Le confort de la route goudronnée s'arrête brusquement pour laisser place aux pavés qui ralentissent soudainement la voiture. Nous pénétrons enfin dans l'enceinte du quartier où nous faisons nos courses. La voiture s'arrête enfin et un valet vient ouvrir ma porte. Je salue ma mère d'un signe de tête et descends. Quelle poisse de devoir aller choisir une nouvelle bonne ! Tout ça parce que la précédente avait soi-disant manqué de respect à Mère. L'avantage, c'est que pour une fois je peux me promener seule dans le marché. J'adore ce lieu, rempli de couleurs, de senteurs, de gens différents, un « melting pot » comme aurait dit mon précepteur. J'emprunte une large avenue où nobles et esclaves se pressent et se bousculent, puis une ruelle beaucoup plus calme et déserte. Mes talons claquent sur les pavés. J'arrive enfin au bout de ce petit passage et débouche sur l'immense place du marché même. Mes yeux sont assaillis par la lumière aveuglante et les couleurs bariolés, mon nez par les mille senteurs des étals. Les nobles à la recherche de nouveaux esclaves se pressent devant les stands les plus cotés et les plus populaires.
Quant à moi je me dirige vers celui où ma famille achète depuis toujours ses domestiques. C'est une petite baraque dans le coin opposé à moi, et il va me falloir bien du courage pour tout traverser. Je longe les maisons, sous les arcades de pierres richement sculptés, pensant qu'il y aurait moins de monde. Malheureusement, ce n'est pas le cas. La foule est dense, serrée, et chacun oppose un mouvement différent à celui de son voisin. Même seule, je déteste cet endroit. Trop de monde, trop de nobles ignorants et bouffis de leur richesse, trop de signes si présents de la soumission des esclaves, tout cela m'exaspère. Je voudrais en finir au plus vite.
Je regarde les boutiques sur ma gauche qui affichent en vitrine toutes sortes d'articles, vêtements, chaussures, mobilier... Cette place n'est pas seulement un marché aux esclaves mais aussi un marché tout court. Soit dit en passant, à chaque fois que je viens je pense à ces marchés de la Rome Antique où les esclaves étaient exposés sur des stands de bois et étalés comme de la vulgaire marchandise... Ce n'est pas exactement le cas ici mais ça y ressemble fortement. Alors que mon attention est portée sur les devantures de ces boutiques, quelqu'un m'heurte douloureusement. Je me dégage d'un coup d'épaule et arrête la personne qui m'a bousculée. Ce doit être une esclave.

« - Faites attention, enfin ! »

La jeune esclave était encore toute chamboulée de son entrevue avec Maximilian. L'annonce de leur échec avait été un choc, et dès qu'ils s'étaient quittés la jeune esclave avait du reprendre sa route vers le marché de l'Enceinte. Elle suivait maladroitement la carte et déambula un bon quart d'heure dans le quartier avant d'arriver sur la bonne place. Les boutiques s'étendent sur une distance incroyable ! Au Village ils n'avaient guère tant de choix qu'ici. Tant de luxe et de richesse...Tout était bien nouveau pour Arianna qui trouvait que les nobles vivaient une vie bien confortable au contraire des Villageois qui gisaient sur les trottoirs en attendant quelques pièces de leur misérable paye pour s'acheter un trognon de pain. Evidemment ici viande et autre luxe était une affaire quotidienne que chacun s'octroyait avec facilité. La jeune esclave continuait sa route, totalement perdue. Il y-avait tant d'échoppes que reconnaître le fournisseur exacte de son acheteuse lui semblait une étape insurmontable. Elle avait juste le nom de la boutique et une croix indiquée sur une carte toute froissée. Son regard est automatiquement attiré vers l'endroit où hier encore elle se trouvait. L'une des échoppes de marchands aux esclaves, elle n'y était pas en tant qu'acheteuse, ah ça non ! Mais en tant que vulgaire marchandise. Son cœur se serra tant la scène devant ses yeux lui faisait mépriser chacun de ces petits puritains pleins aux as. Pourtant Arianna ne pouvait s'attarder guère longtemps, elle avait déjà bien tardé lors de son entrevue avec Maximilian. Elle replongea le nez dans sa carte, ses yeux se plissèrent comme si un détail essentiel y était caché. Son acheteuse avait dû mal indiquer la boutique, ou bien sa capacité à lire une carte était bien médiocre. Elle n'eut pas le loisirs de départageait car pour la seconde fois de la journée elle s'heurta à quelqu'un, simplement épaules contre épaules mais la jeune fille face à Arianna ne prend pas la bousculade involontaire comme d'une inattention. Sauf que cette fois-ci ce n'était pas Maximilian Ainsworth et son irréversible sourire, non face à elle la jeune esclave avait une noble. Sa pire hantise, une de ces puritaines n'ayant aucun souci économique à se faire. Elle haïssait les nobles comme jamais, alors si l'une d'eux s'avisait de lui faire un reproche Arianna pouvait bien exploser. Mais elle savait aussi qu'un esclave n'était pas citoyen dans l'Enceinte. Il était un " outil animé " comme le disait un philosophe grec d'une époque de l'Ancien Temps. Voilà donc ce qu'elle était ? Un simple outil animé ? Arianna compte bien prouver le contraire, mais elle reste sobre et évite toute insulte ou autre injure qui pourrait lui coûter la vie. Ici un mot de travers et un esclave a la corde autour du cou et les pieds dans le vide. Charmant...

- " Faîtes attention de même, qui diable êtes vous ne pas vous remettre en cause vous aussi ? "

Une pique dans les règles de la manière. Un sourire étira les lèvres rosées de la jeune esclave qui se délectait déjà de cet affront.

J'ai beau être une militante de la cause des esclaves et toujours respecter ceux qui travaillent pour moi, la façon de répondre de cette minette arrogante m'agace.
Deux opposés se détachent soudainement en moi. D'un côté, le petit ange qui m'explique que je ne sais décidément rien sur la vie extérieure à la mienne, que j'ai encore à apprendre. De l'autre, le petit diable qui n'a que faire des gentillesses du premier et qui m'exhorte :
" Remets cette garce à sa place ! Tu ne vas pas te laisser manquer de respect !"
Ce second côté l'emporte car je l'avoue, même si je tiens à être respectueuse, que ce soit une esclave ou une noble m'importe peu. J'ai aussi mon côté arrogant qui vient de mon rang, je suis d'une famille élevée des nobles et je sais reconnaître ceux à qui je dois la déférence. Les autres je les remets à leur place comme n'importe qui. Je lance donc à la jeune femme un regard noir et méprisant.

- " Je pense que vous ne savez pas à qui parlez, jeune effrontée. "

Sur ces mots méprisants je me retourne et reprends ma route à grands pas. Après cet affront dont je sors, je ne sais pourquoi, toute rouge et décoiffée comme si je m'étais battue telle une femme du peuple, j'ai encore plus l'impression que le mouvement de la foule est contraire à moi. Je continue tout droit avec une sorte de regret. Je ne voulais pas être aussi méprisante, mais cette jeune esclave m'a vraiment énervée. Que faire ? Me retourner et lui courir après ? Franchement non.
Je m'étonne et me révolte moi-même. Mes grandes idées de respect et d'égalité envolées ! Après tout, je ne suis qu'une noble comme les autres, mais pire, farcie de bonnes idées que je ne suis pas à même d'appliquer, et prête à crier au scandale pour le plus petit affront. Enfin bref, je suis maintenant définitivement énervée.  

Comme l'avait imaginé la jeune esclave, la noble face à elle n'était qu'une petite puritaine, une noble, une vraie de vraie, cent pour cent pur jus, ces soit disant honnêtes travailleurs méritant les faveurs du Haut-Gouvernement, au contraire du peuple qui n'avait su remercier dignement l'autorité de ses laborieux dons, soit une vie misérable à travailler pour ces nobles. Si l'on peut appeler ça une vie ! Mais l'heure n'est pas aux discussions sur les droits et devoirs des différentes classes sociale. Arianna a autre chose à penser, écoutant la réplique méprisante de la noble un sourire espiègle étire ses lèvres rosées. Elle n'eut pas le loisirs de placer sa pique personnelle car la noble à déjà tourné les talons et s'en va d'un pas précipité. Ses mots repassèrent plusieurs fois dans son esprit, comme imprimé sur ses paupières, impossible donc de ne pas y penser. Pourtant la jeune esclave ne comptait pas se remettre en cause pour un sang noble sortit de nul part et qu'elle ne reverrait surement jamais.
" N'y penses plus, cette petite puritaine hautaine jusqu'au bout aurait très bien pu te dénoncer à un Gardien et tu serais dans un sacré pétrin en ce moment même ". Pourtant Arianna avait beau avoir méditer ses mots le fait de pas avoir pu répliquer dans cette joute verbale l'a laissé sur sa fin. Mais que faisait-elle donc, à force d'arrêt imprévu elle était à présent bien trop en retard. Elle déplia la carte toute froissée et avança jusqu'à l'endroit où aurait dû se trouver le couturier. Pourtant à cet emplacement c'était un marchand d'esclave. Elle se fraya un passage dans la foule amassée contre ce marchand visiblement affluant et doté d'une marchandise de sang neuf. Une mine de dégoût passa sur son visage et définitivement agacée par ce plan illisible elle se réduit à devoir demander son chemin. Il y-avait cette fille de dos, les cheveux en bataille, Arianna pense tomber sur une confrère esclave. Elle tapota son épaule et sans chercher à voir son visage elle désigne du doigt le nom de la boutique inscrit sur le plan et demande son chemin.

- Cet endroit est un labyrinthe, je suis totalement perdue, vous savez où je peux trouver cet endroit ?

Elle releva alors le regard de la carte pour voir le visage agacée de la noble d'il y-a peine deux minutes !

- Mais que vois-je ! Un visage connu. Vous savez que les convenances disent de laisser une personne parler avant de tourner les talons ? Arrêtons de diverger, mon acheteuse, vivant dans la Haute-Tour donc d'une certaine influence, ne souhaiterait pas que son esclave est été mise en retard car une noble s'emporte à la moindre petite bousculade. Donc si je pourrais savoir où est ce fichu couturier, le petit affront de tout à l'heure sera notre petit secret.

Je continue mon chemin à travers cet amas de gens de tous âges, de tous styles, de toutes classes. Mon regard balaye les visages sans s'y arrêter. Je suis bien loin de mes habitudes qui sont à flâner et à observer les passants. Toute cette colère à cause de cette petite peste d'esclave ! Je serre les dents et vais traverser la rue quand quelqu'un me touche le dos. Je vais volte-face, essayant de reprendre mon calme afin d'être présentable, mais c'est de nouveau la jeune femme.

- " Vous ? Encore ?! J'imagine que ce n'est pas pour vous excuser.

J'écoute sa petite tirade avec cette mine suffisante que je sais si bien adopter. Elle est maline et dissimule sa requête qui me met en position encore plus supérieure derrière des petites piques et des affronts, le tout accompagné d'un sourire narquois. Je regarde le plan froissé, et reconnais immédiatement l'endroit où elle veut se rendre. Mes yeux glissent sur ses mains, qu'elle a très belles, je ne pense pas qu'elle a travaillée comme ouvrière car elles sont longues, fines et très blanches. Je reporte mon attention sur son visage, auquel je n'ai pas prêté d'intérêt tout à l'heure. Elle a des traits juvéniles et dédaigneux, des boucles brunes entourent l'ovale de sa tête.
Je fais mine de réfléchir, plisse les yeux et agite la main nonchalamment.

- " Je me ferai un plaisir de vous aider si vous me parlez sur un autre ton. "

La jeune esclave fulminait, elle avait entrevue une ouverture vers l'espoir d'une réponse mais la noble avait conclus sur une fin qu'Arianna ne pouvait lui offrir. Des excuses. Et puis quoi encore ? N'étais-ce pas elle qui était à présent dépouillé de toute humanité par l'asservissement ? Elle observa son interlocutrice agitant la main avec grâce comme tout noble se doit de l'être. Elle la trouvait jolie, mais beaucoup trop suggestive, ses boucles étaient coiffés autour de son visage d'une manière trop dense et bien ramené en cascade vers ses épaules et le tout coiffait d'un large chapeau qui n'était pas au goût d'Arianna. Elle avait déjà perdu sa dignité elle n'allait pas achever le fond qui lui restait avec des excuses.

- Un autre ton ? En quoi le ton que j'emploi est-il indécent, vous utilisez le même, est-ce mal de dire ce que je pense ? De me considérer comme l'être humain que je suis malgré la qualification bestiale que l'on donne aux esclaves ? Devrais-je m'excuser de ne pas incliner gentiment la tête et éviter le regard de la noblesse de peur d'un reproche ? Malgré mon statut je reste et je demeure telle que je le suis, et si le fait que je tiens encore tête tout en sachant que je pourrais très bien être tuée simplement pour avoir répondu, fait que je...

Elle s'arrêta soudain puis poussant un long soupire elle reprit. Elle n'avait plus l'envie ni la force d'exprimer son point de vue, elle ne changerait pas les idées de la noble sur elle donc à quoi bon ?

- Très bien puisqu'il le faut voilà un ton plus amical, devrais-je maintenant m'excuser ou me présenter ? Puisqu'il le faut....Pardon. Et à propos mon nom est Arianna, même si ça vous est surement égal. Donc maintenant où est donc ce couturier, mon acheteuse m'attend.

Ne serais-ce qu'au mot " acheteuse " une mine de dégoût passa sur son visage. Cette journée était décidément un lot de malheurs...D'un ton interrogateur elle enchaîna une dernière tirade.

- Est-ce trop demander d'avoir un minimum de respect de votre part, je veux dire nous n'avons même plus droit de parler sans l'accord de notre propriétaire, nous sommes asservis à des personnes semblables à nous mais plus fortunés, devrais-je dérober une bourse pour gagner un statut d'être humain ? ( elle s'arrêta un instant ) Et bien sûr j'en parle à une noble qui s'en fiche royalement, typiquement moi.

Les traits de mon visage se crispent tandis que j'écoute la première tirade de la jeune esclave, plus méprisante et plus provocante encore que les précédentes. Je ne prends pas la peine de répondre, mais le coin de ma bouche tressaille de colère. Je sers les poings et ferme les yeux quelques secondes.
A ma grande surprise, la jeune femme se reprend, s'excuse et se présente. Son ton dissimule toujours une pointe d'ironie que je décide d'ignorer. Elle a un très joli prénom, Arianna, une langue bien pendu et semble détester sa propriétaire dès son premier jour. Je pousse un léger soupir ; elle va avoir la vie dure. Ceux de mon espèce ne sont pas tendres avec les esclaves désobéissants ou insolents, et déjà qu'en temps normal ces gens ont le droit aux surnoms moqueurs et aux insultes, lorsqu'ils ont le malheur de répliquer ils ont le droit aux claques, aux punitions, voir même au fouet. Nous avons vraiment de ces habitudes... Enfin, passons.

- " Quittez ce ton arrogant, s'il vous plaît, et apprenez que je compte parmi les vraies battantes pour votre cause, même si notre premier échange ne vous laisse peut-être pas le croire. Je suis Seyrane de Heartfilia.

Je décide de me forcer à retrouver ma bonne humeur et lui souris franchement.

- " Je ne me fiche pas de vous."

Je réfléchis quelques secondes et décide de m'improviser une course pour accompagner un peu Arianna. Elle a beau être détestable j'aime bien cette assurance et cette morgue qu'elle a.

- " Je dois aussi aller chez le couturier, venez.

Je repars droit vers la petite échoppe du couturier que recherche la jeune esclave. La foule est de plus en plus dense, et nous mettons une bonne dizaine de minutes à parvenir à la boutique. J'arrive devant, pousse la porte et pénètre dans le bâtiment. L'entrée en bois est déserte.

La jeune esclave fut surprise d'apprendre que cette noble répondant au nom de Seyrane était en faite une fervente militante à la cause des esclaves. Ce qui était ô combien contradictoire avec sa réaction tout à l'heure mais peut importe, les manières et les réactions sont deux choses différentes. Un sourire vient se dessiner sur le visage parfait de la noble en lui répondant franchement qu'elle n'était pas si désintéressée que ça, Arianna ne put cacher son étonnement. C'était bien la première fois que l'on entendait un noble exprimait un intérêt quelconque pour elle, une esclave. Enfin oui il y avait Maximilian mais c'était différent, ils s'étaient connus hors de l'Enclave à l'époque où elle était encore une citoyenne libre de ces actes, à cette époque là elle s'était improvisée brigande pour survivre elle et sa plus jeune sœur de la faim après le décès de son père. Sa sœur n'avait pas survécu, sinon Arianna n'aurait jamais sacrifier sa liberté pour venir en aide à la guilde dont son père faisait partit et qui a causé sa mort. Cela lui paraissait si loin est pourtant ce laps de temps n'était l'affaire que de plusieurs jours. Devant l'attitude bien moins condescendante de Seyrane la jeune esclave quitta le sarcasme et l'ironie et sa voix reprit un timbre neutre.

- Et vous êtes bien la première à ne pas être désintéressée, même s'il faut prendre en compte ma récente arrivée.

La suite surprit encore plus Arianna, alors que quelques secondes plus tôt cette noble la prenait de haut à présent elle lui proposait de l'y accompagner, certes elle disait devoir s'y rendre elle aussi, drôle de coïncidence.

- Merci.

Le duo improbable marcha jusqu'à l'échoppe en question. Alors que Seyrane déambulait aisément dans la foule avec une assurance sans faille, les pas d'Arianna étaient plus maladroits et même si à l'époque où elle était libre sa démarche assurée lui garantissait le passage dans toute les foules ici elle n'était rien et personne ne bougeait d'un millimètre pour une insignifiante esclave, alors qu'une noble non. Elle ne perdit néanmoins pas le rythme et suivit Seyrane jusqu'au couturier. L'échoppe était déserte malgré l’affluence du marché. Arianna se dirige alors vers le comptoir où un couturier à la mine bourrue attend un quelconque client. Lorsqu'elle quémanda la robe de mademoiselle Hart, son acheteuse il se dirigea dans l'arrière-boutique laissant les deux jeunes femmes nobles. Un coude posé sur le comptoir Arianna se retourna vers la jeune noble.

- Ce fut un honneur ( avec un sourire elle eut un éclat de rire ). Non, c'est une blague même si l'Enclave m'a beaucoup changée je ne suis pas encore agenouillée aux pieds de la noblesse. Mais merci de m'avoir conduite ici, il faut dire que je ne m'attendais pas à avoir votre aide

Je me tiens dans un coin de cette pièce d'accueil, en retrait. Le couturier est un bonhomme obèse, trop richement vêtu pour la pauvreté de son échoppe, de petites yeux sournois enfoncés dans son visage, un grand nez, un double menton et le cheveu rare et gras. Une petite grimace de dégoût passe sur mon visage. Il part chercher la commande de la maîtresse d'Arianna, et celle-ci me lance un gentil regard et un sourire. A ma grande surprise elle me remercie de l'aide que je lui ai apportée.
Sur le moment, indécise et même confuse, je ne sais que répondre et mes joues se colorent légèrement. Je m'énerve parfois ! Entre mes répliques cassantes et mes airs de jeune fille amoureuse, je fais vraiment un drôle de personnage. Je hausse les épaules et réponds à ses paroles par un sourire franc.

- Je vous en prie.

Je me mords la lèvre et réfléchis à l'inviter à rester un peu avec moi. Malheureusement je ne sais quel est son emploi du temps, et nous ne pouvons aller chez moi, être ami avec un esclave est extrêmement mal vu et malgré mes désaccords fréquents avec mes parents je ne veux pas altérer leur image.
Le couturier revient avec les vêtements d'Arianna, enveloppés dans des housses molletonnées. Elle les prend, et nous sortons. Dur retour dans la lumière aveuglante du soleil et la foule toujours aussi dense et pressée. Nous faisons quelques pas, je ne sais pas vraiment dans quelle direction.

- Vous devez rentrer j'imagine ?  

La fameuse robe en soie qui était la course d'Arianna était emmitouflée dans une une large housse d'un tissu dont la jeune esclave ignorait le nom ou l'origine, de toutes manières c'était toujours plus riche que ce que l'on trouvait au Village. Une étiquette accrochait par une petite ficelle de corde indiqué le nom d'Hart, nom de son acheteuse. Les récupérant elle put sortir de l'échoppe, la jeune noble à ses côtés.  Elle jeta un coup d'oeil par l'ouverture de la robe en question et affichant une mine de dégoût elle s'exclama.

- Un amas de taffetas pareil ne devrait pas être permis, c'est trop dans l'excès. Et dire que vous portez ce genre de vêtement, je me demande pourquoi vous encombrer d'autant de tulles et autres froufrous hideux.

Les deux jeunes femmes sortirent de l'échoppe et avancèrent de quelques pas droit devant elles, sans direction précise. Arianna gardait son regard rivé sur la Haute-Tour qui surplombait toutes les Hautes-Terres, pas seulement l'Enclave, elle régnait même sur le Village tant elle était imposante. Elle poussa un long soupire à l'idée de devoir retourner à l'intérieur de cette tour de marbre et de malheurs mais son visage s'éclaircit aussitôt que Seyrane la questionna sur le fait de son retour chez son acheteuse. Avec un sourire espiègle elle répondit.

- Théoriquement oui, mais si elle pouvait sincèrement avoir un droit de vie et de mort sur moi je ne serais déjà plus de ce monde, car même si j'enfreins les règles et elle le sait je ne sais pourquoi elle ne se résout pas à me punir comme l'aurais fait une de ces vraies petites puritaines de la noblesse qu'elle est censée être, sans offense. Donc disons qu'en pratique j'aurais bien quelques heures pour oublier la misère dans laquelle je me suis mise avant de rentrer à la tour des horreurs.

D'un regard elle désigna la Haute-Tour et conclut sa phrase d'un large sourire farceur. Penchant la tête sur le côté comme elle en avait l'habitude elle attendit que Seyrane lui réponde.

Au fur et à mesure qu'Arianna parle, un sourire lumineux se fait sur mon visage. Cette jeune fille a quelque chose de mordant, de piquant, de provocant qui m'attire. Malgré son statut difficile et délicat, elle ose dire ce qu'elle pense, sans gêne et sans conventions. Sa remarque sur la tenue qu'elle vient de récupérer m'arrache un petit rire ironique, mêlé de joie et de tristesse. La pauvre ne se rend pas compte qu'elle va vite être cassée, brisée par ce monde qui se presse autour d'elle. Malgré tout ce qu'elle dit, elle devra porter cette « amas de taffetas » et obéir sagement à sa maîtresse. Oh, peut-être qu'elle tiendra un moment, c'est même sûr au vu de son caractère. Mais ce ne sera qu'éphémère.
Un voile de tristesse passe sur mon visage. Je sais qu'il y a de l'espoir pour elle, qu'elle est intelligente et jolie, mais plus elle résistera et plus elle sera cassée. Je secoue la tête pour me tirer de ces sombres pensées et décide d'adopter une mine plus joyeuse ; après tout elle a suffisamment de ressources pour tenir tête un bon moment à la société, et vu ce qu'elle a du endurer à l'extérieur de l'enceinte elle se débrouillera, j'en suis sûre. J'affiche donc un large sourire et la prends par le bras comme une amie à laquelle je confierai un secret :

- « Et pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi ? »

A peine ma phrase achevée, je prends conscience que cette proposition est insensée. Il n'est pas illégal d'être avec l'esclave d'un autre noble, mais lui parler, l'inviter chez soi, est extrêmement mal vu et le propriétaire peut faire des réclamations. Je suis atterrée. Je voudrais passer plus de temps avec cette fille pleine d'énergie et de sarcasmes. Je réfléchis à tous les endroits où nous pourrions nous voir, pendant quelques heures, moins, sans être poursuivies par les convenances.
Soudain je pense aux bois qui jouxtent ma propriété, et qui sont publiques mais où personne ne va jamais. Je m'y promène régulièrement à cheval, même si ma mère préfèrerait me voir devant un miroir à me contempler, comme ma sœur. Je connais dans les sous-bois une vieille cabane où l'on entrepose du bois, une sorte de chaumière avec de vrais murs qui nous protègerait des intempéries s'il y en avait. On pourrait peut-être l'aménager. Que de projets !
Encore faudrait-il qu'Adrianna puisse se libérer et partir sans être surveillée. Mais dans mon souvenir, la propriété des Hart est peu éloignée de la mienne. Je connais bien cette famille bouffie d'orgueil, si appréciée par mes parents. Je hausse les épaules.

- « Oubliez, c'est impossible. Mais j'ai une autre idée. »

Je lui expose brièvement la solution qui m'est venue à l'esprit, tout en me dirigeant vers l'endroit où j'ai demandé à mon cocher d'attendre.

La jeune noble face à Arianna commença à formuler une invitation à sa demeure mais à peine ces mots dits la jeune esclave tout comme Seyrane savait que c'était une erreur. Les nobles et les esclaves ne pactisaient pas ensemble, si une rumeur sur l'amitié d'un noble avec un esclave était ébruité les deux auraient de gros soucis, l'esclave serait surement exécuté sur le champs. Arianna n'avait pas vraiment dans ces projets de finir exécutée pour faire ami-ami avec une noble mais briser les règles et les convenances était presque un hobbie chez elle, comme une seconde nature.
Lorsque Seyrane exposa la possibilité d'un lieu de rencontre idéal un sourire étira les les lèvres de la jeune esclave qui fit un tour sur elle-même, l'allure sautillante. Puis voyant la jeune noble s'éloignait vers son cocher elle la suivit d'un pas assuré. Elle ne cessait de regarder à droite, à gauche. Soudain surgissant de nul part un groupe de Gardiens avançait sur la rue perpendiculaire et en les voyant la jeune esclave se figea un instant avant se coller à l'un des murs de l'étroite rue, cherchant à se faire la plus discrète possible. Le groupe constitué de quatre Gardiens continua sa route sans même un regard sur la rue où se trouvait Seyrane et Arianna. Son cœur battait la chamade et lorsque les Gardiens s'éloignèrent la jeune fille poussa un long soupire, une main posée contre son torse sentant son pouls battre à cent à l'heure. Il lui fallut plusieurs secondes pour se remettre se sa frayeur devant le regard médusé de Seyrane. En effet les esclaves n'ont pas à craindre les Gardiens, à moins d'avoir quelque chose à se reprocher évidemment. Sauf que la jeune esclave avait laissé nombres délits derrière elles, d'abord de nombreux vols à l'étalage et le dernier et pas des moindres, son complot avec la guilde ! Elle avait toujours la crainte qu'un beau jour on remonte jusqu'à elle et que les hommes de lois viennent la chercher et qu'elle subisse la même expiation que son père. Son père qui avait succombé d'une des nombreuses blessures infligée en publique. Les Gardiens en avaient fait un exemple, celui qui ne fallait pas suivre. Pourtant lui avait été un Gardien lui aussi ! Ses propres amis et collègues avaient infligés les blessures fatales de son père. Ce souvenir serra le cœur de la jeune fille qui avait insisté impuissante à la scène, se révoltant, un cri d'indignation muet dans la foule comme hypnotisée par la macabre spectacle donné sur la place principale du Village.  En relevant le regard Arianna retient un rire nerveux en voyant la mine estomaquée de son amie. Elle devait se demander d'où venait une réaction si inhabituel dans l'Enclave, et surtout pourquoi avait elle si peur des Gardiens. Mais Arianna n'avait pas vraiment l'envie ni la confiance de lui avouer ces différents méfaits qui causait son statut d'esclave aujourd'hui.

- Disons que j'ai un passé plutôt illégal, typiquement moi.

Un énième sourire se dessina sur les lèvres et elle reprit le pas. Le duo improbable gagna le véhicule attelé par des chevaux à la robe noire comme l'ébène. Une fois à l'intérieure Arianna ne put retenir un sifflement de surprise.

- Et bien c'est ce qui s’appelle rouler dans de l'or !

Nous arrivons à côté de ma voiture, qui semble impressionner Arianna. Cela me fait sourire, parce que la plupart des nobles ont des carrosses beaucoup plus voyants que mon petit coupé gris, finement décoré des armes de ma famille. Je souris et un petit rire m'échappe :

- " Apprenez vite que ce genre de voiture fait partie du plus discret. "

Le cocher vient nous ouvrir et nous nous asseyons sur les banquettes en velours. Je tire les rideaux pour éviter les regards indiscrets et explique au cocher où je veux aller.
Nous partons, d'abord lentement du fait de la foule, mais très vite nous nous éloignons du centre de la ville et les chevaux partent au grand trot. Les demeures des nobles sont un peu éloignées du centre-ville à proprement parler, mais évidemment elles sont toujours dans l'enceinte.
Un silence pesant flotte d'abord entre Arianna et moi, je ne sais pas vraiment comment le rompre ni de quoi parler.

- " Depuis combien de temps êtes-vous employée chez Mlle Hart ? "

Je connais bien cette jeune peste, prétentieuse et hautaine, car nos terrains sont mitoyens. Nous nous voyons rarement car nos parents s'apprécient peu, la famille Hart faisant partie de ces riches marchands anoblis il y a quelques siècles, que les "vrais nobles" méprisent. Et puis pour couronner le tout, ce sont des personnages vulgaires et grossiers au possible, enfin bref tout à fait l'opposé du type de gens que mes parents fréquentent.

Derrière les rideaux, la route continue de défiler. Nous arrivons bientôt à l'orée publique du bois, que nous contournons pour nous diriger vers l'entrée qui se trouve juste derrière la propriété familiale. De là, nous ne pourrons pas être remarquées.
 

La jeune esclave s'assit sur l'une des deux banquettes confortable et au tissu somptueux à ses yeux. Elle ramena ses jambes vers elle, prenant ses aises elle posa ses pieds sur la banquette et s'accouda d'un côté contre la fenêtre du véhicule attelé. Le bruit continuel et répétitif des sabots cognant contre le pavé des rues lui rappelèrent qu'hors du Mur elle n'avait jamais approché un équidé, de près comme de loin. Rares étaient ceux qui en possédaient, même son père jadis Gardien, soit la plus haute fonction possible au Village, n'avait pas eu les moyens de s'en procurer un. Elle n'eut pas loisirs de diverger ses pensées sur ce sujet car une des questions de Seyrane fit mouche dans son esprit et elle planta son regard olive dans celui de la jeune noble. En effet son passage de brigande à esclave était très récent, l'affaire d'une semaine à peine, trois jours peut être ? Elle ne comptait plus et ignorait même quel jour il était. Sous la question du temps Arianna voyait aussi une manière subtile de demander comment était son acheteuse. A moins qu'elle se fasse des idées ? Peut être, peut être pas. Arianna tenta de se remémorer les événements précédents pour savoir environs depuis combien de temps elle avait quitté sa vie, sa liberté, son foyer. La terre qui l'avait vu naître et avait assisté à sa déchéance jusqu'à l'ultime final de son arrestation sur la place principale du village.

- Ce n'est l'affaire que de quelques jours, il y-a moins d'une semaine j'étais une brigande présomptueuse poursuivie par une horde de Gardiens, le jour suivant on m'a emmené de force pour avoir frappé l'un d'eux. Ensuite j'ai finis toute une journée sur le marché aux esclaves où Hart m'a acheté pour trois fois rien. Après ça elle m'a menée à la Haute-Tour où elle vit à mon grand désespoir mais je ne sais plus depuis combien de temps, un ou deux jours, peut être trois même...

Elle haussa alors négligemment les épaules et regarda la paysage se défilait au rythme des sabots claquant contre le sol. Vers l'orée d'un bois ils ralentirent. Un bois ? Cela faisait si longtemps qu'elle n'en avait pas vu ! La dernière fois elle avait à peine quatorze ans et son père l'avait mené dans la petite forêt qui était au bout opposé du village. Après une histoire impliquant encore la guilde des ombres qu'Arianna méprise et admire à la fois cet endroit avait été retiré du public et ceux qui s'y approchait était durement punis. La jeune esclave se demanda alors comment son acheteuse allait réagir à son retour. Serait-elle une garce à la hauteur d'Arianna comme lors de leur altercation ? Ou bien sera-t-elle débordante de bonté comme à d'autres moments ? Elle l'ignorait et redoutait un peu ce moment.

La voiture roula jusqu'au portail d'entrée de la forêt et s'arrêta juste devant. James vint ouvrir la porte et me tendit galamment la main pour que je descende. Je le remerciai d'un sourire et soulevai le bas de ma jupe, un peu de boue s'accumulant sur le sol, reste de la pluie de la veille. Arianna descendit sur mes talons. Je me tournai vers James et lui demandai de retourner chez moi avec la voiture, mais de m'envoyer un cheval bridé.
Puis j'avançai vers l'orée de la forêt, suivie d'Arianna. J'ouvris la porte avec ma clé personnelle et nous entrâmes toutes les deux. Je refermai le portail et nous commençâmes à avancer le long de l'allée principale. La couche de boue s'épaississait petit à petit et je voyais qu'Arianna n'était pas à l'aise avec son long jupon.

- " Ne vous inquiétez pas, la cabane n'est pas loin. "

Je souris et continuai mon chemin vers l'endroit en question. La terre fit place à une couche d'herbe sèche, ce qui nous permit de marcher normalement. Nous arrivâmes bientôt en vue d'une petite chaumière en bois, encore bien droite et quasi pas abimée. J'en ouvris la porte, toujours avec la même clé. Il y faisait très froid et je dus resserrer mon ample châle sur mes épaules. Le fond de l'unique pièce était encombré d'outils, de planches, de ferraille, de balais... Mais plus de la moitié de la salle était libre et nous pourrions sûrement y installer de quoi s'assoir. De plus, la cheminée était encore en parfait état. Il faudrait juste que je demande à James, qui m'était dévoué et tenu au secret, de la ramoner et de nous apporter du bois. Je fis ainsi le tour de la petite cabane et revins devant Arianna, un large sourire aux lèvres.

- " Cela vous plaît-il ? "

Lorsque leur véhicule s'arrêta enfin devant un large portail en fer forgé. Un laquais ouvrit la porte et tendit la main d'un geste élégant vers son asservisseuse pour l'aider à descendre. Vêtu d'un simple complet malgré une certaine prestance on comprenait qu'il était lui aussi un esclave. A l'exception qu'il semblait s'y accommodait. Arianna descendit à sa suite ignorant superbement le laquais qui ne daignait non plus un seul regard vers elle, pourtant tout deux dans le même statut. Alors que Seyrane avançait aisément sur l'allée principale notre chère esclave peinait, s'embourbant dans la boue. Elle pestait un peu plus à chaque pas. La jeune noble se retourna vers elle et lui assura qu'il restait peu de chemin. Arianna eut un soupire de soulagement, elle ne pourrait plus faire un mètre de plus avec ce jupon blanc maculé de boue. Elle regrettait amèrement les pantalons que l'on portait au Village. Pourquoi à la réponse de la jeune noble Arianna eut un petit rictus de dégoût.

- Le tutoiement est-il en voie d’extinction de ce côté du Mur ?

La jeune noble mena Arianna vers une chaumière assez modeste ce qui étonna la jeune esclave qui crut revoir certaines bâtisse du Village. Cela la ramena dans une vague de nostalgie et de souvenir. Cette époque où elle était humaine, libre. A présent elle n'était rien, une esclave, au plus bas de l'échelle sociale. Un vent froid et glacial semblait flottait dans la petite bâtisse. Arianna se frictionna énergiquement les bras pour se réchauffer. C'était bien ça, une vraie bâtisse du Village. Aucun isolement, une taille très modeste, encombrée, peu d'ameublement : juste l'essentiel. Elle se revoyait chez elle, après la mort de son père, pelotonnée devant le petit feu de cheminée au côté de sa sœur malheureusement défunte aujourd'hui. Sa soeur décédée car Arianna n'avait pas eut les moyens de subvenir à ses besoins et la jeune enfant n'avait pas tenu plus de deux mois, suivant leur père dans sa tombe.

- Il fait un froid de canard mais on a guère mieux, si ?  

Je haussai les épaules et englobai du regard la petite maisonnette. Effectivement il faisait froid, et effectivement c'était pauvrement meublé, mais nous n'avions guère mieux à notre disposition. Comme nous l'avions déjà évoqué ensemble, il était impensable de se rencontrer chez moi ou chez sa maîtresse. J'étais tout d'un coup lasse et découragée. Je souhaitais revoir Arianna, mais après tout si cela ne l'intéressait pas autant ne pas me fatiguer à meubler et chauffer cette misérable cabane. Je décidai de faire part de mes sentiments à la jeune esclave, et on verrait bien. Il fallait avouer que son ton glacial m'avait déplu.

- " Effectivement, mais enfin si vous préférez rester au chaud chez Mlle Hart ne vous privez pas. "

J'avais pris un ton un peu pincé, involontaire malgré tout. Je plantai mon regard dans le sien et attendis une réponse, tout en me serrant dans ma capeline. Le vent commençait à souffler dehors, et le crépuscule approchait. Il allait falloir rentrer sans tarder, pour retourner dans les salons surchauffés, dans l'ambiance feutrée d'une énième soirée. On entendait les chevaux qui s'ébrouaient à l'extérieur.

Face au ton sec et bourru de la jeune noble Arianna haussa un sourcil inquisiteur. Pourquoi devenir si agressive d'un seul coup ? La jeune esclave avait-elle dit des paroles en travers ? Elle avait l'impression que non, surement sa dernière réplique ne lui avait pas plu mais tant pis Arianna disait ce qu'elle pensait et ces mots n'avaient jamais été à prendre mal, juste une petite réflexion nostalgique. Dans cette sorte de maisonnette elle se revoyait là où elle habitait au Village. Et voilà que Seyrane lui dit d'un ton aussi froid que le vent qui soufflait dans cette cabane qu'elle pourrait très bien rentrer directement chez son asservisseuse. 

- N'ais-je pas demandé que l'on se tutoie pour l'amour du ciel ? Et je vais te le dire une seule fois, si tu m'invites il faut savoir passer outre mes réflexions. Et si je préférais être bien au chaud chez mon asservisseuse j'y serais déjà figures-toi. Une esclave escortée par une noble, rien à voir ici à part des problèmes visiblement. Il faut arrêter de voir le mal partout, ce n'est pas car cet endroit est froid, congelé même, que c'est pour cela que je suis mal à l'aise ici. Parfois les choses sont un peu plus complexes que ce que tu penses qu'elles sont. Le monde ne tourne pas autour de ton point de vue personnel ni de tes sentiments.

La jeune esclave faisait quelques pas ci et là dans la cabane. Cet endroit était si près de là où jadis elle résidait. Elle s'avança vers la petite cheminée que le valet de la jeune noble avait allumé à leur arrivée. Les flammes dansaient dans le petit habitacle de pierre. Un sourire se dessina sur les lèvres d'Arianna, un sourire nostalgique. Elle se revoyait le moment précis où elle était revenue découvrant que sa sœur n'avait pu tenir son retour, la faim avait eu raison de la pauvre enfant alors âgée de dix ans à peine.

- Tu sais ce qui me gêne ici ? Cet endroit est à quelques meubles près d'être la copie conforme de là où j'habitais. Juste devant cette cheminée nous avions une petite banquette en guise de canapé, après le décès de mon père les Gardiens avaient raflées la plupart de nos biens et nous nous contentions de ce que l'on pouvait. Et il y-a quelques mois à peine alors que l'on était en plein été j'avais allumé un feu, en promettant à ma sœur à demi-morte de faim qu'avant qu'il ne s'éteigne je serais revenu avec de quoi nous nourrir. Il m'avait fallut plus de temps que prévu car les Gardiens rôdaient près des étales, et lorsque après des semaines d'abstinences j'étais revenu avec de la nourriture il ne restait qu'un ramassis de cendres incandescentes, et elle était morte. Donc cet endroit me rappelle juste ce que j'ai quitté et ceux que j'ai perdu, donc oui j'en préfère presque le salon surchauffé de mon asservisseuse car au moins là-bas je peux me concentrer à ce que je suis devenu au lieu d'être obnubilé à ce que j'ai laissé.

A présent agenouillé face au feu de cheminée elle se releva et planta son regard dans celui de la jeune noble comme un peu plus tôt l'avait fait Seyrane tel un signe de défi.  

- A présent tu sais le fond de ma pensée, tu comptes encore une fois me forcer la main de partir ou tu ne verras que ce que j'ai dit et non des sous-entendus qui n'y sont pas ? 


 

Seyrane écouta attentivement Arianna raconter ses souvenirs. A plusieurs reprises, les propos de la jeune esclave l'agacèrent, plus d'une fois elle manqua de l'interrompre. Ce mélange de morgue, d'audace et de culot plaisait à la jeune femme mais l'agaçait par ailleurs. Non pas qu'elle fut offusquée qu'une esclave lui parlât ainsi, ce n'était plus une question de rang pour elle. Elle se considérait comme égale à Arianna. Mais cette espèce de mépris, non, elle ne pouvait le supporter. Elle appréciait la jeune femme, c'était certain, mais si en retour elle pouvait éviter de se faire accuser de choses auxquelles elle n'avait pas pensées, cela aurait été mieux. On peut donc imaginer la fureur dans laquelle la dernière phrase plongea Seyrane. Elle ferma les yeux un court instant, serra les poings en abîmant la paume de ses mains avec ses ongles et poussa un lourd soupir.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux et que ses iris clairs rencontrèrent de nouveau ceux d'Arianna, une détermination jamais vue dans son regard était lisible. D'une voix très ferme, basse, calme mais dont on sentait qu'elle cachait un énervement contenu, elle déclara :

- " Je vais être très claire avec toi. Je te considère comme une personne intéressante et avec qui j'aimerais passer du temps. Mais je n'ai rien à y perdre. Alors si c'est pour, dès le premier jour, t'entendre me dire que je pense que le monde tourne autour de mon point de vue, que je te force la main pour que tu partes, c'est très peu pour moi et ce sera vite clos.

Elle s'arrêta un instant, déglutit et rejeta ses cheveux en arrière. Durant quelques secondes qui semblèrent une éternité, les deux jeunes femmes se dévisagèrent en chiens de faïence.
Seyrane reprit alors la parole. Sa voix s'était durcie.

- " Quand à ton passé, il ne me regarde pas. Je ne dirai pas qu'il ne m'importe pas, mais il est hors de question que tu l'amènes dans la question présente avec laquelle il n'a aucun rapport. Je respecte ce que tu as vécu, mais ne crois pas que parce que tu viens de l'autre côté du mur et que tu as joué les petites rebelles, que tu en as vu plus que moi. Nous avons des passés très différents en tous points mais le tien vaut bien le mien.
Et pour le fait de regarder devant toi ou derrière, cela n'appartient qu'à toi et personne ne me fera croire qu'une fille comme toi soit incapable de contrôler ce genre de chose. Je ne suis pour rien dans tes affaires, et c'est toi-même qui décide de la direction à suivre. Ne joue pas les victimes.

Seyrane s'arrêta sur cette phrase lancée d'une voix plus douce et son regard dévia vers la porte, derrière Arianna. Alors que l'instant plus tôt elle s'exprimait avec une grande force, elle semblait maintenant perdue dans ses pensées. Ses yeux erraient dans le vague, ne se fixant sur rien de précis. Attendait-elle une réponse ? Personne n'eut su le dire. Au bout de quelques minutes d'un silence assez pesant, ses yeux revinrent sur Arianna, qui, assise devant le feu, ne l'avait pas quittée du regard. La jeune noble l'observa avec une sorte de douceur, mêlée de questionnements.

Bras croisés sur le torse la jeune esclave écoutait la noble vider son sac. Levant les yeux au ciel au fur et à mesure, visiblement à chaque tentative d'Arianna pour expliquer ce qu'elle pensait, la jeune noble ne trouvait pas ça à son goût. Arianna ne savait plus comment satisfaire la jeune noble, mais fallait-il vraiment qu'elle se plie à Seyrane ? Elle ne la connaissait que depuis quelques heures après tout, certes elle l'avait aidé mais depuis leur rencontre cette jeune noble ne cessait de regarder les mauvais côtés de la jeune orpheline. Toute cette masquerade commençait à l'épuiser, elle en avait marre d'écouter cette noble se plaindre du comportement qu'elle avait vis à vis d'elle. La jeune esclave la traitait comme son égale, mais visiblement Seyrane ne voyait en Arianna qu'une petite peste, si c'était le cas la jeune esclave ne voulait pas rester une seconde de plus avec cette marginale.

- Et bien même si ça c'est surement difficile à croire de ce que je vais faire mais merci pour tout à l'heure, et de penser que je suis une personne intéressante mais saches aussi que certes dès mon premier jour mes opinions sur toi ne sont pas forcément haut placé mais ça ne change rien, j'exprime ce que je pense. Peut être préférerais-tu que je mentes en disant que tu es tout à fait agréable qui est très ouverte aux autres ? Sauf que ça n'est pas ce que tu me montres, peut être es-tu ainsi mais depuis le début tu ne fais que rabâcher que l'agacement que tu ressens vis à vis de moi. Donc puisque ma présence t'irrites tant, aurevoir.

La jeune esclave, mains sur les hanches, jaugeait droit dans les yeux la jeune noble. Fronçant légèrement les sourcils elle monta le menton comme pour conclure la discussion. Alors qu'elle avançait résolument vers la porte au moment où elle posait sa main sur la poignée la jeune esclave se retourna une dernière fois vers la jeune noble.

- Et jamais je n'ai joué les victimes, les seules véritables victimes sont mortes à ce jour. De même ce n'est pas une rebelle que je suis mais une esclave, asservie par ton peuple, et il est difficile de choisir la voie que l'on veut quand notre propre vie ne nous appartiens plus. Pense ce que tu veux de mes paroles, inventes d'autres sous-entendus ridicules mais prends celles-ci au premier degré, parfois ce n'est pas le monde qui t'entoure qui à tort, mais toi.

Dès qu'elle acheva ses paroles d'un ton neutre elle ouvrit la porte, une bourrasque de vent lui fouetta le visage d'une gifle glaciale. Un frisson lui traversa la colonne vertébrale mais elle se renfrogna et sortit dehors laissant la porte grand ouverte. Les quelques pas dans la nuit en solitaires ne la ravissait guère, elle ne savait même plus quel sentier elle avait emprunté pour débarquer ici. Peut importe elle devait s'éloigner de cet endroit, et rentrer. Son asservisseuse devait surement l'attendre impatiemment.