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A l'ombre des jardins | Isabelle & Aiden

Dezbaa
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Dim 14 Aoû - 10:20




Isabelle Hart & Aiden Ruthendell
— A l'ombre des jardins. —



Suis-moi jusqu’au bout du monde. Aiden apprécierait sans doute de pouvoir prononcer cette phrase, même si c’était du bout des lèvres, même si c’était le cœur affolé, même si c’était l’esprit effarouché. Une fois serait suffisante ; il ne pourrait y avoir qu’une seule fois. Un être unique l’y accompagnerait, au bout du monde, au bout de la vie, au bout du périple. Mais il n’en a jamais eu l’occasion. A chaque fois, c’est lui qui revient. Il retourne vers les êtres multiples et semblables, sempiternellement, comme un aimant. Ils le repoussent et l’attirent toujours plus fort. C’est l’effet de Vivendale ; l’effet qu’elle a sur tous. Isabelle n’y échappe pas. Née dans la cité, elle y est ancrée. Ses chaînes, tant adorées que détestées – famille, amis, complots –, la retiennent, mais sans doute rêve-t-elle secrètement de s’enfuir vers d’autres terres. Peut-être fantasme-t-elle ces quelques mots : Suis-moi jusqu’au bout du monde. Et c’est sous le clair de lune, à l’ombre des jardins de Vivendale, que se retrouvent ces deux âmes aimantées…
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Dim 14 Aoû - 10:22

Aiden Ruthendell
— « Do not let the roles you play in life make you forget that you are human. » R. Bennett —

Le génie était assis en tailleur. Il ne bougeait pas. Statue vivante, être d’immobilité, il se contentait d’observer la voûte céleste. Les étoiles, de leur lueur tendre mais incertaine, valsaient près de la lune. L’océan de minuit accueillait leurs chants silencieux qui apaisaient les cieux. Leur lumière se reflétait directement dans ses yeux. Elles s’y miraient, splendides dans leurs robes éclatantes de blancheur. De temps en temps, les paupières clignaient, comme si elles tentaient de voler les éphémères trésors de la nuit. Une fois, elles s’abaissèrent plus longuement, et leur hôte prit une grande inspiration. Des centaines d’odeurs s’engouffrèrent dans ses narines, tandis qu’il n’en détectait qu’une petite dizaine. De la nature, il chérissait ce caractère complexe et infini. Il sentait le parfum de l’herbe fraîche, à peine humide, qui était aussitôt chassé par des fragrances plus puissantes : rosiers, lilas, géraniums, lys, acacias, rhododendrons, orangers… La végétation s’épanouissait autour de lui, libre de ramper, grimper et éclore.

La sensation n’était pas aussi appréciable que celle qui l’avait traversé durant son voyage, mais on ne pouvait absolument pas la qualifier de désagréable. Elle était simplement plaisante d’une manière différente. Il était revenu le matin même, sale et fatigué, abattu par l’idée que tout se finissait, et que le reste recommençait. D’un pas las, il était retourné dans sa chambre, en prenant garde de ne croiser personne. Il ne voulait pas s'encombrer de politesses, pas maintenant, pas tout de suite. Il avait défait son sac lentement, avec des gestes trop minutieux pour dénoter d’un réel souci de bien faire. Le sac lui avait semblé bien vide, en comparaison de sa tête bouleversée par des souvenances avides. Il ne pouvait s’empêcher de penser à ce qu’il avait vu et entendu, et de réfléchir au sens à donner à ce geste de la part de Katharina. Il songeait à Ethel, et à sa sœur ; au petit Ikar, à la vieille Nuria, et à tous les autres. Il avait fini par se laisser tomber sur son lit, et il avait dormi jusqu’au milieu de l’après-midi. Lorsqu’il s’était réveillé, il avait entreprit de faire sa toilette. Il s’était lavé de la crasse de la traversée, et avait revêtu des vêtements plus propres – une chemise et un pantalon sombres et sobres. Il était resté dans ses appartements jusqu’à la tombée de la nuit, à écrire, dessiner, planifier – sans trop savoir ce qu’il faisait ; il laissait son esprit divaguer. Puis, il était sorti, pieds nus. Il avait réemprunté les petits passages qu’il prenait lorsqu’il était arrivé à la Haute-Tour et épiait certains couloirs pour surveiller les allées et venues des gardes, et prévoir ses escapades. C’était toujours Juliet, qui venait le récupérer, dans ces moments-là. Mais ce soir-ci, elle ne viendrait pas. Il ne voulait pas la voir, parce qu’elle seule saurait comment tout gâcher. Elle porterait une rancune vengeresse, blessée par le départ secret et précipité de son amant. Il n’avait pas besoin de cela.

Il s’était dirigé vers les jardins et avait parcouru quelques allées. Il avait senti la verdure frémir sous ses pieds… et s’était rappelé pourquoi il retirait toujours ses chaussures lorsqu’il était enfant. Ressentir la terre… On n’oubliait trop de choses, avec le temps et les gens. Le temps atténuait la vivacité des souvenirs, et les gens chassaient les habitudes incivilisées, ces habitudes d’hommes libres, paisibles et heureux. Et on ne revigorait pas cette mémoire desséchée… et finalement rejetée. Sur ces quelques pensées, il s’était assis dans un coin, entre plusieurs arbustes parfumés, et avait commencé à contempler l’infini qui enlaçait le monde. Demain, j’aurai oublié, se dit-il. Il finissait toujours par oublier l’essentiel. Comme tout le monde. On délaisse le passé pour mieux entrevoir le futur, pourtant si hasardeux et vaporeux. On se projette plus loin, ici ou ailleurs. Ailleurs... Où serai-je dans quelques années ? La pensée lui revenait souvent, telle une rengaine douloureuse et moqueuse. Il serait à Vivendale. Tout l'indiquait : l'échiquier ne se déplaçait pas en sa faveur. Cependant, il ne pouvait s'empêcher de se poser la question, le soir, éloigné des agitations de la cour. Le problème était que la réponse demeurait inaccessible, cachée derrière les voilages chatoyants de l'avenir.

Sur ses mollets, un carnet était posé. Dans l’une de ses mains, il tenait un crayon, et d’autres sommeillaient autour de lui, en attendant qu’il s’en emparât pour les faire danser sur le papier. Presque dans un sursaut, il rabaissa la tête pour retourner à son dessin. Ses doigts revinrent doucement apposer la mine, et les traits s’accumulèrent, tantôt avec fluidité, tantôt de manière hachée. Son esprit transposait un paysage. Une chaîne de montagnes dont les cimes étaient enneigées surplombait un lac gelé. Autour de l’eau, quelques pins poussaient, leurs épines couvertes par une fine pellicule blanche. Il lui semblait qu’il s’agissait de son plus vieux souvenir de voyage. Il était évidemment altéré. Il se rappelait simplement des éléments présents et de leurs couleurs… mais il avait oublié la disposition des arbres : il les avait placés aléatoirement. Il ne se souvenait pas non plus du nombre de montagnes, et de la forme exacte du lac. Ses parents avaient dû installer un campement en hauteur, et telle était la vue qui s’offrait en contre-bas – approximativement. Quel âge avait-il ? Deux, trois ans ? Quatre, peut-être ?

Il continuait à fouiller et à s’égarer dans un océan de souvenirs, au gré des tracés de son crayon, lorsqu’une voix familière vint percuter ses tympans. La mine manqua de se briser ; l’objet lui échappa des mains. « Je n’espérais plus te revoir. » Il tourna la tête et discerna une silhouette qu’il avait appris à connaître. Pourtant, elle lui paraissait soudainement étrangère, comme venue d’un autre monde. Elle s’avança un peu, et la lune éclaira mieux ses traits graciles – comme si l’astre devinait qu’au fond, l’Inventeur avait besoin d’une confirmation. C’était bien Isabelle ; Isabelle l’enfant de colère et la femme de regret, l’être qui portait ses échecs et gâchait ses espoirs – un peu comme lui, finalement. « Difficile de te le reprocher. Aucun homme ne résiste à l’appel de la mer. » Elle semblait être restée la même, mais il ne put s’empêcher de penser qu’elle avait changé. Tout avait changé ici. Tout. Un sourire amer, ou moqueur, dévoila furtivement ses dents.

Aiden se détourna. Il regarda son esquisse inachevée, puis ferma son carnet dans un claquement sec. Sans lui faire face, il répondit : « La mer n’attire que ceux qui aspirent à la liberté. Elle n’est pas faite pour les hommes… rigides. Ils ne peuvent pas s’y plaire. » Il leva le visage vers les étoiles. « Elle est trop changeante pour eux. Elle leur ferait perdre la tête. » Un vague sourire étira ses lèvres. « On ne peut aimer la mer que si l’on est soi-même un peu fou, Isabelle. Peu importe la nature de la folie, il en faut juste assez pour accepter la sienne, et l’adorer. » Un à un, il ramassa les crayons dispersés autour de lui. « Tu n’as jamais pris la mer ? Tu devrais. C’est vrai qu’on n’a plus jamais envie de revenir, après. Pour ceux qui aiment… » En s’appuyant sur un bras, il se releva avant de pivoter vers la jeune femme. « Mais l’envie n’est maîtresse que des impulsifs – et des libres. Alors… il fallait bien revenir. » Sa bouche sérieuse céda rapidement la place à un sourire joueur. « Je t’ai manqué ? » Il la scrutait, planté là, ses pages de dessin glissées sous le bras, ses crayons tenus dans une main. Malgré la faible luminosité, on discernait son teint plus mat que de coutume. Il faisait ressortir ses iris qui semblaient avoir aspirés deux morceaux de soleil, et ses cheveux blondis par les rayons éternels. Il avait l’apparence de l’aventurier égaré, du marin échoué, de celui qu’il était peut-être vraiment, mais il avait déjà repris son jeu de faux-semblants.


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Jeu 18 Aoû - 22:41


Isabelle R. Hart
"Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie" Verlaine

https://www.youtube.com/watch?v=JQVop3-OOXc

Isabelle avançait en funambule dans la nuit noire. Les yeux fermés et les bras étendus avec volupté, elle laissait le vent la porter, l'emporter, loin, loin d'ici, ailleurs, encore et toujours plus. Les ténèbres l'enveloppaient, la caressaient perfidement, avidement, et elle épousait avec plaisir cette étreinte dangereuse. Elle oscillait d'un pied à l'autre, tanguait, perdait l'équilibre puis le regagnait, elle entrecroisait ses longues jambes, continuait son ascension, son cheminement. Elle ne vivait que pour ses instants sur le fil, perchée dans les airs, la tête dans les étoiles. Terriblement effrayante, saisissante, elle continuait d'avancer en équilibre sur le fil, là, où vie et mort s'entremêlent, où dessein et destinée se confondent, où risques et possibilités ne font plus qu'un. Il lui semblait parfois être l'unique à percevoir les enjeux de l'existence : s'envoler. Haut toujours plus haut. Elle rejeta la tête en arrière dans un geste de total abandon, elle se dressa sur la pointe des pieds et leva les mains vers le ciel : Un jour, elle s'envolerait et jamais plus elle ne remettrait les pieds sur terre, elle explorerait le ciel et son horizon, le bout du monde... Le vent s'engouffra dans ses jambes, le satin dansait sous l'emprise de la brise nocturne, ses manches se gonflèrent et un instant elle eut l'espoir d'y parvenir... Isabelle ouvrit les yeux, et la réalité l'empoigna avec fougue, violence. Désarçonnée de ses rêves, elle reposa les talons au sol et lissa d'un revers de mains les plis froissés du tissu champagne. La rosée avait vivifié ses sens, humidifiant le bas de ses jupes et ses pieds d'oiseau. La jeune Lady n'avait jamais eu de ses petits pieds charmants, desquels les danseuses s'élèvent et tournoient. Ses pieds étaient allongés, squelettiques, les veines se dessinaient au commencement de la jambe - et pourtant nul autre n'aurait pu égaler la grâce de la jeune femme lorsqu'elle s'apprêtait à voler. Au loin, un hululement strident perça le silence, et d'autres rapaces lui firent écho. Isabelle frissonna, elle s'était réfugiée dans les jardins, en quête d'apaisement et de sécurité. Ses pas l'avaient mystérieusement attirés ici sous les astres, comme guidés, attirés. Elle avait cherché à fuir les contrastes des derniers jours, toutes ces émotions négatives qui avaient pris le dessus sur sa vie. Ici personne ne la troublerait ; elle avait chassé Alexandre au loin après sa requête, il voulait seulement la pousser dans la gueule du loup. Comme tous les autres. Mais il ne s'aventurerait pas ici, elle le savait, sa menace avait été claire. S'il la suivait cette nuit, elle n'hésiterait pas... Mais dans son refus catégorique, il lui semblait perdre quelque chose d'essentiel : Arianna. Elle expira profondément,  il ne fallait pas y penser, pas ce soir... Le temps du répit était venu, et le jour serait là bien assez tôt. La Hart était troublée bien plus qu'elle ne souhaitait l'admettre, et à ses questionnements s'ajoutait une rumeur croissante : le retour de l'inventeur maudit, Aiden Ruthendell. Elle n'était pas certaine de son ressenti, ils avaient passé une nuit d'amour, puis il avait disparu. D'une certaine manière, peut-être que l'éloignement avait préservé leur intégrité ; l'espace de quelques heures ils avaient détruit leurs murs respectifs, il n'y avait plus eu aucune limite. Ils avaient été vulnérables. Dangereusement vulnérables. Le départ précipité du Vivendalais y avait mis un terme, et c'était probablement pour le mieux. Et pourtant... Isabelle sentait encore la caresse de son souffle chaud sur sa peau, si vivifiante, tentante... Sous lui, dans l'étreinte de ses bras, et alors qu'elle cédait un toujours un peu plus de terrain, elle s'était sentie entière. Comme intouchable. Plus rien n'aurait pu l'atteindre, si ce n'est lui : et cela ne devait plus arriver. Mais peut-on réellement reprocher à Isabelle, cette naïveté ? L'ironie du sort en avait décidé autrement, et maintenant plus que jamais, les lignes de vie de ces deux protagonistes semblaient enlacées, emmêlées l'une à l'autre, monstrueusement. Il semble dès lors tout naturel que ses pas l'aient conduit à lui ; comment aurait-il pu en être autrement ? Elle releva la tête et ses iris noires se posèrent sur le cou de son amant ; une décharge la traversa. Il était là, devant elle, les rumeurs disaient vraies. Les rayons de lune illuminaient ses cheveux blondis par le soleil et l'air marin, son teint était davantage hâlé, sa posture plus sombre. Il avait incontestablement changé. Elle s'avança davantage ; il était assis en tailleur, le dos voûté, penché sur ce qui ressemblait à l'esquisse d'un paysage. La curiosité la titillait, mais elle résolut à s'immobiliser, à préserver son intimité. Ne l'avait-elle pas déjà violée en s'aventurant dans son antre ? « Je n’espérais plus te revoir. » Il inclina la tête dans sa direction, ses yeux papillonnèrent. Elle fit un pas en avant, s'exposant à l'aura lunaire. « Difficile de te le reprocher. Aucun homme ne résiste à l’appel de la mer. » Il lui adressa son habituel sourire moqueur - mais est-ce que cette expression ne cachait pas autre chose... et referma son carnet de dessins d'un geste brusque. Il s'était détourné d'elle, et contemplait à présent l'immensité de la voie lactée. « La mer n’attire que ceux qui aspirent à la liberté. Elle n’est pas faite pour les hommes… rigides. Ils ne peuvent pas s’y plaire. Elle est trop changeante pour eux. Elle leur ferait perdre la tête. On ne peut aimer la mer que si l’on est soi-même un peu fou, Isabelle. Peu importe la nature de la folie, il en faut juste assez pour accepter la sienne, et l’adorer.  » Elle leva les yeux au ciel, il lui semblait toujours qu'à travers chacune de ses paroles, Aiden l'interrogeait, la provoquait. Il remettait en question ses choix et ses actions, leur conversation n'était rien de plus qu'un « Pourquoi, Isabelle ? » inaudible. Qu'aurait-elle pu répondre ? Elle ne pensait pas en détenir la réponse. Une moue nostalgie étira ses lèvres, elle se laissa glisser au sol à ses côtés. « Tu n’as jamais pris la mer ? » La jeune femme secoua la tête négativement. « Tu devrais. C’est vrai qu’on n’a plus jamais envie de revenir, après. Pour ceux qui aiment…  Mais l’envie n’est maîtresse que des impulsifs – et des libres. Alors… il fallait bien revenir. » La Hart reconnut la lueur joueuse qui s'éveilla dans ses prunelles, la danse au bord du précipice, la partie d'échec, le jeu du chat et de la souris, tout allait reprendre. Mais cette fois, ils ne répondraient plus de rien. « Je t’ai manqué ? » Son regard s'accrocha au sien, il cherchait à deviner la vérité. Elle soupira et enroula distraitement un brin d'herbe autour de son annulaire. « Oui. » Elle avait été honnête, tout en sachant qu'il ne lui accorderait pas ce luxe. Ses yeux glissèrent sur la bouche de son rival, elle y discerna un tressaillement. Ce n'était peut-être que son imagination, peu importait... « Mais je suis certaine que ce n'est pas une bonne chose. » Autour d'eux, la nuit s'était tue. L'attraction de ses deux âmes perdues prenait le dessus sur tout. Ils étaient monstrueux et magnifiques, complémentaires et opposés comme deux aimants.
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Mar 23 Aoû - 0:39

Aiden Ruthendell
— « L'existence serait intolérable si l'on ne rêvait jamais. » Anatole France —

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Artiste dans l'âme, il appuyait sur les points sensibles comme il frappait les touches d'un piano : avec légèreté, le sourire aux lèvres, mais avec précision, sans jamais rater son coup. Du moins, il aimait se bercer de cette illusion, il aimait penser qu'il pouvait trouver les faiblesses, les défauts, les regrets, les envies de chacun, et les exploiter ; dans un but utile, ou simplement pour s'amuser. Il avait l'âme amère, plus amère encore après son voyage en mer... et la moindre faille était une manière, pour un temps, de la faire taire. Elle avait l'air de se réjouir de ces petites mesquineries ; dix, vingt, trente secondes. Mais elle oubliait, parfois et paradoxalement en le soulignant par les mots, ce qui la dégoûtait du monde. Et vivre sans cette peine n'avait plus de prix. On s'abaisse au pire pour croire qu'on peut encore s'en sortir. Pourtant, Aiden n'y voyait qu'un jeu, un jeu dangereux ; et c'était cette potentialité qui l'excitait. Avec Isabelle, il n'était généralement pas déçu : les réactions ne manquaient pas. Elle renvoyait la balle avec adresse, en essayant de se découvrir le moins possible. Mais ce soir-là, elle s'était ouverte. Elle avait soupiré et avait lâché, presque comme un aveu : « Oui. » L'honnêteté, soudaine, l'étonnait. Le battement de cœur fébrile, soudain, l'étonna. Elle sonnait comme une fausse note, dure à l'oreille séduite par la mélodie des mensonges et du paraître ; et elle suscitait cette grimace de l'âme charmée, alors stupéfaite par la laideur de la tonalité. Pourtant, son sourire s'élargit. « Mais je suis certaine que ce n'est pas une bonne chose. » A ses mots, il souffla doucement entre ses dents, le sourire toujours épanoui, puis baissa la tête. « C'est vrai. » Il releva le visage vers la jeune femme qui était assise à ses pieds. « On doit sûrement le savoir plus que quiconque, tous les deux. » Il fit une petite moue, les commissures des lèvres vers le bas. « Toi peut-être encore plus, en fait. » Un sourire s'invita encore, mais très succinctement cette fois-ci. « J'ai appris que ça s'était bien fait pour ta mère. Je suis désolé. » Mais cela sonnait faux. Ô rancœur pour Vivendale et son peuple... Il y avait dans son timbre du mépris, de la moquerie, et une pointe de satisfaction. Sans doute ces attaques ne se tournaient-elles pas vers Isabelle - et plutôt vers Jason -, mais c'étaient elle qu'elles atteignaient. Immanquablement. Et ça le soulageait ; un peu.

« Si on ne s'attache pas, on ne souffre pas... » Il s'arrêta, leva les yeux vers les étoiles, prit un temps. « Mais si on ne s'attache pas, est-ce qu'on existe ? Est-ce qu'on existe sans les autres ? » Il retira son carnet de sous son bras et le jeta brutalement devant Isabelle. « C'est agaçant de réaliser que non. Là-dedans, il y a des souvenirs. Vas-y, tu peux regarder. » Comme elle hésitait, il insista : « Tu peux, rien de trop personnel, ou rien que je veuille cacher. » Elle se saisit du bloc et, avec délicatesse, l'ouvrit. « Des paysages, des images, des détails... » Au fil des pages se dessinaient ce qu'il énonçait. On voyait des montagnes et un lac, puis on distinguait une ville aux allures exotiques, puis une ébauche de faciès, un drapé solitaire, quelques fleurs, un vase, une scène de rue. « Tout ça, c'est les autres. Les montagnes, c'est un ailleurs avec d'autres, la ville, un théâtre où les autres se produisent, le visage, un regard qui m'a scruté, le drapé, le compagnon d'un corps en cavale, les fleurs, arrangées par des mains soigneuses, le vase, poli et peint par d'autres, et la scène de rue accueille les protagonistes de sa propre histoire... C'est les autres, partout. Partout où je vais. » Sa voix s'éteignit abruptement. Il toisa Isabelle puis planta son regard dans le sien. « C'est terriblement frustrant, révoltant même. De savoir qu'on est obligé de souffrir. Je n'ai jamais connu aucun homme capable de ne rien ressentir. Ce serait pourtant beau, non ? » Il fit un geste ample du bras. « D'être là, au milieu des autres, mais de ne pas les considérer. De les voir passer avec indifférence. C'est une sorte d'absolu. C'est magnifique, l'absolu, non ? Et celui-ci, il ne doit pas être fatigant. » Il soupira, puis lâcha, laconique : « L'existence me fatigue. »

Finalement, il se laissa retomber dans l'herbe à ses côtés. Il croisa les jambes en tailleur et leva les yeux vers le ciel parsemé d'étoiles danseuses. « Enfin, je suis... fatigué tout court. Pour une fois dans ma vie, j'aimerais que mon cerveau s'arrête. Rien que trente secondes. » Il tourna la tête vers la jeune femme et planta ses iris verts dans les siens. « Pas toi ? » Un demi-sourire tira le coin de sa bouche. « Tu sais, qu'il n'y ait plus rien, juste quelques instants, le temps de pouvoir souffler, de récupérer, avant de redémarrer la machine. Bon sang, ça me ferait un bien fou. Mais peut-être que pour ça, il faut attendre de mourir. Mourir, la grande liberté... mon seul regret, ce sera de ne pas pouvoir me réveiller. » Il souffla doucement. « Hum. Ça doit être l'intérêt du rêve. Je rêve de la mort parce que c'est une inconnue sacrément envoûtante... et en rêver me permet de supporter cette attente. Rêver permet de supporter toutes les attentes... » Il laissa son buste tomber en arrière et étendit ses jambes. La fatigue, revenue à la charge, assaillait tout son corps. Il souleva légèrement son crâne et glissa ses deux mains derrière ; un coussin de fortune peu confortable, mais qui l'avait accompagné où qu'il allât. « J'aimerais devoir étudier un problème simple. Me concentrer dessus, le résoudre, et en tirer la satisfaction nécessaire pour être revigoré. Le voyage, ça vide... » Il ferma les yeux. Noir. Que c'était agréable de ne plus rien voir. « Tiens, je sais. Parle-moi de toi, mystérieuse Isabelle. C'est plus facile d'essayer de comprendre les autres que de tenter de se déchiffrer soi-même. Parle-moi du passé, du présent, de l'avenir... Peu m'importe. Il a dû se passer bien des choses pendant mon absence ; et avant, et il s'en passera d'autres après. Je suis sûr que la vie d'une fille Hart est pleine de rebondissements, surtout ces temps-ci, et la tienne encore plus que celle de ta sœur. Comment ça se passe avec Katharina ? Elle a aussi décidé de délivrer tous les prisonniers, en plus des esclaves ? Ou bien elle a fait assassiner la moitié de la population ? Quoi de neuf dans la surprenante capitale du Nord ? Je crois que je suis prêt à tout entendre, ce soir. Défoule-toi un peu. » Il la sentait tendue et fatiguée, au moins autant que lui. La vie les aurait à l'usure, c'était certain. Il imaginait déjà leur dernier sourire usé, qui se baladerait sur leur figure comme un premier fantôme du passé.

« Le charme qui touche le plus les âmes est le charme du mystère. Il n'y a pas de beauté sans voiles, et ce que nous préférons, c'est encore l'inconnu. L'existence serait intolérable si l'on ne rêvait jamais. Ce que la vie a de meilleur, c'est l'idée qu'elle nous donne de je ne sais quoi qui n'est point en elle. Le réel nous sert à fabriquer tant bien que mal un peu d'idéal. C'est peut-être sa plus grande utilité. » - Anatole France
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Sam 21 Jan - 20:48

 
Isabelle R. Hart
L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin...

https://www.youtube.com/watch?v=-kO0iXySAWE
A la vérité, la liberté ne s'envisage pas. C'est une impossibilité absolue, un mirage, une cruelle farce. Car l'homme n'est pas libre, comment pourrait-il l'être, d'ailleurs ? Lui qui est souillé de pensées, immobilisé par ses sentiments et condamné par ses choix, ses actes. L'homme est mortel, terriblement mortel. Faible, un rien a le dessus sur lui. Dans cette mesure, comment s'affranchir lorsqu'une épée de Damocles pèse constamment sur votre tête ? Pire encore, l'homme a cet instinct divin, qui au lieu de le renvoyer à ses besoins, le porte vers le désir. Alors, oui, l'homme est sale, et impur. Ce n'est pas l'enfant de Dieu, mais bien celui de Satan.

Sans contrôle. Isabelle était hypnotisée, envoûtée par l'impudeur du portrait. Le désir était perceptible, dessiné par les coups de crayons successifs de l'artiste. Elle n'aspirait qu'à embrasser ses lèvres pulpeuses, à toucher furtivement ses seins gonflés de ferveur, à saisir ses hanches. Etrangement, elle exécrait le dessin, et pourtant l'adorait. Jalousement, elle avait envie de le froisser, de l'arracher ; tout pourvu que disparaissent cette cascade de cheveux noirs et ses yeux rieurs. Bien sûr, elle avait entraperçu le talent d'Aiden dans ses autres esquisses - des monts enneigés, le ciel bleu et ténébreux, des paysages davantage exotiques, l'océan, les navires, puis des scènes de rues, des portraits, pour la plupart sombres, mais recelant parfois d'une pointe de joie, d'innocence. Alors elle avait su, elle avait imaginé, l'espace d'un instant, ce que ce voyage avait été pour lui, ce qu'il lui en avait coûté et ce qu'il lui avait apporté. Maintenant, sans aucun contrôle, elle fixait ce tableau de nuit, celui d'une femme dénudée, vulnérable et pourtant si forte. Aiden n'avait probablement omis aucun détail, allant jusqu'à représenter les imperfections de ce corps, la sueur perlant sur ses tempes, la pilosité au-dessus de ses lèvres, le duvet courant sur sa peau. Cette femme était splendide. C'était sans nul doute un chef d'oeuvre.

Embrassant - une dernière fois - du regard le dessin, elle reposa le carnet sur les genoux de son compagnon, avec autant de soin que lui avait eu de négligence. « Il n'y a pas de mots pour cela, Aiden. Ce portrait est... il est puissant. Et, cette femme semble incroyable... » Où était-elle à présent ? Pourquoi était-il revenu ? Puis, il y eut un changement soudain, un infime tressaillement dans sa voix, comme une flamme qui vacille. « C'est terriblement frustrant, révoltant même. De savoir qu'on est obligé de souffrir. Je n'ai jamais connu aucun homme capable de ne rien ressentir. Ce serait pourtant beau, non ? » Ce n'était pas vraiment une question, et si tel avait été le cas, quelle réponse pouvait-on offrir à cela... « D'être là, au milieu des autres, mais de ne pas les considérer. De les voir passer avec indifférence. C'est une sorte d'absolu. C'est magnifique, l'absolu, non ? Et celui-ci, il ne doit pas être fatigant. » Il soupira, puis lâcha, laconique : « L'existence me fatigue. » Finalement, il se décida à s'asseoir, à lui faire face, à ne pas la fuir... Mais pour combien de temps encore... « Enfin, je suis... fatigué tout court. Pour une fois dans ma vie, j'aimerais que mon cerveau s'arrête. Rien que trente secondes.  Tu sais, qu'il n'y ait plus rien, juste quelques instants, le temps de pouvoir souffler, de récupérer, avant de redémarrer la machine. Mais peut-être que pour ça, il faut attendre de mourir. Mourir, la grande liberté... mon seul regret, ce sera de ne pas pouvoir me réveiller. Hum. Ça doit être l'intérêt du rêve. Je rêve de la mort parce que c'est une inconnue sacrément envoûtante... et en rêver me permet de supporter cette attente. Rêver permet de supporter toutes les attentes... » Parfois lorsqu'on l'écoutait parler, il semblait qu'Aiden appelait à l'aide, qu'inconsciemment il demandait à être sauvé de lui-même. Un jour peut-être, lui apprendrait-on que le beau génie avait mis fin à ses jours, et cela n'aurait rien d'étonnant. Assurément, elle serait abattue, mais probablement aussi soulagée. Car pour l'un d'entre eux au moins, la souffrance aurait pris fin. Et, elle ne se sentait pas le courage d'être la première à s'y risquer.

« Tiens, je sais. Parle-moi de toi, mystérieuse Isabelle. C'est plus facile d'essayer de comprendre les autres que de tenter de se déchiffrer soi-même. Parle-moi du passé, du présent, de l'avenir... Peu m'importe. Il a dû se passer bien des choses pendant mon absence ; et avant, et il s'en passera d'autres après. Je suis sûr que la vie d'une fille Hart est pleine de rebondissements, surtout ces temps-ci, et la tienne encore plus que celle de ta sœur. Comment ça se passe avec Katharina ? Elle a aussi décidé de délivrer tous les prisonniers, en plus des esclaves ? Ou bien elle a fait assassiner la moitié de la population ? Quoi de neuf dans la surprenante capitale du Nord ? » Ses traits se durcirent, il était difficile de traiter avec un lion...Il posait toutes ces questions, et pourtant, il en avait déjà les réponses. Dans quel but, alors ? Pourquoi ? Simplement être cruel ? S'amuser ? Non, il était aussi fatigué qu'elle, fatigué de vivre. Il venait de l'affirmer. Mais, sans la moindre compassion, il l'avait attaquée sur la mort de sa mère, la piégeant, la poussant au bord du précipice, attendant on ne sait trop quoi. Peut-être qu'elle tombe... Non, il ne méritait pas qu'elle soit sincère, il n'avait aucun droit de lui demander ainsi avec tant de désinvolture, comme si elle n'était rien et lui tout. Comme si elle n'était qu'un jouet... Comme s'il l'avait oublié...

Enfin, elle se ressaisit ; ce n'était là que les réactions d'une enfant, pas celle d'une femme. Ils n'avaient couché ensemble qu'une seule fois, ne s'engageant à rien. C'était d'ailleurs ce qu'ils avaient tous les deux cherché, cette fameuse nuit : la liberté. Mais la liberté n'existe pas. A cet instant, il la relança. « Je crois que je suis prêt à tout entendre, ce soir. Défoule-toi un peu. » Et, elle céda. Elle lâcha prise.

« Prêt à tout entendre ? Vraiment ? Et si je n'avais pas envie de parler... ? Ou, si je décidais d'être honnête. Peut-être trop... » Son regard chercha le sien, furtivement, elle se pencha à sa rencontre. « Je ne veux pas parler Aiden Ruthendell. Je veux que le silence m'étreigne ici, mais aussi là... » Elle désigna d'un geste bref sa tête, elle voulait faire taire les voix de sa conscience. Être enfin, seule, apaisée... Pouvoir oublier pour quelques instants. « Et je veux que toi aussi tu m'étreignes, que tu me combattes... Me blesser, sans m'épargner. » Si quelqu'un devait briser sa volonté, ce devait être lui, le paria. En échange de quoi, elle lui offrait son secret, terrible et précieux à ses yeux, insignifiant pour lui. « Mon père est vivant. »

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Dezbaa
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A l'ombre des jardins | Isabelle & Aiden Empty
Mar 4 Avr - 17:51

Aiden Ruthendell
« Ce sont les étoiles, les étoiles tout là-haut qui gouvernent notre existence. » Shakespeare


A vous, petites danseuses, c'est à vous qu'on s'adresse. C'est vous, qu'on prie la nuit ; ni les Dieux ni les anges, car ils n'ont pas votre éclat. C'est vous, qu'on prie la nuit ; parce que vous attisez les âmes et leurs émois. Dans les pas de votre scintillante chorégraphie, on lit des histoires ; celles qui ont marqué, celles qui marquent, et celles qui marqueront des mémoires. Vous gouvernez tout : notre existence, notre monde et notre espoir. On vous les remet, petites danseuses. Qui d'autres que vous, les filles moires, pour être nos veilleuses ?
C'est à vous qu'il se fie. Sur la mer, dans laquelle vous vous mirez la nuit, et sur la terre aussi, que vous parcourez de vos mille bruits. Chuchotements qui glissent galamment jusqu'aux cœurs étourdis...

Il était allongé dans l'herbe, la tête renversée en arrière. Il admirait les étoiles, qui tombaient dans ses iris comme cent étincelles de bonheur. Mais les paillettes et les artifices ne sont-ils pas ce qu'il y a de plus trompeur ? Il lui aurait suffi de fermer les yeux pour lever le voile ; il était malheureux. Tout l'accablait, le retour l'épuisait, et il n'avait trouvé d'échappatoire que ces vastes jardins. Il s'était faufilé aux côtés des astres, pour écouter leur céleste conciliabule. Il aurait pu y demeurer des heures, le crayon à la main, prêt à saisir l'instant - si Isabelle n'était pas intervenue. Peut-être n'était-ce pas plus mal, peut-être même était-ce voulu... Les étoiles les auraient-elles appelés, ces deux aimants, les auraient-elles guidés en ce même point, pour ouïr, simplement, leur conversation d'une banalité assourdissante ? Non... car rien n'était banal, avec eux, jamais. Tout semblait l'être, mais ils étaient passé maîtres dans l'art des apparences, et ce depuis bien des années.
Aiden jeta à Isabelle un regard désabusé. « Ai-je l'air d'avoir peur des paroles ? » Il ne releva pas sa première hypothèse. Si elle avait refusé le dialogue, jamais elle ne l'aurait rejoint. Ils le savaient tous les deux. C'était juste un jeu, un jeu de plus ; celui de s'amuser des possibilités pour délier la pensée. Pensée et parole, il ne les craignait plus depuis longtemps. Il les connaissait trop bien, aussi leurs travers et leurs détours, et il tentait de les apprivoiser chaque jour. Avec le discours, on formule et on affabule ; on influence aussi, et on crée des réalités au gré des mots. Mais il peut toujours être raisonné. Un acte, non ; un acte est impulsif, un acte est instantané, il ne se prévient pas toujours, et lorsqu'on le constate, il est trop tard. S'il y avait une chose, entre la parole et l'action, dont il devait craindre les conséquences, sans nul doute, ce serait l'action.

Pourtant, la Hart appuya son refus de discuter. Elle s'approcha - trop près -, le regard inquisiteur, à la recherche de celui de l'Inventeur. Il la scruta en coin et plissa les yeux. Elle avait changé, oui, et il lui semblait que quelque chose lui échappait. Aussitôt, il voulut mettre le doigt dessus. Cette lueur, là, en bas à gauche ? Qu'était-ce ? Il eut une furtive sensation de mécontentement et de frustration - comment cela, Isabelle s'évadait ? lui qui croyait l'avoir presque saisie ! -, puis une vague d'excitation le secoua. Nouveau jeu, nouvelle partie, nouveaux enjeux. Spirale interminable... c'était tout l'intérêt, au fond. Un renouvellement incessant, pour toujours relancer la partie, pour ne jamais se lasser. Un rictus tira le coin de ses lèvres. « Je veux que le silence m'étreigne ici, mais aussi là... » Elle porta une main à sa tête. Oh, comme il l'aurait voulu, lui aussi ! Tout Homme le souhaite, à un moment ou à un autre. Mais c'est impossible, c'est impossible, elles seront toujours là, ces bribes de conscience frétillantes, qui assaillent et tressautent, maintenant en éveil l'esprit fatigué. « Douce utopie, n'est-ce pas ? » souffla-t-il. Le silence accueillit une réponse muette, courte, rapide, mais tellement signifiante. Ils n'avaient pas besoin de mots, pour cette fois.
Puis, elle se rapprocha encore, il tourna la tête vers elle et, bien malgré lui, il se rappela de leur dernière nuit. Ses courbes revinrent aussitôt à sa mémoire, caressantes, ondulantes, piquantes. Il ferma les yeux, les sourcils froncés. Il s'en voulait, parfois, de n'être qu'un homme ; il aurait voulu valoir plus que ça. « Et je veux que toi aussi tu m'étreignes, que tu me combattes... Me blesser, sans m'épargner. » Il rouvrit un œil, et la dévisagea. Il ne dit rien, mais elle venait de remuer quelque chose. Il était troublé ; ils avaient agi tous les deux sous l'effet d'effluves alcoolisées. Aiden ne s'était en rien engagé, il ne voulait pas s'engager, il ne voulait plus s'engager ; et quand bien même il l'aurait voulu, il n'aurait pas pu - parce que Juliet régnait, perchée comme elle le pouvait, crispée dans un équilibre précaire, et lui essayait de la maintenir. Il savait qu'au moindre faux pas, elle chuterait, parce qu'elle ne trouvait en sa vie aucune valeur, parce qu'elle pouvait se laisser mourir pour lui montrer quel monstre il était, parce qu'elle était Juliet et qu'elle n'avait jamais été rationnelle. Alors, même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu s'engager. Encore moins avec Isabelle... elle l'intriguait, mais n'était-elle pas tout ce qu'il rejetait ? Ou alors... peut-être ne faisait-elle pas allusion aux plaisirs charnels ? Peut-être, simplement, à leurs amusements spirituels, à cette boisson qu'ils seraient capables de boire jusqu'à la lie. Tendre poison que celui des passions !

Il aurait pu - et sans doute dû - rester muet, mais il ne put retenir le sarcasme qui déjà courait sur sa langue : « Pourtant, aucun de nous deux n'est saoul... » Et les barrières tombaient, une à une. Il se sentait comme un château fort au bout du siège. Mais y avait-il vraiment une attaque à contrer ? Il s'était toujours méfié des Hommes, et à raison. Non. Il avait été innocent et insouciant, comme tout un chacun. Il avait appris à s'en méfier, à se méfier de lui-même aussi... Néanmoins, il semblait que ça n'était jamais assez. Il y avait toujours cette terrible brèche d'incertitude ; cette incertitude qui flirtait trop avec le danger, dans le seul but de se chasser. Ou de s'éprouver ? Qui voulait voir jusqu'où le doute et la tentation - ce terrible goût du risque -, pouvait mener son hôte ? La fatigue, aussi... fidèle alliée des erreurs éclatées.
Sans même y penser - sa pensée était morte -, il se tourna sur la tranche, tendit le bras vers la jeune femme, et laissa deux doigts courir lentement sur sa hanche. Il jouait, sensuel ; il n'avait même pas envie de faire l'amour, même pas la force, trop éreinté. Il remontait doucement vers son épaule lorsqu'une phrase surprenante sortie de la bouche d'Isabelle. « Mon père est vivant. » Aussitôt, il releva sa main et la ramena contre lui. Hart. Thom Hart. Évidemment, il avait entendu son histoire de fantôme qui cavalait sur les créneaux des tours. Mais le problème était là : Hart était une légende morte. L'inventeur fronça les sourcils. « Vivant ? » Cela, c'était un drôle de tournant, et surtout un tournant qu'il n'aurait jamais pu prévoir. « Je croyais qu... » Il s'interrompit. Pourquoi lui mentirait-elle ? « Tu l'as vu ? » Une curiosité violente venait de le happer. Vivendale ne lui avait donc pas livré tous ses secrets. « Votre cité cache bien des mystères... » Il retomba sur le dos et, encore, jamais lassé, il regarda les étoiles. « Et tu vas le tuer ? » Un sourire moqueur courbait ses lèvres. « C'est ça, la fin de l'histoire, non ? L'enfant abandonnée, devenue femme illusoirement libre, qui tue son père pour prouver au monde qu'elle ne lui appartient pas, et qui comprend alors, devant le parricide, qu'elle est un monstre, et un monstre enchaîné à l'univers... » Il rit. « J'aime bien cette fin, Isabelle. C'est toujours le même combat, toujours la même conclusion, mais la fin... on peut la choisir. Ce n'est qu'un moyen pour parvenir à la vraie fin. Et tu sais bien, tous les moyens sont bons. » Le jeune homme roula encore pour se trouver face à elle. Une expression enfantine couvrait ses traits ; mélange de curiosité, d'impatience et de défiance. « Alors, que vas-tu faire ? » Le champ des possibles s'offrait à eux, piqué de couleurs, jonché de bonheur comme de malheur. Elle n'avait qu'à cueillir l'une de ses fleurs.


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