligent... invincible, alors on se forge un masque derrière lequel se cacher des autres, celui que chacun verra aux premiers abords. Mais ce que nous sommes vraiment, c'est la personne qui se cache derrière le masque, et elle ne se révèle que lorsque ce dernier tombe. Seulement, dans cette ville, tout n'était qu'apparences et illusions. Comment savoir si la personne en face de soi est honnête derrière son masque ?

Aiden était un maître illusionniste, jouant sur les mots et les apparences il s'était fait un masque impénétrable de telle sorte que personne ne puisse le percer à jour. « Ma culpabilité ? J'imagine bien que si on m'a nonchalamment jeté aux cachots, c'est pour une bonne raison. La prison étant faite pour accueillir des coupables — ou des supposés coupables, mais admettons qu'il n'y ait que des coupables avérés... je crois être bien obligé de chercher sur quoi porte ma culpabilité et, en conséquence, de la reconnaître. » A présent c'était clair, l'intellectuel ne clamerait pas directement son innocence à voix haute. Non, le malfrat cherchait d'abord à semer le doute dans les esprits. « Vous proposez de me juger pour le massacre de votre armée et une complicité avec le Haut-Gouvernement, tout cela contre vos lois. Permettez-moi juste de préciser que vos lois... je pouvais difficilement les connaître sans jamais les avoir lues. » La jeune femme écouta, silencieuse, la plaidoirie de l'accusé. Il marquait un point. Comment punir quelqu'un pour avoir transgresser des lois dont ils ignoraient l'existence ? Seulement cela signifiait remettre en question tous les procès, les précédents et ceux à venir, et surtout remettre en question les investigateurs de ces procès, c'est à dire elle. Ne souhaitant pas pour autant l'interrompre aussi tôt elle garda cependant à l'esprit qu'elle devrait répondre aux accusations lancées dans ces paroles. « Mais, comme vous avez pu le remarquer — puisque j'ai refusé de ployer devant vous, de jurer fidélité, et tout ce qui suit —, j'ai plutôt l'air d'être une forte tête. Ou juste un imbécile. Choisissez ce que vous préférez ; au final, c'est à peu près la même chose. Dans les deux cas, je remets en cause ce que vous êtes, ce que vous faites, et ce que vous dites. Je joue ma tête. Alors je devrais peut-être m'arrêter là et vous dire : « oui, oui, j'ai péché, j'ai comploté, j'ai tué, je vous en supplie ne me coupez pas la tête ! » Ça serait assez pitoyable... mais surtout ça ne serait pas moi. N'allez pas croire que je suis courageux : je suis un lâche. Mais peut-être qu'il y a des choses pour lesquelles je suis prêt à me lever ! La justice, peut-être ? Bien ! Voilà un terrain sur lequel nous sommes susceptibles de nous entendre ! Parlons-en. » Le jeune homme fit un pas vers la juge, aussitôt l'un des gardes le retint par l'épaule, l'empêchant de faire un pas de plus. Il leva la tête dans sa direction, mais la jeune femme ignora son regard et se rassit sur son siège, en hauteur, surplombant la foule, et lui. Esquissant un sourire elle le regarda, triomphante, il aurait beau savoir manier les mots, ils ne jouaient pas dans la même coure car elle, elle maniait le pouvoir. « Vous êtes là pour la justice. C'est ce que vous avez promis à cette ville, à Vivendale. Vous lui avez promis d'exterminer les vermines de mon espèce, c'est bien ça ? Vous pensez que vous détruirez leur haine, en même temps ? Je suis arrivé comme vous, ici : en étranger. Ça fait bientôt dix ans maintenant. J'ai vu la ville grandir, bouger, changer. Pour autant, je ne me sens pas Vivendalais. Je ne suis pas Vivendalais. Je n'en ai ni la prétention, ni l'envie. Je dois l'admettre, vous avez du courage de vous atteler à cette tâche. Vous me parliez des Trois. Vous avez dit que j'étais leur complice. Vous voulez sauver des esclaves Katharina ? Sauvez-moi. » Le sourire sur les lèvres de la jeune femme s'effacèrent aussitôt. Comment pouvait-il osait se prétendre esclave, lui qui avait vécu sous la tutelle des grands de cette ville tandis que les vrais esclaves avaient été vendus, échangés, maltraités, utilisés, exploités voir tués par leurs maîtres.

« Je suis arrivé en étranger, oui. Et je n'étais pas comme vous, je n'avais pas une armée derrière moi, prête à me défendre au prix de sa vie. Non, j'avais juste ça. Un cerveau. Alors, oui, c'est déjà bien, on n'a pas tous la chance d'en avoir un ! Soit. Mais, ça ne vous a pas échappé, mes machines — que vous avez apparemment pu admirer de très près et en pleine action — sont assez efficaces. A l'époque, la majorité n'existait pas... ou alors au stade embryonnaire. Et ça aurait pu continuer comme ça ! Ça aurait probablement dû. Cependant, j'ai été contacté par le Haut-Gouvernement. Ils m'ont proposé d'entrer à leur service en échange d'une rémunération. En ce temps, je travaillais pour un horloger et je n'avais que dix-huit ans. J'étais pauvre, tout seul... J'ai quand même longtemps hésité. Je craignais que des situations pareilles adviennent, ou pire. » Son arrogance frôlait l'irrespect. La jeune femme serra les poings, il était accusé d'avoir engendré la mort d'une centaine d'hommes et après ça, il osait dire qu'ils avaient pu observer ses inventions de très près et en pleine action. « J'ai fini par accepter. J'étais assez...insouciant, je suppose, plutôt manipulable, et surtout loin de m'imaginer ce qu'on me demanderait. Je connaissais les Trois de réputation, je ne vais pas vous mentir. Mais je ne pensais pas que ça irait aussi loin. Je m'étais dit qu'on me demanderait de l'aide pour je ne sais pas, regarder des plans, réparer des horloges, enfin, n'importe quoi ! Je ne pensais pas qu'on me demanderait de devenir... qu'on me ferait devenir l'Inventeur de Vivendale. Enfin, j'étais très naïf. Et très orgueilleux... quoi que ça, ça n'a peut-être pas changé. Toujours est-il que ceci m'a conduit à me dire que si j'en avais assez, je pourrai toujours partir. C'est faux. Quand vous entrez au service des Trois, vous n'en ressortez pas. Vous connaissez leurs secrets les plus sombres et leurs desseins les plus ignobles. » Il tendit la main vers la Haute-Tour. « Celui qui passe ces portes alors qu'il est sous leurs ordres... il les passe sur une civière. Si vous n'obéissez pas, on appuie sur un point sensible. Famille, amis, voisins, vous. Peu importe. Donc vous obéissez. Je n'étais pas le seul dans ce cas. Vous appelez ça des complices... Moi, j'appelle ça des esclaves ! » La jeune femme se leva de son siège brusquement, cependant elle ne répondit pas. Les mots lui brûlaient la gorge, seulement si elle ouvrait la bouche maintenant, si elle intervenait afin qu'il n'achève sa plaidoirie, il gagnerait.

« En conséquent, vous comprenez que m'accuser d'avoir créé ces machines et d'avoir ainsi tué des gens, enfin, des envahisseurs, est... partiellement vrai ? Je n'ai été qu'un outil. On a menacé de me casser, la pression était trop forte : j'ai obéi. J'ai imaginé, j'ai dessiné, mes constructions vous ont exterminés. Et quand bien même vous me condamneriez pour ça ! Vous voulez la justice ? Condamnez tous ceux qui ont pris les armes pour se défendre ! Condamnez ceux qui les ont prises pour se battre. Condamnez vos soldats ! Ils ont pris autant de vies que moi. Je ne crois pas que le nourrisson, brûlé vif sous les décombres, ait été plus meurtrier ou plus malintentionné que n'importe lequel d'entre eux. Pourtant, il est mort. Pas eux. Si vous voulez la justice à ce point, poussez-la jusqu'au bout. Faites-la pour tous et entièrement. Sinon, vous ne serez qu'un tyran de plus. » Dessinant un cercle invisible sur le sol avec ses pieds, la jeune femme s'efforçait de rester de marbre. Laisse les parler, ne les coupes surtout pas, ils prendraient ça pour un signe de faiblesse. Laisse les dire ceux qu'ils ont à dire, et une fois qu'ils ont fini et pas avant, démolis un à un chacun de leurs arguments avec calme. Face à tes détracteurs, et tu en auras, tu devras être douce et forte à la fois ma fille, tu devras garder ton calme quand ils t'insulteront et surtout ne pas les insulter en retour. Tu as une arme qu'eux n'ont pas, là est ta force, sache en faire bonne usage, leur vie est entre tes mains. Tu pourras aussi bien les gracier ou les punir, mais ça sera ton choix, pas le leur. Les bons conseils de son père lui revinrent doucement en mémoire. La jeune femme se questionna mentalement : Qu'aurait-il fait à ma place ? Le gracierait-il ou bien l'inverse ? « Donc, pour en revenir à ma culpabilité... si je dois être coupable de quoi que ce soit, je crois que je suis coupable de ne pas avoir eu de libertés. »

L'heure de la riposte était arrivée. Descendant quelques marches, la jeune femme se rapprocha de l'inventeur, veillant cependant à toujours rester en hauteur par rapport à lui. « Monsieur Ruthendell, vous me décevez. On m'avait dit de vous que vous étiez un intellectuel, vous clamiez vous même avoir un cerveau... et pourtant vous osez remettre en question les accusations portées contre vous au nom de l'ignorance. Vous ignoriez nos lois dites vous, mais ôter la vie à des centaines d'innocents n'est-il pas un crime selon vos lois ? Le fait est, qu'avant aujourd'hui, vous n'avez jamais du répondre de vos actes car vous travailliez pour ceux qui faisaient la loi. Et même si cela n'était pas inscrit parmi vos règles, ce dont on vous accuse dépasse les lois, c'est du bon sens, si on ne laisse pas un criminel courir dans les rues après avoir tué une dizaine de personnes, pourquoi vous resteriez impuni alors que vous avec causé la mort d'un nombre indéchiffrable de personnes. » Elle fit volte-face, remontant lentement les marches tout en continuant de parler : « De plus, vous vous prétendez esclave. Savez-vous qu'est-ce un esclave ? J'imagine que oui, ce qui me fait me demander : Comment pouvez vous prétendre avoir été un esclave ? » Elle planta son regard dur dans les prunelles de l'accusé. « Vous ne semblez pas avoir été vendu et exploité pour un travail qui dépassait vos capacités, vous ne semblez pas non plus n'avoir reçu aucune rémunération. Vous l'avez dit vous  même, vous étiez payé ! Certes la définition de l'esclavage peut prendre plusieurs sens, mais pas ici, pas dans cette ville où des centaines d'esclaves, de vrais esclaves, viennent d'être libérés de leurs chaines après des années de servitude forcée. Leurs quotidiens n'étaient que souffrances, pendant que vous étiez bien au chaud dans votre atelier à confectionner vos inventions en échange d'une paye bien grasse. Vous étiez loin d'être un esclave. Vous étiez un travailleur. » Elle s'arrêta à mi chemin entre l'accusé et son trône et se retourna vers le brun. « Certes, vous avez peut être été forcé, mais ce n'était pas de la servitude. Vous l'avez dit vous même, vous avez longtemps hésité avant d'accepter. Pensez-vous que les esclaves ont ce choix, celui d'accepter ou de refuser ? Non. Pourtant vous, vous aviez ce choix, et en acceptant vous avez sceller votre destin tout seul. Ce qui me fait penser...vous dites que les Trois faisait pression grâce à votre entourage pourtant j'ai cru comprendre que vous étiez venu seul n'est-ce pas ? » Retournant sur son trône. La jeune femme s'apprêtait à achever d'une traite les dernières remarques du brun. « Et quand bien même vous étiez sous pression, n'y avait-il pas une part de consentement dans vos actes ? Si un homme est condamné à détruire des autres, pourquoi ne pas avoir mit fin à tout ça si vous n'en tiriez rien ? Ne me dîtes pas que vous sauviez seulement votre vie. Si ça avait été le cas, comment auriez vous survécu sachant que chaque jours, vos inventions allaient détruire la vie d'innocents, d'autres victimes de ceux qui vous forcez la main, juste pour que vous, vous puissiez survivre. Ce n'était pas de la survie, c'était de l'égoisme, et je parie que vous en tiriez une certaine satisfaction, sinon pourquoi continuer avec une pression si forte ? Tout homme censé aurait mit fin à tout ça, se serait donné la mort ou aurez tenté de fuir pourtant vous, vous avez osé, toutes ces années, prétendre que votre vie valait mieux que celles de vos victimes. » Elle y était presque, bientôt chacun des arguments lancés par Aiden seraient démantelés.

« On a menacé de vous casser, vous avez obéi, même si cela signifiez que vous causeriez du tort à d'autres. Mais vous avez obéi. Pourtant, quand on vous a demandé de vous pliez face à l'Eliare, vous avez dit non. N'est-ce pas étrange comment d'un seul coup vous êtes passé du oui au non ? » Il voulait prétendre qu'on lui avait forcé la main ? Pourtant face à l'Eliare, il avait refusé, malgré les menaces. « Et sachez, Monsieur Ruthendell, que non, je ne condamnerez pas les malheureux qui ont prit les armes  pour se défendre, même si c'était contre mon peuple. Quand à mes soldats, ils ont fait ce qu'ils devaient faire, ce que les dieux nous ont demandé. Certes, il y-a eu des dommages collatéral, comme nous en avons dans notre camp, mais ses dommages ont été fait par des hommes qui souhaitaient se défendre et pas à cause de machines destructrices crées pour satisfaire votre vice personnel. » Elle s'assit sur son trône, impériale. Jetant un coup d'oeil à l'un de ses gardes, elle fit un signe de la tête et ce dernier avança vers les portes situées derrière elle. « Il s'avère qu'une personne est venu à nous, elle souhaitait témoigner à votre procès. J'imagine que vous devez la connaître... » Les portes s'ouvrirent sur une jeune femme brune tandis que la régente s'adressait à la foule. « Je vous présente, Juliet Perkins, je suis sûre que son témoignage nous sera des plus utiles pour nous faire une idée sur quel genre d'homme était Aiden Ruthendell. »

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Dezbaa
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Injustice or justice ? #2 | Aiden Empty
Sam 27 Fév - 19:55

Aiden Ruthendell
— More monster than man ? —

Masquée par l'éclat de l'apparat, cachée par l'ingéniosité des astuces, éclipsée par la brillance des artifices, sa nature véritable ne transparaissait pas. Elle était faite pour l'ombre. Elle se complaisait dans les recoins de l'esprit, aux détours des pensées, là où il était aisé de se faufiler à nouveau dans la noirceur, sans même être aperçue. Spectre nocturne, elle parcourait les corridors de son âme comme un fantôme coincé dans un manoir maudit. Elle ne révélait ses crocs acérés qu'à la lueur froide de la lune, lorsque l'état des hommes se trouvait assez compromis pour qu'ils pussent penser à une hallucination ou que des doutes n'entravassent leur raison. S'ils avaient su avec certitude, Aiden serait mort. Il était la sorcière à jeter au bûcher, le loup dévoreur de brebis à tuer, le lion tyrannique à défier. Il devait être mis à mort. Parce qu'en réalité, il devait plus être un démon qu'un homme.

C'était le premier discours.

Affichée par les sourires charmeurs, prouvée par la technicité des prouesses, exposée par les discours grandiloquents, sa vérité démontrable éclatait. Elle s'adonnait à la lumière. Elle s'appréciait dans les paroles publiques, sur le bout des lèvres, là où il était ardu d'être écartée, ou pire, de ne pas être pensée. Mirage diurne, elle valsait sur les papilles et dans les prunelles comme un morceau de soleil arraché au ciel. Elle montrait ses courbes attirantes à tout moment, dès lors que les hommes étaient prêts à les admirer, haletant, à oublier le prix qu'ils avaient versé pour la voir se mouvoir sensuellement. S'ils ne s'étaient pas retournée sur elle, ils seraient morts. Aiden était le clerc rédempteur de l'humanité, le chasseur sauveur du troupeau, le lion défenseur de la horde. Il devait être gardé en vie. Parce qu'en réalité, il devait plus tenir de l'ange que de l'homme.

C'était le second discours.

Les deux faces diamétralement opposées et pourtant d'une même pièce le constituaient. Il n'y avait pas chez lui de noir ou de blanc ; tout n'était que nuances de gris disposées sur une palette aquarelle. Le Mal et le Bien s'entrelaçaient tels deux amants inséparables. Il y avait le condamnable, l'horrifique et le répugnant, mais il y avait aussi le louable, l'angélique et le séduisant. Dualité. Monstre. Personne qui suscite l'horreur et la crainte par sa cruauté et sa perversité. Personne qui dispose de capacités hors du commun et remarquables, parfois admirables. Les deux, il était les deux. Un monstre ; dans tout ce qu'il avait de fascinant.

L'innocent coupable leva les yeux vers la reine. Avec prestance, elle descendit quelques marches. Elle s'arrêta avant d'arriver à son niveau. Elle ne voulait pas s'y abaisser. Katharina ne trempait pas dans la crasse du peuple. « Monsieur Ruthendell, vous me décevez. On m'avait dit de vous que vous étiez un intellectuel, vous clamiez vous même avoir un cerveau... et pourtant vous osez remettre en question les accusations portées contre vous au nom de l'ignorance. Vous ignoriez nos lois dites vous, mais ôter la vie à des centaines d'innocents n'est-il pas un crime selon vos lois ? Le fait est, qu'avant aujourd'hui, vous n'avez jamais du répondre de vos actes car vous travailliez pour ceux qui faisaient la loi. Et même si cela n'était pas inscrit parmi vos règles, ce dont on vous accuse dépasse les lois, c'est du bon sens, si on ne laisse pas un criminel courir dans les rues après avoir tué une dizaine de personnes, pourquoi vous resteriez impuni alors que vous avez causé la mort d'un nombre indéchiffrable de personnes. » Intellectuel ? Bien sûr ! Génie, même. Un sourire impudent tira les lèvres de l'inventeur. Ne pas tuer, du bon sens ? Et toi, Katharina ? N'as-tu pas lancé une armée entière sur une ville emplie de civils innocents ? Ne condamneras-tu pas tous ces soldats pour leurs exactions ? Pour avoir obéi à tes ordres ? Petite importune... la justice, c'est bien quand ça t'arrange, hein ? Idiote. Tu devrais savoir mieux que quiconque que tuer n'est pas forcément une lubie. C'est parfois une nécessité. Une obligation. Il avait envie d'intervenir, mais il la laisserait parler jusqu'au bout. Elle ne l'avait pas interrompu, alors il en ferait de même.

Comme si elle lisait ses pensées à son encontre, elle se détourna de lui et remonta l'escalier. Il ne cilla pas. Il n'avait pas besoin de s'exprimer plus. Il l'avait déjà révoltée. « De plus, vous vous prétendez esclave. Savez-vous qu'est-ce un esclave ? » Il en voyait tous les jours depuis près de dix ans. Il n'ignorait pas ce qu'ils étaient, à quoi ils ressemblaient, et ce qu'ils devaient faire. Obéir. Comme lui. « J'imagine que oui, ce qui me fait me demander : Comment pouvez vous prétendre avoir été un esclave ? Vous ne semblez pas avoir été vendu et exploité pour un travail qui dépassait vos capacités, vous ne semblez pas non plus n'avoir reçu aucune rémunération. Vous l'avez dit vous  même, vous étiez payé ! Certes la définition de l'esclavage peut prendre plusieurs sens, mais pas ici, pas dans cette ville où des centaines d'esclaves, de vrais esclaves, viennent d'être libérés de leurs chaines après des années de servitude forcée. Leurs quotidiens n'étaient que souffrances, pendant que vous étiez bien au chaud dans votre atelier à confectionner vos inventions en échange d'une paye bien grasse. Vous étiez loin d'être un esclave. Vous étiez un travailleur. » Elle pouvait bien mettre en avant tous les arguments en sa défaveur qui lui venaient à l'esprit : elle aurait toujours tort. Elle ne savait pas. Elle ne savait rien. Il était bien au chaud dans son atelier ? Il était enfermé comme une vulgaire bête. Il recevait une paye bien grasse ? Non. Et ce qu'il avait, il ne pouvait que peu s'en servir. C'était de l'esclavage déguisé, enjolivé. Il avait été le même âne que tous les autres. La seule différence, c'était que devant son museau dansait une carotte juteuse ; mais une carotte inatteignable. Ce n'était qu'une illusion... « Certes, vous avez peut être été forcé, mais ce n'était pas de la servitude. Vous l'avez dit vous même, vous avez longtemps hésité avant d'accepter. Pensez-vous que les esclaves ont ce choix, celui d'accepter ou de refuser ? Non. Pourtant vous, vous aviez ce choix, et en acceptant vous avez sceller votre destin tout seul. » Elle s'assit sur son trône. Alors une personne qui se porterait volontaire pour être esclave et ainsi épargner un proche de la servitude ne serait en réalité pas vraiment un esclave, sous prétexte que cela aurait résulté d'un choix ? Un enfant qui commettait une erreur était aussi punissable qu'un adulte ? Parce que oui, il n'était en ce temps qu'un enfant, un gamin. Un gamin trop naïf. Elle ne voulait pas comprendre cela, et peut-être ne le pouvait-elle pas, parce qu'elle-même n'était qu'une gamine. Simplement, elle avait été nourrie à coup de principes supérieurs. Elle avait grandi dans un cocon doré et bien formaté. Elle avait reçu une éducation que la grande majorité des mortels ne pouvait s'octroyer. Elle n'avait pas connu la vie telle qu'elle était. Donc, elle ne voulait et ne pouvait pas le croire. Pourtant, il avait bel et bien accepté alors qu'il portait un bandeau sur les yeux. Il ne savait pas tout sur les Trois. Était-il possible qu'ils eussent créé le monstre ? Oui... Certains y croyaient. Peut-être se montraient-ils trop optimistes, utopiques, idéalistes. Mais ils n'avaient sûrement pas totalement tort. Le génie avait fini par s'y complaire... mais si on ne lui avait demandé de ne faire que le bien ? Aurait-il sombré ? Le cas échéant, y aurait-il pris autant de goût ? Y prenait-il vraiment du goût ? Il devait bien être un peu sensible, un peu tendre, un peu... humain.

« Ce qui me fait penser... vous dites que les Trois faisait pression grâce à votre entourage pourtant j'ai cru comprendre que vous étiez venu seul n'est-ce pas ? » Le regard du brun se durcit. Ils avaient surtout fait pression sur lui... mais ils avaient aussi menacé d'autres personnes, en effet. L'une d'elles était morte. Il avait dit non, et ils l'avaient fait assassiner. Ils sont trop lâches pour le faire eux-mêmes, songea-t-il, la rage encore au corps. Dès ce jour, il avait arrêté. De dire non. « Et quand bien même vous étiez sous pression, n'y avait-il pas une part de consentement dans vos actes ? Si un homme est condamné à détruire des autres, pourquoi ne pas avoir mit fin à tout ça si vous n'en tiriez rien ? Ne me dîtes pas que vous sauviez seulement votre vie. Si ça avait été le cas, comment auriez vous survécu sachant que chaque jours, vos inventions allaient détruire la vie d'innocents, d'autres victimes de ceux qui vous forcez la main, juste pour que vous, vous puissiez survivre. Ce n'était pas de la survie, c'était de l'égoisme, et je parie que vous en tiriez une certaine satisfaction, sinon pourquoi continuer avec une pression si forte ? Tout homme censé aurait mit fin à tout ça, se serait donné la mort ou aurez tenté de fuir pourtant vous, vous avez osé, toutes ces années, prétendre que votre vie valait mieux que celles de vos victimes. » Mais il n'était pas sensé ! Il n'était plus sensé. On lui avait demandé de choisir entre le plus grand nombre composé d'inconnus, et le petit nombre de gens auxquels il tenait, ou croyait tenir. Le choix avait été scellé rapidement. Elle pouvait crier que c'était égoïste. Ça l'était entièrement, totalement, sans ambiguïté. C'était peut-être même lâche : il avait fait supporter le poids du malheur qui lui revenait à d'autres. Elle continuait à parler, à déverser un fiel qu'elle avait accumulé en admirant le massacre dont elle avait été la première instigatrice. Oui, il s'était épargné. Mais il avait toujours contrebalancé ces mauvaises actions. Il avait aussi fait le bien. Il avait imaginé des solutions ou des machines pour aider la population, pour faciliter la vie de tous les jours, pour l'améliorer. Il avait espéré qu'en faisant cela, il sauvait les vies qu'il avait prises contre son gré. Et, si comme Katharina le prétendait, il avait fini par s'éprendre de la tuerie, elle demeurerait sans preuve de cela. Ce n'était, après tout, qu'un sentiment. L'amour ne se prouvait pas.

« Pourtant, quand on vous a demandé de vous pliez face à l'Eliare, vous avez dit non. N'est-ce pas étrange comment d'un seul coup vous êtes passé du oui au non ? » Un sourire pinça la bouche du bel homme. Il avait saisi l'occasion. Quel esclave aurait demandé à retrouver ses chaînes ? Il aurait fallu être complètement fou. Il avait vu la lumière de la liberté, de celle qu'il avait perdue. Il la voulait. C'était la raison de son refus. Il n'ignorait pas les risques d'une telle opposition. Mais il avait eu cet élan de courage, bref et saisissant, qui l'avait incité à refuser. Il avait décidé que, pour une fois, il ne se reposerait pas sur le dos des autres. Pour une fois, s'il le pouvait, il serait son propre libérateur. Il était plus âgé, plus responsable, et Katharina, malgré sa victoire, était plus faible que les Trois. Il ne la craignait pas.

« Et sachez, Monsieur Ruthendell, que non, je ne condamnerez pas les malheureux qui ont prit les armes  pour se défendre, même si c'était contre mon peuple. » Et les Ombrageux qui défilaient aux procès ? Ne s'étaient-ils pas défendus ? N'avaient-ils pas défendu leurs idéaux ? Elle mélangeait tout. « Quand à mes soldats, ils ont fait ce qu'ils devaient faire, ce que les dieux nous ont demandé. » Les Dieux ne demandaient rien. Les Dieux étaient muets, sourds et aveugles. Ils n'agissaient pas en connaissance de cause, ils ignoraient tout, ils n'existaient pas. Ils n'étaient qu'un prétexte pour survivre ou mourir, pour aider ou tuer. Ils causeraient la perte de l'humanité entière si elle préférait croire en Dieu au lieu de croire en elle-même. L'espoir et l'avenir, c'était l'humain, pas des fantaisies sacrosaintes. « Certes, il y-a eu des dommages collatéral, comme nous en avons dans notre camp, mais ses dommages ont été fait par des hommes qui souhaitaient se défendre et pas à cause de machines destructrices crées pour satisfaire votre vice personnel. » Abrutie ! Quel homme serait assez stupide pour se créer, pour lui-même, des machines capables de tuer cent hommes ? C'est inutile ! Le Haut-Gouvernement voulait se défendre lui aussi, défendre ce qu'il a instauré. C'est ça, le rôle de mes machines. Et ça peut ne pas te plaire, le résultat est le même ! Il se défendait aussi, et il défendait ceux que tu as impunément écrasé. Et quoi ? Tes hommes se défendaient ? Non, ils attaquaient, prenaient d'assaut, pillaient ! Ils ne défendaient que ton orgueil de petite reine prétentieuse. Toujours impassible, il allait enfin prendre la parole et lui renvoyer la balle, sûrement avec plus de virulence, mais elle leva la main et fit un signe à l'un des gardes. « Il s'avère qu'une personne est venu à nous, elle souhaitait témoigner à votre procès. J'imagine que vous devez la connaître... » Les portes s'ouvrirent, et une femme avança dans la lumière. « Je vous présente, Juliet Perkins, je suis sûre que son témoignage nous sera des plus utiles pour nous faire une idée sur quel genre d'homme était Aiden Ruthendell. »

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Le cœur d'Aiden bondit dans sa poitrine. Vivante. Juliet Madelyn Perkins. En vie. Aucun doute. Même si la reine de l'Autre Terre ne l'avait pas nommée, il l'aurait reconnue. Entre mille, deux mille, trois mille... cent mille ! Il connaissait ses traits par cœur. Il était capable de la dessiner les yeux fermés. De longs cheveux bruns qui ondulaient naturellement autour de sa figure gracile. Des yeux en amande qui oscillaient, sans se décider, entre le brun et le noisette. Le faciès de l'innocence et de la bonté... le faciès des tricheurs, des menteurs et des manipulateurs. Un sourire de sa part semblait être la plus douce des choses au monde, et pourtant il n'y avait rien de plus cruel. On était facilement tenté de croire que briser Juliet s'avérerait simple. Ce n'était pas le cas. Juliet s'était taillée dans le roc et le diamant. La couche se montrait si impénétrable, si résistante que, même après toutes ces années passées près d'elle, il n'arrivait pas à voir tout ce qui se cachait au-dessous. Elle restait à ses yeux un mystère à percer, une énigme à élucider.

La faille... Il aimait se contrôler, il voulait se contrôler, il avait besoin de se contrôler : il avait échoué. La stupeur s'était imprimée sur son visage. Pourtant, à mesure que la belle avançait, ses sourcils se fronçaient et ses pupilles se contractaient. Tout ce temps, elle s'était tue. Ses talents d'espionne lui aurait aisément permis de le contacter sans que personne n'en soupçonnât rien. Aussi, il ne pouvait que se dire qu'elle l'avait laissé sciemment dans l'ignorance. La garce. Peu à peu, la rancœur chassa la surprise. Si elle croyait pouvoir s'en tirer ainsi... Non, non, elle lui devait des explications. Et même s'il devait finir pendu, il obtiendrait ces informations. Elle les lui dirait.

Passés l'étonnement et la colère, la méfiance traça son chemin. Allait-elle vraiment témoigner ? De quel droit ? Il pouvait très bien se débrouiller sans elle. Il la toisa. Elle était insupportable. Comment pouvait-elle prétendre l'aider ? Il n'avait pas besoin d'aide. Il s'en sortait magistralement bien. Et si elle le condamnait ? Ils ne s'étaient pas quittés en excellents termes, après tout. Elle en était bien capable. Il réalisa alors que l'issue de son procès appartenait au bon vouloir de Juliet. Il serra les dents. « Juliet... » marmonna-t-il. Elle s'arrêta. Il croisa son regard. Les Muses finissent toujours par tuer les Artistes...
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Injustice or justice ? #2 | Aiden Empty
Mar 8 Mar - 12:23





Juliet M. Perkins
— Irrémédiablement - impliquée —


Le talent faisait d'elle une précieuse complice. Les secrets faisaient d'elle une redoutable rivale. Ennemie d'un soir, alliée d'un Jour. Elle était engagée jusqu'au bout de ses idées, sournoise et renfermée, à tout instant, sans flancher. Elle était une nécessité, un mal pour un bien, un bien pour un mal, aussi. Renarde, vile et rusée, elle errait dans le mutisme d'une ville brisée, recouverte par les cendres d'un feu saignant, trop récent. Elle était agitatrice, manipulatrice, provocatrice à l'ombre des coulisses et préparait, manigançait, conspirait, imaginait le plus diabolique des complots. Confidences sous la cape, échanges et chantages, clandestine du Mur, inexplicablement insaisissable, elle était une entité mystère, un ange somptueusement effrayant. Elle ne connaissait pas les limites, ni les restrictions, aucun obstacle n'osait contester. Juliet avait carte blanche.

Les jours défilaient à une lenteur insupportable. Elle fixait le sablier, ses grains ridiculement minuscules s'égouttaient dans une mollesse alarmante, lourds, traînards, comme si le temps n'était pas sensible à la panique de la ville. Les Témériens avaient vaincu. Les rues étaient rougies. Les Trois étaient tombés. Et Juliet était meurtrie. Sa famille, son monde, ses espoirs, ses principes, ses idéaux; plus rien n'avait de sens, plus rien n'avait de raison. Elle tentait désespérément de rassembler les quelques morceaux de l'épave qu'était sa vie, et les recollait avec application et minutie.

Elle avait découvert que Julianne était prisonnière, enfermée dans une cage, sale et nauséabonde, indigne de sa grandeur. La jeunette en avait été révoltée, indignée et écœurée. Elle avait eu des élans de guerrière, le poing levé et l'orgueil blessé en avant. Comment osaient-ils traiter ainsi sa maîtresse ? Elle était l'âme de Vivendale, sa guérisseuse et protectrice ! Katharina n'était qu'une moins que rien, une voleuse de Terres, un imposteur au visage d'enfant qui se leurrait chaque jour depuis l'issue du combat. Rien n'était à eux. Jason avait calmé ses ardeurs. Il était de sages conseils, le plus indispensable des complices, le plus sensé des Hommes. « Tout arrivera en son temps, il faut simplement patienter. » Il avait raison, il avait toujours raison. Alors Juliet gardait la tête baissée, les lèvres sellées, les idées maîtrisées. Il lui disait de se faire discrète, le temps que les choses se tassent, que passent les mauvais jours. Elle avait repris son petit rôle de bourgeoise bien élevée dans l'Enclave. Se tenir droite aux côtés du père Perkins, revêtir son masque de noble prude, comme sa mère. Jouer un rôle, c'était ce qu'elle savait si bien faire, elle le faisait depuis des années. Ce n'était même plus un jeu, c'était elle, entière, une multitude de fragments incompatibles qui s'arrangeaient en un puzzle raté. Elle était une fraude, une farce, un mensonge ambulant dont elle n'avait même plus conscience. Juliet n'était qu'une enveloppe, un esprit façonné, un pantin dont les ficelles appartenaient à ses ravisseurs, Julianne et Jason.

Seulement, un de ces fragments s'attachait à une émotion en particulier. Clairement indéfinissable, sûrement floutée par le reste du puzzle, altéré par sa transformation. Un mélange d'amitié et de fascination peut-être, un magnétisme de la nature, un goût pour l'interdit, une répulsion attrayante, un passé mutuel qu'elle ne pouvait ignorer. Elle l'avait dans la peau, le bel inventeur. Malgré elle, malgré ce qu'elle pouvait en penser, malgré ce qu'on pouvait lui ordonner. Elle se retrouvait toujours de son côté à lui. Éventuellement. Même si elle pensait le contraire, même si elle luttait contre l'alchimie. Elle ne l'aimait pas, oh non, elle le haïssait. Profondément. Elle détestait son goût pour l'impertinence et son ego surdimensionné. De leur duo, il avait été le plus rebelle, le plus indocile, refusant de se plier, pour de stupides raisons. Il avait trop peu de principes et ses seuls desseins n'étaient liés qu'à sa propre personne. Il était égoïste, impulsif, ingrat envers ses maîtres. Détestable. Il n'était qu'un pion, comme tous les autres, mais se croyait différent. Il l'avait tant de fois abusée, trahie, elle, celle qui autrefois, se croyait son amie, sa moitié. Il n'était qu'une faiblesse, qu'elle ne cessait de repousser. Pourtant, elle cédait, encore.

Malgré les mises en garde du Sage et les interdictions de la Lionne, elle zigzaguait dans la foule de Témériens, et de Nordiens convertis. Elle était dissimulée parmi les centaines de corps tempétueux, fondue dans le décor, une, parmi tant d'autres. Le capuchon de sa robe de Noblionne couvrait ses mèches sombres et son visage neutre fixait le trône de la femme-enfant. Elle ne se laissa pas aller aux injures ou aux provocations intérieures, Katharina ne méritait aucune de ses pensées. Elle l'observait lui, qui empruntait les marches de l'escalier mortel. Juliet n'eut aucune réaction en déchiffrant le soupçon de peur dans ce regard qu'elle connaissait tant, aucune autre en captant la fine fossette de sa joue gauche. Elle ne lui accorda aucune once de sympathie, il était aussi peu méritant que son bourreau.

Il l'avait déçue, tant de fois. Il l'avait blessée, plus que n'importe qui. Et pourtant, malgré sa raison qui tentait désespérément de céder à la haine, son cœur fit un bond lorsqu'il s'arrêta devant la Régente. « Veuillez décliner votre identité. » Le procès commença.

Il avoua bien plus que nécessaire: son rôle, ses actions, ses réflexions. Il se défendit comme il put, tandis que Katharina restait de marbre à sa plaidoirie. Il se dit esclave, et même si elle savait qu'il tentait une approche différente, Juliet ne put s'empêcher d'en être froissée, de remettre en question leur passé. Elle écouta avec attention chacun de ses mots, chacun de ses gestes. Pourquoi n'avait-il pas fuit pendant la bataille ? Pourquoi s'était-il laissé prendre ? Il aimait immodérément jouer avec la mort, bien trop attiré par le danger. Il n'était qu'un fou. Pourquoi ne s'était-il pas mêlé à la foule du Village ou de l'Enclave, il savait pourtant se mélanger aux autres, c'était un talent qu'ils partageaient. Au lieu de cela, il avait tendu les poignets pour qu'on lui mette les chaînes, il avait offert sa vie. Et pour qui ? Pour cette gamine couronnée par un peuple barbare, complètement aveugle ? Pour quoi ? Pour cette dictature, pour expérimenter l'humiliation de l'estrade, pour voir à quoi ressemblait un procès, pour ressentir les émotions du paria ? Faisait-il une observation de terrain pour ses stupides recherches ? Pensait-il réellement s'en sortir avec ses manipulations verbales et son joli faciès ? Ce n'était pas un jeu. Il avait toujours été déraisonnable, à l'excès.

Katharina avait un secret. Elle était la nouvelle autorité, encore bien trop fragile pour laisser place à l'erreur. Elle devait se montrer inflexible à sa loi, à ses lois ridicules, censées être justes. Juliet n'appelait pas cela de la justice, c'était de l'empiétement, de l'abus. Les Nordiens avaient leurs lois, de quel droit imposait-elle ses conditions ? Parce qu'elle avait tué, pillé, souillé ? Le pouvoir ce n'était pas une question de force d'armée. Elle n'avait pas gagné la guerre, elle n'avait rien gagné du tout. Bientôt, tous les bourgeois réaliseront s'être faits duper, bientôt son propre peuple changera de bord. Parce que Katharina n'était pas faite pour régner. Elle était trop faible d'esprit. Sa vision du monde était trop utopique, ses lois, trop chimériques. Son secret la rongeait. Elle devait persuader le peuple, son peuple et celui du Nord, que les prisonniers étaient coupables. Au nom de la justice, à raison d'escobarderies.

Il misa sur la jeunesse. Il avoua ses faiblesses pour mieux les expliquer. Elle ne flancha pas. Elle attaqua, démonta chacun de ses arguments. Et avant qu'il ne puisse lui retourner les compliments, elle leva une main pour faire silence et appela le témoin. Aiden se figea, ses traits ses crispèrent, ses doigts s'enfoncèrent dans ses paumes. Juliet le connaissait trop bien. On vint la chercher dans la foule et elle se présenta au bas de l'estrade. Katharina ouvrit le bras pour ordonner qu'elle approche. « Il s'avère qu'une personne est venu à nous, elle souhaitait témoigner à votre procès. J'imagine que vous devez la connaître... » La Noble baissa son capuchon et monta la première marche, lentement comme s'il elle soignait son apparition... Gracieuse, fascinante, intrigante, des centaines d'yeux la fixèrent lorsqu'elle se retrouva sur les planches. Aiden aussi. « Je vous présente, Juliet Perkins, je suis sûre que son témoignage nous sera des plus utiles pour nous faire une idée sur quel genre d'homme était Aiden Ruthendell. » La foule était muette. Tous attendaient de voir de quel côté elle allait se ranger. Aiden... Aiden, lui, était surpris. De la voir, de la voir ici surtout. Il serra les dents, réalisant que rien n'était gagné. Elle perturbait ses projets. « Juliet... » Salutations des plus chaleureuses, elle n'en attendait pas moins. Elle lui sourit par le regard, provocatrice, lui seul pouvait le comprendre. Il voulait jouer avec la mort ? Elle serait sa complice.

On lui indiqua un modeste siège de bois, un peu miteux en comparaison au trône de la fillette. Elle s'y posa sans un mot, sans un regard de plus pour l'inventeur. Elle fit face à la foule, à demi tournée vers l'accusé, la Reine à sa gauche dans son champ de vision. Juliet avait un plan, elle en avait toujours. Elle pensa à la Lionne qui pâlirait en la voyant là-haut, et Jason qui devait probablement ruminer dans sa barbe en pestant contre son inconscience.

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Alessandra de Marbrand
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Dim 13 Mar - 16:17


 
KATHARINA
— i'm in charge —

Le choix lui reviendrait. Gracier ou punir. Quelle genre de reine était-elle ? Etait-elle prête à châtier quiconque se trouverait en travers de son chemin, qui la remettrait en question ? On lui répétaient, chaque jour, d'asseoir son pouvoir par un coup de force, d'autres venaient lui conseiller de gagner la confiance du peuple en leur montrant sa clémence. Tous étaient persuadés de lui offrir les meilleurs conseils. Chacun pensaient qu'ils avaient raison et que c'était la chose à faire. Conseiller était une chose, régner en était une autre. Car, au final, si elle prenait la mauvaise décision, le blâme lui reviendrait à elle quand ceux qui l'avaient poussé vers ce choix dangereux feraient comme s'ils n'avaient jamais approuvé ne serait-ce qu'une partie du plan.

Elle devait choisir correctement, avec sa tête et non avec son coeur. Peu importait si elle appréciait la personne face à elle ou si, au contraire, cette dernière ne lui inspirait que du dégoût ou bien du mépris; ses sentiments n'avaient pas de place ici, seule la justice des dieux devait régner. Cette justice lui était dictait par Elia elle-même, reine de tous les dieux, elle incarnait le pouvoir à l'état pur, à la fois ferme et juste, froide et douce, les légendes contaient les aventures d'une femme à la beauté et au coeur unique qui, peu importe la situation, faisait toujours ce qu'il fallait pour son peuple. Et aujourd'hui, c'était à Katharina d'assurer ce rôle à la place d'Elia, la déesse lui avait, dit-on, insufflait la vie et, ainsi, le droit de régner et de veiller sur son peuple. Elle devait être digne de cette tâche.

Au seul nom de Juliet Perkins, l'accusé se figea sur sa chaise, comme s'il avait reçu un électrochoc. Comment ceux deux se connaissaient-ils ? Etait-ce en bien ou en mal ? Dans un cas comme dans l'autre, la jeune femme  permettrait à la jeune reine de faire un choix plus juste. Elle ne pouvait décemment pas condamner un homme sur un seul acte et sur les dires de ce seul homme, elle devait voir l'image entière, et Juliet était là pour la lui montrer. « Juliet Madelyn Perkins, vous êtes ici car vous souhaitez témoigner dans ce procès. Avant de savoir si cela est en faveur ou en défaveur de notre accusé j'aurais quelques questions à vous poser. » Se levant souplement de son siège, la régente fit quelques pas pour se placer face à la brune. « Quelle est votre relation vis à vis de Monsieur Ruthendell et dans quelles circonstances l'avez-vous connu ? » Elle jeta un coup d'oeil, par dessus son épaule, vers le jeune homme. « Etiez vous au courant de son contrat pour les Trois ? Si oui, que savez-vous de ces agissements ? » Elle voulait tout savoir, son caractère, ses habitudes, ses plus sombres secrets... « Comment décririez vous sa personnalité ? Monsieur Ruthendell était-il, comme il l'a si bien dit, un esclave de son contrat ? »

Pendant une poignée de secondes, le silence régna. La jeune femme en avait-elle fini avec son interrogatoire ou avait-elle autre chose à ajouter, que voulait-elle savoir d'autre ? Tout. Elle voulait tout savoir. Elle devait voir l'image entière, dans ses moindres recoins, ces zones de lumières et ces zones d'ombres. Rien ne devait lui échapper, rien du tout. « Oh, une dernière chose, dîtes moi, Mademoiselle Perkins, êtes vous ici pour défendre ou bien vous opposer à notre accusé ? Pensez-vous qu'il mérite un châtiment, ou bien devrais-je lui offrir une seconde chance. » Son regard quitta le prisonnier pour se poser sur la témoin. L'heure des révélations était arrivée. Le masque d'Aiden allait enfin tomber et le monde saurait qui il est réellement.



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Dezbaa
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Injustice or justice ? #2 | Aiden Empty
Jeu 17 Mar - 23:28

Aiden Ruthendell
— Mascarade —

Une chaise de bois l'attendait, tranquille, perchée sur ses quatre jambes frêles. Elle s'y assit. Le vieux meuble couina discrètement. Aiden ravala sa salive et souffla doucement par le nez. Ce bruit n'attestait que plus puissamment sa présence ; sa fantomatique présence. C'était le réel. Elle ne lui faisait pas face. Son visage était tourné vers la foule. Dans un mutisme agité, celle-ci patientait. Elle espérait que le témoin se trouvait du côté de la justice, qu'il dénoncerait l'inventeur et qu'il le crucifierait à l'aide de clous dentelés. Sa souffrance devrait être une litanie : longue et ennuyeuse pour lui ; jouissive pour ses tortionnaires. Il devait payer. Il devait expier. C'était lui contre le reste du monde.
Juliet ? Juliet, c'était le grain de sable, minuscule, presque invisible, et pourtant scintillant, captivant, qui allait se déposer doucement sur l'une des piles, et faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Elle tenait les rênes du destin ; à elle de diriger le char dans une des directions. Le génie la dévisageait. En l'instant, il se voyait incapable de deviner ce qu'elle s'apprêtait à faire. L'opacité demeurait complète. Il avait beau la scruter, il ne se heurtait qu'à la noirceur épaisse et rugueuse de son endoctrinement. Elle disposait de toutes les raisons du monde de le vouloir mort. Probablement plus que n'importe qui.

Juliet n'avait jamais retiré son bandeau. Elle l'avait gardé, et avait effectué le parcours que les Trois lui traçaient en se laissant seulement guider par leurs voix. Juliet, c'était l'enfant de Julianne, le rejeton sur mesure, le venin du serpent. Elle avait toujours eu cette loyauté intransigeante et irréductible. Envers et contre tout, elle obéissait. C'était leur chienne. Sa laisse constituait une chaîne incassable, et qu'elle n'avait aucunement l'envie rompre. Elle s'était offerte à eux : elle leur appartenait, corps, esprit, âme et cœur. Eux, ils ne s'étaient évertués qu'à une seule chose : lui prendre tout ce qu'elle avait.
Aiden avait beaucoup perdu aussi... mais il avait encore la possibilité de s'en rendre compte, si ce n'était point de le regretter. Le voile de la cécité ne s'abattait pas entièrement sur sa vision éclairée. En cela, elle pouvait ne pas le comprendre, et peut-être même le détester. Il n'avait jamais fait preuve d'une fidélité indubitable ; il avait travaillé pour d'autres en même temps. Il avait, durant les débuts, résisté. Franchement. Avec aplomb. Il avait eu une éthique, un jour. Mais, peu à peu, comme il voyait les conséquences de ses actions et les nouvelles menaces qui grondaient, il avait laissé la cage se refermer, lentement. Il était devenu un instrument de plus, un lion qui ne pouvait blesser que lorsque la main de son dompteur osait s'aventurer dans sa cage. Il s'était vendu. Trop facilement. En un sens, oui, il avait baissé les bras. Mais il l'avait dit à Katharina : il était lâche.

Lâche. Le courage perdait les hommes. Il n'en avait sûrement même pas conscience, ou alors à peine, parce qu'il se croyait fondamentalement couard, mais ce qu'il avait vécu avec les Trois l'amenait là. La fortitude, la résistance, la détermination, tout cela menait à la mort. On n'en réchappait pas. S'il avait eu ce brin de hardiesse... ils lui avaient volé. Et Aiden avait toujours choisi ainsi : entre sa vie, ses intérêts personnels, et autre chose, il préférait sa vie et ses intérêts personnels. C'était égoïste. C'était faible. C'était lâche. Il ne se battait plus. Juliet, il l'avait laissée couler dans les eaux sombres et gluantes de son marasme. Il n'avait pas essayé de plonger pour la sauver. Il avait juste glissé une main. Mais elle était déjà trop loin. Il l'avait abandonnée. Il lui avait menti, l'avait trahie, l'avait blessée. Sa turpitude n'avait aucune égale. Elle était juchée sur un piédestal, un trône sur lequel elle avait assis son pouvoir sans déverser ne serait-ce qu'une goutte de sueur. On lui livrait tout sur un plateau d'argent. Plus que reine, elle était tyran. Sa tiare étincelait des immondices de ses actions et ses robes masquaient des jupons de peau, qu'elle portait comme un chasseur exhiberait les fourrures de ses conquêtes. L'horreur dans toute sa splendeur.

Les souvenirs le leur rappelaient à tous les deux. La noble n'avait rien d'une blanche colombe : elle l'avait déchiré aussi ; sa plaie avait éclaté à son visage et elle était désormais aspergée de sang. Néanmoins, leur relation n'était pas que méfaits. Ils s'étaient aussi apportés le bien, d'une certaine façon. La mémoire ne leur permettait pas de l'oublier. Ils avaient trouvé en chacun un ami. Un drôle d'ami, à la fois aimé et haï. Ils avaient entrevu le monde à travers les yeux de l'autre, succinctement. Ils avaient partagé une amitié forte et solide, mais leurs actions avaient étiolé la corde invisible qu'ils avaient nouée autour de leurs tailles. Ils s'étaient meurtris. Mais n'est-ce pas là un penchant de l'Homme, un penchant inscrit à l'encre indélébile dans son cœur batifolant ? Il fait du mal à ceux qu'il aime. Plus encore, il fait du mal à ceux qu'il aime et qui l'aiment en retour.
Et eux... Eux, c'était compliqué. Il y avait cette alchimie, déjà. Elle était indéniable. Aiden avait essayé de la renier plusieurs fois. Finalement, il cédait. Toujours. Elle suscitait en lui des émois qu'il tentait de réprimer avec force. Être avec Juliet revenait à lutter perpétuellement. Elle en avait joué, de ce point sensible, la garce. Elle en avait joué beaucoup trop souvent, et elle l'avait ainsi entraîné dans sa propre chute. Il la laissait se noyer, et elle ne resurgissait que pour le convaincre de plonger plus profondément son bras. Elle avait fini par l'attraper. Il ne l'avait pas tirée vers le haut ; elle l'avait attiré vers les profondeurs. « Aiden, il faut que tu fasses ce qu'on te dit. » Il faut, il faut, toujours ces mots. Toujours ces impératifs. « Ils ont besoin de toi, de tes idées, de ton savoir. Tu es important. J'ai besoin de toi. » Toujours ces mensonges. Garce. C'était allé trop loin !
Comme il pensait, il fronça les sourcils et lui accorda un regard sombre. D'un côté ou de l'autre, ils finissaient toujours dans les extrêmes. Il n'y avait pas de juste milieu, il n'y avait pas de normalité ; il ne pouvait pas y en avoir. Lorsqu'il songeait à ses lèvres brûlantes, il imaginait son sang chaud sur ses mains. L'envie de la massacrer à coup de poignards équivalait au moins à celle de lui faire l'amour. Et la limite était mince, trop mince. En continuant à se côtoyer, ils se riaient du feu de leurs pulsions. C'était pire que de s'amuser de leurs ressentis. Un jour, l'un ou l'autre craquerait. Ils ne pourraient pas éternellement supporter cette pression. Le fil se romprait ; la cassure serait leur fin.

Alors, Juliet... Après tout, malgré tout, elle était sans doute la mieux placée pour le juger, pour déterminer ce qui l'emportait. Le vice ou le bien ? Y avait-il un espoir de rédemption ? Aiden releva la tête. Il inspira, puis reporta son regard sur la jeune reine.

« Juliet Madelyn Perkins, vous êtes ici car vous souhaitez témoigner dans ce procès. Avant de savoir si cela est en faveur ou en défaveur de notre accusé j'aurais quelques questions à vous poser. » Chaque fois qu'elle prononçait son nom, un frisson dont la provenance demeurait assez incertaine parcourait l'artiste. La fille à la crinière blanche se leva de son siège et s'approcha, majestueuse, de l'espionne. « Quelle est votre relation vis à vis de Monsieur Ruthendell et dans quelles circonstances l'avez-vous connu ? » Elle lui lança un regard, il plissa les yeux. Son souvenir de sa rencontre avec Juliet restait peint de vives couleurs. Près de dix années s'étaient écoulées depuis, mais rien n'avait terni ces premières images. Il avait été reçu par les Trois. Elle se tenait près d'eux, droite, stricte. Sur le coup, il avait songé à une statue de marbre. En réalité, quelque chose de bien plus fort l'avait frappé. Elle dégageait une aura saisissante. Toute en discrétion, elle laissait pourtant une forte impression. Mais le plus marquant demeurait leur seconde rencontre, lorsqu'il avait découvert qu'elle le suivait sur ordre du Haut-Gouvernement. Ces bribes de mémoire, quand elles revenaient défiler sur l'écran de sa rétine, lui arrachaient des sourires. Pourtant, en l'instant, il ne souriait pas. Il se rappelait surtout de leur dernière entrevue. « Etiez vous au courant de son contrat pour les Trois ? Si oui, que savez-vous de ces agissements ? » Il avait essayé de lui sauver la vie, la vie au sens large. Encore une fois, il avait tenté de lui ouvrir les yeux, lui avait dit qu'elle pouvait profiter de la situation pour échapper aux Trois. Elle avait répondu qu'elle préférait mourir pour eux que de les abandonner. Sous-entendu, que de les abandonner pour elle, pour ses aspirations, pour ses choix, pour son destin ; si tant était qu'elle en désirait. Son abnégation demeurait complète. Il l'aurait voulue plus égoïste. Son discours avait encore remis sa loyauté en question, cette loyauté qu'elle aurait souhaité voir resplendir mais qui n'existait que sous le joug d'une contrainte de leur part, et d'une excitation de son âme pour les côtés obscurs de ce monde. « Comment décririez vous sa personnalité ? Monsieur Ruthendell était-il, comme il l'a si bien dit, un esclave de son contrat ? » Oui, il l'était. Esclave de ce contrat, et esclave de lui-même. Il avait tout de ce monstre qui animait tant les débats. Elle le savait, elle l'avait vu, il lui avait montré. Elle avait conscience des choses auxquelles il pouvait s'abaisser. Et elle avait aussi réalisé jusqu'où il pouvait s'élever. Il avait fait régner l'équilibre pour ne pas la répugner. Il avait agi comme il aurait agi avec n'importe quelle autre personne qui lui aurait tenu un minimum à cœur... mais Juliet était emprisonnée dans sa cécité tant adulée. Elle le saurait, elle l'aurait vu, elle aurait conscience des choses auxquelles il pouvait s'abaisser, et elle aurait aussi réalisé jusqu'où il pouvait s'élever, si elle avait ouvert les yeux. Ils restaient clos sur tout ; espionnage, tromperie, meurtre, massacre. Ils laissaient tout passer, hormis la trahison au Haut-Gouvernement.

Ses iris verts jaugèrent la brune une nouvelle fois, perçants comme s'ils essayaient de deviner les pensées qui couraient son esprit. Pour savoir, pour rassurer leur hôte. Mourir était une chose. Mourir de sa bouche, c'en était une autre. Ne pas connaître ses intentions relevaient de la torture. Elle avait toutes les clés en main et toutes les possibilités se terraient derrière la porte à laquelle elle faisait face. « Oh, une dernière chose, dîtes moi, Mademoiselle Perkins, êtes vous ici pour défendre ou bien vous opposer à notre accusé ? Pensez-vous qu'il mérite un châtiment, ou bien devrais-je lui offrir une seconde chance. » L'inventeur tourna la tête vers Katharina. Un mot, et il pouvait jouer son dernier tour, le plus grandiose et le plus pitoyable, le numéro d'adieu au monde des vivants. Et elle, elle, l'envahisseuse, elle voulait le voir mort. Il le lisait dans ses yeux de glace.


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Malbe
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Injustice or justice ? #2 | Aiden Empty
Jeu 16 Juin - 20:20





Juliet M. Perkins
— she never hesitates —


Juliet était un personnage fascinant. Elle captivait, enchantait, telle les sirènes des légendes. Et Aiden avait été un  navigateur imprudent, envoûté par l'affliction déguisée en séduction. L'enjôleuse l'avait noyé dans les eaux troubles de la torpeur, elle l'avait attiré dans les bas-fonds d'une remise en question continuelle et d'un désir dévorateur, un désir d'esprit et de chair, trop consumant, trop nuisible. Elle l'avait détruit, lui et ses rêves, lui et ses envies, ses projets, ses idées. Elle avait volé son cœur et sa raison. Dès l'instant où il la connut, dès le moment où il choisit de la connaître, il décida d'être fait prisonnier. Jamais il ne put s'évader. Jamais elle ne le laissa faire. Jamais elle ne l'aurait laissé. Elle collectionnait les masques, les facettes, les identités secrètes pour tromper, tricher, truquer. Pas seulement avec Aiden, mais avec tous. C'était un jeu pour lequel elle s'était créée une addiction, un genre de passe-temps malsain qui l'avait dépossédée de sa véritable nature, qui avait créé des lacunes étranges à son caractère, qui avait piqué sa personnalité pour la complexer en une diversité d'humeurs particulières. Juliet était trouée par endroits. Des riens remplissaient ses peurs, des vides remplaçaient ses désirs, et ses valeurs étaient changeantes, trop souvent aléatoires, altérées par le hasard et la manipulation de ses Maîtres, ceux qui l'avait façonnée. Elle avait oublié certaines émotions, comme la joie, le chagrin, et l'amour aussi. Elle ne savait plus. Elle ne savait plus ce qui était vrai, puisque pour elle tout était faux. Elle se multipliait, se démultipliait à souhait, selon les circonstances, selon les attentes des autres, ou les coïncidences. Elle prévoyait ses costumes, se déguisait comme bon lui semblait. La transformation lui plaisait beaucoup trop, elle était devenue dépendante de la métamorphose, comme une assuétude dont elle ne pouvait se débarrasser, et dont elle ne voulait pas se débarrasser. C'était grisant d'être multiple. Elle pouvait être aussi charmante que détestable, aussi attendrissante qu'effrayante, aussi généreuse que sans cœur. Elle jouait des rôles, des rôles grandioses. Et son rôle cette fois-ci, au procès d'Aiden, serait des plus mémorables.

Katharina étudiait les réactions de son prisonnier et du témoin, minutieusement, pour élaborer la suite, pour prévoir les réactions futures. Elle se devait d'être prête, prête à toute possibilité, à toute éventualité qui pourrait la mettre dans une position délicate, qui pourrait mettre en danger son pouvoir, son autorité et sa crédibilité auprès des Nordiens fraîchement convertis. Les difficultés étaient à éviter, et de grandes questions entravaient encore ses desseins : quelle serait la réaction de Juliet ? Où se situait-elle ? Défendrait-elle l'accusé ? En tentant de déchiffrer l'expression sur la figure de l'inventeur, elle discerna une étrange fureur et un soupçon de rancœur; pour Juliet, elle se heurta à un mur. Personne n'aurait pu dire si elle était ici pour le soutenir ou pour prouver sa culpabilité. Mais tous devinèrent qu'elle serait probablement sincère, là, sur cette scène, sous le regard du peuple, et des Dieux du Trisal. Sa mine décontractée laissait supposer qu'elle était déterminée dans ses projets et qu'elle savait ce qu'elle faisait. Ses épaules droites, ses riches vêtements et son visage de poupée prouvaient, sans doute aucun, son appartenance aux rangs des Nobles. Et ceux-ci étaient réputés pour être honnêtes quand il en venait aux déclarations en public, par crainte de la nouvelle régente, ou par principe d'une bonne éducation. Seuls les gens mal enseignés savaient mentir lorsque tous les regards étaient tournés vers soi et seuls les sauvages pouvaient prétendre abuser les Dieux. De plus, les mots d'une jeune femme aussi authentique que Juliet Perkins ne pouvaient qu'être vrais. Jusqu'à preuve du contraire, la belle n'était qu'en faveur de la justice.

« Juliet Madelyn Perkins, vous êtes ici car vous souhaitez témoigner dans ce procès. Avant de savoir si cela est en faveur ou en défaveur de notre accusé j'aurais quelques questions à vous poser. » Katharina quitta son trône et la Noble laissait ses prunelles chaudes naviguer sur le visage princier. On aurait pu la penser captivée par la femme-enfant, comme si elle croyait en son pouvoir et en la justesse du châtiment qu'elle prévoyait pour le novateur des Trois. Et pourtant c'était tout le contraire. Juliet la maudissait, elle abhorrait ses allures de princesse, et de toute évidence ce procès aurait dû être le sien... Car c'était à Julianne qu'appartenait ce trône, cette couronne, cette estrade, cette grande place, tous ces spectateurs du Nord, ces soldats corrompus, ces villageois dans les prisons. Et surtout, Aiden, et Juliet. Elle possédait le génie, elle possédait l'espionne. Ils étaient ses artistes, ses protégés, ses fidèles, ses enfants. Tout lui appartenait. Et tout lui reviendrait de droit un jour... Elle verrait. Ils verraient tous. « Quelle est votre relation vis à vis de Monsieur Ruthendell et dans quelles circonstances l'avez-vous connu ? » L'assistance murmura, curieuse et la Reine jugea Aiden de son regard liquide. « Étiez-vous au courant de son contrat pour les Trois ? Si oui, que savez-vous de ces agissements ? » Dans un mouvement théâtral, elle tourna les talons pour faire face au témoin. Et d'une voix forte, sur une touche dramatique, elle posa sa dernière question. « Comment décrieriez vous sa personnalité ? Monsieur Ruthendell était-il, comme il l'a si bien dit, un esclave de son contrat ? » L'audience approuva les demandes de la Reine avec des hochements de tête et des chuchotements approbateurs, les réponses méritaient d'être connues de tous.

La mignonne joua de sa fragilité, de son innocence. Pour plus crédibilité, pour qu'on adhère à ses idées, à ses opinions. Elle posa sur sa mine sauvage, le masque de la finesse. Elle lui emprunta la douceur du regard et l’onctuosité du sourire. Elle savait comment se faire aimer d'un public et comment convaincre de ses mots grâce à une posture, des battements de cils, une jolie moue. Chaque parole était hypocrite, chaque vérité était contrefaite, chaque dialogue était menterie, chaque preuve était falsifiée. Sa vie n'était qu'une mise en scène. Alors elle parut prise de court, un peu intimidée par ces questions et par cette foule inquisitrice. Elle rentra doucement les épaules, ses sourcils se plissèrent, plus apeurée, plus réservée. Telle la plus raffinée des Noblionnes, afin d'éclaircir sa voix, elle porta sa main droite à ses lèvres et y posa trois doigts et couvrit un toussotement discret. Elle se régalait de ce divertissement. « Notre relation ? » Ses yeux de biche scrutèrent les badauds comme s'ils avaient la réponse. Puis elle osa s'intéresser à la Reine d'argent. Elle déclara très certainement, répandant la bonne parole. « J'ai été l'amie de Monsieur. » Elle hocha doucement pour confirmer, puis avoua, d'un air plus grave. « Intimement. » Des sourcils se froncèrent chez les Témériens. Prenant son rôle de témoin toujours plus sérieusement, elle ajouta, sans s'inquiéter des grognements surpris ou désapprobateurs. « Et j'ai été son ennemie. Notre relation est bien complexe pour la détailler dans sa totalité. Je pense qu'aucun de nous deux ne pourrait vraiment poser des mots sur ce que nous sommes. » Elle croisa les jambes pour plus de confort, le dos toujours droit, le regard plus intense. Et confiante, elle précisa pour la femme-enfant : « Pourtant je suis certainement la mieux placée pour juger votre prisonnier. Ou du moins, vous apporter un avis pesé, une opinion presque neutre. Je resterai objective, du mieux que je pourrai. Et puisque je l'ai aimé et haï, je pourrai, Reine Katharina, vous apporter mon aide dans ce délicat procès. » Son attention se porta sur la masse à leurs pieds. « Peuple de Vivendale, et invités Témériens; je témoigne aujourd'hui ni en la faveur ni en la défaveur de l'accusé. J'apporte des histoires, j'apporte des faits, qui pourront vous éclairer sur le caractère de cet homme... » La colombe crut reconnaître ses parents au loin. Elle perçut les airs choqués du père et les yeux ronds de la mère dont le jeu d'éventail s'amplifiait vélocement. Sa relation avec Aiden n'avait jamais été confidentielle — pas vraiment — et malgré tout elle n'avait jamais été révélée. Ils s'étaient connus, aimés et détestés dans la Haute-Tour, dans les ruelles sombres, et confinés dans leurs chambrettes, à l'abri des murmures, à l'abri des rumeurs. Aujourd'hui cela changeait, aujourd'hui ils étaient exposés. Leurs secrets seraient révélés... A partir de maintenant, tous chuchoteraient sur ce couple étrange. Et Juliet le savait, elle l'avait prévu, elle l'avait voulu. Tout s'alignait à ses projets. Elle tourna le menton vers la Dame d'argent. « ... Et qui pourront, si vous les prenez en compte, vous aider dans votre décision. » Elle échangea un air entendu avec la régente et poursuivit son témoignage.

« En effet je connaissais la nature de son office. Mais pour une fille amoureuse, est-ce là fort important ? Je ne me suis inquiétée de son travail que bien plus tard. » Elle secoua la tête, comme si ce soucis devrait être explicité ultérieurement dans son exposé. « Nous nous sommes rencontrés jeunes... » Elle questionna le public, l'invitant à prendre part à son histoire. « On concède à la jeunesse, la légèreté et l'insouciance, n'est-ce pas ? ... Aiden et moi avons été jeunes et insouciants. » Elle eut un fade sourire pour l'audience. Pour Aiden elle eut un regard tendre, un peu nostalgique. Ses yeux semblaient tristes et son cœur paraissait lourd d'un vieil d'amour. La foule compatit avec cette jeune femme fragile, cette jeune femme blessée. Katharina qui la dominait sur son trône rouge, comprit sa mélancolie. A cet instant elles étaient égales, toutes deux femme de passion, toutes deux femme de cœur. Le génie, lui, qui connaissait parfaitement le manège de l'actrice, la toisa sans un mot. Seulement c'était vrai, ils s'étaient aimés. Follement, naïvement, péniblement. Et peut-être, s'aimaient-ils encore dans le fond... A leur façon, maladroitement et bizarrement. Il sut aussi qu'elle ne regrettait pas cette époque. Car Juliet n'avait pas de remords, ou du moins pas souvent. Et pas pour ça. Surtout pas pour ça.

**

La haute-tour — Des années avant l'arrivée des Témériens.


La porte en bois semblait trop imposante, trop grande, trop lourde. De ses doigts fins, elle toucha une mèche de son front, sans la changer de place, juste pour vérifier. Elle se mordillait le bord des lèvres, nerveusement, comme si elle appréhendait ce qu'il se trouvait de l'autre côté. Une grande inspiration et elle tourna la poignée ronde. Aiden était là, dans le fond de sa grande chambre, installé à un bureau. Il avait allumé une bougie pour mieux distinguer les traits sur ses plans car la nuit tombait. Il se tenait en arrière sur son tabouret, les jambes pliées sous le siège et il passait la plume sous son menton, chatouillant sa peau pour stimuler ses idées. Il faisait souvent ça, quand il réfléchissait. Il ne la vit pas tout de suite, trop plongé dans son travail. Elle contourna la table au centre de la pièce, envahie de parchemins gribouillés et se dirigea vers l'artiste concentré. En traversant la chambre, ses doigts s'arrêtèrent sur les objets qui passaient. La surface d'un meuble, un petit coffret, une boîte à bougie, un encrier vide, une chemise posée négligemment sur une chaise de paille, des livres. Elle adorait cette pièce, elle sentait la réflexion. Juliet vint se placer sur le flan gauche de l'inventeur, sans rien dire, les mains derrière le dos. Il leva la tête après avoir fini sa courbe et posa sur elle, ses yeux clairs, brillants d'imagination. « Juliet... » Il lui sourit, de ce sourire dont il avait le secret, les lèvres étirées, lisses, des fossettes séduisantes et les commissures relevées, comme s'il était toujours ravi de la voir. Elle se mordit l'intérieur des joues une seconde, pour résister à son sourire à elle, qui serait trop grand pour l'occasion. Puis elle le salua à son tour, sur un ton qui se voulait détaché. « Aiden. » Sans grand succès pour la désinvolture, un coin de sa bouche grimpa plus haut sur sa figure juvénile, sans qu'elle ne puisse le contrôler.

Elle se racla la gorge, effaça le timide sourire qui tentait une apparition et passa aux choses sérieuses. « Je viens de la part des Trois. » Le garçon eut l'air ennuyé, plus crispé soudainement et ses sourcils se froncèrent comme s'ils étaient en colère. Elle le savait susceptible quand il en venait à leurs maîtres, mais il était à leur disposition désormais. « Ils souhaitent te faire construire une structure, quelque chose de massif pour défendre Vivendale. Quelque chose de colossal et de puissant. Pas seulement pour protéger ... pour attaquer également. » Elle lui tendit alors un rouleau enrubanné avec les instructions précises dictées par Julianne. Très officiel. Son travail à elle était de le convaincre de se plier aux volontés. Le recrutement de l'artiste était nouveau, ils ne lui faisaient pas encore confiance. Il avait trop d'envies de rébellion. Le jeune attrapa le rouleau presque à contrecœur, sans un regard pour la messagère, et l'étala sur ses planches. On lui dictait les étapes et les ressources dont il disposait étaient indiquées dans le second paragraphe. Il ne s'attarda sur aucun mot et se dépêcha plutôt de finir sa lecture. Puis il croisa les doigts et s'enfonça dans sa chaise sans plus s'inquiéter du papier. Il leva ses iris de jade vers la protégée des Trois, la mine déçue. « Tu sais Juliet ... il y a des jours où je regrette d'avoir accepté. » Elle arqua un sourcil, peu certaine que cette conversation serait bénéfique à l'un ou à l'autre. « Accepté quoi ? » « Accepté ça. » Il écarta son bras et montra la pièce. « Ce qu'ils m'ont soi-disant offert. » Aiden ne réalisait pas encore, mais ils lui avaient tout offert. En plus de tout ce qu'il lui fallait pour assouvir ses besoins et satisfaire ses ambitions, ils lui avaient donné la chance des possibilités. Mais ce n'était pas suffisant pour l'Etranger. Il voulait quelque chose de différent, un concept qui devenait de plus en plus brumeux pour Juliet... « Et ma liberté ? » Dans un sursaut de colère il froissa brusquement quelques feuillets. Il se leva vivement de son siège, pris d'une autre de ses folies, d'un de ses désirs ridicules d'échapper au confinement. Elle ne comprenait pas ces élans, elle les trouvait étranges, trop anomaux, ils surgissaient parfois, comme venus de nulle part et n'avaient aucun sens. Être au service des Haut-Gouverneurs était un privilège qu'il ne semblait pas saisir, il se croyait marionnette de leurs caprices alors qu'il était interprète de leur génie. Elle le pensait absurde dans ces moments-là, à imaginer qu'il y avait mieux ailleurs, à songer à ses montagnes et ses ciels d'eaux. Il avait tout ce qu'il pouvait rêver d'avoir ici. Vivendale était un havre de paix, un de ces endroits où chaque chose était à sa place, où tous avaient un rôle à jouer, où chacun aimait sa vie. Parce qu'on connaissait l'influence du HG sur le bonheur, dans l'Enclave ou ailleurs. Les Trois y veillaient, ils l'avaient promis. Qu'y avait-il de si merveilleux là-bas pour qu'il se sente si mal ici, avec eux ? Elle fut morose de le voir aussi troublé et baissa la tête pour fixer ses pieds. Remarquant qu'il l'avait contrariée, ses épaules s’affaissèrent et ses traits se tordirent en un rictus navré. Il mit sa fougue de côté, peu désireux de lui faire de la peine. Il la préférait souriante. Il soupira et se rassit sur son tabouret de bois, un peu plus résigné, et se mit à lire le parchemin dans son intégralité. Son poing s'écrasa contre sa joue comme un enfant boudeur. La bougie encore entière, il s'appliqua dans sa lecture; pour lui faire plaisir. Juliet perdit vite son air triste pour tirer une chaise et s'asseoir à ses côtés. Il demanda plus de détails et elle les lui fournit. Julianne voulait de grosses poutres de bois. Alan avait proposé que ce soit moins grossier, il avait donné des conseils de formes pour embellir un minimum la vulgarité de la machine de mort... La jeunette raconta ce qui avait été omis sur le papier, enthousiasmée par ces réunions, par ces prémices d'engins, comme elle l'était à chaque nouveau projet.

Finalement Aiden se résigna. Il accepta le travail sans aucune critique supplémentaire pour les Hauts-Gouverneurs. Et Juliet, heureuse d'avoir accompli sa mission, quitta la chambrette.

Elle revint sur ses pas cependant et appuya ses coudes sur le bureau, la tête dans les mains, un sourire malin sur sa figure d'ange. « Ils ont promis une récompense si tu acceptais. » Intrigué, il pencha la tête sur le côté. « Ils ont dit ... que c'était à moi de choisir. » Elle pinça les lèvres, joueuse. « Le quand et le quoi. » Juliet se dandinait, ravie d'avoir un bon nombre d'options. « Alors... qu'est-ce que tu veux Aiden ? » Il sembla réfléchir. Il pouvait tout avoir. Peut-être qu'il voudrait profiter de cette occasion pour préparer un voyage. Il retournerait à sa mer, à ses bateaux et autres fantaisies des Terres sablées. Mais avant qu'il n'ait pu formuler un semblant de pensée, elle approcha son visage du sien. « J'ai eu une idée. » Le pouls dans le cou de l'inventeur s’accéléra. Les idées de Juliet étaient souvent farfelues, il aurait dû s'inquiéter de la suite. « Tu me fais confiance ? » Malgré lui, ses mirettes plongèrent dans celles de la belle, hypnotisé. Elle répéta, plus bas, intimement, dans un murmure. « Tu me fais confiance Aiden ? » Il souffla par le nez d'une lenteur minutieuse et cessa ensuite tout mouvement. Elle était si près. « Oui... » Il déglutit. « ... je te fais confiance. » Elle eut un doux sourire, un sourire chaud, un sourire heureux. Ses doigts s'approchèrent de lui et se posèrent avec précaution sur sa joue gauche. Aiden avait cessé de respirer. Elle s'avança un peu plus. Et de sa voix mielleuse, elle susurra contre sa bouche. « Ferme les yeux. » Elle sourit encore quand il papillonna et s'exécuta. Elle ferma les siens. La distance entre eux se résuma en un intervalle contigu, et pour la première fois dans l'histoire de leur vie, leurs lèvres se frôlèrent.


Souvenir d'un baiser, d'un premier baiser. Silence mélodieux de l'Origine d'un Passé. Lèvres impérieuses, douces tentations du lien, alchimie étrange, intensité d'un début, espérances d'une suite. Furtif dans la mémoire comme il a été furtif dans l'effectif. Léger et sucré. Mémorable. Frisson. Un avant-goût, une ébauche, une esquisse, pour commencer, pour essayer, pour goûter. Une proposition, une promesse. Un premier baiser, pour une première caresse, pour une première fois, pour une seconde embrassade, pour une troisième étreinte, pour des dizaines, pour des centaines d'autres. Destin mystique et mystère de l'avenir. Un baiser, un premier baiser. Le prix dispendieux d'un Toujours.

Rien n'est plus vivant qu'un souvenir. C'est là que les choses prennent leur vraie place. C'est s'écorcher, c'est s'accrocher. C'est l'infini. On sourit aux échos du passé, on s'en rappelle comme on le voudrait, comme s'ils avaient été plus tendres, plus faciles ou plus brillants. On les remodèle en altérant le réel des blessures, des déceptions, des vieilles désillusions. Le souvenir du bonheur n’est plus du vraiment du bonheur. Mélancolie  d'un parfait. Et le souvenir de la douleur est de la douleur encore. Regrets d'un imparfait.

Un faire, une fois. Un refaire, encore. Sans défaire, jamais.

**

 

de retour au procès


Aiden sur sa chaise tremblante, les poings enserrés par les fers, n'avait d'yeux que pour Juliet. Cette femme aux terribles secrets, celle à qui il avait tant offert, celle avec qui il avait tant vécu, tant aimé et tant souffert. Elle l'avait négligé, lui, son compagnon, son confiant, son ami. Mais après tout ils s'étaient négligés... Les erreurs dans leur parcours étaient trop nombreuses pour être oubliées. Elles étaient parfois mises de côté mais ressortaient dans les mauvais moments, comme un retour amer, un contrecoup malhonnête et cuisant. L'effet boomerang. Les malentendus, les impairs, les maladresses, et pire, les trahisons. Ils se blâmaient l'un l'autre, utilisaient des excuses, se déchargeaient des responsabilités, se justifiaient dans toutes les situations. Le poids de leurs bêtises était bien trop lourd pour être un jour effacé. Et pour les deux amants, la tolérance était la vertu des faibles. Ainsi, à cet instant, Juliet était la plus redoutables de ses ennemis, la pire rivale qu'il pouvait avoir. Son sort était entre ses mains et il ne pouvait rien y faire.

Elle planta ses prunelles sombres dans les yeux de l'accusé, froide, distante, l'air hautaine comme si leurs souvenirs n'avaient aucune importance. La  dénonciation saisit l'assemblée. « Aiden Ruthendell est un homme lâche. » Katharina, figée sur son siège doré, n'en perdait pas une miette. Et Juliet conta. Elle fit couler la vérité, comme un venin brûlant, un poison infernal, une toxine atroce qui rongerait son destinataire jusqu'à l'os. Il serait glacé par ces mots qui le dévoreraient, qui lécheraient sa peau, qui consumeraient son futur. Et la foule en réclamerait d'avantage. Elle en voudrait plus, elle se nourrirait des accusations, des critiques, des reproches. Spectacle ! ... « Nombreuses fois, il a trahi, menti et détruit. Pas toujours pour lui-même mais pour d'autres, pour ces maîtres dont il s'est dit esclave. Ne confondez pas cela avec une forme de largesse, ou quelconque dévouement. Car en plus d'être lâche, il n'est ni charitable ni loyal. » Elle le jugea durement, puis le dédaigna pour se concentrer sur les visages attentifs en bas des marches. « Est-on réellement esclave lorsque l'on est trop faible pour briser ses chaînes ? Car il est plus facile de prêter allégeance aux influents et de profiter des privilèges. Se battre pour ses convictions en tant qu'homme libre demande trop de courage. Aiden n'a pas été l'esclave du Gouvernement, il n'a été l'esclave que de ses propres instincts, ses instincts de survie. Il a toujours tout fait pour survire, du mieux qu'il pût. Il a profité de cet état, supposé d'esclavage, pour se réjouir du confort de la Tour, de la richesse des vêtements qui lui ont été offerts et de la quantité de nourriture que l'on servait à sa table. » On le hua. Et elle put l'entendre grincer des dents malgré la distance entre leurs deux chaises. « Oui, Aiden est lâche. » Elle eut un léger soupir, comme résignée depuis longtemps à cette idée inconfortable. « Ses pulsions lui empêchent la bravoure. Et on ne lutte pas contre sa nature. Comme beaucoup d'entre nous, Aiden Ruthendell est un lâche. Quoique que certains le regrettent, le rejettent et rêvent d'héroïsme, lui accepte pleinement sa condition. Bien que d'autres se lamentent et se déplaisent, lui embrasse ses défauts. Il les a apprivoisés, a appris à vivre en dépit de ses lacunes... Et n'est-ce pas là un genre d'audace ? » Elle eut un infime sourire en coin pour l'inventeur... un message secret, lourd de sous-entendus qu'il pouvait interpréter comme bon lui semblait.

« Aiden est un créateur. Il a imaginé des machines. Pas uniquement des instruments de mort, mais il a aussi apporté des changements pour la commodité à l'Enclave et ses habitants. J'en ai moi-même profité. Il aussi aidé bon nombre de Villageois en construisant des structures pour leur cultures et des meubles pour leurs ménages, des objets dont ils se servent au quotidien. Il a amélioré le système de poulie des puits et favorisé le mécanisme des roues de nos voitures. Et bien sûr, il a inventé d'horribles machines qui ont été utilisées à la guerre. » Elle s'adressa à l'ensemble des Témériens en se tournant vers leur Reine. « Vous avez vous-mêmes été témoins de ces monstruosités, et de ce talent effrayant qu'il a d'inventer, de construire du concret à partir d'idées. » Ses paumes étaient posées sur les bras du siège, elle s'y appuya doucement pour refaire face aux centaines de visages qui ne la quittaient plus. « Mais la machine, en soi, est inoffensive. C'est l'homme qui en fait usage, c'est l'homme qui décide de son emploi. Et Aiden n'est pas de ces hommes-là, il n'est pas un homme d'action. » Dans le Temple, seule sa voix comblait l'espace. Tous étaient pendus à ses lèvres, captant les informations et croyant se construire une opinion sur cet homme si complexe. Ils le croyaient. Juliet les manipulait en douceur, sans que personne ne s'en rende compte. Elle amenait peu à peu à une conclusion, encore floue à cet instant.  Même Aiden doutait du dénouement. Juliet était compliquée à déchiffrer et ses actions, trop incertaines, pouvaient surprendre. Julianne l'avait modelée ainsi. Un mur de glace et un cœur de pierre. « Il n'a pas participé à la mort de vos pairs, sinon par ses idées. » Moralité, « Aiden est un homme d'esprit. »

« Il a innové, pour ses maîtres, pour Vivendale. Seulement, il l'a dit lui-même, il n'est pas Nordien. Il ne s'est jamais senti comme appartenir à notre ville et ne le ressentira jamais. Il n'appartient à rien, et à personne. Il ne s'appartient pas lui-même... » Ses iris se mêlèrent à ceux du prisonnier. Pendant une seconde, une demi-seconde, on aurait pu croire qu'elle lui parlât avec les yeux. Elle semblait dire fais-moi confiance. Mais l'espoir créé le mirage... « Il est encore Etranger dans son cœur. Il rêve d'océan et de plage, il pense à voyager. Aiden n'est pas d'ici et ne le sera probablement jamais. Il n'est pas Nordien et n'a tué  ni Témériens, ni Vivendalais. » On protesta et elle s'empressa d'ajouter. « Je ne lui cherche pas d'excuse, je ne le défends pas. Je vous ai dit que j'apporterai des faits et serai neutre, c'est ce que je fait, c'est ce que je suis. » Elle hocha et puisqu'on se rassurait, elle poursuivit. « Aiden Ruthendell n'est pas assassin de la Guerre d'Un Jour. Il n'est assassin que de lui-même. Vous voulez savoir quel genre d'homme il est ? ... Il est aussi perfide et égoïste qu'il est passionné. Mais il est expert dupeur. Il abuse, fabule, controuve et hâble à la perfection, dans le seul dessein de sauver sa peau. Aiden ne tient qu'à une chose et ce n'est ni patrie, ni famille, aucune de ses œuvres, rien de son art. Il ne cherche pas la renommée, encore moins la fortune. Il ne veut que vivre. » Elle le darda de son regard sucré. Mon mignon, mon amour, vois comme le jeu nous réussi. « Alors si vous voulez le punir Reine Témérienne, le seul moyen est de lui ôter la vie. »

Il n'avait peut-être pas besoin d'elle pour se défendre, encore moins pour s'incriminer. Mais la participation de la jeune Lionne allait de soi. Le procès d'Aiden sans elle, était tout bonnement irréalisable, irréaliste et avouons-le, d'un ennui mortel. Personne ne prendrait de plaisir et on ne pourrait pas appeler cela divertissement, pas sans quelques retournements de situations, épisodes tragiques et palpitants rebondissements. Elle apportait le piquant, les péripéties et les preuves. Elle apportait l'extravagance, l'extraordinaire, et les extraits des fables que tous voulaient connaître. La légende de l'inventeur. Cet homme prisonnier de sa Tour et de son génie. Qui n'avait jamais voulu entendre les vérités sur Le Monsieur Ruthendell ? Juliet était une bonne conteuse d'histoires, il était de son devoir de partager le talent !

S'il n'y avait pas eu de public, de Katharina, de bienséance, de censure au laisser-aller, d'intense endoctrinement, s'il n'y avait eu qu'elle et lui, dans l'intimité, dans le secret; elle lui aurait probablement sourit, un sourire large, maligne, moqueuse, fière de son manège, pour le défier à riposter. Au lieu de cela, elle avait le dos droit, les traits creux, l'air détaché. Comme si elle ne venait pas à l'instant de le condamner.

Telle la pire des bourreaux, elle en rajouta. Infidèle ! Serpent ! « Aiden s'est montré insolent avec vous Katharina.  » Elle était renarde, hypnotique, ensorcelante, prêcheuse de vérité. Son regard sincère enveloppa la Reine comme un manteau d'évidence. « Il a joué de son charme pour vous faire oublier ses tords. Je vous pense bien intelligente Madame, et peu naïve pour tomber dans les filets du pêcheur. Bien que, je comprenne bien qu'il soit facile de succomber à son visage et ses incantations. Il est aussi beau qu'éloquent et il peut être difficile de voir clair dans son jeu lorsqu'on le connait mal. Pour tout individu, homme et femme, citadin et souverain, pour tout Homme, aussi impartial et censé soit-il, Aiden est un illusionniste hors pair... Je m'attribue ce privilège de bien le connaitre. Peut-être trouvez-vous cela présomptueux, pourtant je suis probablement la seule à l'avoir appris. Lui, ses défauts, et le reste. Je le sais malin et rusé. Je le sais tenace et vif d'esprit. Je connais ses faiblesses; et ses forces m'ont conquises à une époque. Mes sentiments à son égard sont compliqués. Quoique la justice m'importe plus que son sort... » Elle se plaçait en amoureuse maudite, prise dans le terrible dilemme de l'émotion et du devoir. On ne pouvait que compatir à son infortune et on ne pouvait que l'admirer pour sa résolution raisonnable. « Et c'est pourquoi, je me considère comme la plus neutre quant à ce procès. Avec le temps, j'ai appris à contrer ses manipulations et à oublier ses promesses. Aiden Ruthendell n'est point un homme d'honneur, ni un homme de foi. Il ne dépend que de lui-même et de ses souvenirs. Il ne croit en aucune force supérieure, il croit en ses choix et ses désirs... Il ne pliera jamais à votre volonté ou à vos dieux. Il ne courbera pas l'échine. Il relèvera plutôt le menton pour vous défier et vous tenter avec ses idéaux à lui. Pour vous faire changer d'avis, il usera de stratagèmes et de finesse. Pour vous rallier à sa cause, il vous fera croire en ses utopies. Pour tourner la situation en sa faveur, il pourra omettre une part de vérité, contourner l'exactitude avec des détails trompeurs. Aiden connait ces choses-là. Il excelle dans l'art du leurre. »

Juliet était sanglante sur son piédestal. Le capuchon baissé, la cape de velours dans son dos long, elle semblait tirée d'un roman fantastique. Une de ces déesses à l'aura insaisissable; une apparition enchanteresse et destructrice... On la savait fatale et pourtant on la trouvait charmante. La teinture violacée du tissu de sa cape accentuait de son pourpre, les courbes de ses seins, de ses hanches, de sa taille, dessinés dans le drap blanc de sa robe de bourgeoise. Le tissu était tiré sur ses genoux pour éviter les plis et tombait contre ses jambes. On aurait pu facilement se perdre à la contempler. Elle attirait le regard. Son visage désirable captait l'attention et on plongeait aisément dans de tels iris, sombres, caramel et miel, les couleurs de l'automne. Ses mèches brunes étaient ramenées en une jolie coiffure princière et quelques perles d'ambre cerclaient sombrement son cou, pour l'occasion de la sortie. Elle était impériale, splendide dans sa robe de coton lilial. un ange de la mort

« Aiden a bien été sous l'emprise des Trois. Il a collaboré. » Elle avait l'air grave à présent, comme si la décision finale serait dramatique. « Je ne souhaite plus voir d'injustice dans cette ville puisque désormais, tout a changé. » Son acception du nouveau régime était une façade pour mieux arriver à ses fins. Elle était sûre d'elle pourtant, et ses prunelles sondaient la foule, vive, intense, intimidante. Mais personne ne rompit le contact, elle était trop ravissante. « Aiden a bien été esclave. Des ses instincts, de sa volonté. Et de son contrat, en effet. » Elle soutenait toujours les regards qui l'examinaient. « Il a été tourmenté. On l'a menacé, lui et les rares à qui il tenait... » Personne ne sut qu'elle s'impliquait dans le on, ni dans les rares. Comment aurait-on pu deviner ? Juliet avait participé aux chantages, aux avertissements sinistres et aux intimidations perpétuelles. Aucun regret cependant, elle avait fait ce qu'il fallait, elle en était plus que convaincue. Tout était pour le mieux. La preuve, ils étaient encore là aujourd’hui et tout se déroulait à la perfection... « Si le courage lui manquait pour se défaire de ses liens, c'était surtout la peur qui l'entravait. La peur de la perte. Car si Aiden en ce jour ne tient qu'à peu de choses, il a jadis était moins entêté et son coeur, plus vulnérable. » Une mèche glissa devant ses yeux et elle la chassa d'un revers de la main. « J'ai été une de ses faiblesses. » Elle laissa planer un silence puis les murmures montèrent dans l'assistance, comme s'ils réalisaient finalement, que Juliet Perkins était la cause de son affliction. Les amants maudits. L'inventeur était prisonnier des Trois et des Témériens, pour avoir aimer. La Noble leva le nez en l'air et prit une profonde inspiration, comme si la suite lui demandait de l'effort. « Il a travaillé de son plein grès pour les Haut-Gouverneurs, il pensait y trouver quelque chose. Ce quelque chose que nous tous cherchons, le but d'une vie. Il a crut bien faire, ou du moins, il n'a pas crut faire mal. Quand il a réalisé sa prison, il était trop tard. Les Trois ont pensé qu'il travaillerait plus volontiers s'ils avaient un moyen de pression assez important. D'où les menaces. » Ses parents dans le fond, étaient dans tous leurs états. « On a menacé ma vie, et il n'a fait que garantir ma sécurité. » Ses lèvres restèrent entrouvertes, suspendues dans leur élan. Ses sourcils, froncés par la peine, ses yeux piqués et ses mains presque tremblantes, nouèrent les gorges et serrèrent les estomacs dans l'audience. On douta tout à coup de son impartialité. Et Aiden restait muet, pincé au cœur malgré lui, touché par cette mascarade bien trop réelle.

Finalement, elle n'était pas là pour le livrer à la mort. Ou peut-être disait-elle adieu... Mais rien n'était encore fini. Était-ce une autre de ses manipulations ? Des sentiments, pour que tous baissent la garde, une fragilité passagère pour mieux mener l'attaque ? Juliet était trop complexe et ses masques, bien trop nombreux. Seulement elle resta ainsi, troublée et perdue, clouée sur son trône miteux, toujours scrutée, dans l'attente d'une suite. Mais aucun mot ne s'ajouta à sa tirade, aucun son ne sortit plus de sa gorge. Elle en avait fini. Elle se tourna doucement vers Katharina, l'implorant de mettre fin à cette parade; réclamant un repos à sa douleur définitivement, moins effacée qu'elle l'avait supposée.

Ne comprenait-elle pas ? Elle pouvait changer le cours de leur histoire, elle pouvait leur offrir du temps. Et c'était peut-être leur dernière chance.



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Dezbaa
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Injustice or justice ? #2 | Aiden Empty
Mer 22 Juin - 15:23

Aiden Ruthendell
— Panic in my head, smile on my face —

Allait-il mourir ? Il avait ce doute. Ou cet espoir ? L’espoir d’avoir la chance d’abandonner les problèmes, encombrants et pourtant si superficiels… la chance de partir définitivement, de dire adieu au monde une bonne fois pour toutes au lieu de chercher à le fuir en le parcourant. A quoi songerait-il au dernier moment, avant que le bourreau n’abatte sa hache sur sa nuque ? A quoi penserait-il avant de perdre définitivement la tête ?
Il revoyait la mer. Il aurait préféré mourir là-bas, près de l’océan, sur l’océan. S’il se sentait appartenir à quoi que ce fût, c’était sûrement à cela : cette étendue d’eau, infinie, belle, lunatique ; indomptable et inaccessible. Il l’aimait comme on chérit ces paysages que l’on a toujours connus : avec tendresse, et jamais sans une pointe de mélancolie. Les grands voiliers lui manquaient. Leur majesté l’avait toujours laissé coi. Lorsqu’il se concentrait, il parvenait encore à entendre le claquement de leurs voiles qui entraient en conflit avec le vent, jusqu’à ce qu’ils s’apprivoisassent mutuellement. Parfois, l’odeur forte des poissons vendus dans les ports le saisissait. Plus jeune, il avait toujours détesté cette fragrance : elle lui faisait froncer le nez et tirer la langue. Mais désormais, même ce souvenir éveillait de la nostalgie. Que n’aurait-il pas donné pour être là-bas, loin de tous ces jeux de cour, loin de cette mascarade, loin de ces hypocrites ? Rien : il aurait tout offert, pour une vie simple, pour une vie d’âme vouée à la mer, pour une vie parmi les marins et les catins.
Lorsque la lame trancherait sa colonne, il revivrait ces souvenirs-là, ces nombreux moments vécus sur le navire marchand de ses parents. C’étaient les plus précieux : le bonheur pur, sans fioriture, sans dorure, juste pur. Et c’était génial. Ça avait été génial.
Alors que la Témérienne se laissât aller à sa haine ; il ne lui ferait pas le plaisir de geindre ou de supplier. Pour une fois dans sa vie, il ferait quelque chose de véritablement brave : il mourrait avec le sourire aux lèvres – et la peur aux tripes. Qu’elle cédât, la reine-enfant, la conquérante, la justicière ; qu’elle montrât son cran, la petite fille, la femme, la mère d’une nation.

Allez, Juliet, entre en scène, et donne-lui raison. N’était-ce pas ce qu’elle allait faire ? N’était-ce pas ce qu’elle devait faire ? Pour tenir son rôle de petite noble si fragile, si innocente, si insoupçonnable ? Oh, qu’il devait paraître pour une abomination, à côté d’elle, la colombe, la biche, la gazelle, le cygne ; lui, le corbeau, le loup, le lion, l’aigle. Pourquoi hésitait-il encore ? C’était joué. Elle allait le tuer. Elle allait pouvoir le faire parce qu’elle les avait tous, d’un battement de cils pharisaïque, amadoués. Ils étaient à ses pieds, pendus à ses lèvres, prêts à boire ses paroles jusqu’à la lie. Les Trois frappaient plus tôt que prévu…
Mais, mourir, telle était la seule façon de s’empêcher d’aimer ou de haïr. Assassiner l’autre signait l’avortement des sentiments et des passions. Et aucun des deux amants ne pouvait supporter de s'aimer, et de se haïr. L’un ou l’autre, c’eût peut-être été supportable. Mais les deux… Le conflit lynchait leur cerveau et leur cœur. Aiden se sentait pris au piège. Les deux ressentis qui émanaient de son système l’incarcéraient. Et il voulait sa liberté, il voulait sa liberté, il ne voulait ni haïr ni aimer…
Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de la détester pour être ainsi. Il leva les yeux au ciel lorsque, enveloppée par l'ambiance de sa propre comédie, elle s’éclaircit la voix le plus discrètement possible. Et puis son cœur battait, mais trop rapidement pour que ce fût de la colère. Tout se brouillait ; les couleurs de la toile se mêlaient, si bien qu’on en distinguait plus le dessin. De cette bouche ne sortiraient que des demi-vérités, parce que ce n’était pas Juliet qu’ils avaient devant eux. Cependant, ils étaient tous captivés et, quand le génie reposa ses iris sur la noble drapée d’une robe blanche, il se dit qu’ils avaient raté quelque chose, quelque part, tous les deux.

Leur relation se tissait de mensonges et de traîtrises. Et d’amour, peut-être. Oui, ils s’étaient aimés, sincèrement. Sans doute était-ce même la seule chose d’honnête qu’ils eussent fait au cours de leur vie. Comme tout, cela avait néanmoins connu un revirement brutal. Ils avaient perdu leurs illusions de jeunesse et leur volonté de croire au grand amour. L’Amour n’existe pas. Sinon pourquoi souffraient-ils ? Non, l’Amour n’existait pas. Les Hommes se mettaient en quête de ce sentiment, souvent inconsciemment, mais leur recherche était vaine. Seule l’utopie les faisait espérer. En réalité, elle ne les mènerait qu’à la douleur. Mais ils continueraient… c’était comme si cette peine devenait, au fur et à mesure qu’on la vivait, trop enivrante pour que l’on désirât s’en défaire. Et qu’avait-ce d’humain ? Toutes les créatures fuyaient la souffrance. Eux, ils s’obstinaient, drogués par le désir. Leur semblant d’amour était inhumain. « Notre relation ? » Juliet parcourut l’assemblée du regard, plongée dans son personnage d’oratrice qui n’en était pas une. « J'ai été l'amie de Monsieur. Intimement. » Tandis qu’une vague de réactions glissait sur les spectateurs, Aiden eut un sourire sombre. « Et j'ai été son ennemie. Notre relation est bien complexe pour la détailler dans sa totalité. Je pense qu'aucun de nous deux ne pourrait vraiment poser des mots sur ce que nous sommes. » Il plissa les yeux. Il y avait cette limite qu’il n’avait jamais réussie à distinguer ; cette limite entre l’ombre et la lumière. Parfois, Juliet se montrait lucide, et d’autres fois aveugle. Et il n’avait jamais compris où se situait la frontière. C’étaient l’un des grands secrets de Mademoiselle Perkins, et l’un des mystères qui le tenaient en haleine. « Pourtant je suis certainement la mieux placée pour juger votre prisonnier. Ou du moins, vous apporter un avis pesé, une opinion presque neutre. Je resterai objective, du mieux que je pourrai. Et puisque je l'ai aimé et haï, je pourrai, Reine Katharina, vous apporter mon aide dans ce délicat procès. Peuple de Vivendale, et invités Témériens; je témoigne aujourd'hui ni en la faveur ni en la défaveur de l'accusé. J'apporte des histoires, j'apporte des faits, qui pourront vous éclairer sur le caractère de cet homme... Et qui pourront, si vous les prenez en compte, vous aider dans votre décision. » Et elle commença.

Elle commença à raconter des vérités ombragées par les branches touffues du mensonge. Ils avaient été « jeunes et insouciants », oui. Et bêtes. Et bornés. Il croisa son regard, et il s’y serait presque laissé prendre, s’il n’avait pas su qui était réellement Juliet. Il avait les sourcils légèrement froncés, et ses iris verts reflétaient une dureté impressionnante. Vas-y, fabule. Juliet se riait de la situation, elle se riait de lui, et elle se riait de Katharina. Il s’en sortait magistralement bien, sans elle. Il avait presque atteint son but, et la reine Témérienne n’avait, de toute façon, aucune preuve tangible qui pouvait se dresser contre lui. Il s’amusait bien, avant qu’elle n’arrivât, à rivaliser de bons mots et de pirouettes à chacune de ses phrases. Désormais, son sourire moqueur et son air hautain avaient disparu. L’espionne avait ce pouvoir-là, celui de tout anéantir. Elle débarquait comme un ouragan et soufflait tout sur son passage. Elle avait toujours agi ainsi, avec lui.
« Aiden Ruthendell est un homme lâche. » Et ça sonnait tellement plus vrai, dans sa bouche. Ça sonnait tellement plus juste. « Nombreuses fois, il a trahi, menti et détruit. Pas toujours pour lui-même mais pour d'autres, pour ces maîtres dont il s'est dit esclave. Ne confondez pas cela avec une forme de largesse, ou quelconque dévouement. Car en plus d'être lâche, il n'est ni charitable ni loyal. » A ces mots, elle posa son regard brun sur lui. Elle le jugeait et le condamnait une nouvelle fois pour ses tentatives désolées de rébellion. Et, là, il eut un sourire. Elle ne le digérerait jamais. L’attitude révoltée d’Aiden était restée coincée dans ses tripes. « Est-on réellement esclave lorsque l'on est trop faible pour briser ses chaînes ? Car il est plus facile de prêter allégeance aux influents et de profiter des privilèges. Se battre pour ses convictions en tant qu'homme libre demande trop de courage. Aiden n'a pas été l'esclave du Gouvernement, il n'a été l'esclave que de ses propres instincts, ses instincts de survie. Il a toujours tout fait pour survire, du mieux qu'il put. Il a profité de cet état, supposé d'esclavage, pour se réjouir du confort de la Tour, de la richesse des vêtements qui lui ont été offerts et de la quantité de nourriture que l'on servait à sa table. » Et ils huèrent, tous ces gens méprisables, qui ne savaient même pas utiliser leur propre cervelle et qui sans cesse réclamaient qu’on réfléchît pour eux. Ingrats, abrutis, morveux. Il ne leur accorda même pas un regard, assis sur sa chaise, figé, entravé par des menottes. Il avait les yeux rivés sur Juliet. Il guettait la moindre faille qui pourrait lui permettre de s’en sortir. Car il sentait bien qu'obtenir la peine la plus souple possible devenait de plus en plus difficile. « Oui, Aiden est lâche. » Déçue, désappointée, désespérée : elle conquérait tout le monde par son émotion. « Ses pulsions lui empêchent la bravoure. Et on ne lutte pas contre sa nature. Comme beaucoup d'entre nous, Aiden Ruthendell est un lâche. Quoique que certains le regrettent, le rejettent et rêvent d'héroïsme, lui accepte pleinement sa condition. Bien que d'autres se lamentent et se déplaisent, lui embrasse ses défauts. Il les a apprivoisés, a appris à vivre en dépit de ses lacunes... Et n'est-ce pas là un genre d'audace ? » Connivence ; elle lui lança l’un de ses fameux sourires complices. Il ne s’y fiait plus depuis longtemps. Ces rictus l’avaient aussi bien rassuré que compromis. Il pinça les lèvres. Il détestait qu’elle fût là.

Sa présence était ambiguë, et son discours tout autant. Elle dénonçait son rôle dans la conception des machines, puis soulignait l’aide qu’il avait apporté pour l’aménagement de la cité. Peut-être était-ce parce que lui-même ne se formait que d'ambivalences ? N’importe… Elle s’amusait à exécuter des sauts périlleux sur un fil trop mince, et même le meilleur des funambules ne pouvait se prétendre à l’abri d’une chute. « Mais la machine, en soi, est inoffensive. C'est l'homme qui en fait usage, c'est l'homme qui décide de son emploi. Et Aiden n'est pas de ces hommes-là, il n'est pas un homme d'action. Il n'a pas participé à la mort de vos pairs, sinon par ses idées. Aiden est un homme d'esprit. » Les idées avaient toujours été meurtrières, de toute éternité, et elles le seraient pour toujours, pour l’éternité. Le génie espérait que la justice témérienne, dont il ignorait tout, accordait plus d’importance au geste qu’à la parole. Cette condition pourrait le sauver. Sa vie tenait à un si, à une pauvre conjonction. C'était mauvais et déplorable.
« Il a innové, pour ses maîtres, pour Vivendale. Seulement, il l'a dit lui-même, il n'est pas Nordien. Il ne s'est jamais senti comme appartenir à notre ville et ne le ressentira jamais. Il n'appartient à rien, et à personne. Il ne s'appartient pas lui-même... » Les yeux de Juliet glissèrent jusqu’à lui. Elle avait l’air de tellement bien comprendre ce qu’elle n’avait jamais compris, ce qu’elle n’avait jamais pu imaginer, ni même concevoir. Elle n’avait jamais quitté Vivendale. Elle s’était offerte abusivement à la ville lorsqu’elle avait accepté de servir les Trois. Il l’avait fait, lui aussi. Mais il l’avait fait… parce qu’il voulait tenter ? De voir si le sédentarisme lui convenait, d’arrêter de fuir, de connaître vraiment des gens, de travailler pour quelqu’un d’autre. Tout avait été un échec. Chaque point avait été un échec. Nomade, pour toujours, était sa race, la fuite l’avait suivi à la trace, ceux qu’il avait connus, un peu, l’avaient trop souvent dégoûté, le travail pour le Haut-Gouvernement l’avait dénaturé – ou du moins lui avait fait perdre ce contrôle qu’il exerçait sur ces pulsions qui l’écœuraient et le fascinaient. Vivendale l’avait dépucelé du Monde et de l’Humanité. « Il est encore Etranger dans son cœur. Il rêve d'océan et de plage, il pense à voyager. Aiden n'est pas d'ici et ne le sera probablement jamais. Il n'est pas Nordien et n'a tué ni Témériens, ni Vivendalais. » La noble n’avait jamais vu l’océan. Elle ne savait pas – ne pouvait pas savoir – ce que c’était, à quel point c’était beau, à quel point c’était tourmenté, à quel point c’était puissant. Elle ne pouvait pas se rendre compte que, s’il appartenait à quelque chose, il appartenait à la mer, à cette masse d’eau qu’on considérait avec trop d’insignifiance. Pour lui, cela représentait tant… A chaque fois, il était saisi. Et il n’y avait aucun mot pour expliquer cela. Ça se vivait, tout simplement. Ça se vivait.
Mais rien de cela ne pouvait justifier ses choix. La foule l’avait bien compris, et elle s’insurgea. Il embrassa l’assemblée du regard. Que pouvait bien leur importer le destin d’un seul homme ? Ils s’y attardaient pour quoi… la justice ? Mais la vie, le monde, n’étaient pas justes. Les Dieux qu’ils chérissaient tant et qu’il récusait n’avaient rien créé de juste. Ils n’avaient pas insufflé le sens de la justice dans l’esprit des Hommes. Ce qu’ils appelaient ainsi, ce n’étaient que des règlements de compte sans bain de sang – mais qui pouvait tout aussi bien se terminer sous le joug d’une lame et les cris des larmes. C’était l’injustice déguisée, la catin qui parodie la noble, pour emporter l’adhésion des Hommes. Peut-être que Juliet avait compris cela, que la justice n’existait pas. Peut-être ; et donc elle avait décidé de ne pas s’y tremper. « Je ne lui cherche pas d'excuse, je ne le défends pas. Je vous ai dit que j'apporterai des faits et serai neutre, c'est ce que je fais, c'est ce que je suis. » Mais dès qu’elle se remit à parler, il hésita à nouveau. Il ne savait pas. Il détestait ne pas savoir. Et elle le savait bien. Oh, qu’elle devait jouir de l’instant, qu’elle devait s’amuser de le voir si désemparé… Plus il y pensait, plus il s’en voyait agacé. « Aiden Ruthendell n'est pas assassin de la Guerre d'Un Jour. Il n'est assassin que de lui-même. Vous voulez savoir quel genre d'homme il est ? ... Il est aussi perfide et égoïste qu'il est passionné. Mais il est expert dupeur. Il abuse, fabule, controuve et hâble à la perfection, dans le seul dessein de sauver sa peau. Aiden ne tient qu'à une chose et ce n'est ni patrie, ni famille, aucune de ses œuvres, rien de son art. Il ne cherche pas la renommée, encore moins la fortune. Il ne veut que vivre. » Elle ne savait rien. Elle ne savait rien, rien du monde, rien de la vie ou de la mort, rien de lui, et elle osait parler ?! Elle osait prendre la parole à propos de choses dont elle ignorait tout ? Il n’avait pas fait que se sauver lui-même. Non, il l’avait sauvée elle, aussi. Mais c’était bien Juliet, la véritable Juliet, qui parlait à ce moment. C’était la femme qui ne comprenait pas ses résistances et qui les exécrait, la femme qui aurait préféré mourir que de le voir agir à contre-courant du désir des Trois. C’était la marionnette qui revenait… La marionnette étrange, inquiétante, avec ses grands iris bruns et son être tout de bois, son être sans raison. La marionnette figurait la main des Trois. Elle s’abattait et elle prenait ce qu’ils désiraient. Et ils voulaient sa mort, à lui, tout comme la Témérienne. « Alors si vous voulez le punir Reine Témérienne, le seul moyen est de lui ôter la vie. » Il releva vivement la tête et la fusilla du regard. Ils allaient se battre. C’était cela : elle venait de lancer un combat à mort. Quelques minutes plus tôt, il envisageait son décès comme une délivrance mais, déjà, l’instinct reprenait le dessus. L’instinct se battrait pour que le cœur pulsât, jusqu’au bout, envers et contre tout. La mort, c’était tant de mystères, de non-dits et d’inconnus que cela l’effrayait. Il ne pouvait s’en empêcher. Il avait peur de mourir, peut-être plus que de découvrir ce qui se trouvait de l’autre côté du miroir. La curiosité affrontait la crainte durant la joute d’une vie, qui s’achèverait sans que l’une ou l’autre ne l’emportât. Elle se clôturerait sur la décision arbitraire de la Mort, qui viendrait tendre sa main sur l’homme pour l’arracher à la terre et l’amener dans son antre. Il serra le poing. Si seulement elle avait été plus près… Il lui aurait décroché la mâchoire pour qu’elle se taise enfin.

Cependant, rien ne l’arrêtait ; pire, tout l’encourageait à continuer. « Aiden s'est montré insolent avec vous Katharina. » Il eut envie de laisser éclater un rire sombre et sardonique, mais le retint à temps – il aurait joué en sa défaveur, de cela il était certain, car il avait réellement valsé avec l’insolence, comme toujours. Quelle salope ! Jusqu’où ira-t-elle dans son mensonge ? « Il a joué de son charme pour vous faire oublier ses torts. Je vous pense bien intelligente Madame, et peu naïve pour tomber dans les filets du pêcheur. Bien que, je comprenne bien qu'il soit facile de succomber à son visage et ses incantations. Il est aussi beau qu'éloquent et il peut être difficile de voir clair dans son jeu lorsqu'on le connait mal. Pour tout individu, homme et femme, citadin et souverain, pour tout Homme, aussi impartial et censé soit-il, Aiden est un illusionniste hors pair... Je m'attribue ce privilège de bien le connaitre. Peut-être trouvez-vous cela présomptueux, pourtant je suis probablement la seule à l'avoir appris. Lui, ses défauts, et le reste. Je le sais malin et rusé. Je le sais tenace et vif d'esprit. Je connais ses faiblesses; et ses forces m'ont conquise à une époque. Mes sentiments à son égard sont compliqués. Quoique la justice m'importe plus que son sort... » Traîtresse ! Et pourtant, pourtant, il ne put retenir un sourire. Mais un sourire noir, noir de haine, un sourire qui la jugeait et la méprisait. Encore plus que lui, elle méritait sa place au procès, sur cette chaise à l’assise dure et inconfortable, accablée des regards répugnés et vindicatifs. Elle était le véritable monstre de l’histoire. Elle les manipulait sans qu’aucun ne doutât de sa bonne foi. Pauvre petite noble éconduite, qui avait dû se retrouver pantoise face aux atrocités dont le génie était capable. S’ils avaient su… s’ils avaient su.
« Et c'est pourquoi, je me considère comme la plus neutre quant à ce procès. Avec le temps, j'ai appris à contrer ses manipulations et à oublier ses promesses. Aiden Ruthendell n'est point un homme d'honneur, ni un homme de foi. Il ne dépend que de lui-même et de ses souvenirs. Il ne croit en aucune force supérieure, il croit en ses choix et ses désirs... Il ne pliera jamais à votre volonté ou à vos dieux. Il ne courbera pas l'échine. » Sur ce point, Juliet connaissait parfaitement Aiden. Elle en avait fait les frais. Il s’avérait que l’expression « sans foi ni loi » lui seyait à la lettre. Il ne jurait fidélité à rien et à personne. On ne pouvait le retenir que par les chaînes et les cages. Rien d’autre ne le faisait plier. Rien d’autre. Elle poursuivit : « Il relèvera plutôt le menton pour vous défier et vous tenter avec ses idéaux à lui. Pour vous faire changer d'avis, il usera de stratagèmes et de finesse. Pour vous rallier à sa cause, il vous fera croire en ses utopies. Pour tourner la situation en sa faveur, il pourra omettre une part de vérité, contourner l'exactitude avec des détails trompeurs. Aiden connait ces choses-là. Il excelle dans l'art du leurre. » Il n’était pas un génie, scientifique et artiste, pour rien. Il maniait les mots aussi bien pour convaincre que pour persuader. Ils constituaient son armure et ses armes les plus précieuses. Mais, dans ce cas, pourquoi avoir échoué à en user auprès du Haut-Gouvernement ? Pourquoi ne s’en était-il pas sorti ? Il aurait pu... sûrement.

Juliet aussi jouait avec les opportunités qu’offrait la langue. A cause de cela, pour le génie, elle était une ennemie redoutable et une alliée adorable. Grâce à cela, et à son sang noble et pur, tous voulaient bien la croire. « Aiden a bien été sous l'emprise des Trois. Il a collaboré. » La sentence était tombée : coupable. Cela semblait presque coûter à la jeune femme, alors qu’intérieurement, elle s’en réjouissait, elle s’en félicitait. Tout cela n’était qu’une grande réussite, pour elle et ses pairs, pour les trois autres roues du carrosse. Ils avaient embarqué l’Inventeur : il ne pouvait plus leur échapper. Elle était présente pour s’assurer que ce fût encore le cas. « Je ne souhaite plus voir d'injustice dans cette ville puisque désormais, tout a changé. » Ses yeux coulèrent sur la foule. Le génie maintenait les siens sur elle. Elle parlait de justice… Ce mot n’avait aucun sens dans sa bouche. Elle avait appris ce qu’il signifiait, mais le concept, dans son esprit, restait vide. Elle n'avait même pas cet idéal illusoire que chacun partageait. Ce n’était qu’un mot. « Aiden a bien été esclave. De ses instincts, de sa volonté. Et de son contrat, en effet. Il a été tourmenté. On l'a menacé, lui et les rares à qui il tenait... » Elle aussi pouvait omettre la vérité lorsqu’elle le jugeait nécessaire. Un rictus moqueur et amer déchira les lèvres du jeune homme. Quelle connasse… « Si le courage lui manquait pour se défaire de ses liens, c'était surtout la peur qui l'entravait. La peur de la perte. Car si Aiden en ce jour ne tient qu'à peu de choses, il a jadis était moins entêté et son cœur, plus vulnérable. J'ai été une de ses faiblesses. » Il sentit des centaines de paires d’yeux virevolter jusqu’à lui et demeurer, pesantes. Des chuchotements lui parvenaient, sans qu’il pût en comprendre le sens. Sûrement s’étonnait-on que le génie eût un cœur et fût capable d’éprouver des sentiments. Il était donc humain ? Mais quelle nouvelle… Quelle bande d’idiots. Il n’avait jamais été rien d’autre qu’un homme, un homme aussi torturé par sa condition que les autres. Simplement, la torture et les instruments se différenciaient des leurs. « Il a travaillé de son plein gré pour les Haut-Gouverneurs, il pensait y trouver quelque chose. Ce quelque chose que nous tous cherchons, le but d'une vie. Il a cru bien faire, ou du moins, il n'a pas cru faire mal. Quand il a réalisé sa prison, il était trop tard. Les Trois ont pensé qu'il travaillerait plus volontiers s'ils avaient un moyen de pression assez important. D'où les menaces. On a menacé ma vie, et il n'a fait que garantir ma sécurité. » Garantir sa sécurité ? Il avait juste cédé à ses caprices de gamine perdue et défoncée à l’endoctrinement. Juliet n’était qu’une enfant, que le Haut-Gouvernement bringuebalait et maniait au gré de ses envies. Elle était sa marionnette. En ce jour, il l’avait déguisée en poupée de cire. Ses longs cils battaient une cadence incertaine. Ses lèvres rosées tremblaient sous le coup d’une émotion factice. Une robe blanche soulignait ses courbes comme pour insister sur son ingénuité et son innocence, sur son rôle de femme abusée, trompée et désillusionnée. Une cape pourpre masquait ses épaules : il fallait s’attarder sur cela. La couleur se rapprochait trop de celle du sang. Et Aiden ne voyait que ça : la pureté de la jeune fille bafouée par le mal qu’elle avait répandu.

Elle avait fini. Il se leva d’un bond, ce qui renvoya sa chaise en arrière ; elle racla le sol dans un bruit qui résonna contre les murs du temple. Pensait-elle s'en sortir ainsi ? Elle se trompait. « Bien... » Un silence presque religieux s'était abattu sur le rassemblement. « Ravi de vous revoir, Mademoiselle Perkins, après tout ce temps. » Il la toisa : elle n'ignorait pas de quoi il parlait. Elle n'avait pas donné signe de vie durant des semaines, et tel était le moment qu'elle choisissait pour se manifester ? Elle n'aurait pas pu trouver pire. « Je vous remercie pour cette longue, périlleuse et si émouvante prise de parole. Que de beaux mots... J'espère que tout le monde a su profiter du spectacle ! » s'exclama-t-il. « Vous aussi, reine témérienne. » Un sourire narquois se dessina sur ses lèvres, tandis que tous posaient sur lui des yeux méfiants et menaçants. « Pourquoi est-ce que je parle d'un spectacle ? » Il planta son regard dans celui de Juliet. Il ne pouvait pas se permettre de jouer sa vie : ç'aurait été stupide. Cependant, il pouvait l'envoyer, elle, et les Trois aussi, loin de ce procès. « Cette mise en scène ne choque-t-elle donc que moi ? » Ses iris glissèrent sur la masse humaine, en quête d'une réponse. Mais rien ne vint. Logique. Elle s'était montrée convaincante. A son tour, maintenant.
« Reprenons, si vous le voulez bien. » Simple formule de politesse ; phrase désinvolte. Il ne leur offrait aucun choix. Il allait, comme à son habitude, rediriger le cours de la discussion dans le sens qui lui convenait. « J'ai effectivement été l'amant de mademoiselle – faisons au moins l'effort d'employer les bons mots, très chère. » fit-il à l'intention de Juliet. Sa fausse pudeur le répugnait. « Ennemi, certainement aussi. » Il s'arrêta et baissa la tête. Il humidifia sa lèvre puis se redressa. « Vous voyez ici un premier problème, je suppose. L'amour et la haine sont deux passions, et le propre d'une passion est de chasser l'objectivité et la raison. Le fait qu'elles soient opposées, du moins d'après nos conventions, ne change rien. Mélangez des bûches et du feu : vous n'en obtiendrez pas de l'eau. Quand deux éléments manquent de quelque chose, leur combinaison ne crée pas ce qui leur fait défaut. Partant de là, je n'accorderais, à votre place, aucun crédit à ce que Juliet a dit. » Ses lèvres s'étirèrent en un sourire piquant. « En théorie, je pourrais m'arrêter ici, mais je sais bien que je suis si vil, si méchant, et si affreux qu'il en faut plus pour vous convaincre. » Comme il parlait, il mettait le ton et ponctuait ses propos de gestes ou de mimiques assortis. Il était outrageusement indécent. Et il s'en fichait, il s'en fichait...

Il reprit : « Je suis donc, aujourd'hui, bien loin de ce que j'ai pu être ; bien loin de l'ivresse et de l'insouciance de la jeunesse. Sur ce point, elle a raison. » Il s'adressait à la Témérienne. « Je vous l'ai déjà dit. De la même manière, je vous ai déjà affirmé que je n'étais pas quelqu'un de particulièrement courageux. Les jeux de cape et d'épée, ça a toujours été très peu pour moi. » Enfant, il préférait imaginer comment, un jour, il pourrait réussir à voler. Il avait bien pensé à se fixer, dans le dos, des espèces d'ailes dont les membranes auraient été de la même matière que la voile des bateaux, mais cela n'avait pas été suffisant. Il fallait encore repousser les limites. Comme toujours. « Cette jeunesse insouciante m'a certainement conduit jusqu'ici. Mais, contrairement à Mademoiselle Perkins, je n'inculperai pas ma faiblesse. Ce n'est pas elle qui m'a fait rester. Ma lâcheté, oui, mais je ne crois pas que ce soit une faiblesse. Simplement, peut-être, une réaction différente à la crainte ? Il y a ceux qui fuient et ceux qui combattent. Je ne pense pas que les uns soient plus faibles que les autres. La biche est-elle plus faible que le loup ? Non, ils répondent tout simplement, tous les deux, à un ordre naturel. C'est leur nature, de fuir ou de chasser, et ils ne peuvent rien y changer. Bref, je fais partie des premiers, des petites biches toutes mignonnes qui détalent dans les bois. » Et pourtant, il était resté, tête levée, campé sur ses positions, les poings serrés, durant neuf années. Il n'avait failli que lorsque des vies, celles qu'il chérissait, entraient dans le macabre jeu des Trois. Sa lâcheté était revenue au galop à chaque fois, l'arme au poing, pour l'exhorter à plier. Et, chaque fois, il avait choisi cette fuite vers l'avant. Il avait incliné son front vers le sol face aux ordres. Néanmoins, ce qui l'avait incité à agir, c'étaient ses sentiments, ses passions, ses pulsions. « Et certes, certes, cette lâcheté était sûrement soutenue par les privilèges dont je jouissais. Je n'avais jamais connu une telle situation de toute ma vie. Mes parents étaient marchands, et on ne bénéficie pas d'un tel luxe en voyageant. Vous avez dû en avoir un aperçu en venant jusqu'ici. Alors, effectivement, cela a pu me corrompre un petit peu. » Il concédait tout de même à la traîtresse quelques points : ces points dont tout le monde était déjà certain. Il se tourna vers ce « monde » qui l'écoutait. « Si je m'accommode si bien de cette lâcheté qui vous répugne tous, ce n'est pas par audace ou par insolence, mais simplement pour qu'on me fiche la paix. Qui d'entre vous irait demander à un couard de s'engager dans une armée ? De prendre en main un royaume ? De commander à d'autres ? Aucun. Personne n'aurait même l'idée de me faire une telle proposition. Et la vie, ainsi, me sied parfaitement. » Plus encore, elle lui suffisait, et amplement.

Aiden n'aimait pas réellement les Hommes. Ou plutôt, il n'appréciait pas leur condition. Ils étaient motivés par des projets, des ressentis et des idées tous plus futiles les uns que les autres. Il sentait cela, sans pouvoir dire ce qui relevait de l'utile. Il était ce poisson qui tapait contre la vitre de son aquarium, conscient des limites, mais qui ignorait comment en sortir. « A votre compagnie... » Il désigna l'assemblée d'un geste vaste. « ... je préfère celle des machines, des plans et des crayons. Navré. Comme l'a dit Juliet, je réfléchis. Du moins, j'essaye : ça n'est pas toujours simple. Le cerveau connaît ses petits caprices. Mais j'essaye et, pour cela, vous m'appelez « homme d'esprit ». Quel beau mot ! Qu'est-ce que cela signifie, Juliet ? » Il se tourna vers elle, un grand sourire aux lèvres. Les Nobles présents devaient s'horrifier de la familiarité dont il usait à l'égard de la jeune femme. Ils s'offusquaient parce qu'ils ne l'avaient pas démasquée. Elle était plus monstrueuse que lui. « Juste que je ne suis pas un « homme d'action » ? Je dirais plutôt que je suis un homme dans son esprit. Je m'y retire pour ne plus voir cette agitation dont vous faites tous preuve. Un peu de calme, s'il-vous-plaît ! » ajouta-t-il avec sarcasme. Il pouvait faire preuve d'un recul déconcertant sur lui-même. Bien évidemment, des heures en tête à tête avec lui-même avaient pu l'aider à se cerner mieux que quiconque. Pourtant, il éprouvait toujours ce sentiment frustrant de ne pas pouvoir se décrire dans les moindres détails. Lorsqu'il y songeait, il finissait toujours par se dire qu'il n'aurait probablement pas voulu savoir ce qui se cachait dans les zones d'ombre de son âme et que, si jamais il en avait envie, il avait encore plus de la moitié d'une vie devant lui. « Et ce retrait... » Malgré la répulsion, parfois la colère, qui pouvait émaner de la population, chacun était pendu aux lèvres de l'Inventeur. Il disposait de cet étrange charisme, hypnotique, qui, dès qu'il ouvrait la bouche, l'auréolait. « Ce retrait, évidemment, participe à un détachement. Lorsque vous êtes en vous, vous apprenez à vous connaître. Vous délaissez les autres au profit de vous-même – d'où l'égoïsme. Et cependant, vous comprenez comment l'Homme fonctionne, et vous comprenez qu'il est facile à berner – d'où la duperie. Quant à la perfidie, je dirais qu'on l'acquiert à votre contact. Avec vos maximes violentes telles que « marche ou crève », certains choisissent une troisième voie, bien plus sinueuse, mais tout aussi viable. » Il se peignait comme un homme banal, comme si ce qu'il figurait était accessible à tous. Encore une fois, il mentait. Ses capacités cognitives s'avéraient importantes et performantes. Là-dessus, les humains étaient loin d'être des égaux. « Effectivement, le retrait et tout ce qui s'ensuit, ça doit prouver que je meurs d'envie de vivre encore – sans mauvais jeu de mots. » Il leva une main pour se dédouaner. « De ce fait, cette charmante demoiselle qui, fut un temps, a partagé mes nuits, propose de me tuer. Voyez comme l'amour et la haine s'affrontent sans pouvoir parvenir à une solution ! Elle vante mes qualités, propulsent mes défauts sur l'avant de la scène, éclaire tour à tour mes mérites et mes méfaits... Mademoiselle Perkins se perd. Elle ne propose pas des faits – a-t-on seulement entendu une date ? –, elle expose son ressenti. Et le ressenti, c'est tellement subjectif... » Il s'empêcha d'ajouter : un truc de femmes, pour agacer Juliet, parce qu'il aurait aussi irrité la Témérienne. Ses pupilles, à nouveau, volèrent jusqu'à la Noble. « Ce ressenti teinté d'ire, c'est ce qui la pousse à vous faire remarquer ô combien j'ai été insolent. » Il pivota pour se trouver face à Katharina. « Je vous crois moins bête qu'elle ne le pense : vous aviez bien remarqué, que je me fichais des convenances. » Il haussa les épaules. « Ce ne sont que des conventions. Elles me gênent pour mener à bien ma défense, alors je préfère en faire fi... Je pense que c'est une décision plutôt raisonnable, que chacun aurait su prendre. Si vous souhaitez désigner ça comme de l'insolence, soit : je ne peux pas vous en tenir rigueur. » Mais je m'en contrefous. Véritable message qu'il ne ferait que sous-entendre. C'était là leur avantage, aux sous-entendus : dire sans dénoncer, crier sans même avoir besoin de murmurer. Aiden en jouait souvent. Il endossait régulièrement ce rôle d'illusionniste que son amante lui prêtait. Il aimait rire des autres et s'amuser avec leurs esprits, en leur adressant des propos troubles et obliques. D'aussi loin qu'il se souvînt, il avait toujours été ainsi ; et la Témérienne ne pourrait rien y changer. Elle était impuissante, sur ce territoire spirituel qu'était le sien. Elle ne l'atteindrait pas. Elle ne le ferait pas plier ; pas une fois de plus. Même Juliet, celle que l'on voulait bien croire, l'avait confirmé.

Il sonda le regard pâle de la reine aux cheveux d'argent. Elle avait l'air implacable, déjà convaincue de sa culpabilité. Pourtant, il reprit le fil de son premier discours. « Et après m'avoir offert à la mort, pointé du doigt comme un être orgueilleux, manipulateur et gorgé d'insolence, elle me renvoie au rôle de héros. J'ai « garanti sa sécurité ». Un peu plus et j'arrivais sur mon cheval blanc ! » Il jeta un coup d’œil à la fois méprisant et espiègle à l'espionne. « Elle me fait apparaître comme un héros tourmenté, torturé, maudit. C'est ridicule. » trancha-t-il. Sa tête pivota pour faire face au visage témérien, tandis qu'il désignait la traîtresse de ses mains jointes. « La voyez-vous chanceler ? Elle ne sait plus quoi penser. Et pour une fois, je peux vous promettre que cette hésitation n'est pas de mon fait. Car, si j'ai jamais été sincère, c'est avec elle. Quoi de plus sincère que l'amour et que la haine ? Les deux apportent des pulsions qu'on ne peut réprimer, et elles sont l'expression concrète de notre sincérité. » Une fois de plus, il revint à Juliet, et ses iris scrutèrent les siens. C'était étrange, cette alchimie qui existait entre eux. Ils ne se touchaient pas, ne se parlaient pas directement, et pourtant, tout se passait entre eux. C'était des jeux de regards, comme le chatoiement du soleil sur l'eau, qui révélaient les profonds secrets tout en les dissimulant à coup d'éclats. « Si j'ai été surpris de la voir... » poursuivit-il sans quitter la belle des yeux. « ... c'est parce que je l'ai rayée de ma vie. » Vérité ? Non. Il aurait adoré pouvoir chasser Juliet de ses pensées, mais il n'y parvenait pas. Quoi qu'il fît, elle revenait le hanter. Néanmoins, il avait déclaré cela avec un aplomb amplement suffisant pour que ce fût crédible. Il en avait si souvent rêvé que la situation avait acquis quelque chose... de réel. « Je ne suis pas fait pour aimer ou haïr à un tel degré. » Comme ses mains restaient liées par la corde, il roula des épaules pour rajuster sa chemise en toile, puis refit face à Katharina. Il précisa : « Ça me distrait. Je n'ai pas le temps. Alors je me suis évertué à n'éprouver que de l'indifférence envers elle. » Il ne mentait pas réellement. Tout ce qu'il disait comportait une part de vérité. Il n'était pas comme Juliet. Il avait conservé une bribe de leurs élans de jeunesse, qui les saisissaient lorsqu'ils se trouvaient face à face. Avec le temps, elle était parvenue à tout conserver sous clé, tous ses secrets, tandis que lui avait choisi la voie de l'exagération et du mystère... parce qu'il ne pouvait pas tout garder à l'intérieur. Il mettait ses émotions en scène. Elles étaient présentes, mais il les couvrait d'artifices, pour qu'on les devina le moins possible. Cela le soulageait et le frustrait à la fois. Il déversait ; mais son amante n'était qu'un barrage. Rien ne l'atteignait, aucun mot, aucun raisonnement... Il n'y avait plus que la douleur. Et la destruction. Il pouvait la détruire. Il allait le faire. A moitié ; pour que l'agonie perdure.

« Je ne peux pas cacher que la voir ici me trouble. Il y a peut-être encore quelques résidus... des souvenirs, sûrement. Mais je suppose que c'était votre but. Craqueler la surface. Découvrir l'homme. Pourtant, je n'ai jamais prétendu être autre chose qu'un homme, Katharina. Vous avez l'homme devant vous. Je ne suis pas plus indifférent qu'un autre. » Il la toisa. « Vous croiriez une femme qui ne raisonne pas et qui n'écoute que son cœur ? Sur ses dires, vous condamneriez un homme ? Vous condamneriez un homme pour fourberie et peine de cœur ? Parce que c'est tout ce qu'elle a dit, finalement. Elle n'a fait, sinon, que confirmer ce que j'avais déjà énoncé ; que je travaillais pour les Trois, que j'avais cru bien faire, puis que j'y avais été forcé, que je me ris des autres et de leur étiquette... Elle ne nous a rien prouvé. » Il s'arrêta un court instant. « Tout ça n'est qu'un vaste règlement de compte. » Il lâcha la phrase avec une simplicité atomique. « J'ai travaillé pour les Trois et, ce faisant, j'ai acté contre des Nobles, pour diverses raisons qui seyaient à mes maîtres. Les Nobles sont aussi sournois que moi, si ce n'est plus. Nous l'avons dit, je jouissais de la protection du Haut-Gouvernement. Et, maintenant qu'il est déchu, maintenant que je suis ici, soumis aux regards de tous... je suis vulnérable. Quoi de mieux qu'un procès pour régler ses comptes sans se salir les mains ? Ils sont un peu précieux, voyez-vous. » Il n'avait que faire des chuchotements qui crépitaient çà et là. Une partie de la Noblesse l'exécrait déjà, ou le craignait. Qu'avait-il à perdre à jouer sur ce plateau-ci ? Rien du tout. « Juliet n'est qu'une envoyée. Une porte-parole. Pourquoi elle ? Parce que c'est tellement plus simple de prendre les gens par les sentiments ! On vous aurait envoyé un quadragénaire qui aurait déblatéré des âneries et vomit sa rancœur, vous n'auriez pas écouté d'une oreille si fine. Mais Juliet est une belle femme, qui a vécu une tragique histoire avec l'accusé, et qui de surcroît sait se donner l'air peiné et innocent. Elle n'est pas peinée. Elle sert des intérêts. Elle n'est pas innocente. Elle vous manipule. Peut-être que j'essaie moi-même, mais j'ai au moins l'honnêteté de me présenter sous un masque proche de la réalité. Elle, non. » Il se mit à marcher le long de l'estrade et laissa ses yeux vagabonder d'un visage à l'autre. « Elle vous berne, elle vous leurre, elle vous trompe ; tous, tous autant que vous êtes. Mais même si c'est le cas, vous êtes tellement plus enclins à la croire... Bien habillée, de haute naissance, fraîche d'ingénuité... Pourquoi mentirait-elle ? Hum. » Il s'arrêta devant Juliet et planta son regard dans le sien. « Elle est l'arme parfaite. » Elle l'avait toujours été... avec lui, en tout cas. Il savait à quel point elle pouvait se montrer persuasive ; un véritable serpent qui susurrait des mots suaves à l'oreille. Le piège s'était trop souvent refermé sur lui. Vivement, il fit volte-face vers la reine de l'Autre-Terre. « Vous voulez la vérité ? Elle vous ment. Elle n'est là que pour ses pairs. Je suppose qu'elle a déjà prêté allégeance à votre règne et fait serment à vos Dieux ? » Un rictus narquois tira ses lèvres. « Vous y croyez, reine témérienne ? Vous pensez vraiment qu'ils sont tous prêts à abandonner leurs terres, leurs demeures, leur religion, leur mode de vie, pour vous ? Vous qui libérez les esclaves, vous qui abolissez les privilèges, vous qui jugez les criminels jusqu'alors si bien lotis ? » Il secoua doucement la tête. « Vous savez ce que je crois ? Je crois qu'ils ont encore plus peur de vous que des Trois. Alors ils préfèrent vous mentir, vous couvrir de belles paroles, pour mieux vous assassiner par derrière. Vous êtes chez eux. Et de ce que j'ai vu, les Vivendalais sont aussi fiers qu'entêtés. Ils n'abandonneront pas. La plupart va se battre pour récupérer cette cité. Et la bataille commence dès lors qu'ils vous mentent sur autre chose que votre beauté, votre intelligence... bref, dès lors qu'ils vous mentent, vraiment, et qu'ils cessent de vous amadouer avec leur hypocrisie de bienséance. » Il jeta un regard à la foule, avant de reprendre. « Moi, je ne m'inclinerai pas. Moi, j'ai décidé de ne pas reconnaître votre droit à régner. Moi, je ne veux plus être enchaîné. Je vous l'ai dit, elle vous l'a dit, vous l'avez compris. Et quand bien même vous m'y forceriez... elle vous l'a certifié, je ne tiens pas parole. Ce serait inutile. Mais voilà, vous le savez, vous êtes prévenue. Eux ? Ils vous prennent en traître. Et c'est moi qui suis accusé, et qui serai sûrement condamné... » Il souffla, comme s'il était fatigué à cette idée. « Juliet mérite cent fois plus sa place ici, sur cette chaise miteuse, que moi. Elle, et tous ses amis qui vous trahiront. » Il releva la tête vers la Témérienne. « Ce n'est pas qu'une défense que j'établis-là, Katharina. C'est une mise en garde. » Et, pour la première fois depuis le début du procès, c'était sûrement la plus saisissante des lueurs d'honnêteté qui venait d'illuminer son regard vert, l'espace d'un battement d'horloge. « Tous, ils voudront vous poignarder, lorsque vous dormirez. Juliet la première... » Il laissa planer le mystère. Juliet avait dévoilé un homme qu'il cachait plus ou moins. Il leur révélait une part de sa véritable personnalité ; celle qui trompait, se glissait dans des rôles, avait des idées arrêtées. Celle que la vue de la reine révulsait. Il ne pouvait pas la déclarer alliée des Trois, mais il pouvait utiliser son statut de noble pour la démolir, la briser, l'écarteler – pour tous les ramener à la poussière ; cette poussière d'or et d'argent qui les caractérisait si bien. Il ne voulait plus que Juliet eût toutes les chances de s'en sortir. Non, qu'elle crève, la garce.

Elle l'avait trahi, une fois de plus, alors qu'elle aurait pu sauver quelque chose. Elle aurait pu sauver les restes. Mais elle n'en avait rien fait : elle avait préféré reprendre ce jeu malsain qui torturait leurs âmes depuis si longtemps. Il ne l'épargnerait pas. Elle devait souffrir, encore une fois. Elle ne comprenait que cela. Et, en même temps qu'elle intégrait le message, il savait qu'elle nourrissait une ire vieille de plusieurs années, une ire qui reviendrait s'abattre sur eux. Parce qu'ils étaient comme ça : un coup, un rendu, un autre, et ainsi de suite. Ils s'aimaient : c'était insupportable. Ce sentiment venait-il d'eux, ou leur avait-il été inspiré ? Les Trois n'appréciaient guère leur relation. Jason s'en accommodait parce qu'il s'agissait d'une corde sensible qu'il pouvait faire jouer. Alan grinçait des dents dès lors qu'il les apercevait ensemble, parce que lui aussi convoitait la belle espionne. Julianne craignait que cet amour destructeur ne détournât Juliet de ses vrais buts. Destructeur... Ils l'avaient rendu ainsi, le trio. Et s'ils s'étaient rencontrés ailleurs, à un autre moment, parmi d'autres gens ? Tout aurait été différent. Peut-être ne se serait-il rien passé ? Mais si quelque chose était advenu... Oh, ils se seraient aimés sans mensonge et sans tuerie, sans songe et sans accalmie. Plus que tout ; et il n'y aurait eu qu'eux, eux deux. Et puis, plus tard, des enfants ? Un bonheur doux, simple, pur... le bonheur.
Non. Non ; parce qu'ils se seraient heurtés à un mur. Ce mur, c'était leur nature réelle et enfouie. Juliet et Aiden étaient deux monstres. C'était leur condition : ils ne pouvaient y échapper. Peu importaient les circonstances et les présences : elles ne changeaient rien. Ils se seraient entre-tués chaque jour, pour mieux s'aimer le lendemain. Il n'y avait pas d'issue, il n'y en avait jamais eu. Aiden devait passer à autre chose... il le voulait. Oublier, quel doux rêve... Rien qu'une illusion de plus. Mais que serait l'Homme sans ses illusions ? Il serait mort. Un Homme sans espoir et sans aspiration est déjà un homme mort.

Ses pupilles volèrent jusqu'à la reine-enfant. « Je sais que je vous irrite, Katharina. Il paraît que j'ai cet effet sur la plupart des gens. » Un vague sourire éclaira son visage assombri par ses pensées. « Je sais que vous agacer ne joue bien évidemment pas en ma faveur. C'est évident. Quiconque à votre place aurait probablement déjà fait trancher ma nuque. » Il n'ajouta rien, mais il pensa vraiment que cette fille, malgré la répulsion immédiate qu'elle lui inspirait, avait ce quelque chose dont les autres ne disposaient pas. La clémence l'habitait, mais surtout, l'écoute. Elle écoutait réellement les accusés et les témoins. Elle réfléchissait à ce qui serait le mieux pour tous, et bien sûr, à ce qui serait le plus juste. Elle était là pour ça. « Mais, je vous l'ai dit... je ne suis pas prêt à vous accabler de belles paroles pour sauver ma vie. Peut-être que Juliet a raison, que m'offrir à la Mort serait, pour moi, la pire des punitions. Peut-être même que ce serait le plus juste à faire, et le mieux pour tous les habitants de cette cité. Peut-être. Cependant, personne n'est capable d'en juger. Le seul qui pourra parler, c'est l'avenir. » Il s'arrêta. « Et la personne qui décide de cet avenir, c'est vous. » Il scruta ses prunelles de glace. Impossible de savoir à quoi elle pensait, et il n'était pas certain de vouloir entendre les phrases qui circulaient dans son esprit. « C'est ce qui est terrible, avec cette volonté de faire la justice. Vous ne pouvez pas connaître l'impact de vos décisions avant qu'elles ne se transforment en actions. Vous ne pouvez presque jamais être certaine d'avoir fait le bon choix. » Il y avait, bien entendu, des personnes pour qui la sentence était évidente. Mais pas pour Aiden, pas pour l'Inventeur. On ne jugeait pas que l'homme : on jugeait avant tout son statut et son rôle. Et il n'était qu'ambiguïté... Il avait tué par procuration, mais il avait remboursé une partie de ces vies en apportant son aide. « J'établis une défense, mais finalement c'est inutile. Qu'est-ce que ça change ? Vous avez déjà votre idée sur moi, vous n'avez aucune preuve et aucun besoin d'en avoir, vous n'allez jamais pouvoir trouver tous les Nobles qui veulent s'en prendre à vous... Il n'y a pas de justice, Katharina. Seulement du hasard... et vous n'êtes, ici et maintenant, que la reine de ce hasard. » Dès lors qu'il avait décidé de rester dans la Haute-Tour et de ne pas fuir, Aiden avait jeté son destin dans les bras du Hasard. Il s'en délectait, au fond. Il adorait avoir ces palpitations au cœur, cette peur au ventre et cette angoisse dans la prunelle. Parier contre la Mort était le jeu le plus amusant auquel il s'était déjà adonné. On ne pouvait pas tricher, avec la Mort. Elle voyait tout, elle entendait tout, elle savait tout, et elle venait vous chercher dès que l'heure sonnait.

A Katharina de faire retentir le clairon pour lancer les destriers de la Mort... ou de lever la main pour les ralentir en chemin. Aiden n'avait plus d'emprise sur son destin. Il venait de le sceller.


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Injustice or justice ? #2 | Aiden Empty
Sam 9 Juil - 23:08

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KATHARINA
— your life is mine even if you didn't want to —

Rideaux levés, les yeux des spectateurs rivés sur la scène, c'était leur heure de gloire, à eux, les artistes du mensonge. Derrière leurs masques, ils s'inventaient des histoires faîtes de toutes pièces, s'affublaient des qualités qu'ils n'avaient pas; ils chantaient des fables qu'ils prétendaient leurs. Leurs péripéties passionnent, leurs histoires inspirent, leurs personnalités nous charment... ou plutôt leurs personnages. Malhonnêtes, ils manient la fabulation comme une arme pour tromper les cœurs et embrouiller les esprits. Mensonge après mensonge, ils tissent une toile de tromperie. Et avant même qu'on ne puisse s'en rendre compte, nous, pauvres fous, sommes déjà coincés dans ses mailles. Dès son plus jeune âge, Katharina avait du apprendre à vivre parmi eux, à les reconnaître, à les éviter, eux, leurs pièges et leurs fameuses toiles : prisons d'esprit et de conscience. Et pour tout ça elle les détestait. Fichus acteurs. Foutus menteurs.

Maîtres des mots, et pourtant esclaves de leurs mensonges. Ils se perdaient peu à peu dans leurs fabulations. Amant puis ennemi, lâche puis courageux, esclave puis maître, au fil du spectacle les masques changeaient et s'échangeaient, tenant les spectateurs en haleine. Horrible inconstance, douce différence. Leur jeu était différent des autres; ils étaient différents des autres. Empruntant des émotions, feignant des réactions, ils modelaient leurs personnages au besoin, trompant la foule. Et tandis que les spectateurs se perdaient dans les abysses de l'incompréhension, eux, derrière leurs masques, riaient à gorge déployée, heureux d'avoir semé la zizanie.

Lentement, méticuleusement, le discours de Juliet dévia. Lâche, menteur, manipulateur, elle conta d'abord l'histoire d'un homme corrompu par le vice, d'un génie du mal, avant de dépeindre une âme seule, venue d'ailleurs, rêvant de contrées lointaines, contrainte à voir encore et encore les mêmes murs sales d'une ville pourrie jusqu'à la moelle. Sautant un acte, omettant des faits, elle peignit soudainement le portrait homme méritant la mort pour sa seule insolence, d'un homme seulement fidèle à sa propre vie mais pourtant capable de renier sa liberté pour sauver celle de son amante. Le Aiden qu'elle contait empruntait sans gêne le masque du vilain comme celui du héros, celui du voyageur comme du sédentaire, celui du bourreau comme de la victime. L'homme qu'elle décrivait était semblable à Tjorñ, aussi connu sous le nom de Dieu Taquin, il empruntait visage après visage, jetant sans cesse son masque pour en prendre un nouveau. Il était toujours n'importe qui, n'importe qui sauf lui même. Noir, blanc, jaune, vert, rouge, bleu. Juliet ne faisait pas que peindre un portrait, elle jetait des adjectifs à la foule tout en jetant une nouvelle couleur de peinture sur son tableau si bien que, au final, le résultat n'était ni un chef d'oeuvre ni une toile immonde. C'était un portrait unique, à la fois beau et laid, à la fois inspirant et troublant, à la fois vrai et faux. Là était le piège des artistes. Comme l'araignée ne laisse pas sa toile au vue de tous, les acteurs cachent leurs fabulations dans un tissu de vérités.

Effaré face à cette étrange portrait, la muse devint acteur à son tour et sorti du tableau. Il dénonça le spectacle et le jeu de l'artiste, de l'actrice, accusant ses vérités d'être fausses, l'accusant elle d'être fausse. Fabuleuse menteuse, maîtresse dans l'art de la fabulation. D'après lui Juliet était, comme tout les artistes, esclave de ses émotions, mais maître de son mensonge. Désireux de rétablir la vérité, ou plutôt sa vérité, Aiden ferma le rideau, clôturant l'acte de l'actrice, pour le rouvrir sur une scène différente où il était à la fois protagoniste et écrivain, à la fois homme d'action et d'esprit. Au fur et à mesure de son discours, il rappelait les dires de sa belle, de Juliet, à la fois ennemie et amante, et les démontait un à un, osant se démonter lui même. Contrairement à beaucoup, Aiden semblait accepter et même se réjouir de ses défauts, pire encore, il semblait en jouer. Il était différent, et il adorait ça. Peut être était-ce cela qu'il appréciait chez Juliet, sa différence, car elle aussi était unique en son genre. Fine actrice, peut être était-il le seul à pouvoir prétendre la connaître, tout comme elle fut la seule à prétendre tout savoir de lui. Oh non, il ne pouvait la laisser prétendre le connaître. Il se devait de tronquer ses dires, de falsifier ses vérités, il se devait d'arracher le masque qu'elle lui avait mise et de le jeter par terre. Les seuls masques qu'il porterait seraient ceux qu'il aurait fait lui même, lui, l'homme d'esprit, l'inventeur. Il était tout à fait capable de fabriquer son propre masque.

C'était un spectacle original, unique. Jamais Katharina n'aurait pu penser qu'un procès ferait l'objet d'une telle mise en scène; elle avait l'impression d'assister à l'un de ses drames digne d'une pièce de théâtre. Mais le problème avec ces pièces, c'est quelles sont jouées par des acteurs, eux, les rois du faux semblants, les empereurs du mensonge. Où était le vrai ? Où était le faux ? Qui avait raison, Aiden, Juliet, les deux, ou bien aucun d'eux ? Elle n'aurait su dire, elle ne savait plus quoi penser. D'un côté, Juliet semblait sincère, terriblement honnête. Mais comme l'avait relevé Aiden, elle était son amante, elle était son ennemie et de ce fait elle était tout sauf objective sur le sujet, bien qu'elle clamait haut et fort ne vouloir que la justice. Aiden dénonçait la mise en scène, le masque de l'actrice, il dévoilait au grand jour la supercherie, et pourtant, en son fort intérieur, Katharina était certaine que lui aussi mentait, ne serait-ce qu'en omettant quelques parts de vérités. Elle ne savait plus quoi penser. Le témoignage de Juliet Perkins aurait du éclairer les esprits, clarifier les derniers points sombres mais il avait eu l'effet inverse. Maintenant il n'y avait jamais eu autant de zones d'ombres, autant d'incertitudes. Et enfant, en tant que future reine, si on lui avait appris une chose c'était que l'incertitude et le doute menaient à de mauvaises décisions, à des erreurs. Et dans ce cas précis, cela pourrait être une erreur fatale. Que fallait-il faire ? Que fallait-il choisir ?

Elle n'en avait aucune idée. Elle était perdue.

Perdue parmi les spectateurs, réduite au simple rang d'observatrice, elle n'était plus maître de rien. Même son esprit, d'habitude impénétrable, avait été conquit par le jeu des acteurs, troublé par l'échange constant de masques. « C'est ce qui est terrible, avec cette volonté de faire la justice. Vous ne pouvez pas connaître l'impact de vos décisions avant qu'elles ne se transforment en actions. Vous ne pouvez presque jamais être certaine d'avoir fait le bon choix. » Tel un serpent, Aiden s'était jetée sur sa nouvelle proie, cette fois ce n'était plus Juliet, mais Katharina elle même. Mais contrairement à sa noble amante qu'il avait attaqué de front, aveuglé par la haine, ou bien l'amour, cette fois-ci il menait un affront dissimulé, lançant un escadron de sous-entendus, menant une armée de doute vers la forteresse de l'esprit royal. « J'établis une défense, mais finalement c'est inutile. Qu'est-ce que ça change ? Vous avez déjà votre idée sur moi, vous n'avez aucune preuve et aucun besoin d'en avoir, vous n'allez jamais pouvoir trouver tous les Nobles qui veulent s'en prendre à vous... Il n'y a pas de justice, Katharina. Seulement du hasard... et vous n'êtes, ici et maintenant, que la reine de ce hasard. » Levant la main, la course de ses soldats se suspendirent, allait-il abandonner toutes attaques ? Ou bien était-elle déjà achevée ? En effet, il avait gagné cette bataille car, déjà, en son fort intérieur, la jeune reine était rongée par le doute. Masquant son sourire victorieux sous le masque de l'abandon, l'acteur vainqueur feignit la défaite. Il était bon, très bon, Juliet avait eu raison en disant de lui qu'il était un maître illusionniste. Et le maître avait frappé à nouveau, peut être même sans s'en rendre compte.

Les yeux rivés vers elle, les spectateurs l'a jetèrent au rang d'actrice; elle n'avait plus le droit de regarder silencieusement. C'était son heure de gloire, c'était son heure pour parler. Il fallait choisir. Coupable ou innocent. Seulement ce n'était pas aussi simple, ce choix avait des conséquences, si elle se trompait elle pouvait aussi bien relâcher un criminel que tuer un innocent. Elle n'arrivait plus à réfléchir, elle ne pouvait plus se décider, en tout cas pas comme ça, pas tant que l'incertitude rongeait ainsi son âme. Pas tant qu'il subsistait tant de zones d'ombres sur le tableau qu'était Aiden. Elle devait tout voir, saisir l'image d'ensemble, mais en cet instant elle ne saisissait que des semi-vérités et des mensonges voilés. Elle ne pouvait pas prendre une décision, pas comme ça. Son regard se posa sur la témoin, Juliet, noble dans son esprit mais corrompu dans son coeur, corrompue par ses passions, du moins c'est ce qu'Aiden prétendait. « Merci Mademoiselle Perkins pour votre honnêteté et votre témoignage. Je tâcherais d'en prendre compte lorsque je rendrais ma décision.... » Doucement, elle releva son regard vers l'assemblée, la balayant de ses prunelles, s'adressant à elle comme si elle n'était qu'un seul homme; le peuple. « Décision que je ne rendrais pas maintenant, mais lorsque je le jugerais bon » annonça-t-elle d'une voix claire. C'est la meilleure chose à faire, pensa-t-elle. Retarder l'échéance, s'accorder le temps pour penser, pour réfléchir, pour chasser l'incertitude.

Alors que les spectateurs quittaient la salle, la jeune femme descendit les marches, se dirigeant vers le coupable ou l'innocent. Déjà, deux soldats l'entourait, prêts à l'emmener dans sa cellule. Elle leur fit signe d'attendre quelques instants et s'approcha du jeune femme. « Je vous accorde déjà quelques jours. » commença-t-elle, comme si quelques nuits en cellule était une récompense. Il était vrai que sa cellule restait toujours mieux qu'un cercueil. « Que vous le croyez ou non, dans peu de temps justice sera rendue. Ce n'est pas du hasard, le hasard aurait été de choisir votre destin maintenant, de décider en aveugle, tandis que je ne suis sûre de rien à votre propos. Mais rappelez vous ceci, si je vous accorde votre vie vous en aurez usage, je ne suis pas la reine du hasard, je suis la reine de Vivendale, votre reine. Que vous m'aimiez ou non, que la noblesse m'aime ou non, vos vies m'appartiennent. Et mes choix sont tout sauf du hasard. » Sur ces mots, elle s'éloigna, rejoignant ses quartiers tandis que, dans son dos, déjà ses soldats remettaient les chaînes aux bras de l'accusé et le raccompagnaient à sa cellule.



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Dezbaa
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Injustice or justice ? #2 | Aiden Empty
Lun 11 Juil - 0:42

Aiden Ruthendell
— Go back to the shadow where you belong. —

Intempéries de la vie, pluie des beaux jours et soleil des nuits, le destin jamais ne s'assagit. Les rênes jamais ne le retiennent ; il échappe et se cache, traque et attrape. Balle rebondie ; il plie et se déplie ; serpent des minuits. Il dévie parfois sous les cris de joie ou d'agonie. Mais impossible d'avoir le contrôle sur ses sourires de colère ou d'amour. Il y a toujours les autres et le monde pour briser vos ébauches et vos empires. Et le hasard, c'est encore pire. Aucune loi, aucune horloge, aucune bride, juste un battement irrégulier, comme un cœur affolé, qui frappe la poitrine aléatoirement, mais chaque fois avec empressement. De temps à autre, il lui prend la folie de faire bien les choses... à petite dose.

A la fin de la tirade du génie, le silence s'établit. Tous les yeux se tournèrent vers celle qui devait entrer en scène ; la reine Témérienne. Son regard se porta finalement sur Juliet, qu'elle remercia pour son témoignage - qui vraisemblablement lui semblait sublimé par l'honnêteté dont la noble avait prétendument fait preuve. Aiden ne put retenir un sourire moqueur. Quelle honnêteté ? Un tas de mensonges follement emmêlés. Mais nul ne l'entendait, personne ne pouvait l'écouter, et Katharina poursuivit. Elle observa le peuple rassemblé, et déclara, à la surprise du plus grand nombre qu'elle rendrait sa décision plus tard, lorsqu'elle le jugerait bon : elle se laissait le temps de réfléchir. Même l'Inventeur fronça les sourcils. Quelques murmures énervés secouèrent l'assemblée, quelques iris agacés se posèrent sur l'accusé, mais tous quittèrent le temple sans se révolter. Deux soldats se rapprochèrent d'Aiden et saisirent ses épaules. L'adolescente avait su conquérir une large part de ces gens. Elle avait la fraîcheur et la douceur que les Trois n'avaient plus - si un jour ils en avaient disposé.

D'une démarche décidée, elle descendit les marches pour rejoindre l'innocent coupable. « Je vous accorde déjà quelques jours. » Quelques jours à macérer dans le noir, à broyer du noir, à ne voir que du noir. Noir. Il en frissonnait d'avance, cet homme de l'ombre qui préférait l'éclat de la lumière. Une fois de plus, il allait se retrouver face à lui-même, sans la lueur propagée par les autres, noyé dans sa propre noirceur. C'était tétanisant. « Que vous le croyez ou non, dans peu de temps justice sera rendue. Ce n'est pas du hasard, le hasard aurait été de choisir votre destin maintenant, de décider en aveugle, tandis que je ne suis sûre de rien à votre propos. » Il leva la tête et plongea ses yeux verts dans les topazes de la Témérienne. Et qu'est-ce qui fait pencher la balance, Katharina ? De quoi dépend la décision finale ? Qu'est-ce qui rejette l'ultime indécision ? Le hasard. Il pousse, d'une pichenette, d'un souffle, votre esprit. D'un côté, ou de l'autre. Preuve ou non, raisonnement ou non, vous savez déjà, au fond de vous, ce que vous allez choisir. C'est ça, le hasard, ici. Le petit sentiment qui dérange au fond, et qui gratte à la porte, pour passer. Le minuscule grain de sable qui fait pencher la balance. Que croyait-elle ? Elle ne s'élevait pas au-dessus des autres. Son titre n'était légitimé que par sa naissance. Les rois n'étaient pas méritants. Ils devaient le devenir. Sinon, ils n'étaient que des parasites pour la communauté qui cherchait à s'épanouir et ne signifiaient rien.

Elle continua : « Mais rappelez vous ceci, si je vous accorde votre vie vous en aurez usage, je ne suis pas la reine du hasard, je suis la reine de Vivendale, votre reine. Que vous m'aimiez ou non, que la noblesse m'aime ou non, vos vies m'appartiennent. Et mes choix sont tout sauf du hasard. » Il la jaugea. Il avait ce regard dur et implacable, celui du combattant qui sait que la lame est appuyée sur sa nuque, mais qui refuse de se soumettre. Elle n'avait pas sa vie. Elle ne l'aurait jamais. Il n'y avait qu'une seule personne au monde à qui il pouvait la donner et à qui il acceptait de la donner ; une seule personne pour qui il aurait tout fait, pour qui il aurait renoncé à tout, absolument tout. Et ce n'était pas Katharina. Ce ne serait jamais elle. Jamais. Il n'était pas l'un de ces chiens dressés à la baguette qui déjà lui nouaient les bras dans le dos. Il était un homme libre. Et si pour eux il ne l'était plus... il le redeviendrait. C'était une promesse à Vivendale, à lui-même, et à toutes les promesses qu'il s'était faites. Je suis libre... et le serai à nouveau, s'il le faut, se jura-t-il tandis que la reine en devenir s'éloignait. Il redressa la tête vers l'estrade, mais Juliet avait déjà fui. Les deux gardes le retournèrent et le poussèrent en avant.

Le cliquetis de leurs amures, bruit des longues nuits sans sommeil, le reconduisait à l'enfer de la condition humaine - à l'enfer de sa condition. Jeté dans la cellule, il resta un instant debout, à observer le faible faisceau de lumière qui mourait à ses pieds. Il partait de haut - plus de deux mètres - et, de ce fait, Aiden ne pouvait pas voir à travers la lucarne. Puis, il avança, et retourna dans ce coin qui lui paraissait désormais familier ; ce coin épargné par les rats dans une moindre mesure. Il s'y assit, et disparut dans l'ombre. Adieu artifices, éclats et feux ; bonjour nuit, opacité et cendre. Le beau prince éloquent était redevenu la crapule disgraciée et disgracieuse... pour un temps seulement. Déjà, le futur décrivait ses arabesques aquarelles sous ses yeux, comme la promesse de la vie. Ou peut-être n'était-ce que l'illusion pour oublier la potence ? La dernière grande illusion...

Fin

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