— Il est toujours trop tôt pour abandonner — Norman Vincent Peale —

Les mariages s'enchaînaient, les consciences s'alourdissaient et les songes d'échappées s'envolaient. Pour beaucoup, c'était un sacrifice amer. Et si Lara avait eu de fortes convictions en inscrivant son nom sur l'accord de la Reine d'Argent, le doute qui rongeait tous les fiancés de Vivendale n'avait pas fait exception de son cas. C'était avec William qu'elle avait retrouvé ses esprits.

L'union de Lara et du Témérien avait perdu ses allures de fatalité. Elle entrevoyait les solutions. Finnvarra Falkren, l'homme qu'elle épouserait, était prévenant et honnête. Ils s'étaient rencontrés deux semaines plus tôt, lorsque Katharina les eût choisis. Les premières entrevues avaient été très maladroites, aucun des deux n'avaient su s'y prendre. Finn avait blessé les sentiments de sa promise et Lara avait été plus qu'indélicate. Il s'était empressé de se faire pardonner dès le lendemain, en l'emmenant pour une promenade. Il lui avait fait visité la ferme qu'on lui avait confiée. Et il lui avait parlé d'un futur, d'un avenir attrayant, qui n'avait finalement rien de tout à fait impossible. Lara avait découvert chez cet homme, des qualités dont les barbares étaient habituellement démunis. Et ils s'étaient ouverts l'un à l'autre, en offrant leur amitié. Lara avait eu du mal à avouer son secret, celui de ce petit être discret qui grandissait doucement dans son ventre. Mais elle n'aurait pu épouser quelqu'un qui ignorait sa condition, en plus de cela le ventre arrondi ne pouvait passer inaperçu encore longtemps. La réaction du Témérien avait dépassé ses espoirs, et elle avait été flattée par la douceur du soldat. Finn accueillerait cet enfant comme le sien.

Susan lui caressa les cheveux. Elle avait toujours les sourcils froncés depuis le traité, comme si son visage ne pouvait renoncer à l'angoisse. Lara savait, elle savait que rien n'aurait pu consoler sa mère de cette invasion, elle savait qu'elle était contre les mariages de Katharina, contre ce mariage-ci tout particulièrement, qu'elle ne pensait que du mal des Témériens et n'avait pas confiance en Finn, et Lara savait aussi que Susan n'aurait jamais abandonné sa fille dans une épreuve comme celle-ci. Elle rassura sa mère d'un sourire. Susan laissa retomber son bras. Le regard coulant enveloppa la mariée et un ultime conseil obligé vint ponctuer ces derniers instants de femme libre. « Fais attention. » Faire attention aux nouvelles alliances... Susan lui avait dit de ne pas accorder sa confiance aux Arrivants, même à son époux. Les discours de l'ancienne Ombrageuse avaient pris des tonalités dramatiques, elle parlait de grands complots et se méfiait de tout le monde, des gens de Témère comme de leurs amis. Mais Lara hocha, pour lui faire plaisir. Les portes s'ouvrirent et elle fut escortée à l'extérieur de la chambrette. Susan suivit la silhouette blanche jusqu'à ce que celle-ci s'engouffrât dans l'aile gauche du corridor. Elle fronça d'avantage ses sourcils en soupirant. Elle leva les pans de sa robe d'ocre rouge et alla se glisser dans les premiers rangs d'invités, pour regarder sa fille lier sa vie à celle d'un oppresseur.

finnvarra falkren

― Une ombre de lumière ―

Il aimait tout de cet endroit. De son sol jusqu'à son ciel. Il avait aimé ces hautes neiges et ces arbres nus, ces jours blancs, ces oiseaux d'hiver, cet air mordant et cette atmosphère fringante. Et puis il aimait aussi ces grands champs de blés, ces terres fertiles et cette faune pittoresque. Il aimait respirer le froid des débuts du jour, cet air de gel qui le rendait plus vivant que jamais. Quand aurait-il pu imaginé tant de vitalité ? Cette ardeur se retrouvait partout à Vivendale, elle fourmillait, et il ne pouvait toujours pas concevoir combien il avait été béni par la chance. Finnvarra pensait ne jamais pouvoir se lasser de cette nouvelle vie pour laquelle lui, et son peuple tout entier avaient tant prié. Il admira les couleurs sur l'horizon, des couleurs qui n'avaient jamais effleurées Témère, et en fermant les yeux, il inspira. Sa poitrine se gonfla de la fraîcheur matinale. Il se sentait si bien ici, avec ces gens, ces gens qu'il aimait déjà. Menaly passa devant lui. Elle portait dans ses bras fins, des vases fleuris d'oranges et de rouges. Elle lui lança un gentil sourire en entrant dans la maison. Geren, un garçon de quinze ans, s'activait à l'intérieur pour que tout plaise et soit harmonisé. De son long bras, il ajustait les décorations qui tombaient des poutres, il donnait aussi quelques indications à ses amis pour ne laisser aucun détail de côté. Finn lui offrit un signe de tête admiratif quand leurs regards se croisèrent. Et le jeune homme retourna à son affaire quand Susan le contourna pour rejoindre Finnvarra. « Tout est prêt. » Tout était prêt. Cela le rassura. Tout se déroulait très bien, aucune inquiétude à avoir. Lara serait dans le Temple, ils se marieraient et reviendraient chez eux pour célébrer leur nouvelle union. La ferme était superbement décorée, grâce à tous leurs amis. L'ambiance était de fête, les gens souriaient, la journée était belle. Tout allait comme prévu. Seule l'attitude de Susan le chatouillait. Depuis qu'ils avaient été présentés, elle gardait ardemment ses distances. Son corps voulait le fuir, elle lui tournait déjà le dos, prête à repartir. Il l’appela avant qu'elle ne s'éloigne trop : « Madame. » Il aurait voulu lui raconter, lui expliquer, lui montrer qu'il était plein de bonnes intentions, envers Lara et même envers la cité. Mais elle stoppa aussitôt son élan. « Il n'est pas nécessaire d'ajouter quoi que ce soit. » - « Et pourtant, j'en éprouve le besoin. Il faut que vous sachiez que vous et moi ... » Elle secoua la tête, leva la paume de sa main pour l'arrêter. « Et il n'est pas nécessaire que nous ayons une conversation de ce genre, ni maintenant ni jamais. Je respecte ce qu'il a été décidé, je respecte le choix de Lara, mais cela ne signifie pas que j'aie quelque obligation envers vous, autre que ce respect. » Elle était droite, engagée, absolument certaine de ce qu'elle disait. Finn ne voulut plus la contrarier, sa seule posture inspirait l'estime du Témérien. « Vous et moi avons de grands projets aujourd'hui Monsieur Falkren, et des attentes à satisfaire autres que votre besoin à bavasser. » Il ouvrit la bouche pour répondre, mais elle ajouta sans lui laisser l'occasion d'une parole: « Ma fille vous attend. » Elle tourna les talons dans l'instant et repartit dans la maison. Il resta pantois, un peu surpris puis il eut un mince sourire dans les coins de ses joues. Peut-être appréciait-il la surprenante rudesse de ce caractère, mais surtout, c'était la première fois qu'elle lui adressait plus de deux mots. Finnvarra était tenace, sûrement autant que que l'était Susan et il espérait qu'un jour, ils aient de vraies conversations. Mais elle avait raison, l'heure n'était pas à bavarder. Effectivement, aujourd'hui, il avait mieux à faire.


Il était pris d'une pure joie qu'il n'avait jamais connue jusqu'alors. Un bonheur simple et vrai, un de ceux auxquels il rêvait. Avant Vivendale il s'était autorisé à l'espérer, et désormais il le vivait. A l'époque il avait imaginé que son coeur pourrait être si léger qu'il aurait l'impression que son corps tout entier pouvait flotter ; aujourd'hui, alors qu'il avait une ferme où travailler, des champs à cultiver, des gens à protéger, une fiancée à aimer, il était tout à fait heureux. Son coeur s'allégea d'avantage encore lorsqu'elle passa les portes du Temple et s'avança jusqu'à lui. Elle portait en toute simplicité une robe de cérémonie, une fleur orange dans ses cheveux et des perles fines à ses poignets. Susan marchait à sa gauche, les yeux rivés sur le fiancé. Et lui, ne détachait pas son regard de la silhouette blanche de Lara. Son sentiment fut si grand lorsqu'elle s'arrêta devant lui, qu'il ne put résister à prendre ses mains dans les siennes. Elle avait les sourcils légèrement froncés. « Tout commence ici Lara. » Les grands iris bruns de la jeune femme s'accrochèrent à ceux de Finn. Doutait-elle ? Avait-elle peur ? « Fais-moi confiance. » Elle papillonna. Il eut un léger soupir attendri. Elle n'avait pas à avoir peur, plus maintenant. Il lui sourit tendrement en caressant ses bras, et il répéta plus intimement. « Fais-moi confiance. » Les épaules de la belle s'affaissèrent, la tension s'envola. Elle hocha doucement. Oui, elle lui faisait confiance. Il avait la certitude qu'il la rendrait heureuse, que rien n'était plus sûr que cette promesse. Il ferait tout ce qu'il faudrait, pour elle et pour l'enfant. Et Lara le savait aussi. Elle y croyait, puisqu'elle calqua son sourire à celui de Finn pendant que le prêtre venait nouer le ruban.