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Stumbling over you

Linelleray
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Mar 26 Juil - 23:38


Stumbling over you
Wedding

Katharina a décidé d'unir l'ombrageux William et la noble marchande Serena, elle espère ainsi apporter cohésion et paix au sein des groupes de Vivendale. Mais qu'advient-il lorsque deux êtres, que tout oppose, se retrouvent liés ? Et s'il s'agissait seulement d'accepter l'inconnu et de faire un pas en avant...

V4 is coming
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Linelleray
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Mar 26 Juil - 23:40


Serena Scots
Stumbling

La porcelaine gisait à terre, brisée en éclats. Les pierres, le verre et les parures jonchaient le sol de l'appartement. Un massif vase de cristal explosa contre la tapisserie et vint se mêler à tous les autres présents de mariage. Serena se saisit d'un portrait à son effigie et déchira la toile avec la lame d'un coupe papier - le cadre en bois sombre s'écrasa parmi la pagaille. Les portes résistaient aux assauts répétés des gardes, et les servantes l'imploraient d'ouvrir. Cependant, le tisonnier barrant l'entrée n’escomptait pas ployer, tout comme la volonté de la captive. Le verre chantait sous ses pas avant de devenir poussière, elle avançait toujours plus parmi la montagne d'objets, sa soif de destruction croissante. Alors qu'elle répandait le contenu d'une liqueur des sept îles au sol, un cri aigu attira son attention vers l'arrière de la pièce. Là, une cage en or avait miraculeusement survécu à sa furie, le rossignol qui l'habitait sautait de branche en branche, scrutant les gestes de la mariée, mué par un mélange de crainte et de curiosité. Il était splendide, et elle tendit la main pour caresser ses plumes ocres. L'oiseau la piqua au doigt et prit son envol, une goutte de sang perla sur la peau d'albâtre de la jeune femme. Elle comprenait sa détresse, pourtant elle ne pouvait se résoudre à relâcher l'animal. D'une certaine manière, garder le chanteur enfermé la confortait, elle n'était plus la seule prisonnière. De nouveaux coups résonnèrent, tous continuaient de tambouriner contre sa porte, mais elle choisit de les ignorer. Katharina, aussi, était venue frapper à sa porte quelques semaines auparavant. La Scots avait été contrainte de ployer le genou face à la femme qui avait libéré ses démons. Et la figure royale n'apportait avec elle que de mauvais présages : la perspective d'un mariage contraint auquel la jeune noble ne pouvait échapper. Il y avait eu beaucoup de cris, de protestations, mais l'Eliaryen n'avait pas cillé et Serena avait été isolée dans une maison de famille, séparée du reste de la ville. Dans les jours qui suivirent, un Ombrageux la visita et un mariage par procuration fut signé. Bien que fermement opposée à cette union, elle avait tenu la plume, persuadée qu'elle parviendrait à fuir le pays. C'était sans compter les servantes chargées de l'espionner et les gardes encadrant les lieux. Dès lors, elle avait refusé de quitter ses appartements, errant des heures entières en tenue de nuit, ses cheveux bruns relâchés dans le dos. Plusieurs fois, son futur époux exprima le souhait de la rencontrer, apportant avec lui des futilités telles que des fleurs des champs. Jamais elle ne consentit à le laisser entrer, et lorsque sa femme de chambre venait disposer les bouquets dans les pièces du séjour, une sombre colère gagnait son sein. Finalement, il se lassa et cessa de venir ; les lieux sombrèrent dans un calme oppressant, troublé par nul visiteur. On avait depuis longtemps cessé de la questionner sur ses désirs pour le mariage, et d'autres se chargeaient des préparatifs. Ces derniers jours, nombre de présents étaient arrivés en provenance de tout Vivendale. A présent, elle se dressait tempétueuse parmi les débris d'une union qui n'avait même pas encore été célébrée. Son existence à venir était vouée à l'échec... elle n'avait simplement pas le courage d'y mettre fin. Elle se figea devant un miroir en pied, reconnaissant à peine sa nouvelle silhouette. La belle brune était amincie, sa crinière indomptée, et ses prunelles noires étaient animées par une forme de sauvagerie. Serena aimait ce nouveau soi, bien plus qu'elle n'aurait pu se l'avouer. Errant, elle se hasarda à saisir son habit blanc et défit avec rage l'étoffe protégeant le vêtement. La soie tomba au sol, révélant une somptueuse robe crème, incrustée de perles et brodée de fils d'or. L'émotion la gagna lorsqu'elle comprit et des larmes tirées d'un lointain passé inondèrent ses joues de poupée. Ils avaient fait venir la robe de sa mère, au fond d'elle, Serena ressentit ce qui ressemblait à un prémisse de reconnaissance. Elle chassa ses larmes d'un geste enfantin avant qu'elle ne vienne s'écraser sur son trésor, la jeune femme passa les doigts dans les corsages du ruban, souriant à ce souvenir enfantin de Madame Scots. Au loin des cloches sonnèrent, marquant la fin de la matinée. Un instant, elle eut l'espoir d'être sauvée ; comme épargnée et graciée par les dieux du Trisäl. Mais la réalité refit surface lorsque les portes sautèrent de leurs gongs et s'abattirent contre le marbre dans un grand fracas. Deux gardes entrèrent à la suite d'une servante, et s'arrêtèrent, médusés, devant les dégâts commis par cet être féminin. Serena soupira longuement et les considéra avec dédain, elle n'échappait jamais à ses geôliers. D'un geste agacé, elle voulut tous les congédier mais tous ignorèrent ses directives, et elle plongea son visage - lassée - dans les froufrous de la robe. Soudain, une voix enjouée l'arracha à sa torpeur : « N'avez-vous pas entendu, Lady Scots ? » Elle releva la tête et découvrit les traits encadrés de boucles brunes de son amie d'enfance, Seyrane. Elle se releva, maladroite, et enserrant toujours le tissus contre son coeur. « J'ai pensé que tu voudrais la porter pour le grand jour... » Ainsi, c'était Miss de Larant qui avait pensé à cette délicate attention. Serena joignit ses mains à celle de sa douce amie, avec un sourire mélancolique. Elle avait cru qu'elle affronterait cette épreuve seule, mais la présence conciliante de son amie lui donnait davantage de force morale pour ce qu'il adviendrait. Touchée, elle enlaça sa compagne. « Je ne pouvais décemment pas me marier sans témoin, alors te voilà » ironisa-t-elle. Mais au fond, Serena avait le coeur serré, elle appréhendait les instants qui allaient suivre, et doutait d'y survivre. Au demeurant, lorsque nous ne sommes plus maîtres de notre destin, nous marchons ou mourrons ; et la jeune femme fit un pas en avant...
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Seyrane de Larant
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Divine plume
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Sam 4 Mar - 17:54





william p. thawerson
— a one way ticket for another life  —


Aussi opposés que le jour et la nuit. Tandis que la rage de Serena se déferlait sur les objets qui l'entouraient, le sang-froid de son futur époux semblait aussi infaillible que jamais. Dans une pièce quasiment nue, à l'exception du miroir devant lequel il se tenait et de quelques bibelots, William achevait de se préparer. Son visage impassible, les gestes mesurés avec lesquels il nouait sa cravate dissimulaient parfaitement le désordre de son âme. Mille réflexions se bousculaient dans son esprit à chaque instant. D'un mouvement mécanique, il ajusta le nœud qui enserrait désagréablement sa gorge et jeta un coup d'œil à la surface polie du miroir. Un étranger le considérait d'un air impassible. Un jeune homme d'aspect soigné, vêtu d'un élégant costume. Ses traits se crispèrent dans un rictus. À quel moment avait-il perdu la main sur le contrôle de sa propre vie ?

Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis la signature du traité, mais il réalisait seulement les implications de cet acte. D'ici quelques heures à peine, il serait lié par des liens sacrés, que Nordiens comme Témériens reconnaissaient et respectaient, à une femme dont il ne savait presque rien. Un nom, et surtout une volonté féroce de lui témoigner de son mépris. Par pure courtoisie, il avait demandé à la rencontrer mais elle avait refusé à plusieurs reprises. Ce faisant, elle confirmait le cliché cent fois reproduit de la Noblionne capricieuse et hautaine. Leur relation ne débutait donc pas sous les meilleurs auspices. Plus que jamais, le grotesque de la situation lui sautait aux yeux. Un ex-Ombrageux marié à une ancienne otage de la Guilde, à l'occasion d'une union orchestrée par le pouvoir dont l'irruption avait justement rompu cette captivité. Les codes sociaux si chers aux classes dominantes bafoués, piétinés, rendus caducs par une adolescente. La finalité de ce mariage lui apparaissait enfin, d'une aveuglante limpidité. Il ne s'agissait pas d'assurer la paix par des alliances entre groupes. Peu importe la paix. Il s'agissait plutôt d'une véritable démonstration de force de la part de Katharina. Cela paraissait si évident désormais. Sa victoire indiscutable lui conférait un tel pouvoir de contrainte qu'elle pouvait se permettre d'imposer un hymen inimaginable seulement quelques mois plus tôt. C'était aussi redoutable qu'une intervention militaire, c'était même pire. Par son intervention dans les alliances de la société civile, la jeune reine prouvait le contrôle absolu qu'elle étendait sur Vivendale. Elle disposait des pouvoirs suprêmes sur ses sujets, partout. Tous étaient à sa merci. Et il ne s'en était pas rendu compte plus tôt. Et il était trop tard !

Les pires trahisons sont perpétrées par l'ennemi.

Sur l'échiquier vivendalais, la souveraine aux cheveux d'argent avait plus d'un coup d'avance. Face à elle ni reine ni roi, les cavaliers dispersés aux quatre coins du jeu, les fous et les tours inutiles car immobiles. Ne restaient que les pions. Il était temps d'intégrer les Villageois à la lutte contre l'oppression des puissants. La rébellion devait venir du peuple. S'il avait cru un instant que le règne de Katharina serait différent, il était bien forcé de reconnaître qu'il s'était bercé d'illusion. Les détenteurs du pouvoir continueraient de soumettre les plus démunis, qu'ils viennent de l'intérieur ou qu'ils s'imposent à force de conquêtes. Ils devaient anticiper le prochain mouvement de la reine.
La donne du jeu changeait du tout au tout puisque les Nobles étaient tenus en coupe par les Témériens. Un espoir subsistait. Il est plus facile de résoudre une opposition binaire qu'un conflit à trois parties. L'ironie du sort voulut qu'il prenne conscience de tous ces éléments le jour même où il s'inclinait devant la supériorité de Katharina.

Dans un sens, cependant, le jeune homme était soulagé. Le désœuvrement dans lequel il vivait depuis la Guerre d'Un-Jour prenait fin. Il avait de nouveau un objectif, une ligne de conduite. C'est donc avec calme et détermination qu'il emprunta le chemin pour se rendre sur le lieu de la cérémonie. Il n'envisageait même plus de rencontrer son épouse avant que leur union ne soit scellée. Katharina n'avait pas daigné le consulter pour la liste des invités ; il y aurait sûrement des Ombrageux, enfin du moins il espérait pouvoir reconnaître des visages amicaux dans l'assemblée. Quelques Nobles seraient probablement présents, bon gré mal gré. Des proches de Serena. Qui d'autre ? Ce devait être une cérémonie publique, grandiose, à la fois exemple et menace, mais il n'y avait personne à inviter. Les vieilles normes sociales étaient encore trop présentes pour que les castes se mêlent ainsi lors d'un mariage. Quelle occasion pour les Nobles d'afficher leur éternel mépris des autres, à moins qu'ils ne soient trop terrorisés pour sortir de chez eux. Il pressa le pas. Quant à Arianna, eh bien... Il se promit d'aller lui parler aussitôt après le mariage. Mais au fond, il était inquiet. Il avait beau examiner toutes les possibilités, il n'en voyait aucune où elle accueillait bien la nouvelle. Parmi ses réactions potentielles, la rage était encore celle qu'il préférait. Et il refusait de considérer la pire.

La silhouette de l'édifice se dessina au coin de la rue. William réajusta inutilement sa cravate, épousseta nerveusement le tissu luxueux de sa veste et parcourut les derniers mètres qui l'en séparaient. Un garde posté près de la porte l'avisa et les lourds battants de bronze sculpté s'effacèrent lentement sur son passage. Seul le bruit du métal qui raclait la pierre résonna dans l'obscurité de la pièce. Il fit un pas en avant.
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Alessandra de Marbrand
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Jeu 16 Mar - 12:08





KATHARINA
— the best way to make alliances is with mariage  —

Au loin, déjà, les cloches sonnaient, criant à la ville l'ouverture d'une nouvelle ère, celle de la paix. Pas le semblant de paix qui s'était imposé depuis la signature du traité, non, le début d'une véritable paix. D'une paix où elle n'aurait plus à craindre l'ancienne noblesse que son ascension au trône avait dépouillé de son honneur et de sa fierté. D'une paix où son nouveau peuple ne formerait plus qu'un au lieu de ces castes qui se vouaient haine et mépris sans réaliser combien elles étaient semblables. Il fut un temps où elles étaient unies, le soir de la Guerre d'Un Jour, le temps de quelques heures seulement, tous s'étaient alliés, pauvres, riches et rebelles, tous unis dans un but commun. Puis, au matin, ils avaient essuyé leur alliance d'un revers de main pour retourner à leur vieille rancune.

Mais cette ère de mépris prendrait fin, là, dans quelques instants, alors que devant les dieux du nord et ceux de sa terre à elle, la noble marchande Serena Scots deviendrait Serena Thawerson, épouse de l'ancien ombrageux William Thawerson. Ce mariage était un pari risqué, ni l'un ni l'autre n'avait souhaité se retrouver lié à l'un de ses pires ennemis. C'est en fait cette haine qui avait motivé la jeune reine à former des alliances entre ces anciennes castes plutôt qu'à chercher seulement à rallier son premier peuple avec son nouveau. Lorsqu'elle avait vu Serena, exploser sa rage envers son ancienne geôlière lors de son procès, elle avait su qu'elle devait intervenir, étouffer la flamme avant qu'elle ne devienne incendie, même si cela attiserait les rancunes de certains. Depuis son balcon, elle regardait les invités entrer dans le Grand Temple, au pied des marches, une foule de gens s'étaient déjà accumulés. Jamais Katharina n'aurait imaginé qu'autant de gens assisteraient à cet événement, cette présence en grand nombre lui arracha un sourire. Et lorsqu'elle observait la ville ainsi, en pleines festivités malgré qu'ils fêtaient le malheur de deux personnes, elle se confortait dans sa décision. C'était la chose à faire. Descendant à son tour dans la rue, elle marcha en direction du Grand Temple, ses dames de compagnie derrière elle. Levant le nez vers le ciel elle se félicita d'y voir un grand soleil, les dieux étaient avec eux pour cette journée, tout était parfait.

Lorsqu'elle arriva, tout était déjà en place, William était déjà là, ne manquait plus que Serena. La jeune reine craignait que la noble, qui s'était trouvé d'une humeur massacrante depuis des jours, ne fassent des histoires, pourtant, alors que ses doutes se formaient dans son esprit, les musiciens se mirent à sonner l'arrivée de la jeune femme. Vêtue d'une robe crème, incrustée de perles et de fils d'or, elle était tout simplement magnifique. Les yeux des invités la suivirent avec émerveillement alors qu'elle marchait jusqu'à son destin. Tout avait été parfaitement organisé, dès que la jeune femme fut face à son futur époux, on leur apporta les épées. Katharina retint son souffle, espérant que l'entrée des moeurs témériennes dans une union vivendalaise ne fassent tempêter certains, elle même avait du faire des concessions en acceptant de garder l'esprit des moeurs d'ici pour éviter que ces détracteurs ne proclament ce mariage invalide. Normalement, chaque famille offre une de ses épées à l'autre, via les mariés, malheureusement, Serena venant d'une fratrie de marchands, il avait fallu lui en faire faire une, Katharina avait demandé à que l'on fasse graver le nom des Scots sur la lame. William, lui, en tant que guerrier, avait du céder son arme personnelle pour cet échange.

Les deux mariés tenaient leur arme dans une main, une alliance posée au bout de chacune. Ce n'était plus qu'une question d'instant avant que leur destin ne soit à jamais scellé. Afin de conforter les moeurs d'ici, on noua leur main libre ensemble avant que le prêtre ne prononce son discours, une sorte de mélange de celui prononcé par les Vivendalais et de celui qu'il prononçait d'habitude, à Téméran, concluant que face au Trisal et l'Eliare réuni, ils étaient à présent unis. Avant même que les deux mariés ne finissent d'échanger les épées et leurs alliances, les applaudissements tonnèrent dans la salle comme à l'extérieur.

Katharina s'avança alors d'un pas, jaugeant les deux mariés, elle s'adressa cependant à toute la foule. « Comme nos dieux qui se sont réunis là-haut pour assister à cette union, nous sommes ici, tous ensemble, réunis en ce jour sacré pour célébrer ce mariage, je vous invite donc tous à continuer cette célébration dans la Haute-Tour. » Des acclamations suivirent, et la foule accompagna les mariés dans les rues jusqu'à la Haute-Tour. Depuis les maisons, dans la rue, tous célébrait cette union, tout semblait parfait à un détail près, étaient-ils tous sincères ?

Certainement que non.

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Dezbaa
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Sam 18 Mar - 14:58

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— I dreamed last night. —


Vinciane de Habstône
J'ai rêvé d'un conte de fées. J'ai rêvé de toi, et de l'enfant, aussi ; j'ai rêvé de nous et de ce que nous aurions pu être. L'espace d'une nuit, j'ai oublié le carnage, j'ai oublié les ravages, et je n'ai pensé qu'à notre nuage. Je nous ai vus, valsant élégamment sur le firmament, le sourire aux lèvres et l'amour au cœur. Que donnerais-je, Andrew ? Que donnerais-je, pour simplement quelques minutes, là-haut, avec toi ? J'ai enfin compris la saveur des jours heureux. Elle comprenait, depuis qu'elle vivait l'enfer. Et quand elle imaginait la belle robe de Serena, ce sentiment redoublait. Elle se revoyait, elle-même drapée de blanc, craintive et incertaine, rougir sous le regard de son futur. Elle n'avait rien voulu de tout cela, elle s'était battue contre, mais désormais... elle se rendait compte qu'elle avait peut-être perdu ce qu'il y avait de meilleur dans sa vie - sa part de bonheur. Aurait-elle droit à une deuxième chance ?

Elle avait eu du mal à se décider à venir. L'évènement déplaçait les foules, mais elle avait trop peur. Peur du jugement qu'on porterait sur elle, peur des Témériens et de leurs armes, peur de tout. Pourtant, elle avait fini par franchir le pas. Roy l'y avait aidée, lorsqu'il l'avait découverte, au beau milieu des porcs. Elle avait encore honte... Mais il lui avait assuré que les choses s'étaient calmées, qu'ils ne risquaient plus rien. Elle tentait une première incursion.
Elle était entrée crasseuse et échevelée, une capuche rabattue sur la tête. Personne ne devait la reconnaître dans cet état, personne personne personne. Elle avait marché jusqu'à son ancienne demeure : elle était vide. On l'avait pillée, mais personne n'y habitait. Elle avait monté les marches du perron, avec l'appréhension qui crispait ses tripes. Puis, tremblante, elle était allée jusqu'à la chambre, et avait fouillé. Il restait des affaires ; des robes et des bijoux. Elle avait passé sa main sur les étoffes, nostalgique, puis s'était assise sur le lit, et elle avait pleuré. Il y avait toujours ces crises de larmes incontrôlables. Les minutes s'étaient écoulées ; elle s'était ressaisie. Elle avait marché jusqu'au puits, tiré l'eau, plusieurs fois, pour remplir la baignoire et les baquets. Elle s'était lavée. La crasse avait glissé sur sa peau comme un mauvais souvenir. Puis elle s'était vêtue. C'était une robe rose pâle qu'elle avait l'habitude de porter au printemps ou en été, lors des repas en plein air, des promenades, ou simplement chez elle. Ce n'était ni la plus fastueuse ni la plus coûteuse, mais Vinciane n'avait jamais aimé se faire remarquer, et ce jour-là le souhaitait encore moins que les autres. Elle avait ajouté une paire de boucle d'oreilles en argent, avait coiffé ses cheveux comme elle le pouvait - après avoir tenté quelques essais peu convaincants, elle avait décidé de les laisser lâchés -, et avait saupoudré son visage d'un peu de maquillage. Cela l'avait rassurée ; comme si la poudre pouvait cacher ses torts. Enfin, elle était partie.

La foule baignait dans l'impatience. Ils se tenaient tous, pour la plupart, dans le temple, et ils piétinaient. Le marié était déjà présent, près de l'autel. Lorsqu'ils étaient entrés et que les premiers l'avaient aperçu, des murmures avaient parcouru l'assemblée, si bien que Vinciane, qui ne le connaissait guère, avait deviné son nom. William Thawerson. Elle avait entendu dire qu'il s'agissait d'un Ombrageux, et l'information la faisait frissonner. Elle les avait toujours craints. Elle le détaillait, sans pouvoir s'empêcher d'éprouver une once de compassion pour lui. Il n'avait certainement pas choisi, et en un sens, elle trouvait cela déplorable. Oh, elle comprenait bien les impératifs politiques, mais...
Soudain, les portes s'ouvrirent ; chacun retint son souffle. La reine s'avança, prestigieuse, entourée de ses dames de compagnie et de quelques gardes. L'ancienne noble lui coula un regard triste, mais sans haine. Elle n'avait jamais réussi à haïr. Elle jetait des mots, comme tout le monde, mais au fond de son cœur, il n'y avait rien que des blessures. Rancunière, elle pouvait l'être, mais haineuse... c'était comme si cela se trouvait au-dessus de ses forces. Et les choses avaient changé... Les Témériens l'avaient arrachée à son cocon, et elle avait vu. Elle avait vu.

Luke Peterson
J'ai rêvé de vous. J'ai rêvé que vous étiez tous là ; que nous étions tous là, unis comme jamais. Moi je pleurais, et je riais, parce qu'enfin c'était fini, parce qu'enfin je respirais. Nous avions faits un grand feu, et au-dessus chauffait la soupe du soir. Dehors, la nuit était claire, et on entendait les pas paisibles de la jument, les hululements de quelques chouettes. Charlie, tu allais bien. Tu n'étais pas mort, comme je le crains encore. Eden, elle riait de son rire si particulier, et ça me faisait du bien, ça nous faisait du bien. Mel était assoupie contre le torse d'Adam, qui souriait, tranquille. Sarah surveillait la cuisson, et racontait des histoires, comme elle sait si bien le faire. Le reste, je ne sais plus. Mais ça n'a pas vraiment d'importance. Tout ce qui compte, c'est qu'on était heureux, et que je me suis réveillé avec ce souvenir vaporeux. Luke les cherchait partout. Il ne trouvait personne. Étaient-ils morts ? La question le hantait tous les soirs. Vivre dans cette incertitude, c'était de loin la pire des choses qui lui fût jamais arrivée. Alors, il s'était dit qu'il pouvait aller au mariage, pour voir. L'événement semblait attirer les foules ; peut-être retrouverait-il sa famille. Et puis, Mel mourait d'envie d'y aller. Il ne pouvait ni l'en blâmer ni l'en priver, tout cela devait la faire rêver ; et rêver, pouvoir rêver encore, c'était salvateur. Aussi, ils s'y étaient rendus.

Ils avaient réussi à s'immiscer dans le temple. Luke tenait bien la main de Mel - il n'avait aucune envie de la perdre ! - tandis que tous deux regardaient d'un air ébahi ce qui les entourait. Le lieu de culte avait toujours été un édifice magnifique, mais ce jour-là, il vivait. Il pulsait au rythme de la diversité qui y respirait, chatoyante et terne, joyeuse et triste, qui célébrait le début d'une ère et pleurait la fin d'une autre. Ils n'avaient jamais vu tant de gens différents en un seul endroit. Nobles, Témériens, Villageois, Soldats, Ombrageux, et bien d'autres encore, se mêlaient sans que cela ne pût choquer personne. Et Luke fut saisi par cette beauté toute simple, cette beauté de l'acceptation et du partage. « Ouah... » lâcha sa sœur. « Je veux aller tout devant, Luke ! Viens ! » - « Je sais pas si on... » Mais, déjà, elle le tirait par la main. Il la suivait, se faufilant entre les gens, écoutant au passage des bribes de conversations ; certaines étaient gonflées de bonheur, de soulagement, de félicité, d'autres de scepticisme, de peine et de colère. Deux mondes s'affrontaient, deux mondes que Katharina tentait de concilier, et deux mondes pour lesquels il voyait désormais un avenir commun possible - cet événement pouvait-il être plus convaincant ? On venait de lui redonner un morceau d'espoir. « Cette pauvre Serena, dire qu'ils la forcent à épouser un Ombrageux... c'est honteux ! » - « Je suis bien d'accord ! Ce William Thawerson ne m'inspire guère confiance. Mais que voulez-vous, ce sont les... » Luke avait décroché. William ? Le William ? Il s'arrêta d'un coup et retint sa petite sœur d'avancer plus. « Luke ? » fit-elle en se retournant pour le regarder. « On doit trouver Aria, Mel. » L'urgence perçait dans sa voix. Il la prit par la taille, se pencha un peu et la hissa sur ses épaules. « Regarde bien, elle doit être là. » La fillette appuya ses mains sur ses propres cuisses et commença à observer minutieusement. « Pourquoi on doit la trouver ? C'est grave ? » osa-t-elle enfin demander. Il secoua doucement la tête. « Non, non, ne t'inquiète pas. » En réalité, il n'en savait rien. Il espérait, seulement. Soudain, une musique s'éleva, et Mel s'agita sur ses épaules. « Luke ! Regarde ! On dirait une princesse ! » souffla-t-elle, le doigt pointé vers la mariée, qui venait de faire son entrée. L'or et l'ivoire couraient sur toute sa peau, et elle marchait, le port altier, vers l'autel où l'attendait son avenir.

Freyja Shestën
J'ai rêvé d'une autre vie. J'ai rêvé que vous n'étiez pas morts, et que je n'étais pas partie. J'ai rêvé que j'avais agi comme vous le souhaitiez. Haëran n'est pas mort, et vous non plus, chers parents. Il est aux côtés de notre reine et défend avec bravoure les causes de notre patrie. Moi, j'ai un mari et trois enfants. J'ai fait comme toi, maman, j'ai "écarté les cuisses à sa demande". Désolée pour ces mots. C'était stupide, ça ne t'empêchait pas d'être heureuse, et tu n'étais même pas soumise... Mais j'étais trop jeune ; l'amour me dépassait, et je ne pensais pas aux garçons. Je ne pensais qu'à la garde royale, aux jeux d'épées, à cet avenir brillant que je croyais effleurer. Je me suis trompée, j'ai tout perdu. Je suis un monstre. Et ce rêve, je suis persuadée qu'il était là simplement pour me rappeler qui je suis, ce que je suis, et tous ces regrets que j'emporte avec moi. Pardon. J'aurais dû être raisonnable. Le rêve la hantait encore alors qu'elle s'habillait. Elle avait choisi une robe rouge, très fluide. Elle avait horreur d'être entravée dans ses mouvements, et il fallait qu'elle pût agir vite. Katharina n'était à l'abri de rien, et c'était peut-être la dernière chose qu'elle avait à protéger en ce monde ; non, il y avait aussi Hildr et son enfant. Elle ignorait si celle-ci serait présente, mais il valait sans doute mieux qu'elle se reposât.
Freyja attrapa un poignard qui traînait sur son bureau et, remontant la jupe, le coinça dans l'étui qui ceignait sa cuisse. Ensuite, elle prit entre ses doigts une longue et fine aiguille, qu'elle s'arrangea pour glisser dans sa ceinture, sous la barrette d'argent. Parfait. En deux enjambées rapides, elle se trouva devant le miroir de la chambre. Elle se rappela des coiffures de sa mère. Elle lui en avait appris quelques unes... peut-être qu'elle avait là l'occasion d'appliquer ses enseignements. Elle fouilla dans les tiroirs, dénicha quelques pinces, et en deux tours de main, la voici prête. Deux grandes mèches retenaient sa chevelure, tandis que deux autres, plus petites, ondulées, encadraient son visage. Elle y glissa une nouvelle aiguille, plus sophistiquée : elle pouvait aisément passer pour un bijou. Elle se sourit, un peu incertaine. Elle était face à une autre, plus féminine - dans l'aspect - que d'habitude, et cela la troublait presque. Elle finit par lever les yeux au ciel en lançant un « n'importe quoi ! », avant de s'éclipser, et de se dépêcher de retrouver les dames de compagnie de Katharina. Lorsque cette dernière descendit, elles sortirent dans la rue. L'espionne se mêlait sans mal au groupe, souriant et riant avec elles, si bien qu'elle parvenait presque à oublier son mauvais rêve. La seule chose sérieuse qui demeurait à son esprit, c'était la protection de sa reine.

Elles allèrent jusqu'au temple. Des chuchotements les accueillirent tandis qu'elles se dirigeaient vers l'autel. Tout en feignant l'oisiveté, Freyja jetait des regards aux invités et tentait de repérer toutes les issues possibles. Il était clair qu'elle n'éprouvait que de la défiance vis-à-vis des Nordiens - plus encore envers les Ombrageux. Elle n'aurait pas été surprise que l'un d'entre eux - comme le fameux James - tentât un coup d'éclat en pleine cérémonie, et elle voulait être capable de gérer cela. Pas de débordement ; tout devait se dérouler selon leur plan. Elle se plaça derrière la reine aux cheveux d'argent, en retrait, un peu de l'ombre, de façon à pouvoir observer tout le monde sans en être vue.
La musique retentit, et enfin la mariée apparut. Elle était sublime, malgré le regret, la colère ou la résignation qui berçait ses prunelles. Elle s'avança, et lorsqu'elle eût rejoint le marié - un grand homme au charme certain, et un Ombrageux (Freyja se réjouissait de ce mariage, car elle espérait qu'il calmât les ardeurs des deux groupes) -, on leur donna les épées. Les alliances, posées sur les pointes, dansaient déjà. On prit leurs deux mains et on les noua, comme le voulaient les mœurs vivendalaises. Dès lors, le discours du prêtre résonna dans tout le temple pour sceller leur union sous les regards des Dieux de chacun. Puis, Katharina s'avança et invita chacun à poursuivre les festivités dans la Haute-Tour. Le peuple applaudit, siffla, cria sa joie, puis tous s'élancèrent vers l'ancien repère des Trois.

Caliel Hopkins
J'ai rêvé d'un autre monde. J'ai rêvé d'un autre monde, où nous étions au pouvoir. Les luttes n'existaient plus, parce que la paix régnait, au seul prix de la liberté. Ce n'était pas ici, parce que Caelan était en vie. Ou alors c'était ici, et tu n'étais que ce mirage qui me soutient à chaque seconde de chaque minute. Mon frère, nous avons perdu une bataille. Nos parents auraient honte, mais ils croiraient aussi que la guerre n'est pas finie. Et elle n'est pas finie. Je vous le promets. A tous ceux qui croient à la liberté, à tous ceux qui croient à l'égalité, à tous ceux qui croient à la fraternité, à tous ceux qui s'insurgent contre la tyrannie, à tous ceux qui s'insurgent contre l'oligarchie, à tous ceux qui s'insurgent contre leur mépris, je vous le promets. Je me battrai, et s'il faut mourir je mourrai, parce qu'il vaut mieux partir honnête et franc que de vivre dans le mensonge et la décadence. Je ne veux plus me tromper et devenir ce que je ne suis pas ; je ne veux plus me laisser prendre au piège, Caelan. J'ai fait un faux pas, je n'en ferai pas deux. Et si mon heure est venue, soit, je saurai l'accepter - la peur au ventre - et j'espère que je te rejoindrai, dans cette utopie dont j'ai rêvé, dans cette utopie dont je veux jouir. Tandis qu'il fixait Katharina, il ressassait ce songe. Il ne pouvait pas croire qu'elle agissait pour le bien de tous. Il regardait William, il ressentait sa détresse, et il ne pouvait pas croire ça. Caliel n'était pas idiot ; il comprenait bien quels enjeux pouvaient être liés à toute cette mascarade, et quelle sécurité elle pouvait apporter. Mais ce faisant, les Témériens niaient deux humains. Ils les contraignaient, les forçaient à tenir ces épées et à lier leurs mains. L'Ombrageux n'éprouvait pas vraiment de pitié pour Serena. Elle ne méritait pas ce qu'il lui arrivait, mais il la connaissait de nom, il savait comment elle était, et il ne pouvait s'empêcher de se dire que ce n'était qu'un juste retour de bâton. Quant à William... Ils n'étaient pas de grands amis, mais il restait son frère d'armes.

Il écouta distraitement le discours du prêtre. Il n'était pas vraiment là pour ça. Sa présence devait signifier son soutien à l'Ombrageux prisonnier, mais se justifiait aussi par le fait qu'il voulait trouver des alliés, ou dénicher des informations cruciales. Alors, il observait, et il écoutait, attentif à tout. Cependant, lorsque Katharina prit la parole, il releva la tête vers elle. Un soupir agacé finit par lui échapper. Voilà. Il avait suffi de quelques secondes pour que la reine tyrannique ne scellât le destin de deux êtres. Il la détestait... fort, tellement fort ! Pourtant, il fit comme les autres, et applaudit, en espérant que le sourire qu'il arborait était convaincant. Porté par la foule, il quitta le temple et se rendit jusqu'à la Haute-Tour. Les grandes portes étaient ouvertes - c'était un fait suffisamment rare pour être souligné -, et tous s'engouffrèrent à l'intérieur.
La salle avait été décorée pour l'occasion. On se serait cru dans un conte de fées, avec tout ce qui brillait, tout ce qui flamboyait, tout ce qui s'offrait, mais Caliel y était à peine sensible. Il ruminait encore, et se demandait bien comment il allait pouvoir échapper à la fête - une fois qu'il aurait mené son enquête, évidemment -, parce qu'il avait une autre idée derrière la tête. Comme il cherchait un stratagème, il se dirigea vers le buffet pour prendre un verre, mais alors qu'il évitait un serveur chargé d'un plateau, il se déporta sur la droite et percuta de plein fouet la personne qui s'y trouvait. « Pardon, excusez-moi ! » lança-t-il en se retournant pour découvrir le visage de sa victime. Premier contre-temps.



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Alessandra de Marbrand
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Dim 14 Mai - 11:42





STUMBLING OVER YOU
— wedding day —

A u son des cloches chantant la réussite de cette union, une vague de félicité se répandit sur toute la ville. Applaudissements, acclamations, accolades, rires, chansons, elle prenait diverses formes, s'insinuait rue par rue; du Temple jusqu'au village. Le plus impressionnant était la foule qui se dirigeait vers la Haute-Tour. Accompagnée de ces dames de compagnie elle se plongea dans cette confusion de gens de tout âge, métier, caste et origine. Des vieux, des jeunes, des riches, des pauvres, des vivendalais, des témériens, des ombrageux, des gens contents de ce mariage, et d'autres qui faisaient que feindre leur satisfaction. Ces gens si différents réunis pour cette occasion. Ces gens si différents qui formait ici un seul homme, un seul peuple. Mon peuple, pensa-t-elle, Ils sont tous mon peuple à présent, tous. Cette paysanne qui sautillait sur place, cet homme qui souriait depuis sa fenêtre, ce soldat qui avançait l'air concentré mais qui ne pouvait s'empêcher de lâcher quelques sourires, eux et tout les autres, faisaient partie du même peuple, peu importait combien ils avaient été divisés dans le passé, maintenant ils ne formaient plus qu'un.

Comme un seul homme ils avaient quitté le temple, et comme un seul homme ils entrèrent dans la salle de bal. Pour certains, des retrouvailles, pour d'autres, une découverte. Un lieu autrefois hors de portée, utopique, de l'autre côté du mur les pauvres ne la connaissaient que par son absence. Mais les choses avaient changé. Les portes qui leur étaient jusque là fermées s'ouvraient à présent à eux. Habitués des lieux comme nouveaux venus, tous eurent le même ébahissement sur le visage lorsqu'ils entrèrent. La jeune femme avait pris soin de faire somptueusement décorer la pièce pour l'occasion. Il avait fallu des jours pour placer les bannières, nappes et autres étoffes ainsi que les fleurs et bouquets en tout genre dans cette pièce aux proportions démesurées. En plus du décor, de la musique, de la nourriture à foison, tout dans le thème de cet endroit, luxure et démesure.

Bercée par la musique et le rire des gens, la jeune reine observait la scène avec douceur. Certains se pressaient vers les deux mariés pour les féliciter en personne, certains, déjà, valsaient sur le son des musiciens, d'autres avaient trouvés refuge près du banquet, lorgnant sur les différents mets et boissons. Tout ce dont elle avait rêvé était là sous ces yeux, une terre, un peuple, une reine. Elle qui fut vu comme un parasite venait de voir ces rêves d'unité réalisés aujourd'hui. Pourtant, derrière son sourire, une petite voix en elle chuchotait des mots qui lui glaçaient le sang, lui rappelant que ce bonheur pourrait bien être plus qu'éphémère : Car de la chair de la chair naîtra la mort... Celle de Vivendale, celle de ses hommes. Des mots qu'elle ne connaissait que trop bien, ils étaient là, tournoyant autour d'elle constamment, s'imposant dans son esprit à chaque fois qu'elle s'accordait un répit.Les mains jointent des deux opposés. Scelleront l'union d'un seul camp, Alors que la ville sera en pleine festivités, La paix s'installera, pour un temps seulement. récita-t-elle mentalement, Vivendale semblait s'être offerte une paix bien méritée, mais en apparence seulement, car cette paix, à peine acquise, voyait déjà ces jours comptés.


S es paumes claquèrent l'une contre l'autre sans conviction, plus que la volonté de produire un son elle mimait ce geste que tous autour d'elle faisaient avec ferveur ou, comme elle, sans grande volonté. Le tonnerre d'applaudissements couvrait tout. N'entendaient-ils pas le désespoir des deux personnes qui se tenaient devant eux, leur protestation commune, leur désir de s'enfuir d'ici ? N'entendaient-ils pas que, sous cet entêtant son de mains qui s'entrechoquent, ce bonheur qu'ils célébraient n'en était pas un, c'était un acte de malheur déguisé en félicité. Et eux, bons témoins de ce jour malheureux, se félicitaient de ce sombre moment. Quels fous ils faisaient, à applaudir ainsi, pantins malgré eux, laissant les ficelles tirées par les plus grands guider chacun de leur geste et même, parfois, leur pensée. Telles des marionnettes jouant dans un petit théâtre de bois pour amuser les enfants, ils jouaient leur rôle à plus grande échelle, les marionnettes étaient des hommes, le théâtre était une ville, et il n'y avait qu'un enfant à satisfaire, une gamine presque adulte à présent, Katharina.

Ses paumes se frappèrent frénétiquement, glorifiant cette scène tragique. Les deux époux venaient d'échanger leurs alliances, scellant à tout jamais leur destin. A la fois horrifiée et subjuguée par cet instant, Arianna ne pouvait détacher ses yeux de ces deux mains liées de force par ce ruban, cette chaîne qui les retenait ensemble comme des prisonniers; de ces alliances à leur doigt, comme une marque de fer rouge sur leur peau montrant à qui ils appartenaient; de ces deux épées, dont l'une d'elle lui était si familière. Elle l'avait d'abord crainte, puis s'était sentie rassurée en sa présence, enfin elle avait appris à l'aimer, tout comme son propriétaire. Et voilà qu'elle passait dans les mains d'un autre, ou plutôt d'une autre. Une autre femme. Plus que de la jalousie, elle ressentait envers la jeune mariée de la pitié, eux qui se retrouvaient liés de force l'un à l'autre sans le désirer. Pourtant, au fond d'elle, elle maudissait cette femme, cette alliance à son doigt et cette épée qui n'était pas sienne dans ses mains; tant d'obstacles à son bonheur. Tant d'obstacles qu'elle félicitait à travers ses applaudissements et cette joie qu'elle feignait de ressentir en ce jour. Elle qui se sentait aussi prisonnière que les deux personnes devant l'autel, car elle aussi s'était retrouvée forcée par cette union, forcée de renoncer à quelqu'un. Finalement les applaudissements se turent, au grand soulagement d'Arianna. Les deux mains l'une contre l'autre, ses doigts se resserrèrent sur leur prise alors que ses yeux se posèrent sur William. Plus que de la pitié, elle ressentait envers lui beaucoup de choses: de la colère, de la déception, et un soupçon d'autre chose qu'elle tentait encore d'effacer...

Puis, portée par la foule en mouvement, elle détourna le regard de cette ombre du passé pour voir ce qu'il y avait devant elle. Jamais elle n'avait vu Vivendale ainsi, elle qui avait connu une Vivendale sombre et froide découvrait une cité chaleureuse et festive. Partout les gens acclamaient ce triste événement, dans la rue, depuis les fenêtres, ils s'enlaçaient, se prenaient par le bras, marchaient ensemble, trottinant d'un pas léger. Il lui semblait avoir été transportée ailleurs, ou dans une autre ère, peut être celle de l'Âge d'Or. Ils semblaient tous si sincères dans leur joie que, pour la première fois depuis le début de cette journée, la jeune femme esquissa dans un sourire une joie authentique. Alors qu'elle avançait parmi la masse humaine, elle aperçut une fillette qui, sur les épaules d'un homme, pointait son doigt dans dans sa direction, c'était Mel. « Mel ! Luke ! » Le jeune homme se retourna, il arborait ce regard concerné, celui disant je-sais-que-quelque-ne-va-pas, « Est-ce que ça va ? » demanda-t-il. Le sourire de la jeune femme s'effaça. Avait-il deviné que le William dont ils avaient parlé l'autre jour était le même que celui qui venait de se marier devant toute la ville ? Son regard ne disait qu'une chose : oui. « Oui oui ça va. » dit-elle pour le rassurer, ou peut être pour se rassurer aussi elle-même alors que les portes de la Haute-Tour s'ouvraient devant eux. « Ecoute faut que j'y aille, je... je vous rejoins tout à l'heure d'accord. » Ci-tôt ces mots dit elle s'éclipsa à l'intérieur. Mais le spectacle qui s'y jouait n'y était pas plus supportable, les deux mariés valsaient au milieu d'une ribambelle d'autres couples sur les notes festives des musiciens. Elle se souvint de leur petite danse, à leur dernier rendez-vous, même musique, même cavalier, mais pas même cavalière. C'en était trop pour la jeune femme qui finit par s'éclipser dans une pièce adjacente. C'était un petit salon, plus une pièce de rendez vous qu'un vrai salon, dont la fenêtre donnait sur un petit balcon sur lequel elle trouva refuge.


S on index vint caresser la surface du miroir pour en nettoyer une tâche. Pourtant, dans son reflet, restait une trace, une trace qui ne partirait pas en l'essuyant du doigt. Cette trace elle l'a portait sur elle... et l'a porterait surement pour toujours. Cette cicatrice... Ses doigts vinrent effleurer ses bords, au moins ils n'étaient plus douloureux comme au premier jour. Elle partait du coin de son sourcil, ainsi que du haut de sa joue, puis ses deux branches solitaires venaient finalement se rejoindre sur la commissure de sa lèvre, barrant ainsi presque la moitié de son visage. Elle avait encore un peu de mal à s'y faire. Chaque matin, quand son reflet s'imposait à elle dans l'eau, elle avait un sursaut. Et toujours cette même pensée, est-ce vraiment mon visage ? Une part d'elle espérait que cette trace, telle une saleté sur un miroir, puisse finalement s'effacer, peut être qu'avec le temps elle disparaîtrait, mais au fond d'elle elle savait. Cette cicatrice faisait partie d'elle, elle l'a porterait avec elle tout au long de sa vie, et cela la terrorisait.

C'était sa première sortie depuis la bataille, elle était déjà sortie dehors évidemment, elle était allée à la caserne revoir ses hommes, s'entraîner un peu, elle était allée au marché régulièrement, elle avait même retrouvé quelques amis de temps à autre mais... elle passait toujours par les mêmes endroits, rencontrant les mêmes personnes, chacun sachant ce qui lui était arrivé. Mais aujourd'hui, elle imaginait tous ces gens, tous ces regards, qu'allaient-ils dire en la voyant ?  Allaient-ils avoir peur d'elle ? Oseraient-ils la regarder ou se contenteraient-ils de simplement détourner le regard ? Inspirant un grand coup la jeune femme secoua la tête. Pourquoi se faisait-elle autant de souci ? Elle était une guerrière, elle avait combattu maintes et maintes fois pour leur reine, elle avait survécu à la Guerre d'Un Jour malgré ses blessures, pourquoi devrait-elle avoir peur du regard de l'autre ?

Peut être parce que l'autre fait part intégrante de nos vies.

Finalement elle s'était décidée à y aller, peut être pas pour toute la célébration, sa grossesse approchant du terme elle se trouvait vite fatiguée, mais elle voulait au moins assister à la cérémonie. Lorsqu'elle arriva près du temple elle se figea un instant. Il y-avait tant de monde... Il lui semblait revoir la foule lors du couronnement de leur reine bien aimée, ce jour là aussi les gens s'étaient pressés jusqu'à l'extérieur de la bâtisse pour être présent à l'événement. Imitant les autres, elle se trouva une place dehors près de l'allée centrale pour réussir à voir les deux mariés lors de leur sortie du temple. Alors qu'ils patientaient tous que la cérémonie ne s'achève, son regard croisa celui du fillette qui détourna aussitôt le regard d'un air terrifié. Hildr baissa la tête, comme si cela suffirait à cacher la marque sur son visage. Elle avait fait peur à cet enfant, sans rien faire, la simple vision de sa balafre avait suffit à l'effrayer. Et si son enfant était pareil ? Et s'il avait peur d'elle ? Et s'il avait honte d'elle et de cette marque de faiblesse, rappel de ce qui arrive lorsqu'on brise ses vœux en utilisant son épée pour servir sa rage ?

Sentant une main posée sur son épaule, la jeune femme se retourna pour découvrir l'un de ses hommes, Gauvain, un chouette type. Soldat consciencieux, époux fidèle, père attentionné, il était presque impossible de lui trouver un défaut. « Gauvain, comment vas-tu ? » commença-t-elle, le sourire aux lèvres, sourire qui s'effaça aussitôt que son regard se posa sur la petite fille qui se tenait aux côtés de son père. Aussitôt elle releva la tête, évitant ainsi de croiser le regard de la fillette. « Moi ? Oh je vais parfaitement bien, et c'est grâce à toi. » commença-t-il. L'enfant à ces pieds regarda alors son père, l'air soudainement intéressée, « C'est elle ?  », - « Oui c'est elle, c'est elle qui m'a sauvé pendant la bataille. ». La fillette tourna son regard vers Hildr, et la jeune femme lu dans les yeux de l'enfant une expression qu'elle n'aurait jamais cru revoir dans le regard d'un autre la concernant, de l'émerveillement. « Wahou »


C'était complètement absurde. Rien de tout ce qui se déroulait sous ses yeux n'avait de sens. On lui avait dit que la cité avait été ravagée par une armée de barbares menée par une gamine, que les plus riches étaient chassés et réduits à l'esclavage. On lui avait dit de ne pas y retourner, que la Vivendale qu'il avait connu n'était plus. Pourtant le spectacle auquel il faisait face contredisait toutes les rumeurs qui entouraient la cité. Vivendale se tenait bien là, ni ravagée par les flammes ni pillée par les barbares. En fait elle semblait plus vivante que jamais. Ne cherchant pas à comprendre l'origine de telles festivités dans toute la ville, il avait été chez lui. Il n'y trouva qu'une porte close, un regard par la fenêtre suffit à remarquer qu'un nouvel occupant résidait ici. Il s'était alors dirigé vers la demeure des Habstône, espérant y voir Vinciane, saine et sauve, choisissant une robe pour l'événement. Mais la demeure était vide. Les placards étaient ouverts, vidés à moitié, certains effets avaient disparus. La maison avait été pillée. Montant à l'étage il avait encore en lui un petit peu d'espoir, peut être ne l'avait-elle pas entendu lorsqu'il l'avait appelé d'en bas, peut être qu'elle était là. Mais il fut face à une pièce vide. Des étoffes trônaient sur le lit, d'autres étaient restés dans les placards mais les robes les plus somptueuses avaient été dérobé. « Vinciane... » Ressortant de la demeure penaud, il se demandait où pouvait-elle être. Et, pour la première fois depuis qu'il eut vent des sombres événements qui s'étaient déroulés à Vivendale, il entrevit une possibilité qu'il avait jusque là fermement réfuté. Vinciane était sûrement morte.

Assis sur les marches devant la maison, il avait pleuré. Son enfant, sa tendre Vinciane, que lui avaient-ils fait ? C'est alors qu'un visage familier était apparu, Lucien, un de ces plus tendres amis. Après quelques accolades chaleureuses, le ton des deux hommes s'assombrit alors qu'ils évoquèrent cette terrible journée. Lucien lui apprit que ni Andrew ni Vinciane n'avait été vu depuis ce jour fatidique. Peut être avaient-ils quittés la ville ? Son ami lui répondit que c'était impossible, Andrew avait été vu entrant dans la demeure le matin de la bataille, et à ce moment là la ville était déjà en siège. Peut être s'étaient-ils cachés ? Mais où ? Et pourquoi ne pas être revenus maintenant que les tensions s'étaient apaisés. C'est alors que son ami posa une main sur son épaule, « Je suis désolé Giuseppe... » Il eût entendu ses mots jadis, des années auparavant, lorsque la fièvre avait emportée sa femme...

Lucien l'avait convaincu de l'accompagner au mariage, une union forcée entre la fille Scots et une de ces ombres de la forêt, ces assassins sans cœur. Giuseppe n'y croyait pas, comment pouvaient-ils laisser une telle abomination se produire ? Finalement il avait accepté, pas pour assister à ce triste spectacle, non, il voulait la voir elle, la gamine qui lui avait prit sa fille, et qui lui rendrait. Giuseppe ne croirait pas en sa mort tant qu'il ne l'aurait pas vu de ses yeux. Mais cette tâche s'annonçait perdu d'avance, il y-avait tant de gens... La foule le mettait mal à l'aise. Plus que la foule en elle même c'était sa composition qui l'inconfortait. Parmi tous les jeunes gens présents il y-avait tant de jeunes femmes, tant de personnes qui ressemblait à sa Vinciane. Chaque fois que ses yeux rencontraient une chevelure semblable à celle de sa fille, il se figeait, elle était là, elle était là ! Elle était vivante ! Puis la personne se retournait et Giuseppe affrontait à nouveau la dure réalité, ce n'était pas elle. Cette triste vérité s'imposa à lui à maintes reprises, jusqu'à qu'il ne se trouve lassée de ces espoirs vains, si bien qu'il n'espéra même plus trouver le visage de sa fille parmi la foule, se faisant à l'idée qu'elle était bel et bien morte.

C'est alors qu'il l'a vit, cette robe rose pâle, il l'avait offerte à Vinciane quelques années auparavant. Sûrement volée comme tant d'autres. Cependant il ne pouvait détacher ses yeux du tissu. Cette silhouette lui était si familière, ses cheveux, sa taille, sa posture... c'était presque si c'était elle, si c'était sa Vinciane. Puis la jeune femme se retourna. Il cru voir un fantôme. Non, c'était impossible, elle était morte, on lui avait dit qu'elle était morte, que personne ne l'avait vu. Pourtant elle était là, juste sous son nez, quelques personnes les séparaient seulement. Etait-ce un rêve ? Une illusion ? Le visage de sa fille allait-il soudainement se muer en une face inconnue ? « Vinciane ! » appela-t-il alors qu'il bravait la foule pour la rejoindre. Oui c'était elle, elle était là, elle était vivante.

Elle l'avait attendu.


C e n'était pas un mariage. Il ne savait pas encore ce que cette...chose était mais il était bien certain de ceci, ce n'était pas un mariage. Cela ressemblait plus à une représentation, un de ces spectacles où le ridicule semble être une finalité. Car c'est tout ce qu'il voyait dans cette scène, l'absurde, le grotesque. Ces alliances menaçant de tomber au sommet de ces épées tremblotantes, ne manquait plus que l'une d'elles tombe pour que le spectacle ne devienne encore plus dur à regarder. Et les mains des époux, le ruban qu'il affectionnait tant devant cohabiter avec ces vulgaires épées. La simple idée de ces armes dans ce temple le faisait frémir, quelle manque de considération envers leur croyance ! C'était un mariage, pas une guerre, bien que, dans un sens, cela risquait d'être une bataille, cependant elle se déroulerait pas aujourd'hui mais tout au long de leur vie, jour après jour, jusqu'à que la mort les sépare. Le reste de la cérémonie fut, à l'image de son début, un mi chemin entre une cérémonie traditionnelle vivendalaise et les étranges coutumes de ces étrangers. Le discours du prêtre était affligeant, les bribes tirées de leur croyance étaient mal choisies, mal placées, c'est comme s'il avait délibérément choisi de passer sous silence tout ce qui faisait la beauté de ce texte. Cependant Roy ne pouvait pas lui en vouloir, le pauvre homme de dieu s'était vu affublé d'une tâche impossible. L'idée simple d'une cérémonie ni tout à fait vivendalaise ni tout à fait témérienne était vouée à l'échec dès le départ. C'était pourtant simple à comprendre non ? A vouloir s'asseoir le cul entre deux chaises, on termine par terre.

Et devant ce spectacle grotesque, ils applaudissaient. C'était détestable, tout bonnement absurde, pourtant le jeune homme ne pu s'empêcher d'imiter les autres, ne souhaitant pas attirer l'attention. Mais s'il applaudissait cette triste mascarade ce n'était qu'en apparence, rien de tout ce dont il avait été témoin aujourd'hui ne méritait d'être féliciter entre cette cérémonie affligeante et le futur bien sombre de Serena qui venait d'être scellé sous leurs yeux. Elle était l'une des leurs, et elle devenait l'une d'entre eux. Elle n'avait jamais demandé rien de tout cela, elle avait été forcée, et c'était encore pire. Les mariages d'amour étaient rares chez eux, mais jamais ils n'avaient été synonymes d'ultimatum. Les jeunes gens savaient qu'ils seraient amenés à se marier et souvent ils le faisaient pour aider leur famille, c'était une main tendue qu'ils attrapaient. Roy ne put s'empêcher d'avoir le cœur serré pour cette pauvre femme, lui qui avait connu un mariage à sens unique s'était senti bien seul. Il avait aimé sa Caitlin, il avait apprit à l'aimer et elle, elle n'avait jamais pu l'aimer en retour, elle l'avait apprécié, et c'est tout ce qu'elle pouvait lui offrir. Rien de plus, rien de moins. Et Roy ne pouvait pas lui en vouloir, il avait toujours su qu'au fond son coeur appartenait à un autre que lui.

Porté par la foule, il s'était rendu sans grande conviction dans la Grande Salle qui avait été, pour l'occasion, richement décorée. Il ressentit un petit pincement au cœur en retournant dans cette pièce où il avait déjà été convié maintes fois dans le passé, un autre temps révolu pourtant pas si lointain. Oh que cette idée était détestable. Faire une croix sur tout ce qu'il avait jusque là connu lui était encore plus difficile lorsque cette nouvelle vie qu'on lui imposait semblait marcher dans les mêmes pas que ces prédécesseurs tout en empruntant une voie complètement différente et... « Pardon, excusez-moi ! » lança l'homme qui venait de le percuter de plein fouet, un homme au visage à la fois inconnu et familier. Il reconnu alors le soldat tombé lors de la bataille, celui qu'il avait aidé face au colosse témérien. « Oh c'est vous ! Attendez laisser moi me souvenir, Caliel d'Erëstz n'est-ce pas ? »



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Malbe
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Lun 15 Mai - 11:21





Charlie Peterson
Stumbling over you —


Un sourire nerveux se dessina sur ses lèvres. Il agita ses mains moites dans l'air, pour tenter de se détendre. En temps normal, il aurait sans ménagement, essuyé ses paumes sur son pantalon. Mais dans ces circonstances, il n'osait pas souiller son bel habit. Il se gratta le front, la tempe, le nez. Son dos le démangea tout à coup, et il remua les épaules pour chasser la sensation. Ses joues se gonflèrent et il soupira longuement. Ses pieds étaient à l'étroit dans ses nouvelles chaussures. Il remua les orteils comme il put. Bizarrement, ses vieilles godasses marrons lui manquaient. Elles étaient plus confortables. Mais il devait avouer que celles-ci étaient beaucoup plus jolies. Elles avaient de fins lacets, et le bout noir brillait tant qu'on aurait pu y trouver son reflet. Il leva la pointe de ses pieds pour vérifier l'état des chaussures. Tout semblait très bien. Il se racla la gorge et ses cils princiers papillonnèrent. Il se rassura en passant les doigts sur le pan de sa veste. C'était une grande occasion. Un événement qui rassemblait tous les avis divergents, pour une journée entière, pour un instant hors du temps. Un mariage, c'était parfait. Et ils en avaient tous besoin. Katharina s'était montrée très adroite, en créant cette alliance elle créait un creuset. Tout le monde était capable de le reconnaître, même ceux qui ne la portaient pas dans leur coeur. Les gens étaient heureux, la fête donnait le sourire. Un mariage, ça faisait toujours plaisir, et les Nordiens en raffolaient — les Nobles, comme les Villageois. Il ne savait pas vraiment ce qu'en pensait les Ombrageux — se mariaient-ils d'ailleurs ? .. Enfin, la question n'était plus d'actualité de toute façon — mais il imaginait qu'ils ne devaient pas être si différents dans leurs coutumes. L'amour était à la portée de tous. Et les unions arrangées, encore plus. Charlie n'était pas sans savoir que William et Serena n'étaient pas les plus heureux de ce projet. Mais après tout, chacun devait sacrifier un peu de soi pour rendre le monde meilleur. Serena et William n'offraient rien de très exceptionnel. Bien d'autres avant eux avaient subi le même sort. Et personne ne s'était plaint avant cela. Ce n'était pas un amour forcé, c'était simplement un ménage forcé. Et qui sait si les choses ne tourneraient pas en leur faveur plus tard ? Qui sait si cupidon ne viendrait pas les frapper un matin ? Charlie n'était pas ému de leur tristesse passagère. Certains avaient vécu bien pire. Lui, par exemple. Lui, avait vécu bien pire.

Ses doigts longèrent les lignes de sa mâchoire. C'était bizarre. Dans les prisons, sa barbe avait tant poussée qu'elle lui arrivait presque sous la gorge. Et aujourd'hui, sa peau à nue lui laissait une sensation de vide étrange, comme s'il lui manquait quelque chose. Il sourit doucement. Il se sentait neuf. Il se sentait différent. Il se sentait propre. En même temps, avec un tel accoutrement, même sa mère ne l'aurait pas reconnu. Si elle le voyait aujourd'hui, bien peigné, bien apprêté, à un mariage Témérien-Nordien, avec un mouchoir immaculé dans sa poche de costume.... Oh, elle rirait ! Elle se moquerait de son fils et de son habit grotesque en exagérant, pour dissimuler des yeux brillants d'une fierté trop orgueilleuse. Charlie souffla en souriant. Elle lui manquait. Ils lui manquaient tous.

Il n'avait qu'à pousser la porte, et il pourrait ensuite être réuni avec sa famille. Mais quelque chose de lourd clouait au sol ses semelles neuves. L'angoisse des questions auxquelles il ne pourrait pas répondre. Le poids conséquent de ces secrets qui pesaient sur son coeur. La honte de ne pas avoir pu échapper aux guerriers Témériens. La peur d'être rejeté par les siens. La crainte d'avoir été oublié aussi. Et l'excitation de cette nouvelle vie, de ce nouveau lui, de ce nouvel idéal qui ne plairait pas forcément aux autres.  Il avait tant changé. La Tour l'avait changé. Le temps lui avait proposé d'autres perspectives. Et les interrogatoires poussés lui avaient donné une nouvelle vision des choses. Après quatre mois loin de sa famille, il était prêt à tout pour les revoir. Charlie déglutit. Son regard clair était toujours concentré sur le bois de la porte et se perdait à parcourir les veines sombres d'ébène. Il inspirerait deux fois et pousserait la porte. Il n'y avait plus qu'à.

Alors, il inspira deux fois et poussa la porte.

Le petit salon  contenait quatre fauteuils bleu-velours et deux tables en verre très basses, un lustre ridiculement étincelant pendouillait du plafond blanc, des dizaines de peintures couvraient aussi les murs. On ne pouvait voir ce genre de meubles que dans la Tour ou les villas de l'Enclave. A l'époque du HG, personne au village n'aurait pu se procurer d'aussi belles pièces. Là-bas, tout le monde se contentait de possessions rustiques et d'objets pratiques. Encore aujourd'hui, alors que les richesses étaient partagées. On pouvait toujours deviner rien qu'au dedans des demeures qui avait été villageois et qui avait été noble. De toute façon, la complexité des intérieurs bourgeois n'était pas une chose à laquelle Charlie pourrait se faire. Il préférait la sobriété. Les babioles et colifichets n'apportaient rien sinon une perte d'espace, une surabondance. On se parait de rideaux trop longs et on accrochait des peinture dans ses maisons, simplement pour prouver qu'on avait plus de richesse matérielle que de richesse d'esprit. Les gens vrais, Charlie n'en avait rencontrés qu'au Village. Il savait qu'à l'Enclave, les habitants n'étaient que coups fourrés et jalousie. Peut-être que Katharina arriverait à mettre tout Vivendale sur un pied d'égalité. Ce mariage était un pas en avant vers cet idéal. Et si elle y arrivait, plus personne n'aurait de raison de vouloir quitter la ville. Pas même lui.

La grande fenêtre de la pièce s'ouvrait sur une terrasse de la Tour. Et les rideaux voilés de chaque côté des battants, flottaient lentement dans une brise légère qui invitait à prendre l'air. Arianna était accoudée à la rambarde, perdue dans ses pensées. Ses épaules nues étaient affaissées et sa silhouette délicate semblait plus fragile que la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Il imaginait bien son visage froissé, faire la moue. Il se demanda pourquoi elle paraissait si fade, pourquoi elle s'était ainsi éloignée de la fête. Peut-être que la cérémonie n'était pas à son goût. Peut-être avait-elle perdu Luke et Mel dans la foule et se sentait seule. Ou peut-être pensait-elle à lui ? Il n'eut pas grand espoir de cette dernière idée. Non, elle devait plutôt ressasser l'histoire de sa vie et penser que tout ce qu'elle avait vécu était dû à son destin de malchance.

Charlie se tenait droit. Ses mains étaient enfouies dans les poches de son pantalon taillé, et il hésitait encore à aller se pencher à la balustrade aux côtés de la belle. Aria aussi était bien habillée. Le rouge avait toujours été sa couleur. Ses mèches arrangées en cascade, sa nuque à découvert et la finesse de sa robe lui donnaient un air royal. Charlie s'était appuyé contre le cadre de la fenêtre. Il ferma les yeux une seconde. Les rouvrit. Et son rythme cardiaque monta en piquet quand il ouvrit la bouche. « Mauvaise journée hm ? » Au son de sa voix, Arianna se redressa légèrement, piquée. Elle dut croire à une illusion puisqu'elle n'osa pas se tourner tout de suite. Puis elle pivota prudemment. Et ses prunelles se posèrent sur lui, pour s'agrandir aussitôt. Charlie souriait, de ce sourire en coin charmant. Elle n'y croyait pas. Il souleva ses épaules et les garda en l'air, comme s'il était gêné. « Je sais, la tenue ... » Il passa sa main sur son menton. « ... la barbe » Il s'humecta les lèvres. Un temps de silence heureux les enroba. Ses yeux se plissèrent et il eut des ridules rieuses en leur coin. « C'est une nouvelle ère... Autant faire les choses en grand. »



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Alessandra de Marbrand
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Lun 12 Juin - 22:56





ARIANNA HART
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Hissée sur la pointe des pieds, elle était penchée au dessus de la rambarde, observant le sol avec l'égarement de celui qui en est autant repoussé qu'attiré. Elle s'étonnait de la facilité qu'il y-aurait de le rejoindre, la rambarde était si basse. Elle pourrait passer ses jambes par dessus, s'asseoir sur son rebord avant de se laisser tomber dans le vide, ou bien se pencher trop lourdement par dessus, jusqu'à que son buste ne la renverse du mauvais côté. Elle se demandait comment était la chute, était-ce l'un de ces moments rapides, à peine perceptible, un instant elle était en haut, et le suivant son corps rencontrait déjà le sol, ou bien serait-ce d'une lenteur sans nom, de celle où l'on est censé avoir le temps de revivre sa vie. Et la chute, combien cela devait-il être douloureux, elle songea alors à son père, au jour où on l'avait poussé par dessus, jeté dans le vide, jeté à la mort. Il était mort ici, en bas de cette tour qu'il avait prit si longtemps à gravir, le travail d'années, détruites en une fraction de seconde. Ici, des années auparavant, son père était mort. Mais maintenant tout était différent. Il était mort, il était vivant, il était là.

Elle songea à s'il avait déjà été à sa place, se demandant comment serait la chute, une sorte de sentiment divinatoire de ce qu'il lui arriverait par la suite. Elle pensa à ce qu'il lui avait dit, à propos de la malédiction qui planait sur eux. Lorsqu'il lui avait dit, elle n'avait pas été surprise, au fond d'elle elle avait toujours su que quelque chose n'allait pas, qu'il y-avait quelque chose, quelque chose qui venait l'entraver. Quelque chose qui viendrait un jour la jeter dans le vide au moment où elle s'y attendrait le moins. Son père avait tout à l'époque, un titre, une femme, une fille, même une amante et une bâtarde, mais plus que tout ça, il était heureux, un bonheur éphémère, arraché injustement par une main malveillante, main qui l'avait poussé par dessus la rambarde. Arianna se demandait sans cesse, Qui serait-ce ? celui qui viendrait tout lui prendre, Quand serait-ce ? dans quelques jours, quelques mois, quelques années, comment savoir. Elle était lasse, et pas juste à cause de la malédiction. Elle était fatiguée d'agir comme lui imposait les circonstances, de toujours devoir se conformer à ce qu'il lui arrivait. Aujourd'hui encore, c'est elle qui devait renoncer à celui qu'elle aimait, et ce pour quoi, parce qu'il était forcé à en marier une autre. Elle n'avait pas eu le choix, personne ne lui avait demandé quoi que se soit, personne n'avait même eu la dignité de la prévenir, c'était juste arrivé, et maintenant elle n'avait qu'à suivre le chemin déjà tout tracé devant elle. Stupide malédiction, Elle était lasse de cette main malchanceuse tirant les ficelles de sa vie, Stupide William, de cet homme dont le silence était à ses yeux une trahison. Stupide Katharina, de cette reine qui se disait gentille, retenant toujours prisonnière son ami. Stupide Vivendale, de cette fichue ville, cité dont l'âme révolutionnaire qui avait fait toute sa beauté s'était éteinte, enterrée sous les fondations du Mur.

Elle aurait dû quitter la ville ce soir là, avec Charlie, elle aurait dû... « Mauvaise journée hm ? » Arianna tressaillit. C'était drôle, on aurait dit sa voix. La jeune femme secoua doucement la tête, se convaincant que c'était un rêve. Charlie était en prison, pourtant... Elle se retourna lentement, jusqu'à qu'elle le voit. Charlie, il était là, il était bien là. Bien apprêté, on aurait dit un autre homme, il semblait plus maigre, plus grand aussi, ou peut être était-ce le costume, même les plus beaux habits du villageois ne surpassaient celui qu'il portait là. Pourtant c'était bien lui, cette voix, ce petit sourire en coin. «  Je sais, la tenue... la barbe » commença-t-il, passant une main sur son menton. « C'est une nouvelle ère... Autant faire les choses en grand. » Les mots lui manquaient tant elle avait à dire, elle ne savait par où commencer, milles questions lui brûlaient les lèvres, tant d'excuses se tenaient sur le bout de sa langue. Ses bras se refermèrent derrière sa nuque, le visage blotti contre son épaule, comme si elle eût besoin de le toucher, de le sentir pour croire en sa présence. « Charlie, tu m'as tellement manqué »  Elle resta contre lui quelques instants - elle avait attendu ce moment depuis si longtemps - avant de finalement se détacher, alors les mots ne lui manquaient plus. « On se demandait quand est-ce que tu serais libéré, on ne nous donnait plus de nouvelles et... » Elle s'arrêta un instant, « ...Luke et Mel ! Ils sont là, ils sont en bas, on devrait aller les retrouver. Ils seront si contents de te revoir ! »

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Malbe
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Ven 16 Juin - 23:37



Charlie Peterson
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Arianna réagit d'une façon tout à fait naturelle. Elle eut tout de suite l'air choquée ; puis parut atrocement soulagée. Le miracle du retour du prisonnier l'allégeait d'un poids, un poids féroce qui chargeait sa conscience depuis des mois, qui l'oppressait comme savaient le faire les terribles actions du passé, les mauvais souvenirs et les erreurs irréparables. La présence de son vieil ami était inespérée. Inattendue... accidentelle. Quand la jeune femme ouvrit de grands yeux ainsi, on aurait dit que Charlie lui avait réellement manqué. Et quand elle fut prise de court on aurait juré qu'elle était des plus sincères, des plus vraies. Pourtant... pourtant, Charlie pouvait discerner, derrière cette étincelle de soulagement, une noirceur coupable qui rongeait la couleur de ses iris.

Aria avait menti. Aria avait trahi. Et Charlie l'avait crue, en parfait imbécile qu'il avait été.

Lui aussi avait la conscience lourde. Il était engourdi par cette colère qui l'avait gagné doucement quand il pourrissait dans son trou, quand les rats avaient grignoté ses orteils, le bout de ses doigts et un morceau d'oreille pendant qu'il dormait ou qu'il hallucinait. Il avait été pris d'une certitude subite et grandissante qu'il avait été victime d'une épouvantable déloyauté, d'une fourberie comme il n'en avait jamais connue. Aria avait hanté ses cauchemars et ses pensées. Elle avait été sa compagne de misère, continuellement, tout au long de son séjour dans les prisons de la Tour. Elle n'avait jamais oublié d'être là, de venir le visiter dans ses rêveries ou dans sa nouvelle réalité, tel un ange, tel un spectre. Elle n'avait jamais failli à son rôle de fantôme et avait veillé sur Charlie. La belle illusion l'avait épaulé dans ses délires d'homme mourant, dans ses prostrations et dans ses déprimes alarmantes. Elle avait été là quand il partait se réfugier dans sa nostalgie, quand il murmurait  à des gens absents les répliques tirées d'anciens souvenirs, quand la solitude l'avait gagné, quand la folie l'avait pris. L'Arianna fantomatique l'avait soutenu quand il avait eu de grands débats avec lui-même ou avec les murs. Elle l'avait réconforté quand il n'osait plus déplier ses jambes de peur de les briser et elle était restée à ses côtés, toujours, même qu'il s'était mis à sentir comme les cadavres.

Et lui avait pleuré son Aria morte, il s'était sacrifié à cette Arianna-ci, à cette illusion compatissante. Il l'avait suppliée, s'était excusé, s'était confessé de tous ses regrets. Au début, elle avait souvent compris qu'il était innocent — ou pas tout à fait coupable — et finissait par lui pardonner. Ils s'expliquaient un temps et s'enlaçaient longtemps, jusqu'à la prochaine déclaration. Peu à peu, c'était davantage Aria qui parlait, elle s'étalait en explications. Ses récits se déformaient et perdaient en évidence. Les événements dans ses apartés, se transformaient, se mélangeaient, se faussaient. Elle devenait plus pointilleuse et plus sévère des comportements de Charlie, moins clémente des vieilles erreurs. Le fantôme trouvait qu'il ne méritait plus son indulgence et elle avait commencé à le blâmer ; pour sa mort dans la ruelle quand il n'avait rien fait pour l'éviter, et pour toute autre sorte de choses. Pour tout. Pour rien. Charlie avait passé des jours entiers, des semaines complètes, avec son malheur, son chagrin et le visage de son amie, tordu par la déception, flouté par la mort dont il était l'accusé. Quand il se défendait, elle attaquait davantage ; quand il avouait, elle était brièvement rassasiée, mais recommençait presque aussitôt en redoublant d'efforts et de tranchant. Il avait été blessé, encore plus, encore trop. Et Charlie avait fini par réaliser qu'Arianna était de la pire espèce, que ses discours étaient criblés de mensonges, qu'elle était malfaisante. Il ne lui avait plus fait confiance. Il s'était mis à l'éviter, à fermer les yeux quand elle se plantait devant lui et à se boucher les oreilles quand elle faisait couler ses mots laids. Et il l'avait détestée, du plus profond de ses tripes.

Il avait fini par être sauvé. De la prison. Et d'Aria.
Aujourd'hui la menteuse n'aurait plus rien de lui, sinon sa vengeance.

Elle paraissait si innocente. « Charlie, tu m'as tellement manqué. »  Il la serra dans ses bras. Elle se colla à lui. La sensation de ce corps frêle contre le sien était étrange, d'une manière qu'il n'aurait pu décrire. Aria était différente de celle des prisons et de celle du passé. Elle avait une odeur changée, une allure drôle, des mouvements curieux. Comme si tout en elle respirait la fausseté. Et pourtant, il put la toucher, pour de vrai, alors qu'il n'avait saisi que du vent pendant quatre mois. Il plaqua ses grandes mains dans ce dos fragile. Le souvenir effacé par le temps et l'isolement retrouva tout à coup de ses couleurs. Charlie pencha la tête sur le côté, un peu troublé. Il n'avait pas imaginé ces retrouvailles ainsi. C'était plus chaleureux. C'était plus réel. C'était surfait. Il se sentait ... bien. Il se sentait protégé. Il se sentait lui-même. Et il se sentait puissant. Il avait tout pouvoir dans cette rencontre. Et elle ne le verrait pas venir. Arianna Wadson, Arianna Hart ne nuirait plus à personne. Pas cette fois.

Elle n'avait aucune idée de ce qui se préparait. Et pour une fois, elle ne saurait rien des secrets, elle ne ferait plus partie des manigances. C'était à lui de savoir. C'était au tour de Charlie de mener la danse. Et il avait des questions, auxquelles seule Aria avait les réponses.

« On se demandait quand est-ce que tu serais libéré, on ne nous donnait plus de nouvelles et... »  Elle eut les yeux ronds, en réalisant qu'elle oubliait un détail d'importance. « ...Luke et Mel ! Ils sont là, ils sont en bas, on devrait aller les retrouver. Ils seront si contents de te revoir ! »  Contents. Ce mot lui semblait trop faible pour l'occasion. Et ce ton qu'elle avait employé. Contents de te revoir. Comme s'il était parti quelques jours ou quelques semaines pour aller visiter de jolis pays. Autrefois il aurait eu un sourire enthousiaste et l'aurait serrée dans ses bras jusqu'à ce qu'elle glousse de bonheur. Mais aujourd'hui même en poussant l'effort, il n'aurait pas pu l'étreindre de cette façon, si légèrement, si facilement. Car tout était devenu pesant et plus rien n'était simple. Et il n'avait plus l'élan de joie ou l'élan d'amour.

Charlie avait l'air un peu fade, c'était vrai. Mais après quatre mois en prison, on pouvait lui accorder un caractère plus écorché. Pourtant ses mirettes ne semblaient pas avoir perdu de leur vigueur et son regard de grand frère protecteur se posa sur la brunette pour l'envelopper d'une couche d'amour, presque vraie. Il pouffa en la retenant gentiment par les bras. « Aria ! » Il secoua la tête de gauche à droite, attendri par son empressement. « On a le temps. » Il la ramena à lui, ses doigts caressants sur ses poignets maigres. « Tu ne veux pas me parler ? Rien que toi et moi ? Je pense qu'on a des tas de choses à se dire. » Il s'adossa à la rambarde où elle s'était penchée plus tôt, et d'un petit signe de tête, l'invita à faire de même. Charlie avait un sourire dans ses yeux, le même qu'avant, quand il la regardait. « Luke et Mel ne vont aller nulle part, j'irai les rejoindre bientôt. » Il l'observa en silence sans quitter son sourire. Puis leva le nez en l'air en pensant à sa famille. « J'ai hâte de voir les yeux tout émerveillés de Meli. Je suis certain qu'elle va parler du mariage pendant des jours. C'est si exceptionnel pour elle, tu te rends compte ? Et Luke ! Il faudra qu'il me raconte tout ce qu'il a fait. J'espère qu'ils n'ont pas eu trop de problèmes pendant mon absence. » Il se tourna vers Aria, l'air soucieux. « Tu es restée avec eux n'est-ce pas ? Est-ce qu'ils vont bien ? Ils ne sont pas blessés ? » Il mourrait d'envie de les rejoindre, et de ne plus les quitter ; plus jamais. Seulement Aria était plus importante pour le moment et il devait en passer par là pour retrouver sa famille. Il reprit les mains de la jeune femme dans les siennes et se rapprocha d'elle. La proximité était nécessaire. La distance n'était plus possible. Charlie était de retour ! Il fallait qu'ils rattrapent le temps perdu. « Et toi Aria ? » Il avait la mine grave, un peu inquiète. « Tu vas bien ? Que... » Il pencha légèrement le menton vers le bas puisqu'il abordait un sujet sensible, un sujet qui le tracassait depuis trop longtemps. « Comment tu t'en es sortie ? A la Guerre je veux dire... je... on devait se retrouver et... je suis désolée Aria, j'aurais dû me dépêcher. Si j'étais arrivé à temps, on aurait pu partir avant que tout commence. Et on n'en serait pas là aujourd'hui. » Il lui vola la culpabilité. Il s'excusa à sa place. Et sa bouche plissée, ses yeux tombés passèrent pour une réaction normale. Charlie était comme cela, à se condamner lui-même pour les erreurs des autres.

Il était comme cela. Avant.


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Jeu 29 Juin - 20:25





Lara O. Wheeler
Stumbling over you —


La Guilde avait cru bien faire en acceptant les termes de Katharina. Mais aujourd'hui leur clan était dissout, leurs émotions s'éparpillaient et leur force d'action, leur cohésion de groupe, leur famille... n'étaient déjà plus que des souvenirs dont le rappel rendait atrocement nostalgique. Lara doutait chaque jour un peu plus, que leur décision soit la bonne. Surtout là, tout de suite, alors que ses yeux scrutaient les traits tordus du marié. Elle avait rarement vu William aussi vulnérable ; parfois, dans leurs moments intimes quand il s'était trouvé sensible ou s'était confié sur quelques sujets délicats. Mais jamais Lara ne l'avait vu ainsi, si affaissé alors qu'il apparaissait tout à fait droit et si fragile alors qu'il entouré de tant de visages inquisiteurs. Elle était sûrement l'une des rares à savoir que sa détermination du jour était renforcée par son sens de l'honneur, ce devoir qu'il s'était donné de protéger les siens et sa qualité de ne pas trop se soucier de soi. William n'était pas du genre à s’apitoyer sur son sort, encore moins en public. Même maintenant, alors qu'il était destiné à lier sa vie à celle d'une noblionne, alors qu'il abandonnait tous ses idéaux. Il gardait la face. Son allure ne laissait rien au hasard ; ses muscles étaient tirés pour lui donner un air solide et son regard fixait un point au devant, ce qui avait pour effet un menton haut et une mine sérieuse.

Les vêtements de fête, les bouches souriantes, les couleurs de la masse, les symboles des étendards, semblaient fades aux yeux de Lara. Il y avait foule. Tous se pressaient pour voir les jeunes époux. Et l'estomac de Lara faisait des bonds à chaque fois qu'elle rencontrait un nouvelle figure. Des milliers d'intrus allaient assister à la cérémonie, des milliers d'intrus allaient assister au spectacle du supplice de deux protagonistes infortunés. L'événement était une mise en scène de la Reine d'Argent. Elle exposait le résultat de son pouvoir, elle présentait radieusement ses victimes à marier, un exemple pour le Nord, une démonstration de puissance pour quiconque douterait encore. Tous ces gens se frayaient un passage dans la vie de Will et de Serena, violant les lois de l'intimité, tels des parasites, rampant au plus près de l'autel pour mieux se régaler de la tragédie. Ils grouillaient dans le Temple comme des vers affamés de ragots et de malchance, ils se pressaient en troupeau, s'agglutinaient les uns sur les autres, et tentaient tous d'avoir la meilleure place pour admirer le couple. Lara s'en désolait, son coeur saignait pour son ami. Elle portait de temps en temps une main à sa gorge ou à sa tempe, mal à l'aise. Elle serrait ses doigts sur ses bras, en imaginant qu'elle tenait Will contre elle. Lara aurait tant voulu courir le réconforter, aller se placer à ses côtés pour le soutenir. Mais elle devait se contenter d'un regard, un regard qu'elle voulait chaud, intense et apaisant.

William était des hommes les plus courageux qui soit ; il était de ceux qui savaient renoncer à un combat perdu d'avance où trop de souffrance guettait ; ceux qui savaient que la faiblesse n'était pas de se départir de croyances passées mais de s'entêter à les conserver ; il était de ceux qui s'efforçaient à espérer, à défaut de réussir ; ceux qui se résolvaient, malgré tout, pour éviter le pire. William supportait et endurait pour les autres, pour ses amis, pour son clan. Il se sacrifiait. Il était le premier. Son exemple entraînait d'autres actes de bravoure comme le sien, d'autres mariages. Pour la jolie blonde, il avait toujours été un modèle de force. Et bientôt ce serait au tour de  Lara de gravir les marches du Temple, de se tenir droite, de tourner la page, de mettre de côté le chapitre des Ombres et de s'ouvrir à un avenir d'incertitudes. Elle aussi était chargée de cette mission, plus importante encore que toutes celles qu'on lui avait jamais confiées à la Guilde, cette fois, elle avait une mission de paix.

Peut-être que Will serait présent à son mariage, comme elle l'était au sien aujourd'hui ? Elle était confiante, ce jour-là elle serait aussi résolue et déterminée que lui. Parce qu'elle savait ce qui l'attendait et combien ce serait difficile de vivre aux côtés de quelqu'un qu'elle n'avait pas choisi. Mais pour la paix, elle se sacrifiait à son tour, en suivant les traces de son ami. Elle s'avancerait au travers de la foule d'un pas décidé, arrêtée dans son choix. Elle n'hésiterait pas une seconde à l'échange des alliances, ou quand elle devrait glisser sa main au bras de son nouvel époux. Elle ne redoutait pas sa future union. Et pourtant elle savait, que le regard de son fiancé serait aussi terne que celui de Will, à cet instant, alors que ses prunelles glacées ne quittaient pas le visage de Serena.

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Alessandra de Marbrand
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Jeu 13 Juil - 14:18





ARIANNA HART
— the miracle dream —


Au loin, une musique se faisait entendre, étouffée par les exclamations et chants. De plus en plus distincte il lui sembla alors reconnaître le son de plusieurs gigues accompagnées par les tambours battants un air de fête et de félicité, pour finalement s'arrêter sur une percussion finale. Les musiciens, sans un moment de répit, se mirent à jouer un autre morceau, bien différent du précédent. Les mains ne frappaient plus les tambours, laissant les gigues emplirent l'atmosphère d'un air mélancolique. Personne ne chantait, pourtant elle reconnu " L'Epee de l'Hiver ". Quelques notes seulement suffirent. C'était un chant populaire de tous, il ne faisait pas de distinction de classe ou d'origine, nés pauvres ou paysans, nés au Nord ou au Sud, tout le monde le connaissait. Cette chanson était, au même titre que les grands hommes et les guerres qu'ils ont combattu, une part intégrante de leur Histoire. Mais ici, à Vivendale, c'était un chant aux sonorités particulières, car dans cette cité résonnait son cœur même, c'est ici qu'avait eu lieu les événements qui étaient chantés. Car l'hiver dont était question n'était pas juste une saison, c'était le Nord, c'était aussi les personnes qui y vivaient, elles étaient nées ici, dans cette cité, avaient combattu ici, pour cette cité, qui étaient mortes ici, à cause de cette cité. Cette chanson faisait partie de l'âme de cette ville, elle était chanté à toutes occasions, certaines plus significatives que d'autres. Forgée par l'hiver..., quelqu'un se mit à chanter, ...La briser... d'autres suivirent en choeur, ...Ils n'y arrivèrent... Malgré que nombreux soient ceux qui l'avait rejoint, la voix qui dominait restait celle qui s'était prononcée en premier. Une voix familière, comme cette chanson, mais pourtant distante. Elle s'approcha. C'était une femme, elle devait bien avoir trente années bien passées, un foulard sale retenait ses cheveux en arrière, la coiffure de nombreuses femmes qui travaillaient aux champs. Elle remarqua alors que les femmes autour d'elle était presque toutes affublées du même accoutrement. Pourtant, une seule d'entre elle n'attirait son attention, celle qui se trouvait au centre, tout chez elle semblait se détacher des autres bien que rien ne diffère de ses pairs. La femme passa son bras sous celui de l'homme qui se tenait à côté, un enfant sur les genoux, mais l'homme ne regardait pas la femme, il regardait droit devant lui. Arianna se figea en comprenant qu'il l'a fixait, elle. L'homme esquissa un sourire, puis tapota la place libre à côté de lui. La femme, l'homme, l'enfant, ils étaient trop familiers, bien trop familiers. La jeune femme esquissa un sourire et les rejoignit avec hâte, soudain il n'y avait plus appréhension ni surprise, soudainement il n'y avait plus femme, homme ou enfant, il y-avait une mère, un père, une soeur.

Et soudainement elle se réveillait, laissant ces visages tant aimés s'évaporer petit à petit dans le néant d'un sommeil battu par l'éveil. C'était son rêve du miracle, quand ils revenaient à elle. Elle ne s'en rendait même pas compte, un instant ils étaient des inconnus, l'instant d'après c'étaient comme s'ils n'étaient jamais partis, doux  mélange d'illusions et de la réalité de ces souvenirs d'eux qui s'effacent. Qu'elle aurait aimé que ce rêve soit réalité. Qu'ils reviennent à elle comme dans cette douce illusion crée de toutes pièces. Elle aurait voulu se rendormir, vivre dans cette douce fiction pourtant teintée par l'horrible réalité. Elle se manifestait par détails; le fait qu'elle ne les avait pas reconnu au début ou bien que sa soeur soit si âgée, presque dix ans, pourtant elle ne parlait même pas quand leur mère était morte. Pièces racolées maladroitement par un esprit dans le besoin, il restait des trous ci et là, pourtant le sentiment d'avoir retrouvé sa famille, ne serait-ce que quelques instants, l'avait empli au point que, à son réveil, elle pleurait de les avoir perdu à nouveau. Elle avait fait un rêve de la sorte, avec Charlie, avant d'apprendre qu'il était en vie, bien qu'elle ne voulait s'y conforter, une part d'elle évoquait que l'idée qu'il soit mort soit vraie. Et la nuit même, elle avait rêvée qu'il revenait. Elle était dans la cuisine, avec Mel, Luke était de sortit, et les deux filles l'attendaient. Elle préparait le dîner, espérant que Luke ne rentre pas trop tard, lorsque la porte s'ouvrit. Arianna croyait que c'était lui, lorsque c'est la voix de Charlie qui résonna dans son dos. Il était rentré, sain et sauf. Il s'excusa d'être partit si longtemps, disant qu'il s'était démené à chercher ses frères et soeurs dans tout le Nord. Ce rêve était un peu différent de celui qu'elle avait eu avec sa famille, ici elle avait conscience de l'absence de Charlie, dans l'autre, c'était comme s'ils n'étaient jamais partis, comme si elle les avait rejoint après à peine une journée sans les avoir vu. Pourtant ces deux rêves étaient de la même essence; nostalgie, regret... Le rêve était devenu réalité, encore une fois. D'abord son père, il n'y avait pas eu " L'Epée d'Hiver ", ni sa mère, ni sa soeur, mais il était revenu. Puis ce fut au tour de Charlie, loin du village, il fit son entrée ici, au coeur même de l'Enclave. C'était différent, et mieux, c'était réel.

Le rêve était devenu réalité. Charlie était revenu. « Aria ! On a le temps. » Défaits de leur accolade, pourtant, ils maintenaient un contact permanent entre eux, c'était comme si, s'ils s'écartaient, soudainement elle se réveillerait, réalisant que tout cela n'était qu'une nouvelle illusion. « Tu ne veux pas me parler ? Rien que toi et moi ? Je pense qu'on a des tas de choses à se dire. Luke et Mel ne vont aller nulle part, j'irai les rejoindre bientôt. » Il s'adossa à la rambarde, tournant le dos à leur belle cité. Il était loin le temps compté par les chansons, le temps d'une ville qui s'était élevée grâce à son peuple, le temps d'une ville unie derrière un seul but. Leur but était mort avec le roi Ivan, il y-a des siècles de cela. Maintenant chacun vivait pour ses désirs personnels, certains voulaient le pouvoir, l'argent, la gloire, d'autres, plus humbles, ne voulaient qu'une vie tranquille avec leur famille, comme Charlie, comme les Peterson. « J'ai hâte de voir les yeux tout émerveillés de Meli. Je suis certain qu'elle va parler du mariage pendant des jours. C'est si exceptionnel pour elle, tu te rends compte ? Et Luke ! Il faudra qu'il me raconte tout ce qu'il a fait. J'espère qu'ils n'ont pas eu trop de problèmes pendant mon absence. Tu es restée avec eux n'est-ce pas ? Est-ce qu'ils vont bien ? Ils ne sont pas blessés ? » La jeune femme baissa les yeux, refusant d'affronter le regard soucieux du grand frère. Oui, elle était restée avec eux, puis elle était partie. Un peu comme avec lui, elle avait dit des choses, fait des promesses, puis elle s'était ravisée en chemin. Elle n'avait pas abandonné Luke et Mel comme elle avait abandonné Charlie, mais dans un sens elle les avait quitté un peu lorsqu'elle avait passé le seuil de leur maison pour se tourner vers la Haute-Tour. « Ils vont bien, vu les circonstances. » Elle marqua une pause. « On a toujours aucune nouvelle des autres. » Le reste des Peterson, envolés, disparus depuis des mois. Morts beaucoup auraient dit, mais Luke s'était refusé de prétendre de telles choses. « Et toi Aria ? Tu vas bien ? Que... » La jeune femme se détourna, préférant faire face à la rambarde de s'y adosser, mais surtout, elle n'arrivait pas à soutenir le regard de Charlie. « Comment tu t'en es sortie ? A la Guerre je veux dire... je... on devait se retrouver et... je suis désolée Aria, j'aurais dû me dépêcher. Si j'étais arrivé à temps, on aurait pu partir avant que tout commence. Et on n'en serait pas là aujourd'hui. » Elle ferma les yeux un instant.  Les mots qu'ils disaient n'avaient aucun sens. C'était à elle de dire ça, pas à lui. C'était elle qui avait menti, c'était elle qui avait trahi, c'était elle qui méritait de chercher pardon. « Non c'est moi. » commença-t-elle, « Je...ça n'aurait rien changé. Je n'aurais pas pu partir avec toi. » Sa voix se fit plus sèche que voulue, il lui semblait que les mots écorchaient sa gorge, milles petits poignards qui, une fois sortis par ses lèvres, viendraient se planter dans le dos de son ami. Elle se retourna à nouveau, prête à lui face. « Après, avant que l'on ne se retrouve, j'ai réalisé que je ne voulais pas partir, que c'est chez moi ici, pas juste cette ville mais Isabelle, Maximilian, Talisa et les autres. Je ne pouvais pas les abandonner. » Elle s'arrêta un instant, son regard se baissa sur le sol aussitôt qu'il eut croisé celui de Charlie, surpris, et pas d'une bonne surprise. « J'allais te le dire, je voulais te dire ça ce jour là, quand on se serait retrouvé, mais... les dieux avaient d'autres plans pour nous deux je crois. Charlie je... je suis désolée. » Elle serra ses mains dans les siennes. « Pardonne-moi s'il te plaît. »

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Malbe
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Dim 16 Juil - 22:53



Charlie Peterson
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“Lies and secrets, Tessa, they are like a cancer in the soul. They eat away what is good and leave only destruction behind.” ― Cassandra Clare, Clockwork Prince


On disait que le meilleur moyen de garder un secret, était de prétendre qu'il n'y en avait pas. Et Charlie était tout à fait d'accord avec cela.

« Ils vont bien, vu les circonstances. » Le jeune homme hocha, concerné. Les circonstances… Ce n’était pas uniquement les Témériens qu’on devait blâmer pour la situation infernale dans laquelle Charlie, Aria et le reste des Peterson s'enlisaient : pour les trahisons, pour les séparations, pour les changements de camp, pour les échecs, pour les espoirs brisés, pour les loyautés volées. Arianna Wadson. Arianna Wadson était punissable, Arianna Wadson était coupable. Coupable, de beaucoup plus de méfaits que les Etrangers qui, malgré leur brutalité qu'on jugeait impardonnable, avaient une explication légitime à leur comportement. Arianna, elle, n'avait pas d’excuse. Mais elle s’en inventait probablement. En tout cas, personne ne l’avait jamais soupçonnée. Elle avait été plus subtile que les Témériens. Elle avait berné son entourage de la manière la plus grandiose qui soit. Le mur qui entourait les Peterson n'avait pas eu besoin de grande démolition, de flèches ou d'épées, il avait simplement fallu un peu de temps, quelques sourires, d'encourageantes promesses et une fausse amitié. Le piège d'Arianna avait été remarquablement aiguisé, elle avait habilement préparé ses tours. Peut-être ne s’était-elle rendu compte qu’à moitié de sa diablerie, peut-être avait-elle été poussée, par ses propres mensonges incontrôlables, à toujours plus de ruse. Et les Peterson, victimes de l’astuce sagace, ignoraient encore tout des complots qui avaient été murmurés autour d’eux : Luke l’ignorait, Mel l’ignorait, la mère l’ignorait, et les égarés ne pouvaient blâmer personne de là où ils étaient. Aucun ne pouvait se douter que, cette femme-menteuse qu’ils considéraient comme l’une des leurs, était leur ennemie. Elle s’était mélangée à eux, s’était infiltrée à leur famille et avait revêtu le masque de la confiance, pour mieux tromper, pour mieux abuser, pour mieux espionner. Arianna aussi, feignait d’ignorer sa perfidie. Elle faisait briller d’innocence ses grands yeux verts, comme si rien n’était de sa faute, comme si l’aléatoire l’avait forcée à agir, à mentir, à maquiller, comme si ce n’était pas la peine de trouver à ses comportements une quelconque trace d’hypocrisie. Arianna doutait sûrement que ses actions avaient quoi que ce soit de traître. Elle se fermait à la culpabilité, puisqu’il était préférable ― pour elle ― de rester dans le flou. Elle avait toujours préféré s’occuper de ses sentiments, et s’était toujours souciée de faire au mieux pour sa petite personne. Oh, elle avait souvent dit se sacrifier et avait parfois promis des dévouements et autres héroïsmes. Ceux-ci n'avaient rien eu de vrai. Arianna avait toujours eu une idée derrière la tête. Aucune de ses actions n'avait été désintéressée. Et les preuves s’accumulaient ! Charlie n’inventait rien ! On lui avait montré. Et aujourd’hui, pour ces retrouvailles, la réaction de la fille ne démentait pas ce qu’il avait appris pendant son séjour à la Tour.

Charlie était longtemps resté naïf. Heureusement, on lui avait ouvert les yeux. Aria faisait partie des fautifs. Elle était responsable des circonstances manifestes, de ce supposé hasard, de la séparation des Peterson, de la disparation de la moitié de la fratrie, de l’emprisonnement de l'aîné et même, de sa propre prétendue mort dans la ruelle. Tout était de sa faute. Katharina l'avait prouvé.

**

Sa prison sentait la mort. La mort et la crasse. C’était poisseux, c’était infâme et c’était peuplé d'insectes immondes, tantôt gluants, tantôt poilus, de diverses créatures repoussantes aux museaux longs et aux queues écailleuses, à la fourrure sale et aux dents pointues. Charlie ne cherchait plus à les éviter. Il s’était accoutumé à leur présence et à leurs passages sur sa peau. Les écraser était inutile. Il y en avait toujours plus. Mais ce qui dérangeait toujours Charlie, c’était sa paillasse, dans le coin de la cage, imbibée d’urine. L'odeur ne s'estompait pas. Étrangement, la pisse qui maculait son matelas, n’était pas la sienne. Ce qui le recouvrait, c’était le pissat des rats, qui couraient dessus ou venaient y stocker leurs réserves. Les chasser ne servait pas à grand-chose, ils revenaient constamment à la charge. Quand Charlie ne faisait pas attention, les maudites bestioles fourraient à l’intérieur de la paille tout un tas de détritus nauséabonds, des merdes infectes qu’ils trouvaient dans les couloirs de la Tour, ou au dehors. Au dehors... Les rats étaient les seuls à pouvoir se glisser derrière les barreaux, grotesquement aisément. Ils rentraient et sortaient à leur guise, passaient les barres et les gardes, sans jamais être dérangés dans leurs allers et venues. Ils se faufilaient dans la lumière du jour comme s’il n’y avait rien de plus facile au monde… Et ils narguaient odieusement les prisonniers, en leur passant sous le nez pour courir vers leur liberté facile. Charlie s’était mis à les envier. Il avait toujours détesté les rats, même au village. Et maintenant, il jalousait leur vie si simple et leur manteau d’invisibilité. Personne ne se souciait d’eux, personne ne s’y intéressait. Les gardiens les ignoraient. Ils faisaient partie du décor, profitaient de la dispense de toute implication. On ne les dénonçait de rien. Les prisonniers de guerre eux, étaient accusés de mille calomnies. On inventait des causes à la condamnation. C’était parfois ridicule. Participation aux combats, meurtres de soldats Témériens, agressions, atteintes à la vie et à l’humanité, résistance, crimes contre la nouvelle couronne, refus de se soumettre à l'Eliare, associations douteuses, rassemblements interdits, amitiés mal placées,... le moindre petit soupçon était punissable. Quand Katharina ne pouvait rien prouver, elle ne prenait même pas la peine de justifier les emprisonnements. Sa seule volonté était une raison valable. Charlie avait vu défiler un nombre considérable de Nordiens. Et même s’ils étaient coupables de ce qu'avançait la Reine, aux yeux de Charlie ils ne faisaient que défendre leur Terre. Comme lui.

Les prunelles ternes du blond avaient cessé de contempler l’échappatoire des rats, les trous lumineux dans les murs et les morceaux de ciels derrière les barreaux. Il attendait plutôt en silence, sans penser à rien. Au début, les premiers jours, les premières semaines, il avait cru pouvoir garder l’esprit clair. Il s’était concentré sur Sara et Eden, Adam et Mel, Alec, Luke et Tomas. Il avait pensé leurs visages, il s’était plongé dans des souvenirs et avait imaginé des avenirs pour chacun. Mais leurs traits chéris s’effaçaient un peu plus à chaque fois que le corbeau venait le chercher. Il l’appelait ainsi : le corbeau. Parce qu’il avait les bras maigrelets et une tête inexplicablement petite, des yeux pareils à des perles et des cheveux aux couleurs nocturnes. Il était aussi, toujours vêtu d’un manteau noir qui lui arrivait sous les genoux, plus long dans le dos et très épais, comme s’il n’était toujours pas habitué aux températures du Nord. L’expert en torture était devenu « expert en Charlie ». Il connaissait ses faiblesses, et les points les plus douloureux. La brute qui se chargeait de lui au début, celui qui avait les coups faciles, ne venait plus, il se contentait de garder la porte. Il n’était pas assez fin pour le genre d’interrogatoire que le corbeau avait prévu, pas assez précis, pas assez patient, pas assez délicat. Ce genre de châtiment s’exécutait avec adresse. Et le corbeau avait des doigts fins, habiles, qui pénétraient souplement à l’intérieur d’une pensée, qui s’enroulaient astucieusement autour d’un cœur et qui saisissaient stratégiquement un morceau d'âme. Charlie avait toujours un peu plus mal quand il sortait de l'étroite pièce où le corbeau affinait ses expériences. Ses rencontres avec l’homme en noir le réduisait, l'affaiblissait. Peu à peu, Charlie comprenait que son entêtement ne menait à rien, qu'il valait mieux avouer ce qu'il savait. Il souffrait pour rien... Mais il avait peur, peur de perdre et de se perdre. De perdre ses essences et ses intuitions, cette force qui l’avait toujours habité et qui semblait s’abîmer, s’écorcher, ou sa volonté, qui s’éteignait, qui s’envolait. Il avait peur, de perdre la partie.

Un matin, alors que le corbeau avait enroulé des fils de carbone autour de ses poignets et de ses chevilles, ils furent interrompus. Le géant ouvrit la porte avec sa délicatesse habituelle. Charlie haussa un sourcil. Cette fois, au lieu de revêtir son sourire idiot, il avait la bouche à l'horizontale et le teint pâle. « Changement de programme. » Le corbeau se leva, agacé, pour le faire sortir ― il n'aimait pas avoir un public, il préférait que le moment avec sa victime reste intime. Mais le géant recula de lui-même, pour laisser place à une robe bleue et des cheveux d'argent.


**

Les secrets avaient pesé un temps infini, cela durait depuis des années, des années qu'ils amusaient les arcanes cachées de la Wadson. Aujourd’hui, Charlie savait tout d'Arianna, de ses secrets, de ce qu'il y avait dans son coeur et dans sa tête. Il savait aussi que Luke et Mel allaient bien, et connaissait même les détails de ce qu’il leur été arrivé durant son absence. Il savait tout. Cela avait été la seule condition à son contrat : qu'on assure la protection de sa famille. Orienter Arianna sur ce sujet, c'était dans l'optique qu’elle se sente impliquée, qu'elle se souvienne de ses ratés et de ses promesses vides. Il fut satisfait en remarquant l'air meurtri de la belle. Qu’elle se sente coupable ! Le sang dans ses tempes, dans son cou, dans son ventre, dans ses jambes, pulsait, et une voix, au fond de son corps hurlait en permanence : « Traîtresse ! » pour qu'il ne perde jamais de vue son objectif. « On a toujours aucune nouvelle des autres. » Il baissa la tête, au moment où une tristesse truquée l'étreignit. Pourtant, il était soulagé. Arianna n'était pas au courant pour le reste de ses frères et soeurs, elle ne savait pas où ils étaient. Il aurait pu dérouler un sourire à cet instant. Mais il garda le nez sur ses nouvelles chaussures. Il mentit, autant qu'elle avait menti. Il mima, joua de ses sentiments, en parfait acteur, à la manière des grands tragédiens. On aurait dit que Charlie avait fait cela toute sa vie. Pour l'instant, tout évoluait selon le plan. La seule chose qui lui pinçait le coeur, c'était que Luke et Mel ne se doutaient de rien, qu'ils avaient été pris entre les griffes acérées de la sorcière et que Charlie n'avait rien pu faire pour les en libérer, sans éveiller les soupçons.

Elle aurait dû avoir honte. Elle avait honte. Elle se détourna, refusant de croiser les prunelles de Charlie, bien trop honnêtes en comparaison des siennes. Elle avait fermé les yeux, les paupières alourdies par sa conscience. Il aurait voulu qu'elle se jette à ses pieds en implorant son pardon. Qu'elle le supplie de l'aimer de nouveau et de lui prouver qu'elle réparerait ses erreurs, qu'elle se rachèterait. Et il aurait adoré la laisser là, par terre, démunie, délaissée et lui tourner le dos. Une bonne fois pour toutes.

« Non c'est moi. » Il pivota lentement vers elle. « Je...ça n'aurait rien changé. Je n'aurais pas pu partir avec toi. » Le coeur de Charlie fit des bonds. Le moment tant attendu ... sa confession... Elle lui fit face elle aussi. Ils se regardaient. Et il s'accrocha à l'espoir qu'elle ... qu'elle confesse, qu'elle invente, qu'elle l'oblige à concevoir ce qu'elle voulait qu'il conçoive, qu'elle voile ses aveux d'une réalité fabriquée, arrangeant l'histoire dans son sens. Il voulait cela, pour pouvoir continuer à la détester... Le villageois afficha une mine innocente, un peu perdue, un peu surprise, comme s'il ne comprenait pas qu'à présent, venaient les aveux. Ceux qui changeraient tout, qui ébrécheraient leur relation.  « Après, avant que l'on ne se retrouve, j'ai réalisé que je ne voulais pas partir, que c'est chez moi ici, pas juste cette ville mais Isabelle, Maximilian, Talisa et les autres. Je ne pouvais pas les abandonner. J'allais te le dire, je voulais te dire ça ce jour-là, quand on se serait retrouvé, mais... les dieux avaient d'autres plans pour nous deux je crois. Charlie je... je suis désolée. » Elle ne voulait pas abandonner Isabelle, Maximilian ou Talisa. Elle ne s'était pas gênée pour l'abandonner lui. Lui et tous les Peterson. Il resta immobile, dos à la rambarde, les yeux posés sur la princesse. Et là, vinrent les mots les plus risibles des plus absurdes scénarios qu'il s'était imaginés. Elle était tellement prévisible... « Pardonne-moi s'il te plaît. » Elle lui prit les mains. Il se laissa faire, sembla hésiter, ne pas comprendre, remettre dans l'ordre les événements, dévoiler quelques secrets, combler les trous. Et puis il fronça les sourcils, en paraissant réaliser le sens de ces paroles. Il balbutia, pris au dépourvu : « L.. les Dieux ? » Ainsi, elle s'en remettait aux divinités. Encore une jolie façon de se soustraire à la culpabilité. Charlie, lui, avait horreur des Dieux. Pas depuis longtemps puisqu'autrefois il avait pensé qu'on veillait sur lui et que cela avait sûrement quelque chose à voir avec les idoles du Nord. Mais les prisons ébranlaient les certitudes et ses croyances avaient été balayées, le corbeau s'en était assuré. Les mirettes émeraudes de la fille examinaient sa mine chiffonnée, impatiemment. Mais Charlie secoua la tête, comme s'il ne voulait pas y croire. « Tu veux dire que ... on avait dit qu'on se retrouverait et ... tu savais que tu ne viendrais pas ? » Il fronça les sourcils, déstabilisé par l'improbabilité des coïncidences qui se profilaient. Elle avait réalisé trop tard qu'elle voulait rester tandis que Charlie s'imaginait déjà, le baluchon par-dessus l'épaule, la file indienne de Peterson sur ses talons et la jolie Aria à ses côtés ; tous auraient regardé vers l'avant, les sourires jusqu'aux yeux et les coeurs légers. Ils auraient été si heureux, loin de Vivendale, comme ils se l'étaient promis à l'époque, quand ils étaient les meilleurs amis du monde et quand Charlie baignait dans l'ignorance. Mais selon la brunette, c'était à cause des Dieux si le plan avait échoué. Il lâcha ses mains, fit deux pas en arrière. « Mais... tu as brusquement décidé de rester à Vivendale ? Comme ça, d'un coup ? Et tous nos projets de l'époque, nos rêves d'escapades ? Tu préférais assister à l'invasion de Vivendale et risquer ta vie ? Et risquer celle de Luke, Mel, et les autres ? ... Parce que tu sais que je serais resté pour toi, et je n'aurais pas été le seul. On t'aurait attendue au point de rendez-vous. J'avais promis. Et ... je ... je comptais sur toi. » Les Peterson, dévoués à leurs promesses et leurs principes solides de l'amitié, auraient retardé leur départ jusqu'à ce qu'elle les rejoigne, quitte à mettre en jeu leur liberté, et même leur vie. Il secoua légèrement la tête, de gauche à droite, pour appuyer ses dires, le visage froissé par le chagrin. Il laissa transparaître un peu de sa rancune cachée, juste un morceau crédible qu'il aurait laissé s'échapper naturellement. Charlie était devenu doué à ce jeu de l'attitude-façade et du vernis-semblant, tellement doué que c'en aurait été effrayant si Aria en avait eu la moindre idée. Derrière le masque de mesure, il haïssait la menteuse. Elle avait su qu'elle resterait en ville, avant la chute du Mur et bien avant leurs retrouvailles ; aussi quand ils étaient encore tous les deux au village et convoitaient des peut-être, loin des frontières. Elle l'avait toujours su, parce qu'elle n'avait jamais, jamais, eu l'intention de partir.

Les amis étaient précieux. Au village, beaucoup connaissaient leur valeur, et plus encore les savaient rares. Les alliances n'étaient pas faciles à se faire et la tentation de la trahison était constante. Mais quand l'amitié était construite, Charlie ne la laissait pas se défaire. Il se battait pour la garder intacte, pour la consolider, ou la reconstruire quand elle s'effritait. Jusqu'à l'irréparable. Jusqu'à ce qu'il ne puisse plus excuser l'impardonnable.

C'était irréaliste. Et pourtant, c'était l'identique de ce qu'il avait imaginé. Les yeux dégoulinants de la fille, ses mains frémissantes, sa bouche suppliante, son corps frêle qui implorait le pardon. Une impression de déjà-vu. Mais Aria ne pouvait prévoir la suite. Elle le vit déglutir, se frotter le crâne, lui tourner le dos et soudainement lui faire face pour lui répondre, la bouche ouverte, des mots sur le bout de la langue. Elle le vit ravaler ses paroles, passer encore ses doigts sur son visage pour couvrir son menton. Puis enfin, il s'arrêta. Il était blessé. Il était confus. Mais il y avait, posée sur ses traits, une douleur étrange. Une douleur d'indulgence, puisqu'il se devait de toujours pardonner à sa jeune alliée. Il lui avait toujours tout pardonné. Il retourna se coller à elle. Ses doigts vinrent se poser sur la joue d'Arianna. Il s'humecta les lèvres, s'éclaircit la gorge et se pencha doucement pour lui chuchoter, l'air grave. « Pourquoi ? » Elle papillonna. « Pourquoi tu as menti ? Parce que c'est ce que tu as fait non ? » Il chercha son regard, comme s'il pouvait y trouver une réponse qui donnerait du sens à toute cette mascarade. « Tu n'as pas pu décider ça sur un coup de tête ! Ce n'était pas une décision irréfléchie, tu as pesé le pour et le contre, tu as pensé aux conséquences. Je ne te connais pas un caractère bourru, je sais que tu es une personne sensée. Tu as préféré rester, au lieu de partir avec moi. Alors, c'est que tu avais une raison ? » Son ton l'implorait. Si cela faisait parti du jeu, Charlie voulait vraiment avoir une réponse. Sincère ou non. « Pourquoi ?  » La question lui brûlait les entrailles depuis des mois.

Ses épaules étaient basses. Il soupira, pris de désespoir : « A quoi tu pensais ? » Il laissa trembler ses doigts. Aria dût prendre cela pour de la déception, de la désolation, du regret ou pour de la peur, la peur de l'avoir sue en danger, elle, son acolyte favorite, celle qui se fourrait dans les pires pétrins et entraînait dans sa chute, des gens comme Charlie. Mais c'était la colère qui le saisissait, cette colère qu'il murait au fond de son coeur. Il accrocha ses doigts aux bras fragiles de la jeune femme. « Aria, tu n'as pas pensé que ... nous serions mieux là-bas ? » Son bras se balança dans le vide, par-dessus la rambarde. Il pointait l'horizon. Celui dont il s'était langui dans les rues de terre et par les fenêtres opaques de sa maison de pierre. « J'ai cru que c'était ce que tu voulais. Ou tu as dit ça, simplement pour aller dans mon sens ? Non je ne peux pas le croire. Tu étais sincère. Je me souviens de tes yeux brillants et de tes rêves de légèreté. Tu voulais t'échapper, autrefois. Comme nous tous, tu as été prisonnière de Vivendale. Tu... on avait l'occasion de briser nos chaînes ! Ca ne peut pas être simplement à cause des amis que tu aurais laissés derrière toi, on savait qu'il y aurait ce choix à faire. De toute façon, Isabelle, Maximilian, Talisa... tu sais qu'on serait retourné les chercher ! » Il aurait fait tout ce qu'elle aurait voulu qu'il fasse. Il avait été ainsi, excessivement dévoué, excessivement stupide. « Non... Il y a forcément autre chose. » Une lueur de méfiance désormais, flottait dans ses jolies prunelles d'eau. Ou plutôt, une trace d'incompréhension craintive, comme s'il manquait bien trop de pièces au puzzle d'Arianna et que cela présageait des révélations terrifiantes, des choses qu'elle n'aimerait pas avouer et qu'il n'aimerait pas entendre.

Si dans sa cage, après les révélations de Katharina, il avait entretenu l'espoir que tout cela ne soit qu'un malentendu, ou qu'Aria n'avait pas vraiment souhaité du mal à sa famille, qu'elle avait blessé son ami parce qu'elle n'avait pas eu le choix, dommage collatéral ; à présent, il doutait qu'elle l'ait jamais aimé, qu'elle se soit un jour souciée de lui. Ce n'était pas cela l'amour, ou l'amitié, ce n'était pas l'imposture. Charlie frissonnait toujours, désarçonné. Le silence s'éternisait. Et puis, sans qu'elle ne s'y attende, il lâcha brusquement : « Tu sais ... je t'ai vue. A la Guerre. Dans la ruelle. » Mauvais rêve. Les images de la Guerre-d'Un-Jour lui revenaient à toute allure, défilaient à une vitesse hallucinante, bien trop nettes, bien trop précises pour déjà dater de quatre mois. Il se souvenait parfaitement de cet instant. Où il avait cru la perdre. La poursuite. La lame. Le sang. Les Témériens. Le corps inerte d'Aria. Ce sentiment terrible. Ce noir. Cette terreur. Cette agonie. Englouti. Sa vision se brouilla. C'était sûrement cela, la pire trahison d'Arianna : avoir fait croire à sa mort. Charlie la détestait aussi beaucoup pour cela, pour l'avoir fait assister à son meurtre. Et il souffrait encore de la disparition de son alliée, comme si elle avait réellement été assassinée quatre mois plus tôt. Aria n'était pas vraiment là puisque celle de son passé n'était plus qu'un souvenir fumée, un peu trop idéalisé. La jeune femme qui se tenait devant lui à cet instant, n'était qu'un rappel douloureux de ce à quoi il avait cru, ce à quoi il avait voulu croire.

A chaque fois qu'il s'attardait sur le visage de la brunette, il se rendait compte à quel point tout avait changé, à quel point il était différent, à quel point ils étaient contraires. Et ses mirettes bleues menaçaient de se noyer...

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Alessandra de Marbrand
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Lun 31 Juil - 23:43





ARIANNA HART
— what might have been —

Ce qui aurait pu être; possibilité envolée qui ne persiste que dans un monde de spéculation. L' abstraction phare d'un esprit voguant sur une mer de remords, se construisant sur des "et si" et des conditionnels passés. Ce qu'aurait pu être ma vie si... et ainsi il dérivait de possibilités en possibilités, jouant sur les détails, et si j'avais fait ça, ou si je n'avais pas fait ceci, si j'avais dis ces choses, et m'étais tu sur ces autres mots, si j'avais été plus ceci, mois cela... Détails formant bientôt plusieurs tableaux, scènes qui auraient pu se dérouler autrement, façonnant sa vie d'une toute autre manière. Telle l'aiguille d'une boussole, pointant différentes directions; vers ces chemins non foulés, vers ces portes jamais ouvertes, vers ce présent spéculatif qui avait toujours ce goût d'illusion, celui d'un bonheur mêlé à la frustration de ne jamais pouvoir l'atteindre, et ces remords de l'avoir raté.

Ce qui aurait pu être...
La brèche était une métaphore, celle d'une promesse, celle d'un ailleurs. Le dehors. Ils se l'étaient promis. Un jour, ils partiraient. Adieu Vivendale ! Ils quitteraient cette cité maudite et découvriraient le monde. Ils découvriraient les autres terres, vogueraient sur l'océan, parfois, leur voyage passait vers l'une des Sept Îles, parfois non. Parfois ils s'installeraient au Sud, parfois à l'Est, parfois à l'Ouest. Ils n'arrivaient pas à se décider, mais s'accordaient sur le fait qu'ils prendraient une décision qu'une fois avoir découvert les trois autres terres. Ils avaient même évoquaient de s'installer au Nord, mais pas de retourner à Vivendale, jamais. Vivendale ne serait qu'un lointain souvenir pour les Peterson, la cité qui les aurait vu naître, mais pas celle qui les verrait mourir. Ils ne voulaient pas finir leurs jours sous l'épée d'un gardien ou enchainés comme un esclave. Ils voulaient mieux. Ils rêvaient de mieux. Ils auraient mieux, de ça ils en furent persuadés.

Ce qui aurait dû se passer ce jour là, lors de la Guerre d'Un Jour, c'est qu'elle se souvienne de la brèche comme au premier jour, avec une passion dévorante, et qu'elle haïsse cette cité autant qu'avant. Ce fut le cas, un instant, lorsque Charlie prononça le mot clé de leur promesse, elle retrouva ses rêves d'aventures, d'un ailleurs, d'un tout-sauf-Vivendale. Mais bientôt ses rêves se tachèrent de réalité, alors qu'elle s'éloignait du prophète, et bientôt, elle ne pouvait plus partir. Et la brèche ne fut qu'une promesse brisée parmi d'autres.

«  L.. les Dieux ? » balbutia-t-il. Cela devait être étrange pour lui, de l'entendre s'appuyer sur ces êtres qu'elle avait jadis clamé imaginaires. C'était le cas, à l'époque. Ils n'existaient pas car son père lui avait dit que les dieux n'étaient que des inventions, et elle l'avait cru. Mais maintenant les choses étaient différentes. Ils existaient maintenant. Car son père lui avait dit qu'il lui avait menti. « Tu veux dire que ... on avait dit qu'on se retrouverait et ... tu savais que tu ne viendrais pas ? » Il lâcha ses mains, elle voulu les reprendre, mais il recula, laissant les mains d'Aria attraper le vide. « Mais... tu as brusquement décidé de rester à Vivendale ? Comme ça, d'un coup ? Et tous nos projets de l'époque, nos rêves d'escapades ? Tu préférais assister à l'invasion de Vivendale et risquer ta vie ? Et risquer celle de Luke, Mel, et les autres ? ... Parce que tu sais que je serais resté pour toi, et je n'aurais pas été le seul. On t'aurait attendue au point de rendez-vous. J'avais promis. Et ... je ... je comptais sur toi. » Il comptait sur elle, et elle l'avait trahi. Ces mots lui firent l'effet d'un coup de poignard. Morte, la Arianna naïve qui avait cru que des excuses suffiraient, poignardée par l'épée de la justice. La justice d'un Charlie compromis. Pourtant, il avait raison, qu'elle l'ai voulu ou non, elle l'avait trahi, ce jour là. « Pourquoi ? Pourquoi tu as menti ? Parce que c'est ce que tu as fait non ? Tu n'as pas pu décider ça sur un coup de tête ! Ce n'était pas une décision irréfléchie, tu as pesé le pour et le contre, tu as pensé aux conséquences. Je ne te connais pas un caractère bourru, je sais que tu es une personne sensée. Tu as préféré rester, au lieu de partir avec moi. Alors, c'est que tu avais une raison ? » La raison, sa soeur, Isabelle. C'est alors qu'elle s'imaginait lui dire aurevoir pour partir bras dessus bras dessous avec Charlie et les Peterson qu'elle commença à douter. Elle avait fait une promesse, celle de veiller sur sa soeur, comment pouvait-elle faire cela si elle était à des centaines de kilomètres de Vivendale ? « Pourquoi ?  A quoi tu pensais ? » implora-t-il. Il la suppliait, de mettre fin à cette douleur, la souffrance du trahi. Les épaules affaissées, les doigts tremblants, Charlie semblait soudainement pris d'une extrême lassitude. Bien loin était le garçon rayonnant, fier d'arriver dans son beau costume, de retrouver son amie et sa famille. « Aria, tu n'as pas pensé que ... nous serions mieux là-bas ? » fit-il, balançant son bras vers l'horizon, vers cet ailleurs qu'ils s'étaient promis de retrouver, vers ce rêve devenu illusion. « Mieux... » répéta-t-elle dans un murmure. Elle n'était plus sûre de croire en cette douce idée, que là-bas c'était mieux, qu'il suffisait de quitter Vivendale pour enfin vivre. Peut être qu'ils n'avaient jamais su voir le problème sous son vrai angle. Peut être que, au lieu de vouloir la fuir, ils auraient dû apprendre à la connaitre. Car Vivendale était d'une richesse incroyable à qui savait la voir sous son vrai jour. Ce qu'elle avait considéré comme un ramassis de pierres maudites était en fait le coeur de ce monde, la naissance de tout, des dieux, des hommes, elle était le commencement, le déroulement et la fin. « J'ai cru que c'était ce que tu voulais. Ou tu as dit ça, simplement pour aller dans mon sens ? Non je ne peux pas le croire. Tu étais sincère. Je me souviens de tes yeux brillants et de tes rêves de légèreté. Tu voulais t'échapper, autrefois. Comme nous tous, tu as été prisonnière de Vivendale. Tu... on avait l'occasion de briser nos chaînes ! Ca ne peut pas être simplement à cause des amis que tu aurais laissés derrière toi, on savait qu'il y aurait ce choix à faire. De toute façon, Isabelle, Maximilian, Talisa... tu sais qu'on serait retourné les chercher ! Non... Il y a forcément autre chose. » Oui, il y-avait autre chose. Theenar. Il vivait ici, à Vivendale. Bien qu'elle l'ignorait à cette époque, sa destinée était écrite dans cette cité, et nulle part ailleurs. Elle aurait voulu lui expliquer, qu'elle avait trouvé sa voie, sa brèche à elle, et que ce n'était pas loin de Vivendale, mais dans son coeur même, qu'il fallait apprendre à chercher, apprendre à croire. Mais comment pouvait-elle lui demander ça ? De croire en ça ? Elle n'avait pas voulu y croire, au début, mais l'attraction envers cette force obscure et flamboyante l'avait finalement conquise. Le Dieu Noir l'avait conquise. Elle cherchait les mots, pour lui montrer, montrer que Theenar n'était pas qu'ombre, mais aussi lumière; qu'elle même, n'avait pas que trahi en changeant d'avis, mais avait aussi choisi de croire en Vivendale, plutôt que de la fuir. Mais comment ? Comment expliquer l’irraisonnable à la raison ?  

« Tu sais ... je t'ai vue. A la Guerre. Dans la ruelle. » Elle passa une main sur son visage et se retourna. La Guerre. Elle ne voulait plus penser à ce jour, les souvenirs l'avaient hanté suffisamment longtemps; les cauchemars peuplaient encore ses nuits. Et elle revoyait tous ces cadavres. Tellement de cadavres. Et de sang. Elle se souvient avoir participé à ce bain de sang. Pour me défendre, s'était-elle justifiée au corps sans vie. C'était vrai, il l'avait attaqué, elle s'était défendu, mais maintenant elle préférait penser qu'elle avait été guidée par Theenar, en cet instant, plutôt qu'un bête réflexe de survie. Mais plus que la bataille, elle se souvint de sa bataille à elle, celle qui s'était déroulée en parallèle de la tristement célèbre Guerre d'Un Jour, celle d'une femme contre un homme, pas d'armée ou de cité à défendre, juste deux adversaires. Le prédateur et la cible, la cible c'était elle, le prédateur, Jason, ou du moins un de ses hommes, traquant sa proie sans relâche dans les rues déjà mises à feu et à sang. Après ça les images étaient floues, elle ne saurait dire quel chemin elle avait empruntée dans sa course, où elle avait commencé, où elle avait fini, les images se succédaient trop rapidement, elle était tantôt à un endroit, tantôt à un autre. Où était Charlie dans ce méli-mélo d'images ? Dans quelle ruelle du labyrinthe de sa course s'était-il placé ? Elle chercha, en vain, jusqu'à arriver à la fin de ces souvenirs, dans cette foule. Elle se souvint s'être frayé un chemin à l'intérieur, les gens étaient si serrés les uns contre les autres, elle n'avait même pas prêté attention au pourquoi, et elle était sortie de l'autre côté, espérant que son assaillant ne l'ai perdu dans la masse. Fin. Après ça plus rien. Après cela elle s'était réveillée, les chaines aux poignets et aux chevilles, dans une pièce noire, si noire, elle y avait passé des heures, ou des jours, sans comprendre. Elle avait cru être morte et arrivée dans ce lieu, entre l'Helmein et le monde des vivants, où errent les âmes privées de leur repos. « Quand ? » demanda-t-elle. Sa voix lui parut presque inadéquate après son silence, comme si seule la voix de Charlie paraissait juste, la sienne était...fausse, elle n'avait pas lieu d'être ici. « Je ne t'ai pas vu, j'étais... c'est compliqué, tout s'est passé si vite. Quand est-ce que tu m'as vu Charlie ? Avant ou après Jason ? » Sans même le réaliser, elle l'avait attrapé par les bras. Lorsqu'elle s'en rendit compte elle relâcha sa prise et recula, confuse. « Je suis désolée, je... j'ai du mal à reconstituer tout ce qu'il s'est passé ce jour là. » s'excusa-t-elle. Elle lui tourna le dos un instant, de peur de croiser l'expression de son visage, quelque qu'elle soit. De nouveau, elle passa une main sur son visage, comme si cela pouvait en essuyer les remords et frustration qui l'habitait. « C'est assez confus sur la fin, mais le début est très clair. Quand je t'ai dis que je viendrais, je le pensais, je pensais le penser, je... Je pensais vouloir partir, j'y croyais vraiment Charlie. La brèche, s'enfuir de Vivendale ! » Elle se retourna pour lui faire face. « Je ne t'ai pas menti pour te mentir, je n'avais même pas conscience que c'était un mensonge. Je... je n'ai réalisé qu'après, qu'une fois qu'on était parti chacun de notre côté, que je ne voulais pas partir. Et même, je serais revenu à notre rendez-vous, pour te dire de partir sans moi, pour te dire aurevoir et vous souhaitez bon courage, je n'aurais pas juste disparu comme ça. » Pourtant elle l'avait fait. Deux fois. La première quand elle s'était vendue en esclavage pour suivre Maximilian, la deuxième à la Guerre d'Un Jour, quand elle n'avait pas rejoint le point de rendez-vous, bien qu'elle n'eut pas le choix à ce niveau là. « Et je n'ai jamais été prisonnière de Vivendale. » commença-t-elle sur un ton plus tranchant. « Je le croyais, comme je... comme l'on pensait qu'il suffirait de s'enfuir d'ici pour trouver un "mieux". Tu penses que c'est mieux là-bas ? Le Sud, l'Est, l'Ouest, c'est probablement plus joli oui, probablement plus agréable, mais ce n'est pas mieux. Je...j'ai compris, bien trop tard, que Vivendale n'était pas l'obstacle, c'est la vision que j'en avais, elle était juste trop restreinte. » Elle s'approcha d'un pas. « La brèche, c'est Vivendale. » conclut-elle, un sourire très léger vint poser un point final à sa tirade. Mais le regard confus du jeune homme laissait leur conversation sur des points de suspension, sur un non fini. Il ne comprenait pas, il ne pouvait pas, il ne savait pas tout. Mais il y-a tellement de choses à savoir pensa-t-elle, trop de choses, trop pour une personne en un soir.

... et ce qui est.
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Dezbaa
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Expié de talent
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Ven 22 Déc - 14:42

Stumbling over you.
— Be safe, be brave. —


Vinciane de Habstône
En réalité, le monde n'était pas fait d'or et de rubis. Ou plutôt, l'or et le rubis qui parsemaient l'univers revêtaient des apparences à la fois plus rustiques et plus vitales : le blé et le sang, fondements de la société. Le pain et la famille. La nourriture et la solidarité. Elle avait vu et compris tout cela, brutalement, trop brutalement pour décider de ne pas en tenir compte, pour continuer à se fondre dans sa noble et naïve illusion. L'innocence, chaque jour, avait été battue à coup de désagréables vérités, et elle s'était effritée. Elle ne mourrait jamais totalement, car elle était l'essence de Vinciane, son propre fondement, et que sa fin reviendrait donc à son décès, mais elle pouvait être amoindrie. Les yeux apparemment scellés par un cadenas nobiliaire pouvaient être ouverts. Sa bonté d'âme ne pouvait pas jouer l'indifférence. Elle se sentait coupable, coupable et étrangère à tout. Elle avait cru appartenir à un monde de festivités et d'artifices, mais dans l'immense salle de réception, elle se sentait minuscule, et surtout, pas à sa place — tout comme elle en avait fait l'expérience au sein de la ferme.

« Vinciane ?! » Elle pivota, et aperçut un visage familier. « Adèle ! » Instantanément, un sourire éclata sur ses lèvres, et ses yeux brillèrent. Elle oublia la solitude des jours passés, le sentiment d'abandon et les pleurs d'isolement. Adèle était une amie d'enfance. Celle-ci saisit les mains de la brune au creux des siennes, scruta ses traits, puis l'enlaça doucement. « Par tous les Dieux, j'ai cru que tu étais morte toi aussi... » Vinciane pinça les lèvres et la serra contre elle, avant de se détacher lentement. « Et Andrew, il...? » Elle baissa les yeux et haussa les épaules, soudainement trop fébrile pour réussir à répondre. L'abandon... La mort. La Mort. Elle serra les poings. La main de son amie glissa sur son bras nu. « Toutes mes condoléances. » Leurs regards se croisèrent ; l'empathie d'un côté, la douleur de l'autre. « Je... Nous sommes plusieurs à être restés ici, ou à être revenus... » Elle désigna, d'un geste ample, un petit groupe d'anciens nobles, qui discutaient, un peu plus loin, près du buffet. Vinciane les connaissait tous : son sourire revint aussitôt. Elle était heureuse de voir qu'ils avaient survécu, que des visages familiers hantaient encore la cité. « D'ailleurs, où étais-tu, tout ce temps ? » Son regard glissa jusqu'à Adèle, sa joie apparente s'évanouit, et une sensation de honte l'envahit. « Je... » - « Vinciane ! »

Brusquement, elle se détourna, et scruta la foule. Elle connaissait cette voix. Elle avait été une des premières qu'elle avait entendues, une de celles qui l'avaient bercée, qui l'avaient choyée et aimée. C'était son père ; elle le vit. « Papa ! » Une vague d'émotions la submergea. Elle sentit ses jambes faiblir ; pourtant, elle trouva la force de se frayer, elle aussi, un chemin à travers la foule. Elle avait tout oublié des convenances, de ce qu'elle aurait dû faire ou non ; l'éducation avait été piétinée. Parvenue à son niveau, elle se jeta dans ses bras et le serra contre elle aussi fort qu'elle le put. « Tu es vivant ! » s'exclama-t-elle avant de poser sa tête contre son torse. Son cœur battait, son cœur battait, son cœur battait ! Pitié, que ce ne soit pas un rêve ! « J'ai cru que... j'ai cru que tu ne reviendrais jamais... » Elle se redressa, et le regarda, le regarda vraiment, des perles salées au bord des yeux.


Caliel Hopkins
Stupeur ! Les traits lui avaient semblé d'une familiarité étrange, vaporeuse, comme rattachée à un rêve presque oublié. Pourtant, dès que l'homme avait ouvert la bouche, son identité lui avait sauté au visage. Il était celui qui avait fait rempart de son corps et de son épée entre lui, Ombrageux déboussolé, envoyé au tapis, et le monstre témérien, debout, arme levée. Il lui avait sauvé la vie. Roy Larisson. Les pensées négatives de Caliel le quittèrent presque, tandis qu'un sentiment de reconnaissance l'envahissait, teinté d'une drôle de sensation. D'Erëstz. Identité saccagée, masque tombé. En tout cas, il avait cru cela. Il avait cru que leurs vraies figures avaient été mises à jour. Qu'ils n'avaient plus rien d'ombres, qu'ils étaient aussi limpides et lisibles que de l'eau de roche. Alors, il resta figé. Quelle drôle de situation. Les habitants de Vivendale, encore aujourd'hui, croyaient aux chimères qu'on leur avait présentées. Katharina parlait d'égalité et de justice, mais elle les laissait nager dans un océan d'ignorance, de vrais mensonges et de fausses vérités. Dans un élan d'agacement contre la reine aux cheveux d'argent, dans une autre tentative de rébellion, comme un nouveau défi lancé, il lâcha : « Non. » Il scruta le regard du noble. « Hopkins. Caliel Hopkins. » Du même nom que Jim et Lyanna Hopkins, cet homme et cette femme qui, bien des années auparavant, avaient été exécutés en place publique, pour l'exemple, pour avoir voulu défendre ce en quoi ils croyaient, pour avoir voulu offrir à leurs enfants un monde meilleur. « Je suis un Ombrageux. » précisa-t-il, comme si c'était nécessaire. Il avait parlé plus fort, comme s'il avait désiré que chacun pût l'entendre, comme s'il remettait encore en question cette nouvelle autorité qu'on leur imposait. Il la remettait en question. Oh, oui, sa révolte avait commencé. Et elle ne s'arrêterait pas tant qu'il n'aurait pas réussi, ou tant qu'il ne serait pas mort.

Un sourire, toutefois, apparut sur ses lèvres. « La bataille a drôlement fait les choses, n'est-ce pas ? » L'Enclave et la Guilde, qui tant de fois s'étaient attaquées, entretuées, méprisées, avaient combattu côte à côte et, parfois, s'étaient sauvées. Elles avaient partagé un but commun, fugacement, mais suffisamment longtemps pour que les uns fussent amenés à défendre les autres. Les ennemis de toujours, alliés d'un jour. Brièvement, la cité du Nord avait retrouvé son unité d'antan. « Je ne vous remercierai jamais assez pour votre geste. » affirma-t-il, la sincérité ancrée à ses iris. La peur de la mort, il l'avait ressentie. Elle l'avait hantée, des nuits durant, lorsque son cerveau s'imaginait, perdu dans le sommeil, que la masse s'était abattue sur lui, et que Roy n'était jamais intervenu. Une pensée se forma en son esprit, et il lui confia, plus bas : « C'est drôle, aussi, de voir comme les choses ont finalement si peu changé. On s'unit, on nous réduit à un tas de cendre, et toute la solidarité éclate. » Il n'avait pas peur de laisser transparaître ses idées : que pouvait bien tenter qui que ce fût, au beau milieu de cette réception qui devait célébrer la paix et l'alliance des peuples ? Personne. Personne, et ceux qui auraient pu le souhaiter étaient aussi ceux qui partageaient son avis. Les démons s'était abattus sur les Vivendalais, et les poussaient, chacun selon leurs intérêts, dans des directions différentes. Certains s'étaient rangés aux côtés de Katharina, la majorité ne disait rien, et les derniers... les derniers étaient comme lui ; bouillonnant d'une rage et d'une impatience sans précédent, prêts à reprendre les armes, mais jetés au trou, tapis dans l'indifférence, relégués au rang de parias. Et, surtout, dispersés, désunis, désemparés. Néanmoins, en vérité, à l'instant, cela lui importait peu. Il avait défini ses objectifs, et ce jour-là lui paraissait parfait pour parvenir à leur accomplissement. Il grimperait dans la Haute-Tour, il fouillerait les dossiers, les papiers, les documents, et il trouverait de quoi faire de sa rébellion un succès.



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Seyrane de Larant
Seyrane de Larant

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Lun 25 Déc - 17:50



William P. Thawerson
— In the glorious days, till we lost our ways  —


Tic, tac. Le cliquetis régulier des aiguilles de sa montre résonnait presque douloureusement contre les tympans de William. Une montre neuve, dont le bracelet de cuir encore raide lui enserrait le poignet. Un son assourdissant, qui emplissait tout le Temple, rebondissait contre les murs de pierre, prenait de l'ampleur. Tic, tac. Et le silence de cette assemblée muette, docile, que troublaient par moments une toux discrète ou le raclement d'une chaise sur le sol. Le choix de Katharina pour le lieu de la cérémonie n'était pas anodin. Bien sûr, cet espace était chargé d'histoire, de traditions, de solennité. Mais surtout, il symbolisait l'essence même du pouvoir, qu'il soit Nordien ou Témérien : le faste. La démesure. Entre ces imposantes parois de pierre, chaque bruit, si léger fut-il, était repris, amplifié, transformé à l'infini. Chaque œillade, chaque sourire, chaque geste était faussé, truqué, modelé. D'ailleurs, on évitait soigneusement de croiser le regard de qui que ce soit. La cérémonie entière était une poignée de poudre jetée aux yeux du monde, qui entretenait une vaste illusion. La reine aux cheveux d'argent avait placé un miroir déformant entre la société et le résultat de ses manigances ; et tous pouvaient s'extasier sur le succès de son traité de paix. Les tensions, apaisées. Les rivalités, oubliées. Une société sur la voie de l'unification et de l'harmonie. La paix perpétuelle.

Le jeune homme se tenait debout devant l'autel, de profil par rapport à la salle, déjà prêt pour le cérémonial, mais sans mariée. Serena se faisait désirer, bien sûr. Sa future épouse confirmait point par point, avec une sorte de méticulosité dont il se désolait, chacun des préjugés qu'il portait sur sa caste. Et bien qu'il s'efforçât de laisser sa paranoïa hors de tout cela, il ne pouvait s'empêcher de constater à quel point tout était mis en scène pour lui rappeler qu'il n'était pas le bienvenu entre ces murs. Il n'y avait que dans l'esprit de Katharina, étrangère à cette terre, à son système politique et à ses coutumes, que la confusion des castes fonctionnait. Parmi les Nordiens, on ne laisserait jamais oublier à son voisin d'où il venait, et les idées préconçues qui accompagnaient son appartenance à tel groupe ou tel autre. Lady Scott manifestait, par son retard, le peu d'estime qu'elle avait pour la personne de son futur époux ; sentiment qu'elle avait déjà établi dans des circonstances antérieures.

Enfin, l'imposante porte de métal s'ouvrit. Une silhouette féminine se dessina dans le rai de lumière projeté sur le sol de marbre. Le blond ne put distinguer les traits de l'arrivante, éblouie par la lumière crue du soleil qui baignait ses épaules et son visage. Elle s'avança de quelques pas et les battants se refermèrent derrière elle, emportant dans leur mouvement le flot doré qui avait illuminé la pierre grise le temps d'un instant. Il reconnut enfin la chevelure caractéristique ; c'était bien la reine Témérienne qui s'avançait à pas décidés vers l'autel.
C'était un doux euphémisme que d'affirmer que William ne comptait pas parmi les partisans de la jeune femme ; mais il dût admettre qu'elle imposait le respect, malgré son jeune âge, et cela commençait par sa manière bien caractéristique d'occuper l'espace. Arrivant à sa hauteur, elle eut un regard en sa direction, mais ne s'arrêta pas et se plaça directement de l'autre côté de la table de marbre. Il l'observa quelques instants, puis reprit sa position initiale, les mains croisées.

Quelques minutes après seulement, la porte s'effaça de nouveau sur le passage, cette fois-ci, de l'héroïne de la tragédie. Tandis qu'elle avançait lentement, au son des cors de l'orchestre, vers l'autel, William s'avoua à demi qu'elle était impressionnante de grâce et d'élégance dans son costume de mariée. Il tourna le dos à la porte, à l'assemblée et par la même occasion à Serena et observa avec intérêt les veinures foncées qui parsemaient le marbre du meuble. Les musiciens avaient cessé de jouer et il put entendre jusqu'au froissement de la robe qui caresse le sol. Lorsque la jeune femme parvint à sa hauteur, il coula un regard dans sa direction. Ses traits semblaient figés dans de la cire, et elle resta parfaitement immobile, jusqu'à ses yeux qui fixaient un point devant elle, au loin. Le brouhaha cessa.

Katharina commença à officier et le reste de la cérémonie se déroula comme dans un rêve. William se sentait détaché de cette réalité à laquelle il n'appartenait pas, distant comme s'il observait la scène de l'extérieur. Était-il le seul frappé par le grotesque de la situation ? Il avait consenti à cette union par devoir. Et il regrettait ce sacrifice pour le bien collectif, qui n'avait entraîné que des répercussions négatives sur sa vie personnelle. Durant l'attente qui avait précédé l'arrivée de la reine et de Serena, il avait soigneusement évité de chercher qui que ce soit dans l'assemblée. Cela suffisait d'être présenté aux yeux du monde comme une bête de foire, de devenir contre son gré le comédien d'une mise en scène ridicule. Il refusait de se prêter au jeu au-delà du strict nécessaire. Surtout, il évitait de croiser les regards de ceux qu'il avait trahis : ses anciens compagnons qui s'étaient opposés au traité, ses amis qu'il abandonnait en acceptant une vie bourgeoise, Arianna. Ce prénom l'obsédait à tel point qu'il se forçait délibérément à se concentrer sur d'insignifiants détails, les bijoux de Serena à qui il faisait désormais face, pour ne pas laisser libre cours à ses pensées. Si on peut appeler "pensée" ce tourbillon d'émotions primaires qui menaçait à chaque instant d'être libéré dans l'arène. Au moment de remettre son épée, il employa toutes ses capacités cognitives à faire vivre cette métaphore : un combat d'arène entre ses émotions irrationnelles, incontrôlables, des réactions instinctives qui appartiennent au domaine de l'animalité ; et sa raison, sa puissance réflexive qui s'employait désespérément à coincer l'adversaire sous le filet d'acier qu'on voit souvent aux mains des gladiateurs dans les jeux romains.

La clameur des applaudissements ramena le jeune homme à la réalité. Il considéra l'anneau d'argent à sa main d'un air perplexe puis jeta un regard autour de lui. Déjà, les deux épées étaient emportées à l'écart par des membres de l'office. Les invités se levaient dans un tonnerre de raclement de chaises et de commentaires sur la cérémonie. Serena était restée immobile, le visage habillé du même masque d'impassibilité depuis qu'elle était arrivée. Il détailla discrètement son visage, attendit qu'elle tourne la tête vers lui. À sa grande surprise, elle le regarda. Ce contact visuel fut aussi particulier que s'ils se voyaient pour la première fois, alors qu'ils venaient de passer de longues minutes face à face. William eut un léger signe de tête qui marquait, sinon sa joie, du moins son respect pour son épouse. Puis ils se séparèrent.

Sur le trajet jusqu'à la Haute-Tour, l'ex-Ombrageux se montra très distrait. Il échangea quelques mots avec d'anciens compagnons, des amis dont la sollicitude le toucha. Il marcha surtout avec Lara, attentive et prévenante comme à son habitude. Bientôt, ils arrivèrent devant l'imposant édifice. Le chemin jusqu'aux salons de réception était le même que celui qu'on empruntait pour se rendre aux appartements, et cette simple idée provoqua un regain d'inquiétude. Une fois dans la luxurieuse salle réservée à la cérémonie, il attrapa une coupe de champagne et se posta un peu à l'écart, près d'une fenêtre. Mais à peine commençait-il à profiter de ce moment de - relative - solitude qu'un officiant s'approcha pour lui signifier qu'il était tenu d'ouvrir le bal avec Serena. Il s'exécuta en dissimulant tant bien que mal son manque d'entrain. La jeune femme ne semblait pas ravie non plus, ce qui le rassura. Au moins, les choses étaient claires. Ce mariage n'était qu'une union de circonstances, et la Noble n'en attendait pas plus de choses que lui. Ils se contenteraient donc de faire le strict minimum requis par Katharina, et tout irait pour le mieux dans la nouvelle Vivendale.
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Alessandra de Marbrand
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Mer 3 Jan - 23:11



STUMBLING OVER YOU
— this is why we fight —

Hopkins, hopkins. Il connaissait ce nom. Mais d'où ? Il avait une sonorité lointaine, mais pourtant familière. Soudain cela lui revint. Jim et Lyanna Hopkins. C'était il y-a si longtemps ! Il n'avait jamais cru qu'il entendrait ce nom à nouveau, Hopkins, les traîtres, les ombrageux. Son sang ne fit qu'un tour. Et j'ai tué tes parents. pensa-t-il. Il lui semblait faire face à la mort, se tenant ainsi devant le fils de ceux qui avaient été exécuté grâce à lui. Ou bien à cause de lui. A l'époque il avait été certain d'avoir fait ce qui était le mieux, mais maintenant, les choses avaient changé. Il avait apprit qu'il n'y avait pas que des gentils contre des méchants, mais qu'il y avait des deux dans tous les camps. A présent il se demandait s'il avait fait une erreur. Peut être n'aurait-il pas dû. Il réalisa alors combien il était loin aujourd'hui de l'enfant qu'il avait été. Ce jour là, quand il avait entendu le mot ombrageux, quand il avait comprit la réelle identité des Hopkins, ils n'avaient pas vraiment réfléchi et avait couru les dénoncer. A présent, leur fils se présentait comme un rebelle lui aussi. Je suis avait-il dit. Pas j'étais. Pourtant le traité stipulait que la guilde n'était plus. Mais il ne s'en offusquait pas comme lorsqu'il avait été enfant. Cela le ravissait même, il y-avait encore des gens prêts à se battre pour cette ville, pour leur ville. Le jeune homme secoua doucement la tête, chassant l'image du couple de son esprit. C'était avant. Pourtant, une pensée n'arrêtait pas de le hanter. Caliel savait-il ? Non, sinon je serais déjà mort se rassurait-il. Personne n'avait à savoir, personne. Le secret avait bien réussi à subsister toutes ces années, sa culpabilité ne le ferait pas déterrer ce qui devait rester sous terre.

Caliel esquissa un sourire. « La bataille a drôlement fait les choses, n'est-ce pas ? » Le dénonciateur ne pouvait qu'approuver. Durant cette bataille, il avait sauvé le fils de ceux qu'il avait fait tué. Drôle, c'était bien le mot pour décrire cette situation. « Et comment » répondit-il. Ah s'il savait ! « Je ne vous remercierai jamais assez pour votre geste. » La culpabilité gagna à nouveau le jeune homme. Il le remerciait là mais, pour un autre geste, il voudrait sûrement sa tête. Il était son sauveur mais aussi son assassin. Il l'avait tué aussi, en quelque sorte, à cause de lui, Caliel Hopkins était mort pendant des années, son nom était mort pour devenir d'Erëstz. A présent, il était renaît. Caliel Hopkins était de retour. Et le nom d'Hopkin hanterait à tout jamais leur délateur. « Vous auriez fait la même chose pour moi si les rôles avaient été inversés, j'en suis certain. » Mensonge. Il ne savait pas, ne savait plus. Caliel semblait être quelqu'un de bien, et quelques minutes plus tôt, il était ravi de pouvoir discuter avec lui. A présent sa présence le gênait, le mettait mal à l'aise. Ses paroles...elles étaient révolutionnaires, comme ses parents... Il avait la vague impression que Caliel savait, et lui jetait Jim et Lyanna au visage. « C'est drôle, aussi, de voir comme les choses ont finalement si peu changées. On s'unit, on nous réduit à un tas de cendre, et toute la solidarité éclate. » - « Qui vous dit qu'elle a éclaté ? » Il posa une main sur l'épaule du jeune homme en faisant un pas, prêt à partir. Mais avant, il lui glissa un dernier mot : « Vous n'êtes pas seul » glissa-t-il dans un murmure. Si Caliel ne semblait craindre qu'on l'entende, Roy si. Il avait décidé de se battre, d'être un révolutionnaire, comme Jim, comme Lyanna, comme Caliel, mais de part son expérience il savait qu'une parole trop forte et une oreille trop indiscrète suffisait à mener à la perte.


Vinciane ! Elle était là !  « Papa ! » Elle se jeta dans ses bras comme elle le faisait enfant quand il rentrait à la maison. Il la serra contre lui au delà de l'entendement, une part de lui ne voulait plus jamais la lâcher de peur, qu'à nouveau, elle ne lui échappe. « Tu es vivant ! » s'exclama-t-elle avant de poser sa tête contre son torse. Une douce chaleur l'envahit. Il avait cru ne jamais pouvoir la sentir à nouveau dans ses bras, de pouvoir la serrer contre lui, lui caresser les cheveux comme maintenant. De la voir et la savoir vivante. « J'ai cru que... j'ai cru que tu ne reviendrais jamais... » Doucement, elle se détacha de lui pour croiser son regard avec ses yeux baignés de larmes. « Oh ma douce enfant » commença-t-il. Il lui caressa la joue du bout des doigts, essuyant ses larmes. « Comment aurais-je pu ne jamais revenir » Quatre mois il lui avait fallu pour revenir, quatre mois où elle avait sûrement dû l'imaginer mort. Chacun de leur côté avait été dans une ville frappée par la mort, Vinciane à Vivendale, touchée par la guerre, et lui, dans cette ville du Sud ravagée par la maladie. C'était la raison de son retard, la ville avait été en quarantaine pendant des mois, et le trajet pour rentrer à Vivendale lui avait prit un autre mois. Mais à présent il était là, et il ne quitterait plus sa petite fille. « Je suis désolé d'être là si tard, j'ai fait au plus vite. » Il commença à parler rapidement, submergé par l'émotion. « En arrivant ici on m'a dit que tu avais disparu avec Andrew, que vous étiez morts. » Il s'arrêta un instant, le dire tout haut avait une drôle de sonorité. Mort. Vinciane. Non, ces deux mots n'allaient pas ensemble. Vinciane allait avec vie, espoir, rien à voir avec la mort. « J'ai cru t'avoir perdu moi aussi » avoua-t-il. Un sourire s'esquissa sur son visage rougit par les larmes. « Bénis sois les dieux tu es vivante ! » Il déposa un baiser sur le front de la jeune femme, comme il le faisait jadis, lorsqu'elle était enfant, et qu'il lui racontait une histoire avant de dormir. Il lui racontait les légendes de ce monde, les histoires des dieux, mais aussi des hommes, racontant les récits des héros de leur histoire. Puis, quand le sommeil la gagnait, il l'embrassait sur le front et se retirait, la laissant dormir, les rêves peuplaient de chevaliers et autres héros.

« Et Andrew ? » demanda-t-il à demi mot. Il n'osait pas trop. On lui avait dit qu'ils étaient morts, mais Vinciane était là, peut être Andrew l'était-il aussi. La jeune femme baissa le regard avec tristesse et il comprit aussitôt. Andrew était mort, laissant derrière lui une femme, Vinciane. Sa Vinciane, veuve à un si jeune âge ! Le père attira sa fille dans ses bras et l'étreignit avec compassion. « Je suis désolé » murmura-t-il. Il connaissait la douleur de perdre l'être cher, il avait connu cette douleur il y-a quelques années, quand sa Margareth avait été emportée par la fièvre. Il se souvenait parfaitement de la souffrance qui l'avait traversé toutes ces semaines, ces mois. Encore aujourd'hui, le souvenir de sa tendre épouse était accompagnée d'une douloureuse nostalgie. Il n'aurait souhaité pour rien au monde que sa fille ne connaisse la même peine aussi tôt. La jeune femme était à l'âge d'or où tout aurait du lui sourire, elle aurait dû être mariée, avoir un enfant, et en l'espace de quelques temps, elle avait perdu les deux. « Tout va bien » Il la serra un peu plus fort contre lui. « Je suis là maintenant »


Ses mains se resserrèrent l'une sur l'autre tandis que les applaudissements redoublaient autour d'elle. Elle avait tenté, de se réjouir comme les autres, ou d'au moins feindre un certain contentement. Mais comment le pouvait-elle. Elle ne savait pas ce qu'elle pensait de cette union. C'était un mariage forcé comme il en a toujours était coutume ici. Pourtant celui ci lui semblait plus injuste que les autres. Peut être parce qu'elle se voyait dans Serena, elle revoyait son propre mariage avec son Edrick. Bien qu'elle l'ignorait à l'époque, elle aussi avait épousé un rebelle. Et elle savait ce que cela signifiait. La froideur, la distance. Avec les années, elle avait réussi à voir au delà, mais tout au long de son mariage, elle avait souffert de la situation. Pourtant elle l'avait aimé, vraiment aimé, mais l'avait réalisé trop tard. Du temps où son mari était vivant, elle n'était jamais vraiment sûre de ce qu'elle ressentait à son égard. Ce qu'elle devait ou ne devait pas faire, ou ressentir. Bloquée entre amour et obligation. Vouloir, ne pas vouloir. Elle observait les deux jeunes mariés, imaginant ce que serait leur relation. Au début, il y-aurait de la distance, comme toujours, mais par la suite... elle espérait de tout cœur que ces deux jeunes gens arriveraient à devenir amis, et même amants. Qu'ils parviendraient même à développer une certaine tendresse l'un pour l'autre, comme elle avait eu avec Edrick. Elle souhaitait qu'ils soient heureux, malgré les circonstances. Douce utopie, elle savait à quel point il était difficile d'aimer quand on nous oblige à.

Elle se laissa emporter par le mouvement de foule dans la rue, marchant jusqu'au grand hall, ouvert exceptionnellement à tous. Sur son chemin, elle levait la tête, observait les visages des gens à la fenêtre, le sourire des autres autour d'elle. Etait-elle la seule à ne pas sourire ? A se sentir comme oppressée, coincée dans tout cette euphorie. Elle se sentait comme un fantôme marchant parmi les vivants, elle évoluait parmi eux comme une ombre tandis qu'ils souriaient et riaient avec l'insouciance de la jeunesse. Elle, elle portait le poids des années sur ses épaules, tant d'années sacrifiées pour retourner au même point qu'il y-a dix sept ans. Tant d'années pour rien... On l'appelait à nouveau de Larant, comme si son mariage n'avait jamais existé. Elle insistait alors pour qu'on continue à l'appeler de Reyne, et portait encore son alliance. Un ami avait récupéré celle d'Edrick lors de la bataille, lorsqu'il l'avait trouvé gisant dans son sang, et lui avait rendu. Depuis, elle le portait en pendentif. Elle n'arrivait pas à s'en séparer. Ni de son alliance, ni de lui. Elle porta sa main sur son collier et serra l'anneau entre ses doigts. Elle n'était pas prête à mettre de côté les années qu'elle avait passé en tant que Lady de Reyne, elle n'était pas prête à redevenir Lady de Larant. Alors, elle continuait à vivre en ombre, spectre malheureux se lamentant sur la tombe de ses morts. Elle voulait choisir les vivants, mais elle n'y arrivait pas, pas encore.

Marchant devant elle, elle reconnue sa plus jeune soeur, Seyrane. Elle s'étonna de la voir évoluer seule ainsi, on l'a trouvait souvent accompagnée de Dahlia, leur autre soeur, ces derniers temps. Mais sûrement cette dernière avait dû rejoindre leur frère Eliott, accompagné de sa femme et de son fils, leur neveu. Cette pensée lui serra la cœur, Asher... elle ne pouvait s'empêcher de revoir son fils dans le visage de son neveu, lui rappelant encore et encore qu'elle ne le reverrait plus jamais. Adhara accéléra son pas pour rattraper sa jeune soeur. On lui avait raconté ce qu'il s'était passé, et elle voulait savoir comment elle allait. « Seyrane » Elle la prévint de son arrivée alors qu'elle n'était plus que quelques pas derrière elle. Puis, finalement, elle parvint à sa hauteur. « Père et mère m'ont tout raconté, sur ce qu'il s'est passé et... » Elle attrapa la main de sa soeur et la serra entre ses doigts. « ...est-ce que ça va ? »


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Dezbaa
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Expié de talent
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Ven 5 Jan - 22:55



Caliel Hopkins
— Angels, angels, please, just keep on fighting. —

Phénix. La bataille l'avait laissé poussiéreux et noirci. Là où il s'était fièrement dressé n'avait subsisté qu'un tas de cendres. Des cendres engendrées par la défaite et ses morts, et d'autres charriées du passé. On l'avait cru noyé dans le magma sombre, submergé par sa propre déliquescence — tant haïe aujourd'hui —, et disparu à jamais. Il était mort, après l'attaque témérienne, c'était vrai. Les Dieux l'avaient emporté ailleurs. Lui-même avait pensé avoir tout perdu et n'être bon qu'à pleurer un futur inaccessible. Mais quelqu'un, une femme aux grands yeux verts, lui avait rappelé que l'espoir ne pouvait pas mourir, et que faire l'effort de se battre en son nom ne tenait qu'à un brin de détermination. Elle avait aussi parlé d'un nouveau départ, une éventualité qu'il avait immédiatement rejetée. Il ne voyait pas, en Katharina et ses guerriers, la floraison d'un monde neuf. Il avait trop lutté, trop perdu, trop cru, et trop été désillusionné, pour croire en cela. Enfin, elle avait évoqué des avantages. Ils étaient d'ici, ils étaient les filles et les fils, les mères et les pères, les sœurs et frères, les épouses et les époux. Ils étaient d'ici, sortis de la terre vivendalaise, pétris par l'air, la pluie et le soleil, destinés à retourner au sol riche lorsque leurs os deviendraient poussière. Ils connaissaient les contes et légendes, les us et coutumes, les recoins et les cachettes. Alors, les cendres froides s'étaient embrasées, étreintes par un feu ardent, et le phénix, les ailes déployées, avait surgi des décombres. Désormais, il s'élançait vers le ciel, et répandait dans son sillage majestueux une traînée d'étincelles. Il visait les étoiles ; pour mieux retomber en piqué sur les Témériens et les brûler de ses flammes sauvages.
Caliel adressa un sourire à Roy, plus franc que courtois, cette fois. Il disait vrai — à tout le moins, il espérait qu'à sa place, il aurait eu la force d'intervenir et de sauver la vie menacée. Il voulait qu'en lui sommeille cette fibre altruiste renforcée par une bravoure infaillible, ne serait-ce qu'une bravoure de l'instant, qui s'évanouirait nonchalamment aussitôt le danger écarté. L'ancien noble posa une main sur son épaule ; l'Ombrageux baissa les yeux dessus, intrigué, avant de relever la tête et croiser son intense regard bleu. Les mots qu'il murmura, quatre mots, le figèrent littéralement sur place. Il avait cru les alliances éviscérées ; d'une phrase, Larisson avait ravivé les liens que la bataille avait construits et déconstruits. Les chaînes de la solidarité n'avaient pas été brisées à chaque poignet : elles soudaient encore, simplement leur cliquetis ne se répercutait plus en mille échos dans les cœurs vaillants. Il n'était plus qu'un chuchotement, que seuls les plus silencieux pouvaient ouïr.

Un nouvel élan de volonté déferla sur tout son être. Son palpitant bondit, emporté par une danse qui n'avait rien d'harmonieux, mais qui le rendait étrangement heureux. Un large sourire courait sur ses lèvres, qu'il promena autour de lui tandis qu'il observait les convives, avec l'intime conviction que tous les récents événements ne signaient en réalité que le début de quelque chose de plus grand. L'Ombrageux y participerait. D'un mouvement souple, il pivota, ferma les yeux une fraction de seconde dans une expression de délice, puis s'éloigna. Il s'éloigna de la foule, pour mieux se rapprocher de son objectif.
Chacun participait à la fête, avec une ardeur plus ou moins palpable, et tous l'ignoraient. La couverture de l'anonymat le drapait avec une délicatesse maternelle. Il se souvint brutalement de sa mère, son père, son frère, et de toutes ces personnes qui s'étaient sacrifiées pour les mêmes idéaux dont il souhaitait brandir l'étendard aujourd'hui. La pulpe de ses doigts glissa sur le mur de pierre, avant qu'il ne se décidât finalement à gravir les marches. Précautionneux, il prêtait attention à chacun de ses pas. Il renouait avec cette attitude d'éveil perpétuel qu'il avait eue au cours de ses premiers temps au sein de l'Enclave.
Les couloirs de la Haute-Tour s'imprégnaient d'une atmosphère particulière. Âcre, vétuste... et pourtant forte, prégnante. Il n'aurait su poser dessus les mots exacts, mais il y sentait le poids du passé de deux façons différentes : comme s'il avait à la fois fait partie du présent, inscrit dans les veinures des blocs de craie, et était rattaché à un héritage trop lointain pour qu'il habitât encore les parois ancestrales. Caliel regarda à droite, puis à gauche, avant de s'engouffrer dans le dédale de corridors. Il avait souvent pris le temps d'imaginer ce moment. Il aurait probablement dû survenir des années auparavant, néanmoins, il lui semblait à cet instant qu'il n'aurait pu y avoir meilleur temps. La plupart des gardes participaient aux festivités ou les surveillaient, quelques uns demeuraient devant les appartements royaux, sûrement — mais il ne s'y rendait pas —, sans doute en subsistait-il qui opéraient des tours de garde, mais il ne s'en souciait pas. L'écho de sa solitude se répercutait contre les parois froides.

Il savourait ce qu'il croyait être les prémices de sa délivrance. Son opération clandestine ne se révélerait peut-être pas aussi fructueuse qu'escomptée, mais elle serait au moins l'accomplissement d'une part des espérances qui voletaient autour de ses pensées, captivantes comme des papillons aux longues ailes irisées. Tout ce qu'il trouverait pourrait s'avérer utile : aucun indice, aussi mince fût-il, n'était négligeable. Soudain, son regard s'arrêta sur une petite porte. Le bois avait vécu : entre les jointures de métal, on voyait qu'il s'était tordu, dans une tentative absurde d'échapper à un destin préconçu. Le rebelle frissonna. Il pensait savoir où il se trouvait. Il avait atteint l'extrémité de l'un des couloirs. Plusieurs fois, il les avait parcourus, du temps de son séjour dans l'Enclave, ou tandis qu'il espionnait la fille Hart... mais jamais il ne s'était aventuré jusqu'ici. Une autre porte, plus large, mieux ouvragée, clôturait le tunnel. La salle du conseil. Il déglutit, presque mal à l'aise, anxieux, au moins. Il ignorait si Katharina organisait toujours des sessions gouvernementales ici, mais il savait que, durant des années, la pièce avait abrité les manigances des Trois. Peut-être y trouverait-il quelque chose, n'importe quoi, un microscopique détail qui saurait l'aiguiller dans sa révolte ? Décidé, il voulut s'en approcher, mais à cet instant un bruit retentit. Sans plus réfléchir, il abaissa la poignée de la petite porte et s'engouffra dans la salle, en essayant de refermer le plus doucement possible derrière lui.
Son souffle saccadé lui paraissait produire un son épouvantable ; pourtant, le claquement des pas et le tintement du métal ne s'intensifièrent que pour mieux s'estomper. Un soupir de soulagement franchit ses lèvres, et l'Ombrageux se laissa aller contre le bois. Ses yeux scrutaient son environnement. Des étagères et des bibliothèques grimpaient méthodiquement le long des murs, et sur celles-ci s'alignaient différents coffrets, livres et liasses. Il se redressa pour s'en approcher, et lut, sur la tranche de l'ouvrage le plus proche « Récoltes de céréales  - an 1290 à 1300 ». D'un geste rapide, il s'en saisit et l'ouvrit. Les pages défilèrent : des lignes de chiffres et de noms s'alignaient, les unes après les autres, et convergeaient régulièrement vers un total annuel. Caliel garda les sourcils froncés, curieux, lorsqu'il comprit où il se trouvait. Une salle d'archives.
Il eut un souffle saccadé et fébrile. Des archives... Nécessairement, des comptes devaient être tenus au sujet du nombre de soldats et d'armes, des piles de feuilles devaient détailler des projets et des ambitions, et peut-être même que quelques papiers portaient la signature de la Reine de l'Autre Terre, mais il n'y songeait plus. Une pensée l'avait frappé avec une telle puissance qu'il ne pouvait l'ignorer, et le poussait à parcourir les titres et les catégories avec un empressement tremblotant. Ses pas résonnaient au creux du haut plafond, auquel s'agrippait tous ses désirs. Bientôt, il s'arrêta, et son cœur avec lui. « Condamnations - an 1250 à 1260 ». « 1260, 1270, 1280 ! » Il tendit une main impatiente, mais se retint dans son élan. Qu'espérait-il trouver, sinon des souvenirs douloureux ?

Pourtant, il attrapa le livre. La couverture de cuir portait les marques d'une usure d'utilité, et les pages étaient cornées. Il posa le registre sur le petit bureau qui meublait le centre de la pièce, et tira le fauteuil, qui racla le sol dans un cri strident, pour s'y asseoir. Encore, il observa l'objet de sa convoitise. L'émotion le secouait ; une émotion trouble, qu'il ne parvenait pas à définir, qu'il ne prenait pas la peine de vouloir définir. Enfin, il se décida à ouvrir l'ouvrage et à chercher la page de l'année 1281. Il vola de larcins en agressions, de pillages en viols, sans s'interrompre. Il avait une idée fixe, qui sembla défaire son emprise sur sa conscience lorsqu'il vit écrit, à l'encre noire, en lettres effilées : « trahison ». Cependant, il ne s'agissait que d'un noble qui avait déraisonnablement prêté allégeance à un seigneur voisin, qui convoitait Vivendale. L'idée fixe revint, et il tourna encore les pages, jusqu'à découvrir une nouvelle condamnation pour trahison. Cette fois, les noms de Jim et Lyanna Hopkins suivaient la raison du jugement. Caliel se raidit, et ses yeux commencèrent à s'embuer. En juillet, cela ferait vingt-et-un an. Pourtant, il subissait encore ces moments de mélancolie et de perdition, qui faisaient chavirer son âme sans se soucier de son bien-être. La paix, la paix lui manquait. Il fantasmait cette sérénité au point qu'il ne réalisait pas que, même une fois vengés, les fantômes de ses parents le hanteraient. Sa revanche ne lui apporterait pas la paix, mais probablement une guerre supplémentaire. Ce qui pourrait le sauver de sa douleur, c'était l'indifférence. Mais Caliel avait aimé Lyanna et Jim pour ce qu'ils avaient été à ses yeux : des parents et des héros. Il les avait érigés en modèles et en dieux, et ce faisant, sans s'en douter, il avait préparé son esprit et son cœur à ne pouvoir pas accueillir la trêve des sensations.
Ses yeux glissèrent sur l'écriture fluide qui couvrait la page. A la vérité, il lisait sans véritablement comprendre. Il dut s'y reprendre à plusieurs fois. Les statuts civils des deux Ombrageux étaient énoncés, les charges inscrites, les circonstances de l'arrestation explicitées... Roy Larisson. Le nom se détachait sur la page jaunie. Caliel sursauta et les pieds de la chaise crissèrent contre le sol de pierre. « Non... » Impossible ! « Non ! » Pas lui ! Il frappa du poing sur la table, soudainement saisi d'une colère ravageuse. « Ça ne peut pas... » A nouveau, il lut le nom de l'ancien noble. Une ire qui l'avait habité durant des années, mais qu'il n'avait jamais vraiment su contre qui diriger, dévorait ses entrailles. Elle griffait et enflait comme un monstre, un enfant démoniaque qu'il lui faudrait délivrer à la vie, sans doute en embrassant la mort, et rongeait le peu de raison qu'il lui restait. Brusquement, il se leva, et se mit à faire les cent pas. Des bruits sourds montaient de sa gorge, et ses mains s'accrochaient à ses cheveux comme s'ils constituaient la dernière barrière à maintenir son esprit dans son crâne. Des larmes s'étaient mises à rouler sur ses joues rougies et défigurées par la colère et la tristesse. « Non non non non non... » Et il n'a rien dit ! Comment aurait-il pu oublier le nom de ceux qu'il avait envoyés à la potence ? Comment avait-il pu le regarder en face, droit dans les yeux, et lui dire qu'il n'était pas seul, quand il était celui qui avait ouvert la porte à la solitude qui comblait ses jours comme ses nuits depuis bientôt quinze ans ? Comment pouvait-il prétendre se rebeller alors qu'il avait opprimé ? Avait-il calculé son geste, le jour de la bataille, afin d'être certain que Caliel ne pourrait pas le tuer, en créant cette redevance éternelle ? Il chassa aussitôt cette pensée, parce que Roy, à ce moment, ignorait tout de sa véritable identité. Mais comment pouvait-il se voir dans un miroir ? Comment ? Et puis ; pourquoi ? Pourquoi avoir dénoncé les Hopkins ? Par pure fidélité au Haut-Gouvernement ? Peut-être était-ce l'hypothèse la moins repoussante... ou la pire, il n'aurait su le dire. Tout se brouillait ; son cerveau était incapable de suivre, d'assimiler cette information et de la traiter convenablement. Il s'empêtrait dans des théories et des idées saugrenues qui frisaient la paranoïa.

Rageusement, l'orphelin écrasa de sa manche les perles de pupilles qui creusaient ses pommettes. Il jeta un regard noir au carnet avant de s'en approcher d'un pas vif, de poser à plat sa main sur la page de gauche, et d'arracher celle qui l'intéressait. Il l'observa à peine. Rapidement, il la plia, avec un soin qu'il exécra, parce qu'il aurait préféré la froisser — mais il désirait qu'elle fût toujours lisible. Il referma le livre dans un claquement sonore et le retourna à sa place d'un geste à la fois sec et tremblant de rage. Puis, il appuya un bras contre le rebord de la bibliothèque, et posa sa tête contre celui-ci. Il ferma les yeux. Au bout de ses cils, des larmes menaçaient encore de tomber. Il devait partir. Retrouver Larisson. Le faire parler. Pour comprendre. Pour avancer.
Un soupir haché par les sanglots secoua son grand corps. Il devait rester. Trouver d'autres éléments, ne pas se concentrer sur sa petite personne, comme il l'avait si bien fait pendant cinq ans... Il inspira, comme si l'air extérieur se chargeait de courage. Avec volonté, il se redressa, et tourna son regard crispé par les pleurs vers les autres étagères. Il s'avança vers l'une d'elles, et commençait à fouiller, lorsque la petite porte au bois vivant s'ouvrit dans un grand fracas.

Trois Témériens émergèrent de la pénombre du couloir. Ils tenaient de lourdes épées, sur lesquelles les rais de lumière du soleil frappaient. Caliel eut un mouvement de recul, jeta des regards en tous sens, dans l'espoir de trouver une échappatoire ; mais il était coincé. Son pouls battait si fort qu'il n'entendait pas ce que disait les soldats. Lui n'était pas armé. Il n'avait aucune chance de s'en sortir... pas tout de suite, pas ainsi, en tout cas. Alors, il fixa son regard clair sur les étrangers, et les laissa s'approcher, muet, figé. Cependant, lorsqu'ils furent assez près, tout son corps sembla s'éveiller : il bondit sur l'un d'eux, qui trop peu méfiant avait baissé sa garde, lui tordit le bras et lui arracha son épée, avec le pommeau de laquelle il l'assomma. Les deux autres prirent aussitôt position. Les lames entamèrent un chant métallique rythmé par les pas de leurs danseurs.
L'Ombrageux était doué. Il avait bénéficié d'un entraînement de qualité, et avait toujours trouvé dans l'exercice de l'escrime une finesse et une agilité qui lui plaisaient, pourtant, cela ne fut pas suffisant. En quelques mouvements, les deux guerriers l'acculèrent au mur, et le forcèrent à lâcher son arme, qui retomba au sol dans un cliquetis. Sans ménagement, l'un d'eux le saisit par l'épaule et le retourna, face au mur, tandis que son collègue nouait ses poignets à l'aide d'une corde rude. La colère peignait encore ses traits et agitait d'autant plus ses organes, néanmoins, il les suivit — presque — sans rechigner. Rendus dans le couloir, ils hélèrent un autre garde pour l'informer que le troisième avait peut-être besoin de soins. Puis, ils le conduisirent jusqu'aux escaliers, et ils se mirent à descendre, descendre, descendre... Caliel n'y était jamais allé, mais il devinait sa destination : les cachots.

La pénombre nimbait les lieux. Il avait fini par s'asseoir dans un coin de sa cellule, là où une maigre paillasse avait été installée. En dépit du peu de luminosité, il tenait devant lui la page qu'il avait arrachée, et ne cessait de la relire. Trop incroyable, trop terrible, trop précieuse. Un bruit de pas le tira de sa torpeur agitée. Précipitamment, il cacha la feuille dans sa chemise et entoura ses genoux de ses bras. Bientôt, une silhouette se dessina et se posta devant sa prison. Il s'agissait d'une femme, vêtue d'une robe rouge cintrée. Ses longs cheveux blonds coulaient sur l'une de ses épaules. Une sbire de Katharina. « Qu'est-ce que vous allez faire de moi ? » attaqua-t-il, une lueur de défi rivée à ses iris. « Oh, moi, rien. C'est à notre reine de décider. » Un sourire narquois couvrit les lèvres de la Témérienne. Il eut immédiatement envie de le lui effacer, et fronça d'autant plus les sourcils. « Mais ne t'en fais pas, je suis sûre que pour un traître comme toi, son imagination saura trouver des merveilles. » Elle s'accroupit pour être à sa hauteur et enroula ses doigts autour des barreaux. « Un Ombrageux qui faillit à sa parole en brisant des clauses du traité, dont la principale : ne pas continuer à mener cette foutue guerre clandestine contre le gouvernement témérien... » Une fois de plus, elle sourit. « Cette guerre est encore plus insensée que le jour où vous l'avez commencée. » trancha-t-elle finalement. « Nous vous avons délivré. » Le cri fusa, tandis qu'il se jetait en avant, menaçant : « Vous n'avez rien délivré du tout ! Vous avez massacré ! Vous nous avez massacrés ! Tous ! » Un rire cristallin se brisa contre les oreilles de Caliel. Elle n'avait même pas reculé. « Quelle belle détermination... ça ne t'aidera en rien. » Elle secoua la tête, et quelques boucles blondes glissèrent dans son dos. « Tu es le premier. Pas de quoi être fier, mais il faudra faire de toi un exemple. » Pour l'exemple... Il revit ses parents sur l'estrade de bois. L'espace d'un instant, les traits de son visage se détendirent en une expression d'effroi mêlé à de l'affliction, avant de retrouver le masque de haine qu'il arborait depuis l'apparition de la guerrière. Il planta ses yeux dans les siens et ne dit mot. Il était prêt à tout affronter. Elle sourit, peut-être un peu plus tendrement que les fois précédentes. « Moi, en tout cas, j'ai bien hâte de voir ça. Ça en calmera peut-être certains. » Elle se redressa, et sans un regard de plus, repartit d'où elle était venue, dans ce drapé rouge sang qui ondulait contre l'air.

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Malbe
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Jeu 18 Avr - 13:11



Charlie Peterson
STUMBLING OVER YOU —


Si autrefois Charlie avait vu en Aria une lumière, aujourd'hui, il ne voyait que noirceur. Il ne désirait que la repousser, tourner les talons et s'enfuir en courant, ne plus jamais penser à elle, prendre Luke et Mel sous le bras et les lui arracher, la couper de sa vie à tout jamais. Toute la personne d'Arianna Wadson lui déplaisait. Il détestait ses mots, haïssait les traits de son visage, méprisait les sentiments auxquels elle lui faisait croire, et exécrait par dessus tout le pouvoir qu'elle avait eu sur lui. Aujourd'hui, il avait ouvert les yeux, Katharina lui avait ouvert les yeux. Et il avait une mission à accomplir, avant de pouvoir tirer un train sur Arianna Wadson.

« Je ne t'ai pas vu, j'étais... c'est compliqué, tout s'est passé si vite. Quand est-ce que tu m'as vu Charlie ? Avant ou après Jason ? » Jason ? Jason Airwer ? Le Haut-Gouverneur ? Arianna poursuivit sa pénible tirade tandis qu'il haussait un sourcil... Ainsi, La Reine d'Argent avait eu raison sur toute la ligne, Aria venait de le confirmer. Il baissa la tête vers ses nouvelles chaussures vernies, la mine froissée. Katharina avait été au courant de tout cela bien avant lui, alors qu'elle n'avait jamais même vu Arianna. Lui, avait vécu des années à ses côtés, et il ne savait rien d'elle. La trahison était plus absconse qu'il ne l'aurait cru. Il n'était pas surpris. Il n'était pas non plus déçu. Il était simplement davantage résolu à la desservir en retour, et à apporter à Katharina ce qu'elle avait demandé. Il releva le menton. La brune était toujours en train de déverser son flot d'hâbleries, diableries, fourberies imposteurs, elle débitait ses mensonges férocement, les larmes tricheuses roulaient presque sur ses cils et ses lèvres tremblaient tendrement pour quémander l'indulgence. Elle ignorait qu'il était détaché, et elle jouait sa prestation d'actrice à la perfection, comme elle avait toujours su si bien faire. Elle attrapa le bras de Charlie. Malgré lui, ce contact le révolta et il recula. Alors qu'elle en était perturbée, et s'excusait, Charlie se mordit l'intérieur des joues. Il se ressaisit. Arianna se tenait le front, Charlie fit un pas vers elle. « C'est assez confus sur la fin, mais le début est très clair. Quand je t'ai dis que je viendrais, je le pensais, je pensais le penser, je... Je pensais vouloir partir, j'y croyais vraiment Charlie. La brèche, s'enfuir de Vivendale ! » Elle se tourna vers lui. « Je ne t'ai pas menti pour te mentir, je n'avais même pas conscience que c'était un mensonge. Je... je n'ai réalisé qu'après, qu'une fois qu'on était parti chacun de notre côté, que je ne voulais pas partir. Et même, je serais revenu à notre rendez-vous, pour te dire de partir sans moi, pour te dire aurevoir et vous souhaitez bon courage, je n'aurais pas juste disparu comme ça. » Il faillit sourire tant cette réponse était absurde. Il se demandait jusqu'où elle pouvait aller. Charlie avait été préparé. En allant chercher la Wadson, il ne s'était pas attendu à quelconque logique de sa part, il savait déjà qu'elle se livrerait véhément au discours de sa défense, quitte à mentir davantage et se ridiculiser.  « Et je n'ai jamais été prisonnière de Vivendale. » Jamais ? Elle piqua sa curiosité. Qu'inventerait-elle maintenant ? « Je le croyais, comme je... comme l'on pensait qu'il suffirait de s'enfuir d'ici pour trouver un "mieux". Tu penses que c'est mieux là-bas ? Le Sud, l'Est, l'Ouest, c'est probablement plus joli oui, probablement plus agréable, mais ce n'est pas mieux. Je...j'ai compris, bien trop tard, que Vivendale n'était pas l'obstacle, c'est la vision que j'en avais, elle était juste trop restreinte. » Elle s'approcha de lui, et lui ne la quittait pas des yeux, passionné par le nombre de fades excuses qu'elle pouvait aménager à son récit. « La brèche, c'est Vivendale. » Elle souriait. Lui, non. Ainsi, depuis des décénnies, ils vivaient tous dans l'ignorance que Vivendale était leur salut, leur chance. Ils n'avaient jamais su que la ville était ce qu'il y avait de mieux pour eux. Depuis trente ans, Charlie pensait être victime de sa condition alors qu'il aurait dû en tirer profit, ils auraient pu exploiter les avantages de leur situation, ils s'étaient fourvoyés depuis toujours. Avant, ils avaient tous les deux pensé que Vivendale était leur fatalité ; désormais, elle disait que rien n'était une fatalité à Vivendale.... Si cela était possible, Charlie détesta la Wadson encore un peu plus. Il aurait pu nouer ses doigts autour de ce cou fragile et serrer, serrer jusqu'à ce que sa vengeance soit satisfaite... Mais il inspira et frotta son menton lisse. Il ne savait toujours pas ce qu'il s'était passé dans la vie d'Arianna pour qu'elle tînt ce discours, mais il devait sûrement être sur la bonne voie. Que s'était-il passé, et que se passait-il depuis tout ce temps sans qu'elle ne l'ait jamais mis au courant ? Ses mains le démangeaient tout de même... s'il la tuait maintenant, personne ne le saurait jamais ! Il pouvait aussi la pousser de la terrasse, la contempler tourner dans le vide. Les autres croiraient qu'elle s'y était jetée. Il regarda la jeune femme en imaginant ce qu'il ressentirait si elle mourrait. Son coeur pulsait calmement, apaisé par l'idée. Il pinça les lèvres. Mais ce serait trop simple, et trop égoïste. Il devait penser à sa famille. Sa famille, Charlie ne la retrouverait qu'une fois la mission achevée. Et sa mission n'était pas de tuer Arianna ; c'était de lui parler. Charlie déglutit. Il devait tout savoir... Elle devait tout lui dire... Il fit claquer sa langue à son palais. « D'accord... » Il hocha doucement en passant une main dans ses cheveux. Aria releva la tête. Il hocha de nouveau, plusieurs fois, déjà convaincu. « D'accord. Vivendale est la brèche. » Étrangement Charlie ne paraissait pas fou. Il était au contraire, posé, sérieux, ouvert d'esprit. « Je pense que tu as raison. » Parce qu'aujourd'hui, Charlie savait que Vivendale avait changé. Pas forcément pour le meilleur, mais au moins en mieux. Il s'approcha pour attraper les épaules de la brunette. Ses deux grandes mains posées sur le corps frêle de son ancienne amie, il parût tel qu'il avait été ; l'évidence manifeste d'une force d'esprit, un coeur inévitablement loyal poussé à l'impératif, la stabilité promise réelle, infaillible. Il réussit à faire croire. Elle était sa soeur ; il était encore le protecteur, soutien éternel. « Vivendale est la brèche, tu as raison Aria. » Elle le fixait, un peu surprise, les yeux arrondis. Il eut un sourire furtif devant sa réaction, comme attendri. « Non, vraiment. Je crois qu'à présent, Vivendale a beaucoup à offrir, à nous tous. Elle a toujours été en mesure de donner, de promettre, mais pas à tout le monde. Aujourd'hui elle le peut. » Il glissa ses paumes pour prendre ses mains dans les siennes. « L'esclavage forcé, les assassinats dans le village, les morts inexplicables, les vols, les attaques, les revanches, les gardes, les couvres-feu, la misère, la faim, la peur constante, la vie infernale... Tout cela, c'est fini. Et pas seulement pour nous deux, pour tout le Village. » Il ne lâchait pas ses prunelles vertes, les sourcils froncés, touché. « Aria... les Trois sont finis, l'ancien régime est mort, et nos vies vont changer. Je ne sais pas ce qu'il va se passer, tout est incertain maintenant. On est dans une sorte de transition bancale. On peut pencher d'un côté comme de l'autre. Et je crois que malgré la Guerre, malgré les événements, malgré les Témériens, ... peut-être .... peut-être qu'on nous offre une chance. »

Il lui sourit. Elle papillonna. Charlie soupira en caressant tendrement les bras maigres de la jeune femme. Il voulut ajouter quelque chose mais haussa plutôt les épaules. Puis, il alla l'embrasser rapidement sur le front. « On se verra tout à l'heure, on pourra continuer à discuter. D'accord ? Il faut que j'aille voir Luke et Meli maintenant, ils m'ont beaucoup manqués eux aussi. » Et il lui sourit plus largement, avant de partir à la recherche de sa fratrie.

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Seyrane de Larant
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Lun 22 Juil - 2:22




william p. thawerson

― nothing seems as pretty as the past though ―



Suite à cette entrée en matière réaliste, William s'était empressé de retrouver la compagnie consolatrice d'une fenêtre et d'un verre d'alcool. Cela faisait à peine quelques heures que sa nouvelle vie avait commencé, et il se sentait déjà pris au piège entre le faste des salons et l'hypocrisie des invités. Lara avait momentanément disparu, et il pensa avec une certaine appréhension au petit être qui se faisait un chemin dans ses entrailles. Déjà, parce que malgré leur discussion quelques jours plus tôt, l'horizon de sa paternité était particulièrement brumeux. Ensuite, parce que désormais, non seulement il allait falloir affronter un véritable dragon, mais en plus d'autres révélations étaient à venir. Il était décidément en très mauvaise posture. D'ordinaire, il ne craignait pas le conflit. Mais cette fois, sa défense était bien maigre face à l'épée de Damoclès que constituaient les reproches légitimes qui lui seraient adressés. Qu'il tente la moindre approche, et le fil retenant l'épée était tranché. La discussion qu'il préparait en son for intérieur depuis plusieurs jours aurait été bien plus facile sans ces picotements dans la gorge et dans les doigts à chaque fois qu'il discernait la silhouette de la brune. Mais William ne se faisait pas d'illusions. La jeune femme pouvait le maudire au nom de tous les dieux, anciens et actuels, en appeler à leur justice, lui cracher au visage le venin dont elle avait la spécialité quand elle était courroucée, le frapper, l'humilier, l'ignorer, ces sensations-là ne s'en iraient pas de sitôt. Son projet tenait donc plus du saut dans la gueule du loup que de la tentative optimiste de réconciliation. Heureusement, pour l'instant, les convives étaient trop occupés à déguster les mets fins du buffet, savourer les meilleurs alcools du continent et s'accorder une danse de temps à autre pour s'intéresser à qui que ce soit, marié compris. Aucun regard désapprobateur ne viendrait le chercher dans le recoin de cette fenêtre pour le rappeler à ses obligations nuptiales.

Comme de coutume, l'alcool le rendait songeur. Il chercha à identifier le moment où le cours des évènements avait basculé. En réalité, cela s'était produit à plusieurs reprises au cours des derniers mois. Déjà, à partir de quand s'était-il mis à prévoir de prendre des coups, de son plein gré, dans un autre contexte que celui de l'entraînement ? Il fallait que ce petit bout de femme soit véritablement spécial pour être à ce point déchu de tout honneur guerrier. Ensuite, quand avait-il perdu de vue ses idéaux de toujours ? Collaborateur d'un système honni, père d'un enfant ici, époux d'une femme là. Une vie rangée de petit-bourgeois, avec son aventure adultère pré-conjugale ; était-ce donc cela qu'il était condamné à vivre jusqu'à la tombe ? Plutôt mourir aujourd'hui, dans ce cas. Qu'Arianna lui rende la monnaie de sa pièce et se venge à coups de dague. Il ne voulait pas d'une telle existence. Elle ne correspondait en rien à ce dont il avait toujours rêvé, à ce qu'il avait prévu. Et il n'était pas le genre à accepter un état des choses insatisfaisant. William voulait modeler, maîtriser, dominer la réalité. Il considérait ce volontarisme comme une force d'âme ; c'était ce qui lui avait permis de survivre, depuis toujours, et remettre ce moteur en question était impensable. La vie semblait décidée à lui enseigner ce qu'il refusait d'admettre, mais la marge de manœuvre était encore là. Il se devait de jouer le tout pour le tout ; de toute façon, lorsqu'il serait acculé au bout de son système insoutenable, il n'aurait d'autre choix que de penser différemment. Le jeune homme était ainsi absorbé par des pensées toutes plus réjouissantes les unes que les autres, quand il aperçut l'ami d'Arianna qui s'éloignait. Un regard confirma cette information ; la jeune femme devait désormais être seule. Presqu'à regret, il quitta l'appui confortable de l'encadrement de fenêtre, où il laissa d'ailleurs son verre. D'un pas souple, il se glissa dans la foule, contourna les convives agglutinés autour des tables et pénétra dans le petit salon où il avaient entraperçu la brunette quelques dizaines de minutes plus tôt. Elle se tenait désormais sur un petit balcon qui surplombait la ville et semblait absorbée par la vue. Il s'arrêta dans l'encadrement de la porte, silencieux comme une ombre, et s'accorda le loisir de la contempler quelques instants. Même de dos, sa silhouette était douloureusement familière. Il lui sembla qu'il aurait pu en tracer les lignes les yeux fermés, à main levée. Il ne savait même plus comment adopter l'attitude raidie et glacée imposée par le conflit, après tant d'intimité.

Un pas en avant suffit pour qu'Arianna réalise sa présence, et elle dut deviner l'identité du visiteur car elle s'immobilisa dans une posture crispée, sans pour autant se retourner. Un pas supplémentaire. Briser le silence oppressant qui les entourait semblait déjà insurmontable. Il avança encore, lentement, jusqu'à se trouver à côté d'elle. « Arianna... » Lui qui avait abandonné ce prénom pour le diminutif habituel, pour une introduction décontractée c'était manqué. Ses mains cherchèrent l'appui de la rambarde. « Je sais que tu m'en veux. Je suis sincèrement désolé, et je sens que je vais devoir réitérer ces excuses pour que tu les entendes. J'aurais du te le dire. Alors, ça me paraissait inutile et même une mauvaise idée. On était si bien, on n'avait pas besoin de ça. Évidemment, maintenant, ces considérations n'ont plus de sens. Mais je ne voulais pas nous gâcher ces moments-là. » Il se tut. C'était, de toute manière, son seul argument de bonne foi - et il était véridique ! Mais ça n'allait pas suffir, il le savait parfaitement. Il hésita un instant. Un secret supplémentaire suffirait à ruiner définitivement la relation. Mais il ne voyait pas comment amener la question du bébé en douceur, alors que la brune irradiait la rage pure. Il choisit d'attendre - probablement pas la meilleure alternative.
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Alessandra de Marbrand
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Mer 24 Juil - 18:30



arianna hart

― And we would fall down and we would slowly fall apart ―




We were out and out, through the storms, through the night
We were running in the dark, we were following our hearts
And we would fall down and we would slowly fall apart

Vu d'en haut, les autres lui semblaient appartenir à un monde à part. En bas, ils fêtaient les noces dans des verres qui trinquent les uns contre les autres et des chants. Certains se tentèrent à des discours qui, entrecoupés par les rires et quelques interruptions dans l'audience, n'avaient à la fin plus ni queue ni tête. Les musiciens solitaires s'étaient regroupés pour former de piètres groupes éparses qui, ci et là dans les rues, entonnaient les partitions classiques. Elle reconnu là, alors que nul n'en chantait les paroles, les premières notes de La Reine Brisée. Du bout des lèvres, alors que les cordes des harpes étaient pincées à l'unisson dans une mélodie douce et triste, elle se rappelait les paroles de cette chanson qui évoquait la Reine Jehanne. Finalement, un rhapsode entama un couplet.

C'est troubles qu'elle voit les vents
Tristes qu'elle entend les chants,
L'exil froid, les étoiles sombres,
Qui coulent en papillon d'ombre;

Elle entendit des pas derrière elle. Nul ne pipa mot mais elle reconnu là le son des pas d'un homme qu'elle aurait préféré ne pas revoir. Elle sentait déjà ses yeux lui piquaient et vint les frotter d'un revers de main comme pour en effacer les larmes qu'elle refoulait vivement. « Arianna... ». Non non non, elle ne voulait pas de lui ici. Elle voulait qu'il parte. Pourquoi ne pouvait-il pas le comprendre ? Elle aurait voulu lui crier de déguerpir, de dégager de sa vue et de ne jamais revenir mais sa gorge était comme nouée. Ignorant ces supplications silencieuses, il s'avança jusqu'à venir à côté d'elle s'appuyer sur la rambarde. Traversée d'un frisson, ses doigts se serrèrent sur la rambarde alors qu'elle regardait en bas. Elle s'était demandé un peu plus tôt que n'était-elle pas en bas elle-même à rire et chanter. Bougre ! Qu'elle aurait voulu y être en bas, partout plutôt qu'ici. « Je sais que tu m'en veux. Je suis sincèrement désolé, et je sens que je vais devoir réitérer ces excuses pour que tu les entendes. » Ce qu'elle aurait voulu, là, c'est qu'il se taise, c'est qu'elle puisse continuer sa vie, et continuer à écouter La Reine Brisée qui se jouait en bas.

Tourbillonnent l'élan de guerre,
Luxuriance tendresse vulgaire,
Tachent ses songes soleils d'ors,
Et encore, c'est à la gloire du Nord

Elle ne voulait pas entendre ses excuses, elle les avait déjà lu, des semaines auparavant, dans une lettre qu'elle avait brûlé à la flamme d'une bougie. Ces stupides excuses, avait-elle songé, finiraient stupidement gâchées. Et elle avait regardé le morceau de parchemin se noircir alors qu'elle-même se martelait l'esprit de stupides excuses pour expliquer sa stupide réaction. « J'aurais du te le dire. Alors, ça me paraissait inutile et même une mauvaise idée. On était si bien, on n'avait pas besoin de ça. Évidemment, maintenant, ces considérations n'ont plus de sens. Mais je ne voulais pas nous gâcher ces moments-là. ».

De la Dame nous chantons sa mémoire,
Ornement d'Ivoire dans l'histoire,
La Reine Brisée chancelle sous la mort,
Et encore, c'est à la gloire du Nord.

Elle refoula vivement ses larmes. « On était si bien » répéta-t-elle dans un rire mêlé de larmes naissantes. Elle poussa un soupire. « Tu penses vraiment qu'on était bien alors que tu me mentais » Elle s'arrêta un instant, songeant aux moments qu'ils avaient partagés, aux moments où il aurait pu lui dire. Il n'en avait rien fait. A la place elle l'avait découvert de la bouche d'un des soldats du palais. Ah ! N'aurait-il pas été mieux qu'elle le sache de lui. « Tu m'as mentis » conclut-elle. Etait-ce vraiment un mensonge ? Il n'avait fait qu'omettre la vérité, une nuance qu'elle n'arrivait cependant pas à lui accorder dans sa colère. « Tu t'es bien foutu de moi ». Elle releva les yeux mais se garda bien de les tourner vers lui, fixant résolument les tuiles des toits de la ville elle enchaîna. « Mais maintenant c'est fini » Cela l'aurait été dans tous les cas, qu'il lui ait dit avant ou non. Serena n'aurait probablement pas été froissée des infidélités de William si ce dernier en commettaient, aussi indiscrètes étaient-elles, mais si le bougre pensait que cela lui permettrait alors de la prendre pour maîtresse il se trompait. Elle était une bâtarde et savait à présent ce que la ville pensait d'eux, des enfants nés hors mariage, et de leurs parents. Et puis..., aussi égoïste était-ce, elle ne voulait pas finir seule. Mais pour cela elle devait arriver à se détacher de lui. « C'est fini, c'est fini » répéta-t-elle dans un murmure à peine audible, comme pour s'en convaincre elle même.

De la Dame nous chantons sa mémoire,
Ornement d'Ivoire dans l'histoire,
La Reine Brisée chancelle sous la mort,
Et encore, c'est à la gloire du Nord.

En bas, le chant s'achevait sur une note aussi envoûtante que mélancolique puis, après un instant d'arrêt, les instruments reprirent sur une partition un peu plus gaie que la précédente. Elle reconnu là D'or et de sang, un chant évoquant l'Ancienne Bataille où s'opposèrent les Aniens et les Altın, mais après seulement quelques notes le chant fut interrompu par des gardes qui, après une vive discussion avec les musiciens, s'accordèrent à les laisser jouer. Celle là chanson, elle ne la connaissait pas et en comprit rapidement la raison, c'était une chanson témérienne. Elle se recula en faisant la moue. Décidément, toutes les bonnes choses avaient une fin aujourd'hui.



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Seyrane de Larant
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Mar 14 Avr - 1:40





seyrane de larant

― Inuitus, inuitam (malgré lui, malgré elle) ―



Les premières lueurs de l'aube avaient accueilli Seyrane aux fenêtres. Silencieuse comme une ombre, la jeune femme s'était levée avant toute la famille en ce grand jour : Serena se mariait, et marquait de son dévouement l'entrée dans la période de paix instiguée par Katharina. Aujourd'hui, la mise sous contrôle de Vivendale prenait effet ; désormais, les castes devaient vivre dans une harmonie utopique soutenue par des alliances matrimoniales. La brunette peinait à croire que dans les prochaines heures, sa tendre amie d'enfance serait unie par ces liens sacrés à un homme auquel tout l'opposait. Pour l'heure, cependant, Seyrane avait beaucoup à faire. Les pavés de la Vieille-Ville étaient à peine attiédis par de timides rayons de soleil lorsqu'elle quitta la demeure familiale pour aller vigoureusement sonner chez le tailleur. Entre les étuis marqués aux couleurs des de Larant, une housse blanche faisait tache.

* * *

La cérémonie fut un véritable calvaire. Seyrane avait du quitter la résidence de la future mariée pour rejoindre sa famille, et maintenant qu'elle se tenait entre les imposants piliers du Temple, la crainte que Serena ne vînt pas la saisissait à la gorge. Elle s'agitait nerveusement entre les convives, s'attirant occasionnellement un coup d'œil agacé de sa sœur Dahlia. Enfin, les lourds battants de la porte s'écartèrent une dernière fois pour laisser passer la brune, magnifiée par l'apparat maternel. Seyrane adopta ce qu'elle espéra être un sourire rassurant, mais son amie ne l'aperçut pas - heureusement. L'échange des épées et des alliances fut acté, et l'officiant prononça un étrange discours dont elle ne retint pas une parole. Le temps semblait suspendu. Enfin, les applaudissements vinrent dénouer la tension insupportable qui pesait telle une chape de plomb sur le Temple. La jeune femme s'y joint, mais le cœur n'y était pas. Lorsque le couple se dirigea vers la sortie à l'invitation de la souveraine, elle s'inclina respectueusement sur leur passage, comme c'était la coutume dans le Nord ; relevant les yeux, elle adressa un regard chargé d'éloquence à Serena.

* * *

Les rues de la ville semblaient se révéler sous un jour différent. L'atmosphère était chargée d'onirisme, mais pas dans le sens poétique que les hommes de lettre attribuaient à ce mot dans les livres de Seyrane ; non, c'était plutôt une sensation d'irréalité qui dominait. Livrée à ses égarements, la brunette réalisa soudain qu'elle avait perdu sa famille de vue. Elle marchait, seule au milieu de la foule rendue allègre par la perspective des réjouissements qui l'attendait à la Haute-Tour. Une voix s'éleva dans son dos. « Seyrane. »  Elle fit volte-face et reconnut le visage doux, bien que marqué par le deuil, de son aînée Adhara. « Père et mère m'ont tout raconté, sur ce qu'il s'est passé et... est-ce que ça va ? » interrogea-t-elle en saisissant la main de Seyrane. « Oh Ada... »  L'aiguillon salé des larmes qui montent lui piqua les yeux. La question de sa sœur la projetait de nombreuses semaines en arrière, et les images émergèrent. Elle déglutit ses émotions. « Oui, ça va maintenant. » répondit-elle en pressant ses doigts contre la paume de la jeune femme. « Et toi ? Je suis si désolée... » Les visages des disparus flottaient dans l'air face à elle. Un vertige la saisit. Elle n'avait jamais visité sa sœur, durant ces longs mois qui s'étaient écoulés depuis la guerre. Elle ne savait pas comment s'y prendre avec cette figure à la fois intimement liée à l'enfance et si lointaine. Les regrets se bousculèrent à ses lèvres. « Je pense qu'on a beaucoup de temps à rattraper. » ajouta-t-elle sobrement.


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Jeu 27 Aoû - 0:03




William P. Thawerson

― le cynisme est la parade du tendre ―




Le sarcasme dans la voix d'Arianna lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Il se sentait impuissant face à cette colère froide et sourde qu'elle opposait à ses excuses, et qu'il redoutait plus que toute autre manifestation d'hostilité. Elle avait, en outre, une façon de remettre en question tout ce qui précédait cet instant, qui lui brisait particulièrement le cœur. Comme si rien n'avait eu d'importance avant ce mariage stupide. L'image qu'elle lui renvoyait était celle d'un homme sans honneur, qui essayait de dissimuler ce qu'ils savaient tous deux : on ment rarement pour de bonnes raisons, et Will n'échappait pas à la règle. C'était par lâcheté qu'il avait omis de parler de l'engagement qu'il avait contracté, une lâcheté qu'il tentait de déguiser, y compris à ses propres yeux, en loyauté. Il retint un soupir.

« Tu penses vraiment qu'on était bien alors que tu me mentais. Tu t'es bien foutu de moi. Mais maintenant c'est fini. C'est fini, c'est fini. » Le visage du marié s'assombrit, un éclair de douleur traversa ses prunelles et si Arianna l'avait observé à cet instant, elle aurait pu déceler l'orage qui se préparait. William était semblable à une bête blessée ; il attaquait pour détourner l'attention des dommages qu'on lui avait infligés. Très vite, la tristesse laissa place à l'habituel masque d'indifférence. Les dernières notes d'une chanson populaire nordienne virent mourir contre la balustrade. Le jeune homme hésita encore une seconde sur la stratégie à adopter, tandis que déjà la brunette s'éloignait. Il savait qu'il aurait pu se montrer digne d'elle, faire amende honorable, laisser entrevoir un brin d'émotion en guise de preuve de sincérité. Se comporter en adulte, pour qui compte plus l'alchimie surprenante des âmes que le confort de l'ego. Mais, contrairement à la croyance populaire, les humains n'apprennent pas de leurs erreurs. Ils continuent à les commettre jusqu'à ce que la proximité du mur les force à changer de trajectoire.

Ce soir, Will avait toutes les bonnes raisons de céder à ses démons. Une épouse dont il ne voulait pas, une paternité dont il ne savait que faire, une alliance qui désavouait tous ses engagements antérieurs, et maintenant une amante en colère... C'est presque avec délices qu'il plongea dans le puits sans fin de l'auto-apitoiement, justification de tous les excès s'il en est, et distraction suffisante pour engourdir sa conscience morale, avec l'aide de l'alcool. Voilà, il était prêt à endosser les habits de l'homme brutal et amer qu'Arianna connaissait bien. Quelque part, il savait que ce serait sans doute la dernière fois qu'elle le tolérerait. Qu'il allait donc s'aliéner l'une des rares et précieuses choses qui semblaient valoir la peine de vivre. Mais il savait aussi que son cynisme et son sarcasme constituaient la manière la plus sûre de faire réagir la jeune femme, et tout ce qu'il voulait, c'était une réaction. Un de ces accès de courroux dont elle seule avait le secret, une irruption de rage pure, brûlante comme de la lave en fusion. Tout, sauf l'abdication contenue dans ces deux syllabes, fi-ni.

« Très bien, alors dans ce cas tu ne m'en voudras pas de changer de stratégie et de ne pas te mentir, cette fois. » Il prit une grande inspiration, une goûlée d'air comme il aurait avalé une gorgée de rhum. « Lara est enceinte. Donc en plus d'être fraîchement marié, je vais être père. » Sa propre situation lui arracha un rictus aussi proche de l'amusement que ce que permettaient les circonstances. « J'aurais préféré que les choses soient autrement, mais comme tu dis toujours, nous faisons tous des choix, n'est-ce pas ? »  Le ton cinglant contrastait avec la tristesse vague qui teintait son regard azur. Même s'il réussissait à provoquer Arianna avec cette annonce, ce qu'elle avait dit quelques instants plus tôt lui apparaissait désormais comme une évidence à laquelle se résoudre. C'était fini. Il venait d'en exposer les raisons avec une lucidité blessante. Ne restaient, sous cette lumière crue, que ses insuffisances et ses manquements. Il avait voulu sauver le Nord - quel orgueil ! quels sacrifices, pour quels résultats ! Il eût mieux fallu se concentrer, plus modestement, sur une vie heureuse.
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Alessandra de Marbrand
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Ven 16 Oct - 18:21


Arianna HART


Elle le savait. Au fond d'elle. Le quitter, c'était la bonne décision. Il n'en existait pas vraiment d'autres, rester n'avait rien d'envisageable, rester et quoi ? Le pardonner ? Reprendre là où ils s'étaient arrêtés ? Reprendre sur un mensonge, et continuer dans un mensonge. Elle en était incapable, et pourtant une part d'elle aurait pu s'y résoudre. Juste pour lui, l'avoir lui, ne serait-ce qu'un peu. Mais elle devait le quitter. Elle voulait le quitter. Et elle ne voulait pas. Vouloir. Mais ne pas vouloir. Et c'était ça, un capharnaüm de pensées éparses, martelées d'incohérences, qui la tiraillait par les quatre coins de son âme. L'écartèlement entre raison et sentiments. Et ça elle l'avait appris avec le temps, elle ne devait pas écouter son cœur, il ne la menait nul part, ou du moins nul part de bon.

C'était l'arrogance qui se jouait ici, l'insolence d'un refus de ne pas vouloir voir l'aboutissement d'une fin inévitable. Il aurait dû la laisser partir. Et pourtant il l'avait retint, l'acharnement s'écoulait dans ces phrases, avec des mots qui trahissaient de la violence qui l'animait. S'il avait mentit d'abord, il aurait pu mentir là aussi ou même, plus simplement, ne rien dire. Retour à leurs débuts. Les armes avaient été déposées, remplacées par le tranchant de révélations acerbes. Mais ces coups là faisaient tout aussi mal que les précédents, plus encore, après tout ce qui s'était passé depuis.

Elle s'arrêta, incapable d'avancer, incapable de se retourner. Elle se tenait là, à mi chemin entre son passé et son avenir. Les mots ne viennent pas. Les actes non plus. Seules les larmes, elles, viennent. Mais de ça elle n'en veut pas. Elle n'en veut plus. Elle aurait voulu faire comme lui. Rendre les coups, l'acerber de termes acérés, lui faire mal, mais encore plus. Mais elle n'en était pas plus capable. Une lasse apathie l'envahissait. S'il l'aimait, si l'avait vraiment aimé, il aurait dû la laisser partir.

Elle s'apprêtait à se retirer, elle passait l'embrasure de la porte, quand elle s'arrêta. Juste une dernière fois. Elle jeta un regard en arrière, avant d'aller de l'avant.



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Elle part, jolie petite histoire, tudulum

Il m'a fallut beaucoup prendre sur moi pour ne pas placer cette phrase à la fin de mon rp, donc je l'a mets là.

She had it in herself to go with grace

C'est pas très long, j'en consens, mais rien que d'écrire ce petit bout ça a éreinté mon petit coeur t'imagines même pas
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