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L'enfant perdue | Cadeau pour Lucie by Clémence et Léa

Dezbaa
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Ven 12 Fév - 16:24

Coucou Lucette ! Il y a fort longtemps, tu as demandé un certain rp à Clémence et à moi. Le jour de ton anniversaire (bon ok on a 3 jours de retard, mais tu nous connais, on est des queen de la dernière minute), et sachant que ton moral a décidé de prendre de petites vacances au soleil (ce n'est que pour mieux revenir !), Clémence a eu l'excellente idée de me reparler de ce fameux rp.

Bon, ça a pas été très facile. Clémence aurait aimé écrire du point de vue d'Aria, mais depuis le temps, la machine est un peu rouillée. Elle a quand même écrit un truc génial, dépeint Aria d'une façon très touchante, et raconté un bout de son histoire avec sa si jolie plume, qui me fait souvent penser à un diamant brut. Moi, reprendre Aiden, ça me faisait un peu peur. Au cours des deux dernières années, j'ai essayé, mais je n'y arrivais pas. Et là, déclic ! Alors merci de nous avoir donné cette idée-ci, parce qu'on s'est toutes les deux beaucoup amusées.

Allez, trêve de bavardage ! Place à la lecture. Bisous Lucette L'enfant perdue | Cadeau pour Lucie by Clémence et Léa  3414035315
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Alessandra de Marbrand
Alessandra de Marbrand

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Ven 12 Fév - 16:30


L'Enfant Perdue

Isabelle, Aiden, Hans, Anya, Arianna, Alessandra, Arthur





Ça n'avait pas de sens, ça n'avait pas de sens. Elle passa ses mains dans l'eau froide et les ramena à son visage avant de les replonger dans l'eau qui, peu à peu, vira au rouge. Les événements s'étaient passés si vite qu'elle peinait à reconstituer le fil. Elle attrapa le linge posé à côté de la bassine et le passa sur sa peau pour la sécher. Au fond, elle s'était juste retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, ou bien était-ce le contraire, elle avait été au bon endroit au bon moment, sans quoi peut être la fin de l'histoire aurait peut être été différente. Mais cela reste une tragédie, pensa-t-elle, alors qu'elle jeta un regard sur le linge en grimaçant, il restait des traces de sang. Elle aurait beau restait des heures dans un bain à se frotter jusqu'à s'arracher la peau qu'il lui semblerait encore être tachée par ce qu'il venait de se passer. Laissant tomber pour l'instant, elle se contenta de passer rapidement une toilette propre avant de descendre.

Il allait bientôt faire nuit quand elle conclut qu'elle avait trop traîné et qu'il lui fallait rentrer à présent. Elle passait la plupart de son temps à s'agiter dans tous les sens pour aider, notamment pour donner aux pauvres, elle récupérait de l'argent et des vivres qu'elle donnait à leur prieur pour être distribué ensuite. Le prieur était déjà parti depuis plusieurs heures, mais elle était restée pour trier ce qu'ils avaient pu récupérer. Elle s'apprêtait à partir quand elle vit qu'une personne était dans la nef, une jeune femme, grande, cheveux bruns, un air inquiet sur le visage. Elle ne l'avait pas entendu entrer, et ne savait pas depuis combien de temps elle était là. Alors une deuxième personne arriva. C'était une autre jeune femme, quasiment le même âge, quasiment les mêmes traits. « Tu es venue » commença la première personne, s'approchant de l'autre femme et lui attrapant les mains. « J'ai besoin de ton aide » Sa voix résonnait dans toute la nef, rebondissant contre les murs de la cathédrale. Jetant des regards anxieux autour d'elle, comme si elle redoutait quelque chose, la jeune femme croisa son regard. Baissant aussitôt la tête, Alessandra se dirigea promptement vers la sortie, tandis que les deux femmes se parlèrent à voix basse. Alors qu'elle s'apprêtait à atteindre les portes, elle entendit un cri derrière elle. La première jeune femme, celle qui avait attendu et qui semblait comme une proie chassée, semblait enserrée d'une douleur lancinante à tel point qu'elle se laissa tomber en avant, sur les genoux, une main plaquée contre son bas-ventre. « Isabelle ? Isabelle ! » Et alors elle avait accourue.

Lorsqu'elle descendit les marches, elle s'aperçut que son frère l'attendait en bas, et sentit comme un serrement dans sa poitrine. Aurait-il lui aussi à vivre une scène similaire que celle qu'elle avait vu, à voir sa propre sœur dépérir dans d'atroces douleurs, sans pouvoir rien faire pour l'aider. Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, il posa une main sur son épaule, précautionneux. « Ça va aller ? » Elle lui fit signe que oui d'un hochement de tête. Lorsqu'ils entrèrent dans la pièce, un soudain malaise la prit à la gorge. Elle ne se sentait pas de remplir cette tâche qu'on lui avait confié, soudainement projeté dans l'intimité de personnes qu'elle connaissait à peine. Jusque là, Aiden Ruthendell n'avait été qu'un invité dont elle supportait rarement la présence. Elle n'avait pas vraiment d'avis à son égard, elle n'avait ni sympathie ni haine pour lui, juste de l'indifférence. Bien sûr, elle savait qui il était, elle avait entendu parler de lui, d'abord quand il était au service des Trois, puis quand il avait été jugé pour cela, et ensuite il était arrivé ici, ramené par Anya. Mais ils ne s'étaient jamais vraiment parlé pour autant, se contenant de brèves banalités sans la moindre profondeur. Mais maintenant ce qu'elle allait lui dire allait bouleverser sa vie entière.

Les torsions de la matière étaient insupportables, autant, si ce n'est même plus que les cris. Est-ce toujours ainsi, se demanda-t-elle, alors qu'elle s'agitait mais sans vraiment savoir que faire. Ce n'est qu'une fois arrivé à leur hauteur qu'elle l'a reconnue. Isabelle Hart avait été une jeune femme de la haute-société radieuse, courageuse, prête à faire face à n'importe quel adversaire. Elle n'avait pas pleuré, quand son père avait disparu du jour au lendemain, soudain couvert d'opprobre, et l'avait même défendu. Elle n'avait jamais été inconvenante dans les rivalités familiales, même lorsque Dahlia de Larant l'avait été, s'en prenant directement à elle et sa réputation. Elle avait su s'en sortir, alors qu'on l'avait jetée en prison pour, disait-on, sauver sa sœur. Mais maintenant, elle n'avait plus rien de toutes ces choses. Ce n'était plus qu'un corps se torsionnant sous des spasmes mais qui réussissait néanmoins à dire quelques mots, des bouts de phrases entrecoupés de gémissements mais qui, mis bout à bout, revenaient toujours à ça, il fallait sortir le bébé. Cela n'avait pas de sens. Son ventre n'était pas enflé par la présence d'une deuxième vie. Non, Isabelle n'était pas enceinte, et pourtant elle était en train d'accoucher. « A l'aide ! Venez nous aider ! » s'époumonait-elle - « Non ! Non » Pleine de sueurs, les traits déformés par l'effort, elle parvint néanmoins à soulever sa tête et attrapa d'une main le col de l'autre femme, « Ils ne doivent pas... savoir... pas savoir » et puis de sa gorge s'arracha un son qui n'avait pas de sens lui non plus.

Elle aurait voulu pouvoir se défaire de tout ça, s'affranchir de son implication bien qu'involontaire au fil des événements, mais c'était impossible maintenant. Ils étaient là, et ils l'attendaient. Lorsqu'elle était rentrée, elle avait eu l'air d'une hystérique, couverte d'un sang qui n'était pas le sien, tenant un nouveau-né qui n'était pas le sien. On aurait pu croire qu'elle était une folle qui venait de voler cet enfant, ou bien qu'il était en fait d'elle. Elle demanda à l'une des bonnes de la maison de réveiller en hâte les Dranheim et Ruthendell avant de laisser le nouveau-né entre les mains d'une autre servante, qui avait eu un bébé quelques temps auparavant, et ensuite elle couru chercher son frère, et le pressa d'aller chercher une sage-femme. D'abord, il ne bougea pas, trop occupé à la questionner elle, s'assurant qu'elle n'ait rien, mais Alessandra le repoussa sans donner plus d'explications, lui disant de se dépêcher et lui promettant qu'elle n'avait rien. Ceux qui avaient quelque chose, c'était Isabelle, dont le corps gisait encore sur le sol de la cathédrale, c'était Arianna, qui avait dû s'enfuir sans même pouvoir dire aurevoir, c'était Aiden, qui ne savait pas encore que tout son monde allait être ébranlé. Elle respira un bon coup et se lança. « Monsieur Ruthendell » commença-t-elle « Connaissez-vous une Isabelle Hart ? » Elle connaissait déjà la réponse, mais elle se dit que c'était un bon début.

Ses mains étaient trempés de sang, évoluant dans la chair dans des bruits semblables à lorsque que l'on dépèce un animal. Elle y était presque. Elle l'avait presque. Elle le sentait. Le bébé ne s'était pas présenté comme il fallait. Lorsqu'elles le réalisèrent, elles ne surent quoi faire, puis Alessandra s'était souvenu avoir vu faire, une fois. Cela n'était pas rassurant, certes, mais c'était leur seule chance, pour les deux. Isabelle avait perdu énormément de sang, et en perdait encore un peu plus à chaque instant. Cela n'a pas de sens, pensa-t-elle, d'accueillir en son être pendant neuf mois pour ensuite qu'on se l'arrache aussi violemment. L'autre jeune femme restait auprès de la nouvelle mère et la soutenait comme elle le pouvait, elle lui tenait la main, lui caressait les cheveux et lui soufflait des paroles réconfortantes. Fiévreuse, Isabelle répétait encore et encore qu'il fallait lui promettre, lui promettre qu'ils ne l'apprennent pas, mais qui, et pourquoi. Mais ce n'était pas pour elle, c'était pour l'autre femme, la sœur pensa-t-elle, vu comment elles étaient l'une avec l'autre. « Je l'ai ! » 

Elle tira l'une des chaises et s'assit. Elle ne savait pas vraiment par où commencer maintenant, on lui avait dit pourtant, ce qu'il fallait dire, Arianna lui avait dit, avant de disparaître, mais c'était confus maintenant, dans sa tête. « Monsieur Ruthendell » ça, elle l'avait déjà dit, « Votre amie, Isabelle Hart, elle est... » Elle baissa le regard, fixant le bois de la table et ses doigts qui tapotaient frénétiquement dessus. « Elle est morte » Elle déglutit, le plus dur était passé, ou bien était-ce ce qui allait suivre, le plus dur « Morte en couche... Maria vous pouvez... » Elle se retourna vers la servante qui, comprenant aussitôt, s'en alla chercher le nouveau-né. Il ne lui fallu pas plus d'une minute pour revenir, l'enfant dans les bras. « Votre amie m'a dit qu'elle était de vous. Elle voulait la laisser à sa sœur je crois, mais elles avaient peur de quelqu'un, toutes les deux, et puis elle est partie. Elle me l'a laissé, pour que je vous l'emmène. »

Le plus dur, lorsqu'elle comprirent qu'elles ne pouvaient plus rien faire, avait été de calmer Arianna. Elle avait éclaté en sanglots, tremblante de la tête au pied, et secouait frénétiquement la tête de droite à gauche. Non, faisait-elle, répétait-elle. « Ne t'inquiètes pas » La voix d'Isabelle n'était qu'un murmure, et on sentait que ce simple chuchotement lui coûtait ces forces. « Ca va aller » Elle esquissa un sourire fatigué. « J'étais prête, mais juste, reste avec moi » Elle ferma les yeux, juste un instant, et les rouvrit. « S'il te plaît » S'allongeant à ses côtés, elles restèrent comme ça quelques instants, sans dire un mot, à se regarder, les yeux emplis de larmes, jusqu'à qu'Arianna se mit à parler longuement de se qu'elle pensait. Jusqu'à présent, elle avait eu du mal à trouver sa place, mais elle avait su la trouver, à ses côtés. Je sais que je t'ai dis et fais des saletés parfois, disait-elle, mais s'il te plaît, pardonne moi, et je t'en supplie, reste avec moi, sans toi je vais m'écrouler. Elle la serra contre elle jusqu'à qu'elle finisse par s'endormir, et puis elle resta là, à attendre, jusqu'à qu'elle s'éteigne complètement. Ce n'est qu'alors qu'elle s'effondra à nouveau.

Elle se leva et prit l'enfant dans ses bras. « Je suis désolée, j'aurais voulu pouvoir faire plus pour votre amie » Elle passa un doigt sur le front de la petite, au moins elle avait pu la sauver elle. « Mais il vous reste quelque chose, quelqu'un, une part d'elle, de vous »



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Dezbaa
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Ven 12 Fév - 16:32


Protecteur

Isabelle, Aiden, Hans, Anya, Arianna, Alessandra, Arthur





« Est-ce son gamin ? » demanda Aiden, un pli moqueur aux coins des lèvres. « Pour une déchéance, c’en est une. » Perdre sa maison, perdre ses titres, accoucher d’un enfant sans père. Toute la noblesse vivendalaise l’aurait pointée du doigt, si elle avait eu encore assez de panache pour lever l’index. Anya lui jeta un regard assassin, puis resserra sa robe de chambre autour d’elle. « Ne sois pas stupide. » Évidemment. C’était plus grave. Il le savait. Il lui sourit et s’approcha d’un guéridon. Une bouteille et des verres y étaient posés. « Je vous sers ? » - « Non, merci. » répondit Hans. Sa fille secoua la tête. Les deux brandissaient un air grave. Le génie haussa les épaules et se servit. Il buvait, parfois. Souvent, peut-être. Il s’en cachait, plus pour ne pas être dérangé que par honte – il n’avait pas honte de grand-chose. Les faits étaient là : la vie aimait bien s’acharner, par moment, et lui n’était qu’un homme. Un homme limité face à des problèmes illimités. Il porta le verre à ses lèvres. Sa langue le brûla, mais son cœur se réchauffa. C’était à croire que seuls les liquides savaient éponger ses souffrances. D’abord, l’océan, et maintenant, l’alcool.

Les domestiques étaient réveillés, eux aussi. Aiden les détailla, tous. Des cernes bordaient leurs yeux aux lueurs fatiguées. Une étincelle inquiète brillait toutefois dans la plupart des prunelles. Alessandra de Marbrand était rentrée avec un enfant, et couverte de sang. Les rumeurs allaient vite : il les avait entendues, dans les couloirs. Il avait toujours eu un don pour saisir des bribes de conversations qui ne le concernaient en rien. Depuis, il se questionnait : de qui était-il ? Pourquoi avait-il été ramené ici ? Pourquoi avait-il fallu réveiller toute la maisonnée ? En quoi un bambin méritait-il tant de remous ? L’Inventeur ne voyait pas d’autres explications que son ascendance. Était-il de sang royal ? Pouvait-il permettre aux de Marbrand de revendiquer leurs droits sur la propriété ? Non. Ils n’auraient jamais réveillé les Dranheim, et Alessandra aurait eu peu de raisons d’être couverte de sang. Avait-elle trouvé l’enfant, ou dû aider sa mère à accoucher, avant de l’emporter ? Pourquoi ? Il était à mille lieues de se douter de la vérité. Il l’effleurait, pourtant. Elle était peut-être trop évidente pour être clarifiée.

Lorsque la jeune femme entra, la fébrilité nimbait tout son être. Les plus avisés pouvaient ressentir jusqu’aux tremblements de son âme. Aiden se tenait en retrait, derrière Hans et Anya. Le verre toujours près de ses lèvres, il ne quittait pas des yeux la mystérieuse. Lorsque son regard tomba dans le sien, un frisson le parcourut. Ses doigts se crispèrent autour du récipient. « Qui ne la connaît pas ? » répliqua-t-il, presque trop sur la défensive pour ne pas paraître suspect. Il n’était plus en maîtrise de ses émotions. En interne, elles se bousculaient, s’écharpaient, se livraient une bataille sans merci. Les yeux et la bouche d’Alessandra l’arrachaient à sa zone de confort. Ce qu’elle voulait dire, il le devinait. C’était surréaliste. C’était impensable. C’était impossible. Ou c’était autre chose. Sa sœur ? Une cousine ? Une amie ? Les probabilités s’accumulaient et se classaient. Les Dranheim s’écartèrent et se tournèrent vers lui. Leur air grave paraissait encore plus solennel.

« Morte. » répéta-t-il sèchement. Ce mot avait un goût étrange. Assez indescriptible. Un peu comme s’il était sans exister, à l’image de la nouvelle qu’annonçait la de Marbrand. Être, sans exister. Ne pas avoir de réalité. Ne pas être rattaché au monde sensible. Ses lèvres tremblèrent, les coins tressautèrent vers le haut, puis un éclat de rire sans vie brisa la gorge d’Aiden. Il jeta un regard alentour, comme s’il s’attendait à ce que les autres eussent la même réaction. Personne ne souriait. Aucun doute ne passait sur les visages. Hans demeurait impassible. Dans les yeux d’Anya, l’inquiétude et la peine le disputaient à la compassion. À cette vue, un grand choc ébranla le paria. Une vérité venait d’être dite, et c’était une vérité qui bouleversait le monde. Ses iris verts retournèrent sur Alessandra. Il la regardait sans la regarder. Il n’était plus vraiment là. Il était sans exister. Les souvenirs défilaient : le visage d’Isabelle et leurs discussions, cette nuit-là et la suivante, Teresa et le meurtre, la prophétie et les inepties… Qu’est-ce que ça pourrait bien faire, qu’elle meure ? avait-il demandé à la louve. Il n’était plus certain de la réponse. Un drôle d’effet, sans doute. Ça faisait un drôle d’effet.

Enveloppée dans un grand châle, on ne distinguait de l’enfant que le nez rond et les yeux brillants. Anya en détourna les iris pour fixer Aiden. Elle avait envie de s’avancer et de le prendre dans ses bras, pour le serrer contre elle et lui dire que tout irait bien. Elle aurait voulu le rassurer et lui promettre un avenir radieux. Elle savait néanmoins que, si elle était intervenue, quelque chose se serait rompu, et il l’aurait repoussée. Son regard restait planté sur la petite fille. Ses traits s’étaient défaits. Toute l’insolence et toute la moquerie s’en étaient allées, remplacées par le désarroi. Il ne lui avait jamais dit avoir couché avec Isabelle Hart. Cependant, cela n’étonnait guère la rousse. Ils avaient eu l’occasion d’en parler, et dans les mots du génie, on entendait son admiration et son respect pour cette femme. Parfois, elle avait même songé qu’il la considérait comme son égale, malgré leurs différences criantes. Il y avait eu quelque chose, chez Isabelle, qui avait su faire vibrer le génie.

Il pivota vers Hans, et alors, la Dranheim aperçut les perles cramponnées à ses yeux. Une pointe glacée perça sa poitrine. Dans le regard qu’il lançait à son père, il y avait mille appels à l’aide, un océan de colère et des tonnerres d’injustice. Le quinquagénaire ne bougea pas. Finalement, il demanda : « Leur père ? » Aiden se détourna, une grimace agrippée au visage. Jamais il n’aurait songé que le décès d’Isabelle pût lui être si difficile. Jamais. Pourtant, il le lui avait dit : si on ne s’attache pas, on ne souffre pas. Il le lui avait dit, et s’était tout de même laissé tomber dans le piège. De là où elle se trouvait, elle s’amusait sûrement. Elle l’avait prévenu : émotionnellement, elle le devançait. Il n’avait rien vu venir, quand elle savait sans doute, déjà, quels tourments le saisiraient si elle venait à disparaître.

L’Inventeur posa son verre sur le guéridon. Il avait conscience que toutes les personnes présentes attendaient une réaction de sa part. Mais rien ne venait. Rien ne sortait. Il retenait tout – au demeurant, il ignorait comment exprimer ce tout. La mort de la Hart, la menace de son père et des fanatiques, sa paternité. Ses yeux glissèrent jusqu’à la petite fille. Il serra les dents. Sans le savoir, il l’avait conduite à sa perte. Dès leur première rencontre, il avait signé son arrêt de mort. Il lui avait accordé un sursis de neuf mois, et neuf mois, c’était trop court. C’était toujours trop court. Finalement, le lion avait bien dévoré le cerf. Qu’ils avaient été bêtes, de se croire absouts des règles élémentaires de l’univers. Qu’ils avaient été orgueilleux… Sa mort ne devait-elle tout de même pas être sur sa conscience, malgré ce qu’il avait prétendu, devant Teresa ? N’était-il pas celui qui, sans l’avoir commanditée, l’avait orchestrée ? Une nuit ensemble, et il avait fait plus que de bouleverser son monde : il l’avait annihilé. Quel imbécile il avait été, de lui dire qu’on pouvait choisir sa fin ! Le destin rattrape tout le monde, même les insolents – et ceux-là, peut-être d’autant plus durement. D’Isabelle, il ne demeurait rien que des souvenirs et un héritage porté par cette enfant. Une promesse avortée, aussi. Elle n’avait pas attendu de voir Vivendale sauvée. Lui, il n’avait rien fait pour. La culpabilité tomba sur ses épaules. Elle lui semblait avoir le poids du ciel. Il baissa la tête.

« Non. » souffla-t-il. Car l’esprit acculé n’a pas d’autre échappatoire que le rejet. C’était peut-être cela. Un mensonge. Un mensonge cruel. Un mensonge plausible, de ceux que l’on fait de mieux. « Vous mentez. » La sentence était tombée, implacable. « Aiden- » - « Vous mentez ! » Le rugissement ébranla tant son corps que l’assistance. « Isabelle n’était pas enceinte ! Cette enfant n’est pas la mienne, et pour ce que j’en sais, elle n’est même pas morte. » Il s’approcha d’Alessandra, menaçant. La colère assombrissait ses yeux océan. « Qu’est-ce qui vous donne le droit de dire des choses pareilles ? Vous ne pouvez plus naturellement mépriser le bas peuple, alors vous assouvissez vos sales penchants de petite noble en torturant des gens qui ne vous ont rien demandé ? Qu’est-ce que vous voulez ? De l’argent, des titres, votre position ? C’est terminé. Vous appartenez au passé. » Lui aussi. Comme si elle ressentait la tension ambiante, l’enfant éclata en sanglots. Un domestique s’avança. « Monsieur Ruthendell… » Le regard furibond qu’il reçut ne l’arrêta pas. « Le corps de Lady Hart est toujours dans la cathédrale. Vous pouvez aller vérifier, si vous voulez. » Aiden le toisa. Un instant suspendu, saturé d’hésitation et de réflexion, s’éternisa. Puis, toujours aussi silencieux, il contourna Alessandra et s’éloigna. Parvenu sur le pas de la porte, il s’arrêta et se retourna. « De toute façon, s’il s’agit bien de la fille d’Isabelle, elle va mourir, elle aussi. » Et sur ces paroles prophétiques, il disparut.

Des torches brûlaient aux murs de la cathédrale. Leurs lumières et leurs ombres dansaient sur l’architecture épurée. Le blond s’avança. Au creux du silence, ses pas résonnaient. Une forme reposait, au fond, dans la nef. La poigne de la vérité serra son cœur. Il marcha, jusqu’à pouvoir distinguer parfaitement la silhouette de la fille Hart. Elle gisait sur la pierre rouge. Il s’arrêta. Sa mâchoire était si crispée que ses veines battaient à ses tempes. Il gardait la tête haute et observait le cadavre de biais, tel le pur dévisage l’infâme – avec cette posture qui démontre tout le caractère insupportable de la scène. Pourtant, il était désormais familier de la mort. Il lui avait offert une vie. Mais pas celle-ci. Pas celle d’Isabelle. Pas de cette façon-là. Finalement, lorsqu’il commença à reprendre pied, il s’approcha encore, et fit le tour de la macchabée. Le lion détaillait sa proie et les sévices qu’il lui avait infligés. Ses cuisses baignaient toujours dans son propre sang. Son entre-jambe paraissait avoir été piétinée par des chevaux. Pourtant, la figure de la brune paraissait apaisée. On aurait presque pu croire qu’elle dormait. Les stigmates de la douleur avaient péri avec elle. Au-delà de l’horreur, la mort avait quelque chose de beau. De poétique. On se l’imaginait pleine de souffrance, cependant, elle ne laissait chez ses victimes qu’une impression de sérénité. Elle leur offrait une protection ultime et indestructible contre le monde. Les seuls à souffrir étaient ceux qui restaient. Mourir – il le lui avait dit –, c’était goûter à la plus grande des libertés. Le prédateur s’accroupit près de sa tête. Durant quelques secondes, il demeura immobile. Puis, il caressa délicatement ses cheveux.

Les Trois sont quatre. Deux enfants. Ils étaient quatre – Isabelle, Arianna, Juliet et lui-même. Désormais, il n’en demeurait plus que trois. Les propos de Teresa avaient un goût particulièrement amer. Elle l’avait prévenu, qu’ils étaient en danger. Néanmoins, même s’il avait agi pour les protéger, la mort serait venue cueillir la Hart – l’inévitable avait tout de détestable et d’injuste. Il n’était, au demeurant, pas un protecteur. Un prédateur, un exécuteur, un monstre, oui. Mais il n’avait jamais rien su préserver ; car il était un lion qui vivait seul, sans famille. Il soupira. Sur sa joue, une larme coulait, aussi solitaire que les deux parias l’avaient été. « Bon voyage. » chuchota-t-il. Et sa main, dans un dernier au revoir, quitta son crâne.

La parole des défunts a toujours plus de valeur que celle des vivants. Alors, Aiden rentra. La conscience d’être père était ancrée à son cerveau. Il ne se sentait pas prêt. Il n’avait jamais envisagé de le devenir. Il tenait trop de l’enfant pour en éduquer un. Il ne voulait ni des responsabilités qui allaient avec ni de l’inquiétude qu’apportait ce statut. Toutefois, le choix n’était pas sien et, désormais, un petit être comptait sur lui. Sans le vouloir, Isabelle avait brisé sa solitude et lui avait donné une famille. Elle avait bouleversé son monde. « Je suis désolé. » dit-il en entrant dans le salon, à l’attention de l’assemblée toujours présente. Son regard s’attarda sur Alessandra, puis se porta sur l’enfant. Elle dormait dans les bras d’Anya. « Personne ne doit savoir de qui elle est la fille. Je crois que je sais de qui Isabelle et Arianna avaient peur, et si c’est bien cela, ils ne doivent pas avoir connaissance de son existence. » C’était peut-être déjà le cas. Son amie d’enfance acquiesça. « Et comment tu vas l’appeler ? » Il cligna des paupières, comme surpris par sa question. Il s’apprêtait à lui répondre qu’elle pouvait choisir son prénom, lorsqu’un nom traversa sa bouche avant même de percuter son esprit : « Liv. » - « C’est joli. » Elle s’approcha de lui et le scruta. « Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ? » C’était la grande interrogation de sa vie, depuis son retour dans la cité maudite. « Sauver Vivendale ? » Un sourire narquois ourla ses lèvres. Impossible de savoir si le sarcasme avait repris ses droits.

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