- De la pitié ? Non ! Je.. non.

Je reste la, bouche entrouverte. Honnêtement, je ne sais pas moi-même. Ou alors je le sais, mais je ne veux pas l'admettre. Ce qui revient au même. Comment l'expliquer ? Depuis tout petit, mes parents m'ont appris les valeurs de la vie, comment respecter les autres, ce qui est juste, tout ça. Mais en grandissant, et en prenant la relève de mon père, j'ai l'impression de les avoir laissés de côté. Une cuirasse qui me laisse insensible est venu se refermer sur moi. Avec le succès est venu l'arrogance, et avec elle, la méfiance. Ne faire confiance à personne, et surtout pas aux pauvres du Village.

Cependant, quelque chose m'a fait changer d'avis. Peu à peu, j'ai réalisé ce que j'étais devenu. Un forgeron qui se croit mieux que les autres parce qu'il a une belle vie.  Ce n'est pas l'image que je m'imaginais enfant. La luxure peut aveugler les gens, les changer. Mais on a toujours le choix, alors c'est ce que j'ai fait. Et puis Arianna est apparue, et c'est comme ça que tout a commencé. Aider ceux qui en sont dans le besoin, voila quelque chose qui me rend fier. Et j'espère ma mère aussi.

- Je crois que.. je cherche à me racheter. Je me suis perdu en chemin. C'est compliqué mais..Je veux juste aider les gens qui n'ont pas la même chance que moi. Car je réalise que j'ai la vie facile.

La lumière du feu danse sur une partie du visage d'Arianna, et je vois son air déterminé. Quelle courage quand même. Je ne suis qu'un lâche en comparaison.

- ...

Passer de l'autre côté ? Vraiment ? Je pensais que seul les privilégiés, quelques soient leurs fortunes, pouvaient passer. L'idée même est... répugnant. Je sais bien ce qui se passe là-bas, comment "ils" traitent les esclaves. Et puis, la Guilde des Ombres ? J'en ai entendu parler évidemment, mais ce n'est qu'une rumeur, comme ce Furtif à capuche, non ? Cependant, si c'est vrai...Je pourrais aider les gens encore plus ! Mon visage s'éclaire d'un coup.

- La Guilde des Ombres...bien sûr que j'en ai entendu parler, mais je ne pensais pas qu'elle existait vraiment. Mais si tu l'affirmes, je te crois. Comment la rejoindre ?

Et puis une idée se forme lentement dans mon esprit. Un plan simple, pratique. Avec mon enthousiasme, j'avais presque oublié mon père. Et si on se faisait prendre ? Et si on l’exécutait lui-aussi ? Non, je ne pourrais pas le supporter. Mais si je sais que rien ne peut lui arriver...

- Aria, tu me permets que je t'appelle comme ça ? J'ai une idée. Tu as dit que je pourrais passer de l'autre côté du Mur. Je pourrais être un agent double pour la Guilde ! Il suffit de faire croire à tout le monde la mort de mon père, on l'amène à la Guilde, et moi, je passe chez les noblions ! Je collecterais des infos, tout ça !

Je souris. Oui, une excellente idée.

Ma première réaction est de refuser. Elle est devenue folle ? Se rendre aux Gardiens alors que je me suis cassé le *** à la sauver ! Du suicide ! Et si les Gardiens ne montraient aucune pitié ? Et si ils décidaient de tuer la voleuse ? Et si la personne en capuche ne se montrait pas ? Trop de facteurs variables. Ca ne réussira jamais. Hors de question de risquer la vie de celle que je me suis acharné à sauver.

Je me lève et commence à faire les cent pas. J'essaye de me calmer, inutile d'exprimer mon assentiment en éclatant de colère. Je m'arrête en face d'Arianna, les poings serrés. Elle se contente de me regarder, une lueur farouche dans les yeux. Je vois bien qu'elle est déterminée, mais...Je soupire. Si elle est si sûre de soi, peut-être que ça pourrait fonctionner. Je n'aime pas me sentir impuissant. C'est Arianna qui va courir tous les risques, et moi, je dois juste aller parler avec la personne louche que personne n'a vu à part elle.

Je passe une main dans mes cheveux, débattant. Essayer ou pas ? Après tout, on a pas grand chose à perdre. Reste la question de mon père. Il n'est pas encore au courant ! Je ne sais même pas si il est pro ou contre le HG...

- D'accord.

Il me faut un effort surhumain pour laisser passer ce simple mot à travers mes dents serrées. Je me rassois, réfléchissant.

- Il reste la question de mon père, que va-t-il devenir ? Hors de question qu'il reste ici tout seul. Il faut aussi le mettre au courant d'abord...

- Inutile, mon garçon. J'ai tout entendu.

Je me retourne avec sursaut, mon père en bas des escaliers, un sourire aux lèvres.

 Je passe mon regard de l'un à l'autre. J'ai du raté un épisode pendant que je travaillais à la forge. Mais bon, voila déjà une chose de fait. Etrangement, je me sens plus calme. Comme si l'idée d'enfin entrer en action m'apaise. Je n'oublie cependant pas la boule anxieuse dans mon estomac, petit aide-mémoire me disant que tout peut nous exploser à la figure. C'est avec des pensées négatives que l'ont perd une bataille, alors je les refoule. Tout va bien se passer. Je me lève à nouveau.

- D'accord, on va faire comme ça. J'espère que ces Ombrageux vont se montrer, sinon on est mal. Il reste encore un problème.. Si mon père rejoint la Guilde, et moi je vais de l'autre côté du Mur, le HG va se demander où il est passé...

Je soupire. C'était trop beau pour être vrai, rha !

- Donc, il faut une mise en scène où il meurt..

J'ai soudainement une envie de rire. On est en train de comploter la mort de mon père, mon arrivée chez les noblions et la coopération avec la Guilde, et ce, à deux pas des Gardiens...S'ils nous voyaient ! Heureusement ce n'est pas le cas.

- Je vais vite rassembler quelques affaires en réfléchissant.

 

Son idée est brillante. Je passe en revue la liste d'alibis possibles quand Arianna nous remercie et part dans la nuit. Je n'ai même pas le temps de lui dire au revoir. Mon père s'avance et met une main sur mon épaule. Il se contente de me sourire et repart vers sa chambre. Je soupire. Je sais que j'ai bien agi. Mais à quelle prix ? Si demain tourne à la catastrophe je ne me le pardonnerais jamais. Des visions ensanglantés commence à se former dans mon esprit. Arianna attachée, les mains tordues derrière son dos, un bâillon sur la bouche. Mon père, abattu sur place. Les Ombrageux, regardant sans rien faire. De quoi avoir des cauchemars pour des siècles.

Je regarde par la fenêtre, mais je ne distingue rien. Comment elle peut s'orienter sans lumière reste un mystère, mais elle doit connaitre le Village comme sa poche. Finalement je me dirige vers la forge. Mon endroit préféré. C'est ici que j'ai tout appris, et je vais devoir abandonner tout ceci en me rendant chez les noblions. Je soupire en y pensant. Que vont-ils penser de moi ? Je n'ai aucun respect pour eux, mais les opinions des autres sur moi m'intéresse beaucoup. J'ai toujours envie de bien faire. Au risque de me mettre à dos d'autres gens. Je ne peux me permettre de laisser échapper quelque chose. Un mot et c'en est fini du double-jeu. Si j'en arrive la ! Rien ne prédit les paroles de la Guilde.

S'apitoyer ne me sert à rien néanmoins. Demain est un tout autre jour. Mon regard tombe sur une de mes créations. Une magnifique lame à deux mains, pommeau incrusté d'émeraudes. Je refuse de la laissé ici. Je la prends et retourne au rez-de-chaussée, plus déterminé que jamais.