<< Survivre n'est que le début >>

Le danger est devant, mais aussi derrière. Je tourne sur moi-même. Que faire ? Une échappatoire, je veux une échappatoire. Une petite ruelle sombre donnant sur un autre endroit que celui-là, n'importe quoi. A ce moment le plus important était de s'échapper. J'étais sale, épuisée et par dessus-tout affamée, je ne pourrais aller bien loin ainsi mais je ne peux pas abandonner ainsi. L'adrénaline emplie mes veines et je sens comme un élan d'énergie, le second souffle de la dernière chance. Je m'accroche à l'infime espoir qui me porte encore, au fond je sais que l'issue est déjà défini à l'avance, mais jouer avec le destin peut parfois faire tourner court la destinée écrite à l'avance. De chaque côté de la rue un rassemblement de villageois me bloquent le passage. Je suis plantée au milieu, les larmes coulent, silencieuses, sur mes joues. Je tourne plusieurs fois sur moi-même cherchant une faille dans la horde, bizarrement c'est comme si personne ne se décide à avancer pour me mener aux forces de l'ordre. Mais ils attendent quoi bon sang ?! J'écarte les bras et j'annonce d'une voix criante et mêlée de larmes :

- " Allez-y ! Vous attendez quoi au juste ? "

Quelques hommes se concertent du regard et finalement un d'entre-eux s'avance. C'est ma dernière des dernières chances. Il me gratifie d'un sourire condescendant, comme si j'étais une vermine sortie des bas-fonds. Il s'avance, vas-y avance encore un peu. Je souffle sur l'une de mes mèches brunes qui barre ma vue et raide comme un i je suis prête à jouer ma dernière carte. Il s'apprête à prendre mes poignets pour les resserrer dans mon dos m'empêchant toutes tentatives. Au moment où ses mains se referment sur moi je lui décoche un coup dans l'estomac puis serrant mon point enchaîne avec un coup dans la mâchoire. Quand il tombe à la renverse, la mâchoire ensanglanté je lui lance un rapide " Désolée ". Et m'enfuis. Certains paniquent se demandant comment va l'homme à terre et j'en profite pour partir en trombe. L'euphorie me gagne, c'était donc si simple ? Tellement soucieux de leur ami à terre qu'ils en oublient presque ce qu'ils traquaient, moi. Je m'apprête à tourner sur une autre rue et m'enfuir pour de bon quand soudain je suis retenue et tirée en arrière. Quelqu'un m'a aggrippée le bras et me retiens accolée contre lui, à présent il menait la danse. J'avais perdue.

Je déteste cette sensation, celle d'être compromise à un autre être, dépendre de sa volonté. Ici ma liberté dépendait entièrement de lui. Son visage me rappelait vaguement quelqu'un, sûrement un commerçant. C'était un jeune homme âgé de quelques années de plus que moi, je lui donnerais dix-neuf ou vingt ans. Une large carrure imposante qui laissait deviner que c'était un homme de travail manuel, pas un commerçant vendant ses marchandises à la criée derrière son étale. Il relâche sa prise mais garde mon poignet prisonnier, c'est alors que j'ai droit à une proposition assez insolite. Normalement j'aurais déjà été livrée aux Gardiens sans ménagement et pourtant voilà qu'on me laissait une maigre chance de m'en sortir grâce à cet homme. Je plante mon regard dans ses prunelles océan, je n'ai pas vraiment confiance. J'ai peur d'être donnée aux Gardiens comme une marchandise une fois que je me serais soumise à sa proposition. Mais s'il ne mentait pas ? Si c'était le cas je pourrais m'en sortir. Je regarde à droite, à gauche. Je n'ai plus vraiment d'autres choix possible. Soit je tente de lui faire confiance soit il alertera les Gardiens. J'avale ma salive, les mots semblent ne pas vouloir sortir de ma bouche, je déteste cette sensation de possession. Il doit le savoir dans cette situation il a tout le pouvoir, je suis à sa merci complète. Le silence commence à devenir pesant, je sens son impatience.

- " Comment puis-je être sûre que ce n'est pas une ruse ? Je n'ai pas confiance mais je n'ai vraiment aucune autre solution alors tu as gagnés je ne m'enfuirais pas quand tu me relâcheras. "

Soudain la question me paraît évidente dans mon esprit : Mais pourquoi ? Pourquoi veut-il que je reste ? Qu'est-ce qu'il cherche ? Et surtout qu'est-ce qu'il me veut ? A cet instant précis j'arrive à mettre un nom sur ce visage : Ainsworth, le fils du forgeron le plus réputé hors du Mur. Comment ne pas le reconnaître, j'accompagnais mon père lorsqu'il venait chercher ses épées là-bas, on s'y rendait tout les mois. Mon père....Sauvagement tué sur la Place Principale, ne s'étant pas soumis son supérieur, même dans la branche des Gardiens la hiérarchie est sacrée et ses propres camarades ont dû le châtier de son crime. J'avais impuissante assistée à sa torture publique, son dos se repliant sous chaque coup de fouet, son dos sertit de zébrures sanglantes et ses cris de douleurs. Attaché à un pilier la faim, la soif et la douleur avaient eu raison de lui et le soir tombait il avait expirer sous une autre multitude de coups. Si beaucoup se rappelle de lui par son acte, plus personne ne prête attention à sa famille, les Wadson se sont éteints à sa suite, ma mère, ma sœur....Me laissant seule à mon destin. Oui je me souviens très bien des Ainsworth, son père lui enseignait son métier, sûrement a-t-il repris la forge aujourd'hui.

Lorsqu'il lâche ma main une tension électrique de doute est palpable, je me demande si je peux m'échapper et lui se demande si je vais tenir ma promesse. Il me détaille de la tête aux pieds, il n'a pas tort sur ce sujet je n'ai rien avalé depuis des lustres. Ces derniers temps la nourriture que je soutirais était pour mon usage personnel mais à une époque, qui me semble une éternité alors qu'à peine une semaine me sépare de ce jour, tout ce que je trouvais je le donnais à ma petite sœur Shay, mais malgré mes trouvailles la famine a eu raison de son jeune âge et elle a expiré à l'âge de dix ans il y-a une semaine déjà. Je n'ai plus rien à présent, ni ami, ni famille, tous mort....ou asservis. Avant d'être seule avec Shay j'avais un compagnon d'infortune, nous partagions nos victuailles et donnais une grande part à notre petite protégée, Shay était devenue comme sa sœur à lui-aussi. Mais il y-a deux mois son nom a été tiré et la dernière fois que je l'ai vu il été amené dans l'Enceinte du Mur. C'est fou comme l'on peut perdre tout d'un seul coup, en l'espace de quelques mois ma vie douillette fut remplacée par un quotidien de survie illégale. Je me demandais combien de temps tiendrais-je ainsi ? Je suis affamée, j'ai si faim, mon estomac se tord dès que Maximilian m'invite à manger chez lui. Proposition inattendue, mais alléchante. Il me tend la main, je reste un instant sans trop bouger puis je serre sa main comme le font les adultes lorsqu'ils se présentent aux autres.

- " Arianna Wadson. La fille de Zachary Wadson. "

Je précise, souvent le nom de mon père rappelle des souvenirs, son exécution publique fut la dernière en date et donc gravée dans les mémoires. J'incline la tête sur le côté, sa proposition m'attire mais à la fois je suis emplie de doute. Pourquoi fait-il ça ? Mais la faim me tord l'estomac, j'ai tellement faim....D'une voix claire et nette je réponds à son invitation.

- " Je te suis "

Maximilian me guide à travers les rues, je le surprends à jeter quelques coups d'oeil vers moi pour savoir si je n'ai pas filé en douce pendant qu'il avançait. Je sais où se trouve la forge des Ainsworth, c'est la forge la plus réputé du Village. La dague accrochait à ma ceinture a justement été forgé par Maximilian ou son père. C'était une arme magnifique et raffinée, le manche de l'arme était comme un branche qui venait se fondre sur la lame brillante comme un miroir que l'on pourrait se voir dedans.
Nous avançons dans les rues du Village en silence, nous nous rapprochions inexorablement de la forge des Ainsworth jusqu'au moment où Maximilian s'arrête net et se retourne vers moi. Il m'explique que nous allons devoir passer par les toits, cela ne me dérange pas, je grimpais souvent sur les toits quand j'étais qu'une gamine. A l'époque je traînais avec une bande de garçons et l'on jouait avec des épées en bois comme si nous étions des guerriers en guerre. Cette pensée me fit sourire, c'était la belle époque, l’innocence enfantine où je ne connaissais pas la souffrance de la famine. Mais évidemment le hic sera son père, venir en aide à une minable voleuse. Même s'il m'affirme que son père n'en dira rien je ne peux m'empêcher de douter un peu. Certes Maximilian m'avait aidé mais comment être sûr que son père serait aussi conciliant que lui ? Rien ne le prouvait à part les belles paroles de mon sauveur.

- " Je ne suis pas une idiote non plus, je sais que l'on ne passera pas par la porte d'entrée alors que je suis une fugitive. "

Cette pensée m'arrache un sourire. Une fugitive, pour trois pommes, quelle idiotie ce système.

- " Es-tu sûr que ton père sera aussi conciliant ? "

Je ne peux pas cacher mes doutes plus longtemps, néanmoins nous commençons notre ascension du Mur et progressons sur les toits du Village.

Depuis les toits la vue sur le Village est imprenable, mais aussi sur le Mur. On le voit s'étendre sur des kilomètres jusqu'à se perdre dans la ligne d'horizon. Et derrière le Mur : la Haute-Tour, éclairée par le soleil sa couverture de marbre est d'une blancheur....douloureuse pour les yeux.  Nous avançons ainsi sur plusieurs mètres avant d'atteindre le quartier des artisans. Pendant notre marche Maximilian m'assure que son père devrait ne pas me vouloir de mal et j'écoute en silence. Je me fige sur place lorsque, devant la forge, attendent trois personnes. Je prie le ciel qu'aucun d'eux ne lève la tête et ne me reconnaissent. Imitant Maximilian je prends mon élan et saute sur le toit de la forge puis comme lui je me glisse par la fenêtre, quelques lames de bois menacent de grincer mais par chance leurs grincements n'alertent personnes devant la forge et je lâche un soupire de soulagement. A peine je me faufile dans l'encadrement de la fenêtre ma maladresse me rattrape et je manque de tomber à la renverse, Maximilian stoppe ma chute m'évitant ainsi de mordre la poussière. Je murmure un rapide " Merci " à peine audible, j'ai peur qu'on nous entendent. Je veux à tout prix ne pas me faire repérer. Certes ma vie actuelle n'est pas ce que j'imaginais enfant mais la vie est quelque chose dont on doit s'accrocher à tout prix et si les Gardiens m'attrapent je peux faire une croix sur tout ce qui me tient à cœur : la liberté. Je plante mon regard dans celui de Maximilian :

- " Maintenant on fait comment avec les trois devant qui t'attendent ? Tu me caches dans ton placard jusqu'à te débarrasser d'eux ? "

Ma voix n'est qu'un murmure ténu, un simple chuchotement. Ma proposition était de l'ironie bien sûr je ne vais pas attendre dans un placard pendant qu'il forge une lame ou aiguise des épées pour ses clients. Certes j'ai du temps à revendre mais la patience n'est pas forcément mon point fort, au contraire même.

Visiblement mes mots le font rire même si l'humour est loin d'être ma première préoccupation à cet instant. Ses épaules s'affaissent...du doute. Il doit surement se demander dans quel pétrin il s'est mis en me venant en aide. Il n'a pas tort, si l'aide qu'il m'a fourni est découvert il y perdra gros et c'est énorme sachant que je suis une parfaite inconnue pour lui. Je prie intérieurement qu'il ne décide pas de changer au quart de tour et de se protéger en me mettant à la porte et par bonheur mes prières sont entendues car il me demande de le suivre et j'obéis comme un bon petit soldat. Il me glisse quelques mots, plutôt deux : " belle dague ". Je lui rend son clin d'oeil et rajoute :

- "  Très jolie lame en effet mais en passant le narcissisme te vas mal Maximilian. "

Et si je ne cherchais pas à être des plus discrètes j'aurais bien rit de bon coeur mais je me contentais d'un sourire. Je le suis et descends les marches à mon tour donnant sur une grande chambre. Debout au milieu de la pièce se tenait le père de Maximilian, le forgeron Ainsworth, celui qui a fait la réputation de la forge et qui a présent lègue son héritage à son fils. Je jette un coup d'oeil vers Maximilian et m'avance vers son père. J'hésite entre la jouer carte sur table et être honnête ou au contraire mentir et me faire passer pour quelqu'un que je ne suis pas....Je me tourne vers mon sauveur. Et lui il compte dire la vérité à son paternel ?

Tout se passait plutôt bien. Accoudée dans l'encadrement de la porte je regarde la scène entre le père et le fils. Maximilian décide de jouer la carte du mensonge et j'espère être la seule dans cette pièce à voir ces hésitations, le mensonge n'est pas son fort. Ne serais-ce que son " Père tu es déjà levé ! " sonne faux, ça sonnait comme une formalité pour combler la conversation, en même temps je trouvais cela si...formel. Jamais je n'avais appelais mon père : " Père " pour moi c'était " Le vieux " ou l'"Ancien ". Ça peut paraître trop familier mais c'est ainsi dans la famille, j'ai grandie ainsi.

Je continue d'écouter les balivernes que sort Maximilian pour expliquer ma venue. Pour son père je serais finalement Alice : " Fille d'une famille mal en point ". La réalité est tout autre mais le vieux ne doit rien en savoir, enfin c'est ce que mon sauveur a décidé.

Il me lance un regard implorant et j'avance de quelques pas, sourire aux lèvres m'apprêtant à lancer un joyeux " Bonjour " mais il me coupe et me chuchote quelques mots. Mon sang ne fait qu'un tour mais en façade ma surprise reste muette. Il est vraiment perspicace celui-là, j'opine d'un signe de tête tel un joyeux petit soldat bien obéissant. Finalement je me radoucie quand dit bien connaître mon père. Je croise le regard de Maximilian et je le rassure avec un sourire, même si Garret Ainsworth a compris il ne va pas me livrer. Me livrer ? Mais comment sait-il que je me protège en venant ici ? Il l'a bien dit " Tu n'as rien à craindre ici ". Je n'ai pas rêvé. Si ? Non ?

Maximilian suit son père dans la réserve, j'ai la folle envie d'écouter la conversation, le vieux m'a bien dit de rester ici....J'avance de quelques pas vers la réserve, me colle l'oreille contre la porte, je croise quelques bribes de conversation, quelques mots seulement.